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L’Italie olympique : du rêve fasciste à la réalité des Jeux de 1960

Par Clément Luy : ATER - Université de Rouen Normandie
Publié par Alison Carton-Kozak le 06/09/2024

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Les Jeux Olympiques d'été de Rome, en 1960, peuvent apparaître comme un moment d'apothéose du miracle économique italien. Pour la première et unique fois de son histoire, l'Italie organise en 1960 la plus grande compétition sportive mondiale. Cet article revient sur la genèse de l'événement, en étudiant rétrospectivement le poids qu'ont pu avoir les candidatures élaborées pendant la période fasciste sur l'organisation des Jeux plus de quinze ans après la chute du régime totalitaire italien.

Défilé des athlètes lors de la cérémonie d'ouverture des JO de Rome 1960
(Licence Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic via Wikipedia)

Introduction

En 1960, l’Italie organise les Jeux Olympiques d’été pour la seule et unique fois de son histoire. Cet événement majeur, organisé à Rome en plein cœur des années du « miracle économique italien », a lieu après plusieurs échecs dans la première moitié du XXe siècle, notamment sous le fascisme, et après une répétition générale lors des Jeux d’hiver de Cortina d’Ampezzo en 1956.

Le premier projet olympique italien est déposé en 1908, plus d’un demi-siècle avant sa réalisation en 1960. Ce sont notamment les quatre décennies du fascisme puis de la reconstruction qui voient le dépôt de projets d’accueil des Jeux. Ceux-ci sont révélateurs du fonctionnement du sport italien et de ses organisations dans des contextes différents. Cependant, malgré des ruptures politiques et historiques, les Jeux olympiques de 1960 héritent de certains éléments des projets fascistes précédents.

Nous essaierons de retracer, dans la présente synthèse qui s’appuie notamment sur les travaux de Daphné Bolz et la lecture des archives du Comité international olympique (CIO) et du Comité olympique national italien (CONI), les différentes étapes de l’histoire olympique de l’Italie entre 1920 et 1960.

1. L'Italie olympique : une réalité sportive. Les exemples de 1932 et 1936

1. 1 Fascisme et olympisme : théories et pratiques

Dès 1920, l’olympisme est un élément central du programme sportif du mouvement fasciste naissant. En effet, les étudiants membres des premiers groupes universitaires fascistes créent un Comité olympique étudiant italien (COSI), dont l’acronyme, très proche du Comité olympique officiel (CONI), évoque la volonté d’un rajeunissement et d’un renouvellement politique. Les lettres de Carlo Montù, membre du Comité international olympique représentant l’Italie depuis 1914, montrent bien la concurrence entre ces deux entités. Les étudiants fascistes organisent en 1922 à Rome des Olympiades étudiantes, un événement international auquel le CONI est opposé (Fonzo 2020, 53). Pour ces étudiants, la promotion de l’olympisme est synonyme d’un attachement au sport amateur, qu’ils peuvent pratiquer au vu de leurs origines sociales aisées.

Dans Libro dello sport, un ouvrage fondamental pour comprendre la politique sportive fasciste, Lando Ferretti, président du CONI depuis 1925, rappelle l’importance de la Grèce antique et des Jeux Olympiques antiques dans l’histoire du sport. Ferretti explique que les jeunes Grecs recevaient une éducation physique et sportive (ex. la pratique du pentathlon). Il rappelle que les Jeux Olympiques, à l’époque, célébraient la foi et la patrie (Ferretti 1928), des valeurs dont l’organisation sportive fasciste peut s’inspirer. Certains éléments développés par Ferretti pour présenter l’intérêt des Jeux olympiques antiques peuvent faire penser à la pensée de Giambattista Vico. En effet, Ferretti parle de « ripensare ai primi abitatori della terra in lotta con le fiere e con gli elementi, per intendere come quei lontani progenitori dovessero temprare i corpi e la volontà alle più dure battaglie » (Ferretti 1928, 14) : l’éducation physique a eu pour rôle de préparer à ces batailles, puis de les rejouer dans un contexte plus pacifique, deux enjeux que l’on peut retrouver dans les connotations militaires de la politique sportive du régime fasciste.

