Retour d’expérience sur le projet Solutions pour l’Enseignement de la Phonétique Appliquée aux Langues Etrangères (SEPALE)
1. Prononciation de l’anglais et apprenants francophones
Dans une étude récente (Sharma et al., 2022), plus de 800 habitants du Royaume-Uni ont été invités à classer 38 accents de l’anglais (natifs et non natifs) en termes de prestige et d’agréabilité. L’accent français arrive en troisième position, juste après le Queen’s English et la Received Pronunciation, et bien avant l’accent américain, chinois ou de Liverpool. Faut-il pour autant conclure que les apprenants francophones doivent se contenter de prononcer les sons de l’anglais en leur substituant les gestes articulatoires du français ? La réponse est non, et pour deux raisons. D’abord, la fiabilité des études où l’on demande directement aux participants de donner une opinion est toute relative. En effet, divers processus d’autocensure peuvent interférer avec notre conviction profonde : on sait par exemple, dans le domaine des préférences d’accent, qu’il arrive qu’on obtienne des résultats contraires selon qu’on pose une question directe aux participants ou qu’on obtienne la réponse par des méthodes plus subtiles - par le biais, entre autres, de l’Implicit Association Test (McKenzie & Carrie, 2018 ; Pantos & Perkins, 2013). D’ailleurs, les études montrent que s’exprimer avec un accent étranger est souvent perçu défavorablement. Par exemple, les médecins sont jugés moins compétents (Baquiran & Nicoladis, 2019).
Ensuite, si l’on se contentait de transférer les sons du français, certains mots de l’anglais deviendraient homophones, nuisant ainsi à la compréhension. Ainsi par exemple, sick et thick, ou encore feet et fit, seraient confondus, avec un [s] en guise de consonne initiale pour les deux premiers, et le /i/ du français en guise de voyelle pour les deux autres.
S’il semble donc, en dépit de l’étude de Sharma et collègues citée plus haut, périlleux de conserver un accent étranger en anglais, cela ne signifie pas pour autant que l’adoption de n’importe quel accent natif garantisse des interactions sereines avec le monde anglophone. Tous les accents ne se valent pas : les études qui analysent les stéréotypes d’accent et les potentielles discriminations qui en découlent existent dans de nombreuses langues (voir par exemple Pélissier & Ferragne (2022) pour le français ou Rakić et al. (2011) pour l’allemand). Pour l’anglais, on citera, parmi tant d’autres, l’étude de Baratta (2017), qui rapporte la mésaventure de professeurs stagiaires en Angleterre qui se voient sommés de modifier leur accent régional ou disqualifiés lors d’un entretien d’embauche à cause de leur accent.
Dans les objectifs de l’enseignement de la prononciation de l’anglais langue étrangère, on oppose souvent native-likeness, la capacité d’un apprenant à s’exprimer avec un accent proche de celui d’un locuteur natif, à intelligibility, la doctrine selon laquelle viser une prononciation sans accent étranger n’est pas nécessaire tant que l’articulation des sons ne nuit pas à la compréhension. Notre démarche à l’université nous conduit à optimiser pour nos étudiants leurs chances de trouver un emploi tout en minimisant le risque que leur prononciation fasse l’objet de stigmatisation. Cela nous conduit donc naturellement à tendre, autant que faire se peut, vers une prononciation proche de celles d’anglophones, et à privilégier des accents qui ne sont pas marqués négativement : Received Pronunciation (RP) ou General American (GA). Ces deux termes sont parfois connotés (surtout RP), mais dans notre enseignement, ils désignent chacun simplement un ensemble d’accents non marqués géographiquement ou socialement, que les locuteurs emploient dans des situations formelles.
