Quand l’accent standard n’est pas le plus facile à comprendre
Introduction
L’enseignement de l’anglais langue seconde (L2) est essentiellement axé sur deux accents standards : la Received Pronunciation (RP) pour la variété britannique et le General American (GA) pour l’américain. La RP est en général considérée comme l’accent britannique le plus prestigieux, le plus décrit, le plus entendu (grâce à la diffusion mondiale de la BBC) et par conséquent le plus facile à comprendre (Macaulay, 1988 ; Hughes et al., 2012). Il est normalement associé à l’anglais standard et est celui enseigné aux apprenants non-natifs. C’est à ce titre que la RP est l’accent le plus enseigné en France. Toutefois, en Grande-Bretagne, la plupart des Britanniques parlent avec un accent régional, et la RP est désormais parlée par seulement 3% à 5% de la population (Hughes et al., 2012).
L’accent standard, l’accent social
L’impossibilité d’associer un locuteur de RP à une zone géographique est un aspect central de l’accent (Hughes et Trudgill, 1996 ; Wells, 1982). Wells (1982) explique qu’il existe une interaction entre les dimensions sociale et géographique de la RP, son caractère non-localisable étant associé aux classes dites supérieures. L’aspect social de l’accent s’illustre à travers les multiples appellations qui lui sont associées : l’anglais de la BBC, l’anglais de la Reine ou l’anglais d’Oxbridge ((Autrement dit, Cambridge or Oxford English, on parle aussi des écoles privées (Public schools) comme Eton.)).
Ce rapport est illustré par Hughes et al. (2012, 10) dans la pyramide de variation sociale où la variation diastratique se situe sur l'axe vertical et la variation diatopique se situe sur l'axe horizontal. La variation diastratique concerne les différences liées aux classes sociales et la variation diatopique fait référence aux différences géographiques.
Les attitudes envers la RP
Depuis quelque temps, les attitudes envers la RP sont devenues moins favorables. C’est souvent sa forme conservatrice qui est enseignée aux apprenants de l’anglais-L2, et il semble préférable de les avertir qu’elle relève d’un accent considéré comme affecté (Hughes et Trudgill, 1996 ; Foulkes et Docherty, 1999). Les locuteurs de la RP sont perçus à la fois comme compétents, fiables, éduqués et confiants mais sont moins vus comme des personnes sympathiques ou sincères (Trudgill, 2001 ; Cruttenden, 2014). Pour toutes ces raisons, certains locuteurs cherchent à adopter un autre accent, moins stéréotypé que la RP (Foulkes et Docherty, 1999). En même temps, les attitudes envers les variétés régionales ont également évolué progressivement, avec une acceptation croissante des locuteurs non RP dans les médias, notamment à la BBC - ou encore avec un changement général vers l'acceptation d'autres accents de l'anglais par les universités (Lindsey, 2019 ; Glain, 2020). Par exemple, en France, on peut voir dans des programmes universitaires que de plus en plus d'universités proposent des cours sur les accents régionaux, et ce n'est plus un prérequis absolu pour les apprenants français de l'anglais de viser un accent RP (Rapport de jury CAPES, 2015).
Remise en question du modèle de prononciation en anglais L2
Dans un article intitulé « RP R.I.P. », Macaulay affirme :
It would be better for everyone if linguists, phoneticians and teachers over-came their fascination with the accent of an elite minority and concerned themselves more with the speech of the majority of the population. (1988, 2) ((« Il vaudrait mieux pour tout le monde que les linguistes, phonéticiens et enseignants dépassent leur fascination pour l'accent d'une minorité d'élite et s'intéressent davantage au parler de la majorité de la population » (traduction de l’auteure).))