Enfin, pendant le Ventennio fasciste, les Italiens investissent le mouvement olympique, puisque le sport italien a plusieurs représentants au sein du Comité olympique, dont la nomination évolue selon le contexte politique. Ainsi, les relations entre les Italiens et le Comité international olympique ne sont pas de tout repos. Carlo Montù, membre du CIO pour l’Italie jusqu’en 1939, représente une forme de vieille garde libérale et est « marginalisé » par le fascisme qui coopte le comte Bonacossa, ancien tennisman, président du Moto Club italien et futur patron de La Gazzetta dello sport, au sein du CIO en 1925 (Sbetti, 2019). Dans les années 1930, Augusto Turati (secrétaire du parti fasciste) puis Paolo Thaon de Revel (amiral de la Marine italienne), représentent l’Italie au CIO. Bien loin de l’idéal d'apolitisme et de désintérêt, le CIO est aussi un terrain d’affrontement entre les différentes factions du mouvement sportif italien. 

1. 2 Le succès de 1932, crucial dans la propagande fasciste

Au vu de l’investissement des fascistes dans le mouvement olympique, les Jeux olympiques sont de grands rendez-vous à ne pas manquer pour revendiquer les succès du système sportif en construction depuis 1925. À chaque édition, la préparation olympique est au cœur de l’entraînement. L’édition 1932 de l’Annuario del ciclismo publié aux éditions de La Gazzetta dello sport présente ainsi les grandes étapes de la préparation italienne pour les épreuves de cyclisme (Gazzetta 1932, 55) :

Printemps 1932 Épreuves de vitesse dans les vélodromes de Turin, Bologne, Rome, Vérone, Padoue, Mantoue et Gênes.
Juin-juillet 1932 Deux épreuves préolympiques de vitesse, à Turin et à Gênes.
Juillet 1932 Formation de deux équipes de six hommes à partir des meilleurs compétiteurs.
Juin-juillet 1932 Pour l’épreuve sur route, deux contre-la-montre organisés dans chaque région pour les amateurs. Les vainqueurs s’affronteront dans un contre-la-montre national qui permettra de choisir 8 coureurs.

Les résultats de 1932 sont à la hauteur des attentes, l’Italie arrivant deuxième avec 36 médailles, dont 12 en or, permettant au CONI de revendiquer un immense succès. Lando Ferretti revient sur ce succès dans Lo Sport, un livre bilan de la politique sportive fasciste publié en 1949 comme un écho au Libro dello sport de 1928 : « nel ciclismo, tre medaglie d'oro: l'inseguimento a squadre sui 4 km., e la vittoria di Pavesi, nonché quella collettiva sui 100 km. a cronometro; consolidavano il nostro primato onorevoli piazzamenti nella velocità » (Ferretti, 1949, 318).

L’enjeu de ces victoires est fortement affiché par le Comité olympique italien, qui rappelle les grands principes devant guider les sportifs vers les succès dans les réunions de son conseil de direction :

Quando la competizione è vinta, è indubbiamente un merito dell’Italia fascista; quando la competizione è perduta è un demerito, che agli effetti del prestigio sportivo dell’Italia di oggi, è per lo meno dannoso. Io sento profondamente tutto ciò e chiedo che anche voi sentiate il grave smacco della mancata vittoria. Non va dimenticato che ogni atto, ivi compresi quelli sportivi, è un atto compiuto in nome dell’Italia Fascista. (Compte rendu du Comité de direction du 4 octobre 1933, p. 4).

De ce fait, après le succès de 1932, l’Italie fasciste a un rang à tenir (CONI, 29 septembre 1934) pour l’édition organisée à Berlin en 1936, d’autant plus au vu de la situation géopolitique qui fait de cet événement un moment incontournable pour la défense du prestige d’une Italie affaiblie sur la scène internationale suite aux sanctions économiques décidées après la conquête de l’Éthiopie, ainsi que pour la rencontre entre deux systèmes sportifs totalitaires. La revue Lo Sport fascista consacre par conséquent un numéro entier à la question olympique en juillet 1936, pour rappeler ces enjeux aux Italiens avant la tenue des Jeux Olympiques de Berlin.