Il est commode de distinguer deux composantes lorsqu’on aborde la prononciation d’une langue étrangère : la phonologie et la phonétique. Une erreur phonologique consiste à établir un lien erroné entre un graphème et un phonème, et ce, avant même d’articuler le moindre son. Par exemple, faire rimer broad avec road (plutôt que, comme il se doit, avec fraud) constitue une telle erreur. L’aspect phonétique, quant à lui, concerne les cas où, bien qu’ayant mentalement établi un lien correct entre orthographe et phonème, l’apprenant produit un son dont les caractéristiques articulatoires et/ou acoustiques sont éloignées du son produit par les locuteurs servant de modèle. Par exemple, si un apprenant francophone de l’anglais déchiffre correctement la voyelle du mot gull comme étant celle qu’il y a également dans gut, mais qu’il articule la voyelle française qu’il a dans gueule, alors l’approximation est du domaine de la phonétique. Notre projet concerne spécifiquement la composante phonétique ; le volet grapho-phonologique faisant l’objet d’un enseignement spécifique que l’on retrouve sur toute la durée du cursus en Études Anglophones à Université Paris Cité.
La plupart des difficultés rencontrées par les apprenants francophones de l’anglais sont connues de longue date. Jones (1922), dans son Outline of English Phonetics, fait très régulièrement référence aux différences entre le français et l’anglais, et aux approximations phonétiques dues au transfert d’un son français en anglais par les apprenants. Il serait superflu de les passer en revue car elles sont nombreuses et de natures différentes : par ex. formation et maîtrise d’un son totalement nouveau comme le [ɹ] ou le [h], ou production différente d’un son déjà présent en français comme l’ajout de l’aspiration pour /p, t, k/ à l’initiale de syllabes accentuées, ou encore mise en place de deux catégories phonologiques dans un espace phonétique où n’existe qu’un seul phonème en français. C’est ce dernier cas qui est traité dans le présent article.
2. Genèse du projet
Le projet Solutions pour l’Enseignement de la Phonétique Appliquée aux Langues Étrangères (SEPALE) s’appuie sur les connaissances mentionnées dans la partie précédente, et plus particulièrement, sur les travaux de doctorat de Jennifer Krzonowski, dont la thèse, préparée sous la direction d’Emmanuel Ferragne et de François Pellegrino, a été soutenue à l’Université Lumière Lyon 2 en 2020 (Krzonowski, 2020). Cette thèse et les publications qui en ont découlé constituent la phase de prototypage et de validation scientifique des exercices du projet. Les bénéfices des exercices étant avérés dès cette phase préliminaire, le projet SEPALE en lui-même a consisté à 1) améliorer l’ergonomie de ces exercices, notamment en sollicitant le retour des étudiants 2) étendre le choix des exercices et 3) proposer ces entraînements à de grandes cohortes d’étudiants.
Pour mener à bien ce projet, nous avons sollicité et obtenu un financement sur deux ans (2021 à 2022) de la part de l’IdEx Université Paris Cité dans le cadre d’un appel à projets sur l’innovation pédagogique.
3. Description des exercices
Les exercices de perception que nous proposons ((Disponibles à cette adresse : https://github.com/emmanuelferragne/SEPALE)) s’appuient sur le principe du High Variability Phonetic Training (HVPT ; voir par exemple Barriuso & Hayes-Harb, 2018). En un mot, là où traditionnellement c’est l’unique voix de l’enseignant qui sert de support aux démonstrations d’un nouveau contraste phonologique en classe (par ex. feet vs fit), HVPT consiste à écouter des enregistrements de ce contraste produit par plusieurs voix. Introduire une telle variation conduit à se focaliser sur les caractéristiques essentielles du contraste tout en écartant l’information acoustique liée à la voix des locuteurs. Autrement dit, HVPT stimule notre capacité à généraliser un nouveau contraste appris au-delà de la voix qui les prononce et des mots dans lesquels le contraste a été présenté. Outre le principe fondamental de variabilité des voix, HVPT présente également un caractère intensif. C’est en effet à travers la répétition des contrastes phonémiques dans le même exercice de perception, et à condition qu’ils refassent fréquemment les exercices, qu’un apprentissage statistique s’opère chez les étudiants.