L’auteur insiste sur le fait qu'un statut spécial pour cet accent n'est plus justifié et qu'une plus grande attention devrait être accordée aux variétés régionales. Il remet en question le fait qu'un accent avec si peu de locuteurs puisse représenter la prononciation standard de l'anglais. Face aux critiques liées au statut social particulier de l’accent RP, le besoin d’un nouveau nom semble faire consensus ((Hughes et al. (2012, 3) admettent que « L'étiquette RP a acquis une saveur plutôt désuète - voire négative - dans la société britannique contemporaine, et de nombreux linguistes, reconnaissant l'évolution des propriétés phonétiques de la RP et de son statut social au cours des dernières décennies, préfèrent le terme moins évaluatif de Standard Southern British English (SSBE) » (traduction de l’auteure).)).
Cependant, la règle de ne pas avoir de traits géographiquement localisables dans l’accent standard semble aussi faire consensus – ce qui réduit les possibilités. Dire que désormais l’accent standard s’appelle par exemple le Standard Southern British English (SSBE, l’anglais standard du sud de la Grande-Bretagne) va à l’encontre des principes constituant l’accent standard (cf. la pyramide de variation sociale dans Hughes et al., 2012, 10).
En fait, cela fait déjà longtemps que des linguistes disent que cet accent n’est pas le plus adapté tant il est phonétiquement complexe par rapport à d’autres accents, que cela soit au niveau de la compréhension (Abercrombie, 1956 ; Wells, 1982 ; Chevillet, 1991 ; Jenkins, 2000), de l’acquisition (Wells, 1982 ; Macaulay, 1988 ; Jenkins, 2000), ou simplement parce que les changements qu’il a subis au fil du temps ne sont pas reflétés dans l'enseignement (Foulkes et Docherty, 1999 ; Wells, 1997). Certains ont suggéré d'utiliser un autre accent comme modèle de référence (Abercrombie, 1956) ou de se concentrer davantage sur les éléments essentiels à l'intelligibilité comme dans la Lingua Franca Core (Jenkins, 2000) ((L’utilisation de /f/ et /v/ à la place de /ð/ et /θ/ est selon Jenkins, plus facile à réaliser et ne diminue pas l’intelligibilité. Cet élément fait également partie de l’accent EE (cf. note 5). Bien que considéré comme incorrectes par beaucoup, cette prononciation est très répandue à travers le pays (Foulkes et Docherty, 1999, 11).)). En France, des enseignants cherchent les éléments qui sont primordiaux pour l’intelligibilité des apprenants francophones afin de pouvoir proposer un modèle pertinent et utile (Frost, 2020). Wells (2000) propose d’utiliser d’autres traits qui appartiennent à l’accent Estuary English (EE, l’anglais de l’estuaire, cf. Rosewarne, 1984 ; 1994), notamment pour les apprenants japonais ((Afin de contourner des difficultés de perception et production de l’accent RP chez ces apprenants, Wells (2000) propose de remplacer /l/ par /o/, Par exemple, milk est prononcé [mɪok] (vocalisation du /l/). Puisque ce trait appartient à l’accent EE Wells affirme que cette prononciation n’enlève rien à l’intelligibilité.)). Il s’avère qu’à cause du statut social intermédiaire de l’accent EE, les Anglais ont moins de problèmes pour adopter certaines de ses caractéristiques (Foulkes et Docherty, 1999). Plus récemment, Glain (2020) remarque que les apprenants/futurs enseignants profiteraient d’avoir davantage de connaissances sur les accents régionaux. Avec les connaissances qu’ont les apprenants actuellement, sont-ils capables de traiter la variation liée aux accents régionaux et de les comprendre ?
