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Giuseppe Pontiggia, «Nati due volte» (2000)

Par Sarah Vandamme : Professeure agrégée d'italien
Publié par Alison Carton-Kozak le 02/05/2024

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Fiche de lecture du roman ((Nati due volte)) de Giuseppe Pontiggia, publié en 2000 par Mondadori.

Couverture du roman Nati due volte de Giuseppe Pontiggia, éd. Mondadori 2021

Présentation du roman

Nati due volte est le dernier roman de l’auteur milanais Giuseppe Pontiggia, disparu en 2003. Il a été traduit dans de nombreuses langues et a inspiré à Gianni Amelio son film Le chiavi di casa (2004). Professeur d’italien dans un lycée, le narrateur raconte, de la naissance au début de l’âge adulte, la première partie de la vie de son fils Paolo, porteur d’un lourd handicap qui lui rend très difficiles la marche et la parole. Assez succinct sur les détails purement médicaux et techniques, c’est surtout la question de l’inclusion dans la société que le roman aborde, puisque selon une idée exprimée assez tôt dans le texte, les enfants porteurs de handicap "naissent deux fois", le moment où ils trouvent enfin leur place dans le monde étant une deuxième et véritable naissance.

Une réflexion sur l’inclusion

Le roman est constitué d’une suite de chapitres très brefs, qui suivent la chronologie mais sont souvent séparés par des ellipses plus ou moins longues. Le lexique est simple, les phrases brèves et les verbes au présent. Les nombreux dialogues rendent compte des points de vue des différents personnages, mais le narrateur est très présent et émaille régulièrement son récit d’aphorismes et d’analyses auto-réflexives : "Non voglio arrendermi. È la mia debolezza. Nella vita, quando non c’è alternativa, ci si arrende. Molti non aspettano altro. Vivono per arrendersi. Ecco, mi sta riuscendo il gioco. Ingigantisco i difetti degli altri per impicciolire i miei" (p. 134 de l'édition de 2016). 

Certains chapitres sont des digressions qui ne traitent pas directement de Paolo, mais à travers d’autres épisodes de sa vie le narrateur en revient toujours à la question du handicap et de l’inclusion. C’est notamment son métier d’enseignant, avant même la naissance de son fils, qui le confronte à la diversité des élèves et des façons d’apprendre : un chapitre évoque par exemple un désaccord l’opposant à un collègue plus âgé, qui malgré sa vision très libertaire voire démagogique de l’enseignement refuse d’adapter ses pratiques à une élève maladivement timide peu adaptée au système italien fondé sur l’oral. Certains passages – une rencontre avec une institutrice, une négociation avec un directeur d’école – sont très didactiques et sont de véritables plaidoyers pour l’inclusion scolaire.

Bien que le récit soit probablement très inspiré de la relation qu’entretenait l’auteur avec son fils Andrea, lui-même porteur de handicap, le propos n’est pas de décrire un handicap précis, ni même de faire le portrait d’une personne en particulier, mais bien de proposer une réflexion plus générale sur la diversité et l’inclusion :

Che cosa è normale ?
Niente. Chi è normale ? Nessuno.
Quando si è feriti dalla diversità, la prima reazione non è di accettarla, ma di negarla. E lo si fa cominciando a negare la normalità. La normalità non esiste. Il lessico che la riguarda diventa a un tratto reticente, ammiccante, vagamente sarcastico? Si usano, nel linguaggio orale, i segni di quello scritto : "i normali, tra virgolette". Oppure: "I cosiddetti normali". (p. 33)

Pour appuyer cette notion, le narrateur montre comment, tandis que Paolo grandit et gagne en assurance, ses proches deviennent eux-mêmes empêchés, notamment dans la parole, si importante pour le narrateur : un grand-père frappé de démence sénile ne trouve plus les mots pour s’adresser à ses proches, un oncle touché par un cancer du larynx a la voix rauque et fragile et le narrateur lui-même est rendu quasiment aphone par des années d’enseignement. Plus généralement, les différents personnages, pourtant valides, ne parviennent jamais à communiquer entre eux de manière satisfaisante, alors que Paolo, contraint à l’efficacité et à la fulgurance, parvient souvent mieux que les autres à dire ce qu’il a à dire.

Le handicap est traité sans mièvrerie ni misérabilisme, parfois avec humour et sarcasme mais toujours avec délicatesse. On pourrait dire que le narrateur lui-même "naît deux fois", puisque l’observation de son fils lui permet de relativiser la notion d’intelligence, auparavant centrale dans sa vie d’intellectuel :

Quando penso ai problemi che mi ponevo sulla intelligenza di Paolo, penso a quelli che avrei dovuto pormi sulla mia. E se mi guardo intorno, non trovo molti esempi confortanti. Le poche frasi geniali le isoliamo, scandiscono le tappe della nostra vita, diventano memorabili. Quelle idiote sono schiacciate da una concorrenza travolgente, che non migliora la qualità. [...]
L’elettroencefalogramma ha smesso di farmi paura, insieme con i test della intelligenza (perché non i test della stupidità come epidemia planetaria?). Penso che dovremmo misurarla meno, troppi rischi per ciascuno. Proporrei più delicatezza con l’handicap, più riguardo. Ci ricambierà. (p. 200)