1. 3 1936, l’enjeu de la rencontre entre deux systèmes sportifs totalitaires

Afin d’atteindre plus facilement une bonne place dans le tableau des médailles, le CONI contrôle étroitement la composition des délégations autorisées à se rendre à Berlin. Des documents conservés au siège du Comité olympique italien montrent ainsi que celui-ci impose aux Fédérations de ne faire participer aux Jeux Olympiques, y compris dans l’encadrement des équipes, que des Italiens inscrits au parti national-fasciste. Le masseur et le mécanicien initialement proposés par la Fédération cycliste italienne sont ainsi retirés de la délégation envoyée à Berlin suite à un échange avec le Comité olympique, illustrant le très fort contrôle de l’État sur les activités sportives en ce moment crucial pour l’Italie fasciste.

Un autre, et très important, changement a lieu par rapport aux Jeux olympiques de Los Angeles, quatre ans plus tôt. Les femmes, qui avaient été exclues de la précédente olympiade dans le contexte de rapprochement avec l’Église catholique (Mauri, 2019), sont désormais admises à la participation après de longs débats. Les comptes rendus du conseil de direction du CONI illustrent assez bien les désaccords entre les dirigeants. En 1934, le marquis Ridolfi, président de la fédération italienne d’athlétisme, présente le sport féminin comme un instrument de prestige, dénonçant l’attitude du Vatican « che ha piantato altre volte grane notevoli » (CONI, 29 septembre 1934, 34). Au contraire, Renato Ricci, président de l’Opera Nazionale Balilla destinée à la préparation physique de la jeunesse, trouve « ridicolo » l'idée selon laquelle « a difendere i colori di una Nazione, potente e civile come la nostra, debba essere chiamato di tanto in tanto un gruppo di donne » (CONI, 29 septembre 1934, 31). La position de Ridolfi était déjà partagée par Felice Scandone dans son journal Il Mezzogiorno sportivo publié à Naples qui considérait les positions du Vatican « antipatriotiques » (Scandone, 1933) et concluait sur la nécessaire contribution des femmes à la victoire lors des prochaines éditions des Jeux Olympiques :

Noi non vogliamo mascolinizzare la donna, e non vogliamo che i campioni dello sport maschile abbiano delle imitatrici in campo femminile. Vogliamo soltanto reagire al bavaglio che si vorrebbe porre alla donna del secolo ventesimo (quella che va in ufficio e guida l’automobile e l’areoplano) perché riveste la candida divisa da schermitrice, e corre a piedi o in qualsiasi altro modo fa dello sport. L’Italia ha il maggior numero di Sante della Storia religiosa; e continuerà ad averne – stia tranquillo l’Osservatore Romano – anche se le atletesse italiane contribueranno alla vittoria nelle Olimpiadi di Berlino.

Finalement, c’est la position des Fédérations sportives qui prévaut, permettant la participation d’une délégation féminine aux Jeux de Berlin. Treize femmes sont inscrites, parmi lesquelles la bolonaise Ondina Valla dont la victoire et le record établi à l’épreuve de haies est une revanche sur l’interdiction de 1932.  Née en 1916, elle est inscrite à la Società Virtus de Bologne, où elle a une grande rivale, Claudia Testoni, qui s’illustre aussi à Berlin. Ces athlètes sont des exceptions, puisque leurs trajectoires olympiques sont uniques, mais elles représentent les progrès de l’accès des femmes aux activités sportives dans l’Italie fasciste. Le succès d’Ondina Valla, toutefois, révèle le malaise d’une partie de la presse sportive, car Ondina obtient une médaille d’or que la délégation masculine en athlétisme ne parvient pas à décrocher.  Ainsi, La Gazzetta dello sport promeut son succès en titre d’un article mais ne lui consacre que quelques lignes, au profit des attentes exprimées vis-à-vis de l’équipe masculine. La photo d’Ondina Valla faisant le salut romain, à Berlin, capitale nazie, reste néanmoins importante dans l’imagerie sportive fasciste.