1. Perception et compréhension
Plusieurs études ont examiné la manière dont les apprenants d’une L2 s'adaptent à certaines sources de variabilité, mais pendant de nombreuses années, les recherches sur la perception des non-natifs se sont concentrées sur la perception de leur accent par les natifs. Pour les auditeurs natifs, la variation linguistique due aux accents régionaux est perçue et généralement comprise, mais que se passe-t-il lorsque l'auditeur est un non-natif ? Bradlow et Pisoni (1998) ont constaté que les auditeurs de l’anglais-L2 n'étaient pas plus sensibles aux effets de la variabilité liée au changement de locuteur que les auditeurs de langue maternelle (L1) et que les auditeurs de l’anglais-L2 obtenaient de meilleurs résultats que les natifs monolingues quand il s’agissait de comprendre d’autres L2. Cependant, les apprenants de l’anglais-L2 peuvent rencontrer des difficultés lorsqu'ils sont confrontés à un accent fort (Bent et Bradlow, 2003). Ces chercheurs affirment que les auditeurs qui ont la même L1 ont tous la même « interlangue » ((Une interlangue peut être définit comme la version actuelle de la langue que l'apprenant est en train d'acquérir. Cela peut parfois compliquer la compréhension pour les locuteurs car l'interlangue peut altérer le sens original ou la clarté de la communication.)) (Bent et Bradlow, 2003, 1600) dans une L2, et qu'en raison de leur interlangue spécifique, ils peuvent trouver certaines caractéristiques plus ou moins intelligibles. Clarke et Garret (2004) affirment que les accents peuvent être classés sur une échelle perceptive en fonction de leur distance acoustique par rapport à la langue maternelle. Les accents non natifs se situent à une extrémité (puisque la distance acoustique entre les accents « standards » et les accents non-natifs est la plus grande), les accents standards à l'autre extrémité et les accents régionaux se trouvent au milieu de l’échelle. Cela implique que les mêmes processus de traitement sont utilisés pour tout type de parole (autrement dit, avec ou sans accents « forts ») et que l'étendue des effets de traitement liés à l'accent reflète simplement la distance acoustique entre les accents et la langue maternelle ou l'accent de l'auditeur. D'autres recherches ont abouti à des conclusions similaires, observant que lorsque l'auditeur entend une parole qui diffère considérablement de ses propres prototypes, il doit travailler davantage pour décoder le message et cela peut donc prendre plus de temps (Evans et Iverson, 2004 ; Larraza et Best, 2018 ; Munro et Derwing, 1995). Une autre étude visant à connaitre l’effet d’un accent sur la compréhension (Major et al., 2005), a montré que les non-natifs peuvent même rencontrer des difficultés avec l’accent standard le plus familier ((Il s’agissait de l’accent standard américain.)). La façon dont les auditeurs traitent certaines caractéristiques des accents avec lesquels ils sont moins familiers peut fournir une compréhension plus générale sur leur perception. Floccia et al. (2006) postulent qu’en s’exposant plus souvent à un accent régional, il est possible d’élaborer un filtre multidimensionnel pour mieux s’adapter à un accent mais leur étude se focalise sur les accents natifs.
2. Compréhension et traitement des accents régionaux
La variation linguistique due aux différences régionales et ethniques est une propriété importante de la langue parlée. Selon Uchanski (2005), nos connaissances de la perception de la parole sont insuffisantes pour pouvoir prédire l’intelligibilité des variétés régionales à partir d’une simple étude acoustique, or il existe peu de recherches sur la perception et la compréhension des divers accents britanniques. L'une des premières études à évaluer l'intelligibilité de la RP a demandé à des auditeurs de Singapour et de Grande-Bretagne de transcrire orthographiquement l'anglais parlé par un locuteur avec un accent proche de la RP et un locuteur singapourien (Fraser Gupta, 2005). Les résultats ont confirmé qu'il est plus facile de faire face à un accent familier. Cependant, la compréhension d'un accent non familier a donné des résultats mixtes, certains auditeurs étant plus habiles que d'autres. La manière dont un accent est perçu par l’auditeur ou les facteurs culturels constituent d’autres explications possibles.
Une autre étude a examiné la compréhension de trois accents à partir d’enregistrements du corpus IViE : Cambridge (NEAR RP) ((« Near RP » ou RP approximatif signifie que la prononciation d’un individu a pour l’essentiel des traits caractéristiques de la RP (Wells, 1982, 297). Wells distingue plusieurs sortes de RP (Wells, 1982, 279-301).)), Cardiff et Belfast, par trois groupes d'auditeurs (Ikeno et Hanson, 2007). Il y avait un groupe de non-natifs de L1 différentes (chinois, croate, allemand et japonais), puis deux groupes de natifs, un britannique et un américain. Les auditeurs L2 ont correctement transcrit 48% de ce qu'ils ont entendu, contre 78% pour le groupe britannique et 82% pour les Américains. Il a été conclu que la compréhension est affectée par la distance entre la L1 des auditeurs et l’accent en question. L'accent de Cardiff était le plus compréhensible pour le groupe L2 (58%), suivi de l'accent de Cambridge (44%) alors que les natifs comprenaient plus de 80% de ces deux accents.