Les exercices que nous proposons ciblent des contrastes vocaliques réputés difficiles pour les apprenants francophones. En effet, les structures des espaces acoustiques des voyelles de l’anglais et du français sont différentes, et il n’est pas possible de faire correspondre exactement une voyelle anglaise à une voyelle française comme le montre la Figure 1 tirée de Krzonowski et al. (2018). On y voit par exemple que la zone du /ʌ/ anglais chevauche partiellement le /œ/ et le /a/ du français. On y voit encore que le /a/ français s’étend sur les zones du /æ/, du /ʌ/ et du /ɑː/ de l’anglais. Enfin, le /e/ du français semble parfaitement se superposer au /ɪ/ de l’anglais alors que le /i/ du français s’étend à la fois sur une partie du /iː/ et du /ɪ/ de l’anglais.
Nous nous sommes donc cantonnés au développement d’exercices n’impliquant qu’un sous-ensemble des monophtongues de l’anglais. Les voyelles de book et food auraient certes pu constituer un contraste supplémentaire pertinent. En effet, dans cette zone de l’espace vocalique, le français n’a qu’un seul phonème là où l’anglais en a deux. Cependant, ce couple de voyelles en anglais ne comporte qu’un nombre extrêmement faible de paires minimales (c’est-à-dire des paires de mots dont la différence n’est signalée que par l’opposition entre /ʊ/ et /uː/, comme pull et pool), et la plupart de ces paires sont un peu « forcées », par ex. should/shooed, hood/who’d, wood/wooed. Au moment de déterminer les priorités dans les travaux de Krzonowski (2020), au vu du statut un peu particulier de cette paire minimale, et en prenant en compte les contraintes de durée des expériences et donc de pénibilité pour les participants, il a été décidé de ne pas l’inclure.
S’en tenir aux monophtongues – et donc ne pas inclure les diphtongues – nous a été dicté par la nature de ces sons. En effet, caractériser les monophtongues comme nous l’avons fait dans Krzonowski et al. (2018) suit une méthodologie bien établie depuis plus de 70 ans (Peterson et Barney, 1952). Cela consiste à mesurer les deux ou trois premières résonances (appelées formants) typiques de la voyelle en question en un seul point temporel dans la voyelle (parfois le milieu). Et puisque le timbre des monophtongues est en principe stable au cours de l’émission de la voyelle, cet unique point de mesure suffit à caractériser toute la voyelle. On y ajoute une mesure de la durée de la voyelle, et ces deux paramètres, timbre et durée, suffisent à caractériser les contrastes de l’anglais pour les monophtongues. Les diphtongues, quant à elle, nécessitent une mesure de l’évolution de ces résonances au cours de l’émission de la voyelle. A minima, on compare l’évolution entre un point de mesure pris au début de la voyelle et un point pris à vers la fin (Ferragne & Pellegrino, 2013) ; mais décrire précisément la dynamique de ces résonances nécessite d’avoir recours à des méthodes plus sophistiquées (voir par ex. Ferragne, 2020) qui n’offrent pas une représentation aussi intelligible que la description acoustique des monophtongues.