Les résultats, en 1936, sont moins marquants qu’en 1932, puisque l’Italie n’est que quatrième au tableau des médailles, avec seulement huit médailles d’or. Elle dépasse toutefois la France et l’Angleterre, ses deux anciennes alliées devenues rivales après la conquête de l’Éthiopie.

2. 1944 : le grand projet fasciste avorté

2. 1. Une ambition inscrite dans une série de grands événements prestigieux

En parallèle de la recherche de performances, la quête de prestige de l’Italie fasciste s’incarne dans la volonté d’organisation de grands événements, qui ont pour objectif de montrer au monde entier les capacités italiennes en la matière. Il s’agit d’une des manières d’affronter le stigmate de l’Italie comme « nation prolétaire » en la mettant sur le même plan que les autres nations occidentales. L’Italie accueille ainsi les championnats du monde de cyclisme en 1932 et 1939, même si cette dernière édition est interrompue par le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Elle est aussi le pays hôte de la Coupe du monde de football en 1934. Ce dernier événement synthétise ce qui est censé faire le succès d’une éventuelle olympiade : construction d’infrastructures, accueil de touristes, et possibilité d’une opération de propagande (Sbetti et Serapiglia, 2020).


Affiche de la Coupe du Monde de Football 1934 à Rome,
(Gino Boccasile, Domaine public, via Wikipedia)
 

Obtenir l’organisation d’une édition des Jeux Olympiques est, dans cette perspective, un autre objectif du gouvernement italien. Dès 1933, cette possibilité est évoquée au sein du Comité olympique italien, dont le secrétaire évoque le projet de construction du stade olympique « le plus moderne du monde » (CONI, 4 octobre 1933, 28) en vue de l’accueil des Jeux Olympiques de 1940 à Rome. L’ambition olympique italienne est toutefois conditionnée, dans les années 1930, par les alliances diplomatiques du régime dirigé par Benito Mussolini : après avoir renoncé à tout projet pour 1936 en vue d’assurer le soutien des Allemands à une future candidature de Rome, la candidature pour l’édition 1940 est elle aussi retirée en 1935 dans la perspective de consolider l’alliance de l’Italie avec le Japon impérial (Bolz, 2015, 341). De ce fait, une candidature n’est déposée, en 1939, que pour l’Olympiade de 1944, avec comme villes hôtes Rome (édition estivale) et Cortina d’Ampezzo pour les épreuves hivernales (CONI et ENIT, 1939, 9).

L’échéance de 1944 peut être corrélée à un autre événement majeur pour l’Italie, à savoir l’Exposition universelle de 1942, dont Rome a aussi obtenu l’organisation en 1936. Pour remplir cet objectif, le gouvernement projette la construction d’un immense nouveau quartier dans le sud de Rome, le futur quartier de l’EUR (Esposizione Universale di Roma), qui voit le jour malgré l’annulation de l’événement en raison de la guerre. Tant l’Exposition que les Jeux Olympiques de 1944 devaient faire partie d’un « programme ambitieux pour moderniser le pays » (« ambitious programme to modernise the country ») et apparaître comme des exemples de la politique sportive, artistique et culturelle du régime (Bolz, 2015, 344). Cependant, malgré les stratégies d’influence du gouvernement fasciste, le CIO attribue, lors de sa session de 1939, les Jeux Olympiques de 1944 à Londres. Là encore, l’ambition olympique italienne s’évanouit. 

2. 2 Une ambition inscrite dans l’architecture fasciste

Le projet olympique fasciste est lié à une importante réflexion architecturale. En effet, pendant l’ensemble du Ventennio, le régime a cherché à ancrer dans la pierre sa vision de l’Homme nouveau, en faisant de certaines infrastructures sportives un exemple de son projet anthropologique. C’est le cas notamment du Foro Mussolini (aujourd’hui Foro Italico), construit au nord de Rome près du quartier Flaminio entre 1928 et 1932 pour héberger le siège de l’Académie italienne d’éducation physique, lieu de formation des instructeurs de l’Opera nazionale Balilla. Ces infrastructures traduisent les différents aspects de l’éducation physique dans sa conception par les fascistes :

Sur le modèle de l’éducation complète de l’ONB, le Stadio dei marmi sert donc à l’éducation physique, tandis que le bâtiment de l’Académie, qui lui fait face, sert à l’éducation morale « fasciste ». Une telle complémentarité était au fondement de « l’éducation de l’homme fasciste » (Bolz, 2008, 229).