En utilisant la même méthode établie dans ces études, Edensor (2010) a montré des résultats similaires. Le passage lu du corpus IViE a été utilisé pour cette expérience. Le corpus consistait en neuf accents, c’est à dire Cambridge (NEAR RP), Londres (les locuteurs sont d’ascendance jamaïquaine), Liverpool, Leeds, Bradford (bilingues anglais-panjabi), Cardiff (bilingues anglais-gallois), Newcastle, Belfast et Malahide (banlieue de Dublin) ((Les initiales de chaque accent correspondent aux abréviations indiquées dans le corpus IViE et dans la suite du chapitre. Il s’agit de Cambridge (C), Londres (J), Liverpool (S), Leeds (L), Bradford (P), Cardiff (W), Newcastle (N), Belfast (B) et Malahide (M).)).
19 étudiants français inscrits en licence d'anglais ont participé à l’expérience. Leur âge moyen était de 20 ans et ils avaient étudié l'anglais pendant 9,1 ans en moyenne. Les participants devaient transcrire orthographiquement 27 phrases (trois par accent), et pouvaient écouter chaque stimulus jusqu’à quatre fois. Le nombre de mots correctement transcrits a été calculé, et le pourcentage global de compréhension était de 46,74%, signifiant que le traitement de la parole était incomplet. À l’époque, les apprenants d’anglais francophones avaient peu de connaissances des différentes variétés existantes autres que la RP. Le nombre de mots correctement transcrits était le plus élevé dans l'accent de Cardiff (W) : 84,05%, puis l'accent de Cambridge (C) : 68,25%, suivi de Liverpool (S) : 57,26%.
Le niveau de compréhension était inférieur à 50% dans six accents sur neuf. Trois accents ont eu un taux de compréhension de 30 à 40% (dans l'ordre : Bradford, Londres, Malahide) puis ces taux sont tombés en dessous de 30% pour les accents de Leeds et Newcastle (L : 25.09% et N : 24.67%). Le traitement de ces accents a été fortement empêché par la variation – les auditeurs ne perçoivent que quelques mots (30% à 40% des mots dans une phrase écoutée). Ils n’arrivent pas à comprendre assez de mots pour ensuite parvenir à comprendre (ou déchiffrer) la phrase complète car la variation dans la parole est trop importante, comme s’ils ne pouvaient pas cartographier ce qu’ils entendent pour le faire correspondre à quelque chose qu’ils comprennent en anglais. Dans ces moments-là, nous ne pouvons plus parler de compréhension.
3. La présente étude
Pour toutes les raisons détaillées dans l’introduction, il semblait intéressant de reproduire à l’identique l’expérience sur les apprenants francophones de 2010 afin d’évaluer la compréhension de ces mêmes neuf accents.
L’expérience a été mise en place avec Lancelot ((Lancelot, dans le progiciel Perceval (un système informatisé pour l'expérimentation de la perception auditive et visuelle), permet aux participants de progresser à leur propre rythme.)).
Les 12 participants français inscrits en licence d’anglais, ont transcrit orthographiquement les 27 phrases choisies du corpus IViE, avec les mêmes locuteurs (cf. Edensor, 2010). L'âge moyen des participants qui se sont portés volontaires était de 21,2 ans et ils avaient étudié l'anglais pendant 12,8 ans en moyenne. Les participants ont écouté les 27 phrases dans le même ordre.
Les phrases choisies contenaient des éléments caractéristiques de chaque variété, par exemple l'utilisation de [x] au lieu de /k/ dans l'accent de Liverpool, /t/ et /d/ au lieu de /θ/ et /ð/ dans la variété de Malahide (Irlande), et de la vocalisation du /l/ dans l'accent de Londres ((Cf. Wells (1982, volume 2), pour une description complète des accents des îles britanniques.)).