Le couple et la famille confrontés au handicap

Plus de 20 ans après la sortie du livre, le message sur l’inclusion des personnes porteuses de handicap, porté par cette ironie salutaire, est toujours aussi actuel et efficace. Les chapitres qui portent sur l’effet du handicap sur le couple et la famille semblent en revanche plus faibles, et souffrent parfois d’incohérences. Alors que la naissance de Paolo semble être narrée comme une première naissance, quelques chapitres plus loin il est par exemple question d’un grand-frère, jaloux et peu charitable envers son cadet handicapé. Cet Alfredo est par la suite à peine évoqué et il n’est pas mentionné lors de moments qui semblent fondamentaux dans la vie de la famille.

La question du couple, et plus généralement le traitement des personnages féminins posent également problème. Le narrateur se dépeint volontiers comme infidèle et il mentionne parfois un adultère, dont il imagine qu’il aurait pu causer de la peine à sa femme, compliquer la naissance et mener au handicap. Cette autre femme traverse le roman comme une ombre et cette intrigue secondaire à peine ébauchée ne sert pas le propos général du roman, pas plus que les passages où le narrateur flirte ouvertement avec la plupart des personnages féminins rencontrés.

Franca, la mère de Paolo, est elle-même un personnage assez fantomatique, qui n’existe que par les soins méticuleux donnés à son fils et par l’amertume qu’elle adresse à son mari trop peu impliqué dans la vie de la famille. En effet, le narrateur reconnaît qu’il n’accomplit qu’une part infime de l’immense tâche que représente le soin d’un enfant handicapé et se représente comme un père un peu négligeant. Peut-être plus autobiographique que fictionnelle, cette thématique ne fonctionne pas totalement dans un roman dont le propos est précisément la beauté et la richesse du lien entre un père et son fils porteur de handicap. Plus gênant encore pour un lecteur sensible aux questions de genre, ce partage des tâches reposant sur le dévouement des femmes et l’insuffisance des hommes semble somme toute revendiqué par le narrateur. Lorsqu’il doit parler à son fils désormais adolescent de sexualité et d’amour, il expose la théorie suivante :

"Tutti gli uomini sono, a modo loro, infantili. Non si esce mai dalla infanzia. Ci siamo rimasti troppo a lungo." [...]
"Perciò alle donne non dispiace che gli uomini siano infantili. Basta che non lo siano troppo e non lo siano sempre."
Non commenta, ma sembra d’accordo.
"Tu dovresti incontrare una di quelle ragazze altruiste che sono disposte ad affrontare certe difficoltà. Non che manchino, anche con loro, le cattive sorprese." (p. 165-166)

La question de l’immaturité du père est ainsi traitée avec une certaine complaisance, et convainc d’autant moins que le personnage de Franca est ingrat et peu travaillé. Cette fragilité a sans doute été relevée par les scénaristes du film Le chiavi di casa, qui ont imaginé, de façon certes plus tragique et romanesque, que la mère mourait en couches, laissant un enfant handicapé que le veuf, incapable de faire face à la situation, abandonne avant de le retrouver quinze ans plus tard.

Pistes d’exploitation pédagogique

Le lexique et la syntaxe étant très simples, des extraits choisis de ce roman peuvent aisément être travaillés en classe. Les chapitres étant courts et autonomes, ils peuvent pour certains être lus entiers par des élèves du secondaire. Les aphorismes peuvent en outre être isolés pour être traités séparément, pourquoi pas en sujet de production écrite.

Nati due volte entre bien sûr dans l’axe "Diversité et Inclusion" du cycle terminal. Le roman pourrait être associé à une réflexion plus générale sur le handicap, physique et mental, notamment mis en parallèle avec la question des manicomi et de leur fermeture dans les années 1970. De nombreux passages entrent d’ailleurs en résonance avec la fameuse phrase de Franco Basaglia : ""Visto da vicino nessuno è normale", sujet de réflexion adapté au cycle terminal. Dans le cadre du même axe, on peut utiliser des extraits du roman dans une séquence portant plus précisément sur l’apprentissage et l’inclusion scolaire, en évoquant bien sûr par Maria Montessori et par la figure de l’insegnante di sostegno, apparu dans les écoles italiennes après 68. Le sujet est d’ailleurs revenu dans l’actualité italienne suite aux déclarations de Roberto Vannacci qui a suscité la polémique en proposant de mettre fin à ce principe d’inclusion solidement ancré en Italie.

La question de la famille confrontée au handicap peut également être traitée en classe de seconde, dans le cadre de l’axe "Vivre entre Générations".

Note

Pour citer cette ressource :

Sarah Vandamme, "Giuseppe Pontiggia, «Nati due volte» (2000)", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mai 2024. Consulté le 17/05/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/italien/litterature/bibliotheque/giuseppe-pontiggia-nati-due-volte-2000