Nous n’avons pas inclus d’exercice sur les consonnes pour plusieurs raisons. D’abord, le travail dont s’inspire nos exercices ne portait que sur quelques voyelles (Krzonowski, 2020), et c’est déjà beaucoup pour une thèse. Ensuite, dans notre expérience d’enseignants à l’université, il est bien rare que des étudiants en anglais aient une prononciation des consonnes qui engendrent des confusions entre plusieurs mots (comme l’exemple de la paire sick et thick vu plus haut). Certes, lorsque, comme cela est fréquent, un étudiant produit un /t/ français (avec articulation dentale) à la place d’un /t/ anglais (avec articulation alvéolaire), parfois le résultat « produces a very unnatural effect » comme le note Jones (1922, 26), qui a étudié ces articulations au moyen de palatogrammes. Mais il n’y a aucune ambiguïté quant au mot qui a été prononcé. Nous menons cependant à l’heure actuelle des recherches intensives en phonétique articulatoire utilisant l’échographie de la langue et l’imagerie par résonance magnétique permettant aux apprenants de visualiser leurs propres organes pendant la production de sons complexes comme le /r/ anglais (Léger et al., 2023), ou le /l/ dit sombre (Léger et al., 2024). Les exercices que nous avons proposés dans le cadre de SEPALE étant par essence personnalisables, un entraînement à la prononciation des consonnes est tout à fait envisageable et constitue un prolongement intéressant.
Nous avons proposé à nos étudiants de Licence d’anglais à Université Paris Cité quatre types de tâches de perception, constituant un total de 10 exercices à faire toutes les semaines. Le premier type d’exercice est une tâche d’identification à deux choix forcés. La Figure 2 représente une capture d’écran de la version de cet exercice qui entraîne à distinguer la paire /iː/~/ɪ/. Dans l’exemple donné, le mot seek vient d’être entendu et l’étudiant a cliqué sur le bouton présentant le symbole /iː/ avec le mot clé associé feet. Puisque la réponse est bonne, le programme affiche un retour avec la mention « correct » en vert suivie d’un émoji représentant un visage souriant. L’étudiant a la possibilité d’écouter le stimulus autant de fois qu’il le souhaite. Lorsque la réponse est fausse, la mention « Sorry, wrong answer » s’affiche en rouge avec un émoji de visage triste, et le stimulus est automatiquement rejoué. Deux autres contrastes vocaliques sont disponibles pour ce type d’exercice : /æ/~/ʌ/ et /ɑː/~/ʌ/. À chaque séance, et pour chacune des trois versions de cet exercice, trente mots prononcés sont choisis aléatoirement parmi une liste de 240 items.
Le deuxième type d’exercice est une tâche d’identification à cinq choix forcés. Le principe est identique au précédent. Cette fois-ci, en revanche, le stimulus entendu peut contenir l’une des cinq voyelles suivantes : /æ/~/ʌ/~/ɑː/~/iː/~/ɪ/. Il y a donc cinq boutons de réponse. Nous proposons deux exercices identiques, chacun tirant au hasard, à chaque session, trente mots parmi 300.
Le troisième type est une tâche de discrimination. Le principe est illustré dans la Figure 3. Dans cet exemple précis, les mots cud et card ont été successivement entendus ; il fallait déterminer s’il s’agissait du même mot ou de deux mots différents. Dans l’illustration, l’étudiant a répondu « SAME » ; il s’agit donc d’une mauvaise réponse. En plus du contraste /ʌ/~/ɑː/, les contrastes /ʌ/~/æ/ et /iː/~/ɪ/ sont proposés dans deux exercices supplémentaires. À chaque session, chacun de ces exercices tire au hasard trente parmi 240 paires de stimuli.
Enfin, le quatrième type d’exercice consiste à trouver l’intrus dans une série de trois stimuli. Dans l’exemple illustré à la Figure 4, les mots did, deed, et did viennent d’être entendus, dans cet ordre. L’étudiant a cliqué sur « 2 », identifiant ainsi correctement l’intrus. Deux exercices identiques sont proposés, chacun présentant à chaque session trente triplets tirés au hasard parmi 180.