Voici quelques exemples des 27 phrases de l'expérience que les participants devaient écouter et transcrire en anglais :
C: But he held on to the slipper.
J: The glass slipper was his only clue.
N: Oh dear!' she sighed.
L: But the slipper was always too small.
W: It was her fairy godmother!
Les participants ont correctement transcrit 61,70% des mots.
Le graphique montre qu'il y a une grande disparité entre le niveau de compréhension des accents, certains sont plus faciles à comprendre que d'autres.
L'accent de Cardiff (W) a le meilleur taux de compréhension avec 93,75% des mots correctement transcrits. Le deuxième accent le mieux compris est celui de Cambridge (C) : 85,83% suivi de l’accent de Liverpool (S) : 78%.
Des neuf accents, seuls deux ont un taux de compréhension inférieur à 50%. Il s’agit de Londres (J) : 48,40%, et l'accent de Newcastle (N) qui est le moins compris avec un taux de 39,32%. Trois accents ont des niveaux de compréhension autour de 50%, il s’agit de Leeds (L : 50.28%), Malahide (M : 50.35%), Bradford (P : 51.34%). L’accent de Belfast (B) est légèrement au-dessus avec un taux de compréhension de 56.39%.
Discussion et conclusion
L'objectif de cette étude est d’évaluer la capacité des auditeurs non natifs à comprendre la variation de la parole que l’on peut trouver dans les accents britanniques et irlandais par le biais d’une expérience. En 2009, la même expérience avait montré que ce type de variation était difficile à traiter et à comprendre pour les apprenants francophones. Le pourcentage global de compréhension était seulement de 46,74%, ce qui se traduit par l’incapacité de comprendre plus d’un mot sur deux. Cependant, les niveaux de compréhension n’étaient pas homogènes. L’accent de Cambridge, qui est souvent synonyme d’accent standard britannique, n’était pas le plus facile à comprendre.
En comparaison, le niveau de compréhension en 2020 s'est nettement amélioré et les participants ont correctement transcrits 61,70% des stimuli. Ce résultat confirme que les variétés d’anglais continuent à poser des difficultés de compréhension pour les francophones, mais à des niveaux différents. Par exemple, l’accent de Cardiff n’a pas posé de problème de compréhension, et l'accent de Cambridge a également été bien compris. Or, dans la littérature, c’est bien ce dernier qui est présenté comme l’accent le plus compréhensible des accents britanniques. De plus, il s'agit de l'accent de référence enseigné aux non-natifs, et par conséquent, c’est la variété avec laquelle les participants étaient a priori le plus familiers. Nous avons déjà vu que le fait d’être familiarisé avec la variation peut jouer un rôle important, mais les résultats indiquent que l’accent RP n’est pas le plus accessible. En tout cas, ce n’est pas le cas pour cette population d’apprenants français.
Bien que ces résultats semblent montrer un meilleur traitement de la variation, il n’en demeure pas moins qu’en 2020, pour six accents sur les neuf, les taux de compréhension étaient aux alentours de 50%. À l’évidence, les étudiants francophones ont des connaissances insuffisantes des spécificités de ces variétés et, par conséquent, rencontrent des difficultés à les comprendre lorsqu’ils y sont confrontés. Le fait que certaines variétés peuvent réellement gêner la compréhension de la langue a des implications pédagogiques. Comme le préconise Glain (2020), il est important d’aborder et de présenter ces variétés aux étudiants, ce qui rejoint la conclusion de Floccia et al. (2006) : en s'exposant davantage aux accents divers, on s'adapte mieux à ceux-ci.
Néanmoins, les participants ont pu comprendre certaines prononciations caractéristiques des accents, par exemple le mot recognise prononcé [ˈɾɛxənaɪz] dans la variété de Liverpool. Ce résultat montre que les apprenants de L2 peuvent traiter certains traits peu ou pas connus, tels que /x/, que certains associeraient davantage avec la prononciation typiquement écossaise de loch. Un autre exemple se trouve à la fois dans (S) et (W) où le /r/ a tendance à être réalisé comme une vibrante battue [ɾ]. Cette prononciation, bien éloignée de la prononciation standard [ɹ], peut être trouvée dans certains accents français (notamment dans le sud de la France), ce qui laisserait penser que la compréhension a pu être facilitée puisque l’écart entre la L1 et la L2 est réduit. D’autres études (Clarke et Garret, 2004 ; Evans et Iverson, 2004 ; Ikeno et Hanson, 2007 ; Larraza et Best, 2018 ; Munro et Derwing, 1995) ont déjà évoqué la distance phonologique entre la L1 et une variété de la L2 comme élément qui peut faciliter ou empêcher la compréhension. Une autre explication du niveau de compréhension de l’accent gallois se trouve peut-être dans le rythme qui est différent du rythme de l’accent standard (Wells, 1982). Le fait d’avoir une voyelle non-réduite dans une syllabe inaccentuée là où, dans l’accent standard on trouve un schwa donne l’impression d’une variété davantage fondée sur un rythme syllabique ((Le français est une langue au rythme syllabique.)) plutôt que sur un rythme accentuel. Nous constatons que le facteur de familiarité, ne suffit pas pour rendre compte des niveaux de compréhension. La plupart de ces linguistes s'accordent à dire que lorsqu'il s'agit d'un accent non familier, le degré de compétence de l'auditeur doit aussi être pris en compte. Certains auditeurs sont simplement plus capables que d'autres de comprendre un message. Cela souligne qu'il y a encore beaucoup à apprendre sur la façon dont la variation est traitée.
Lorsque l’on compare les résultats des deux expériences, on constate que les participants de l’expérience de 2020 étaient légèrement plus âgés (1,2 ans) et qu’ils avaient en moyenne non seulement étudié l’anglais depuis plus longtemps (2,5 ans) mais qu’ils étaient plus jeunes lorsqu’ils ont commencé à apprendre l’anglais. De manière générale, cela signifie qu’ils avaient plus d’expérience avec la langue, ce qui peut expliquer leurs résultats. Toutefois, en dix ans, le niveau de compréhension a augmenté de 14.96 points de pourcentage et il est possible que d’autres facteurs en plus de l’âge et l’expérience soient à l’œuvre. Par exemple, le fait qu’il est beaucoup plus facile d’écouter de l’anglais par le biais d’internet maintenant qu’il ne l’était en 2010 a sans doute eu un impact (Edensor Costille, 2022). Cela est peut-être simplement dû au fait que les apprenants peuvent avoir accès à d’autres variétés de l’anglais, ce qui a comme effet d’augmenter leurs expériences avec les variétés et donc de se familiariser davantage et peut avoir un impact sur leur capacité à traiter la variation de la parole. On peut penser à un effet en cascade ou un cercle vertueux.
Dans cette étude, il apparait que la compréhension de ces variétés de l’anglais peut être difficile pour les non-natifs, mais certains accents sont plus difficiles que d’autres. Les apprenants d’aujourd’hui (et leurs enseignants) ont la chance d’avoir accès à l’anglais de tous les coins du monde très facilement. Il est important de faire entrer la variation dans nos cours, il peut s’agir de la variation aux niveaux des accents ou par des styles ou registres de paroles variés. Prendre et avoir l’habitude d’écouter les divers accents du monde anglophone ne peut qu’avoir un effet bénéfique à la fois sur la compréhension de l’anglais et le traitement de la variation de la parole de manière général. De plus, il va sans dire que parler des différents accents de l’anglais permet également d’introduire des aspects culturels et sociaux riches du monde anglophone.
Notes
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Pour citer cette ressource :
Kizzi Edensor-Costille, Quand l’accent standard n’est pas le plus facile à comprendre, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), décembre 2024. Consulté le 18/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/langue/quand-l-accent-standard-n-est-pas-le-plus-facile-a-comprendre