La version du programme SEPALE qui nous intéresse dans cet article ne comprend que des exercices avec pour modèle l’anglais britannique standard. Nous avons depuis ajouté le modèle américain, avec le même nombre d’exercices. Nous avons conservé le contraste /iː/~/ɪ/ mais nous avons remplacé les autres voyelles pour nous concentrer sur des difficultés propres à l’anglais américain : le contraste /æ/~/e/ (e.g. man vs men) et le contraste /ʌ/~/ɑː/ (e.g. cud vs cod). Ce dernier est phonétiquement équivalent au /ʌ/~/ɑː/ de l’anglais britannique, mais le second élément de la paire s’applique, en anglais américain, à un groupe de mots différents : par exemple, cod a /ɒ/ en britannique. Nous avons proposé une analyse de la perception des voyelles américaines, avec une attention particulière à la difficulté accrue de percevoir certains contrastes en position pré-nasale (par ex. man vs men) dans Sanvicente et al. (2023).
4. Retours des étudiants
L’efficacité des exercices proposés a déjà été démontrée dans Krzonowski (2020). Notre ambition ici n’est donc pas de présenter une mesure de l’amélioration des représentations phonologiques anglaises de nos étudiants puisque nous tenons cette amélioration pour acquise. L’argument déterminant qui nous interdit de fournir une quelconque mesure de l’amélioration supposée de nos étudiants tient au fait qu’il est impossible de dire si l’amélioration éventuellement constatée serait due à nos exercices ou à la simple exposition à de l’anglais dans le cadre des cours ou du visionnage de séries et films/média anglophones. Si nous avions voulu mesurer précisément le gain de ces entraînements dans le projet SEPALE, nous aurions dû avoir recours à un groupe témoin. Autrement dit, nous aurions dû proposer les exercices d’entraînement à une moitié de notre effectif sur le semestre, laissant l’autre moitié sans entraînement. Il est évident ici que des contraintes éthiques ne permettent pas, dans le cadre d’un projet pédagogique censé profiter à tout l’effectif, de scinder notre groupe en deux pour créer un groupe témoin.
À l’issue du premier semestre d’utilisation des entraînements SEPALE à l’UFR d’Études Anglophones d’Université Paris Cité en 2021, nous avons sollicité le retour de nos étudiants à travers un questionnaire en ligne à partir de la plateforme Moodle. Nous présentons ici une sélection des questions que nous avons posées ; 110 étudiants ont participé à ce sondage. À la question : « Visuellement, les exercices ne sont pas très attractifs, comment l’avez-vous ressenti ? », la Figure 5 montre que presque 100 étudiants disent ne pas avoir été gênés par la sobriété de l’interface.
Lorsque les étudiants sont amenés à exprimer s’ils estiment que leur perception s’est améliorée, la Figure 6 fait apparaître que 31 tendent plutôt vers la négative. Le « plutôt oui » l’emporte avec 65 réponses alors qu’un oui franc ne concerne que 14 étudiants.
À la question de savoir si davantage d’exercices pourraient être utiles, les étudiants estiment que c’est le cas (ou plutôt le cas) à un peu plus de 70% (Figure 7).
Enfin, concernant les couples de voyelles pour lesquels les étudiants ont ressenti le bénéfice le plus net, feet-fit arrive en tête, suivie de cat-cut (Figure 8).
5. Les leçons à tirer
Ce type d’entraînement est répétitif par nature, ce qui peut ternir l’enthousiasme des utilisateurs. Au-delà de cet aspect, des contraintes techniques et ergonomiques interviennent. En ce qui concerne la portabilité, puisque les exercices de SEPALE s’appuient sur le logiciel Praat, il va de soi qu’ils ne sont compatibles qu’avec les appareils et systèmes d’exploitation pour lesquels Praat est prévu. En général, les ordinateurs équipés de versions récentes de Windows ou macOS garantissent un fonctionnement harmonieux. Les Chromebook sont à proscrire. Il n’existe pas de version de Praat pour les systèmes d’exploitation de téléphones portables tels que Android et iOS. La question de la portabilité des exercices vers des smartphones nous paraît désormais être l’élément prioritaire à prendre en compte pour quiconque voudrait développer ce type d’exercice, et ceci pour au moins deux raisons. D’abord, la petite fraction d’étudiants n’ayant pas accès à un ordinateur (ou à un ordinateur avec système compatible) possède un téléphone. Ensuite, l’installation d’une application sur un téléphone se fait automatiquement alors que l’installation de SEPALE, en particulier sous Mac, nécessite d’aller placer manuellement des fichiers dans des dossiers précis, ce que nos étudiants (issus de la génération Z) n’ont pas l’habitude de faire. Au-delà des aspects ergonomiques liés à l’installation et à l’interface graphique, la question du stockage des données mérite d’être réexaminée. En effet, nous avons jusqu’ici demandé aux étudiants de téléverser leurs fichiers logs, stockés localement sur leur machine, sur la plateforme Moodle à la fin du semestre. Cela présuppose 1) que l’étudiant utilise un seul et même ordinateur, 2) qu’il parvienne à trouver le répertoire dans lequel sont stockés ces fichiers à partir de nos explications pour pouvoir les téléverser sur Moodle et 3) qu’il n’efface pas par mégarde ces fichiers. Notre expérience nous apprend que ces conditions ne sont pas toujours réunies, ce qui nous fait privilégier pour la suite un stockage centralisé avec transfert automatique des résultats depuis les différents appareils utilisés par les étudiants vers un serveur unique.
Conclusion
Les systèmes de computer assisted pronunciation training (CAPT) ont connu un essor considérable ces dix dernières années. Quoi qu’existant depuis plusieurs décennies, ces systèmes ont vu leurs performances décuplées récemment en raison du progrès colossal survenu dans le traitement de la parole. Cette révolution découle en grande partie de l’avènement de l’ère actuelle de l’intelligence artificielle, née de la découverte et de l’implémentation de réseaux de neurones artificiels profonds. La dissémination de telles nouveautés à travers différentes « applis » a été favorisée par l’arrivée, puis les performances toujours croissantes des smartphones. Dans un marché déjà bien occupé, les exercices de perception du programme SEPALE présentent l’avantage d’être ouverts et personnalisables par les enseignants. Il est en effet possible de fournir ses propres fichiers sons et de procéder à quelques modifications mineures des programmes au format texte pour adapter les exercices à ses propres besoins. Comme nous l’avons vu, une limite potentielle de ces exercices réside dans le fait qu’ils sont implémentés dans l’environnement Praat, dont l’ergonomie se prêterait très mal à une utilisation sur tablette ou smartphone s’il était déployé, par exemple, pour Android. Au-delà de la perception de contrastes vocaliques, l’acquisition de la phonologie de l’anglais passe aussi par la production des sons. Et parmi les différents aspects de la prononciation des étudiants, nous nous sommes penchés dans une étude récente (Ferragne et al., 2023) sur leur accent. Nous avons pu mettre en évidence qu’environ les deux tiers des quelque 300 étudiants que nous avions enregistrés pour l’occasion présentaient un accent plutôt américain. Le tiers restant avait un accent plutôt britannique. Mais peut-être que le résultat le plus saillant de cette étude est celui qui montre que 93% de nos étudiants mélangent, à des degrés divers, des prononciations américaines ou britanniques. Transposé à la francophonie, imaginons par exemple qu’un individu prononce dans une phrase un mot sur deux avec l’accent parisien et un mot sur deux avec un accent québécois ! Ce résultat nous encourage à développer des exercices de production qui sensibiliseront les étudiants à la cohérence de leur accent.
Notes
Bibliographie
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Pour citer cette ressource :
Emmanuel Ferragne, Anne Guyot Talbot, Sylvain Navarro, Francesca Sanvicente, Retour d’expérience sur le projet Solutions pour l’Enseignement de la Phonétique Appliquée aux Langues Etrangères (SEPALE), La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), décembre 2024. Consulté le 18/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/langue/retour-d-experience-sur-le-projet-solutions-pour-l-enseignement-de-la-phonetique-appliquee-aux-langues-etrangeres-sepale