Le style architectural du Foro Mussolini a une inspiration antique évidente (Gentile, 2007), avec notamment le stade des marbres et ses statues, qui sont elles aussi un exemple de l’image du sportif fasciste (Giorio, 2019). Les mosaïques font l’éloge du Duce tout autant qu’elles mettent en valeur les disciplines sportives au cœur de l’éducation physique dispensée par les organisations de jeunesse fascistes.


Mosaïques du Foro Italico.
© Clément Luy

La Coupe du monde 1934 a déjà été l’occasion d’une répétition générale, en accueillant les footballeurs de seize pays dans des stades parmi les plus modernes du monde (Bolz, 2015, 340). Pour 1944, les Italiens envisagent l’extension du Foro Mussolini « d’une manière monumentale » (« in a monumental manner », Bolz, 2015, 346). Si la construction d’une esplanade prévue pour accueillir plusieurs centaines de milliers de personnes au nord du forum est écartée (Bolz, 2008, 259), c’est le Palazzo del Littorio, actuel siège du Ministère italien des affaires étrangères (palais dit de « la Farnesina ») qui aboutit. Pour Daphné Bolz, « l’agrandissement du forum Mussolini s’inscrit dans la préparation des Jeux olympiques de 1944 et n’est donc pas loin des préoccupations de l’Exposition universelle de 1942 » (Bolz, 2008, 261). En effet, le style du Palazzo del Littorio, massif et monumental, est proche de ce qui est mis en œuvre au sein du quartier de l’Exposition universelle.

Pour préparer la candidature de 1944, le Comité olympique italien ainsi que l’Ente nazionale italiano per il turismo (ENIT), sorte de grand office du tourisme fasciste national qui possède aussi un bureau dans chaque province, édite en mai 1939 une brochure intitulée Italia olimpiaca, traduite en allemand. Celle-ci s’inscrit dans la lignée d’une brochure Roma olimpiaca publiée en 1935 dans la perspective de l’édition des JO de 1940 (Bolz, 2008, 159). Revendiquant l’héritage antique et la continuité entre les infrastructures sportives du Champ de Mars et le projet d’extension du Foro Mussolini (un héritage par ailleurs régulièrement exposé dans les colonnes de Lo Sport fascista), la brochure présente côte à côte le projet de nouveau quartier pour l’Exposition universelle et la « ville sportive » (CONI, 1939, 29) que doit constituer le nouveau quartier olympique. L’extension, comme le montre le plan, est massive, allant jusqu’à quadrupler l’extension du Foro Mussolini par la construction de nombreux stades, de nombreuses avenues et d’un palazzo dello sport central. La candidature de Rome pour 1944 se doublant d’une candidature de Cortina d’Ampezzo pour les Jeux d’hiver, les infrastructures de montagne et les remontées mécaniques sont elles aussi mises en avant dans la brochure du CONI et de l’ENIT.


Plan issu de la brochure du CONI et de l'ENIT.
© Clément Luy

Les Jeux olympiques d’été n’eurent jamais lieu en Italie pendant le Ventennio fasciste. Cependant, cette ambition olympique est profondément inscrite dans l’architecture et l’urbanisme, notamment à Rome où le quartier olympique devait s’affirmer comme le pendant, au nord de la ville, du quartier de l’Exposition universelle de 1942.

3. 1956 et 1960 : vers l’achèvement du projet olympique dans le contexte du « miracle économique » italien

À la sortie de guerre et dans un contexte de reconstruction, l’Italie républicaine n’obtient pas immédiatement l’organisation des Jeux olympiques d’été qui se tiennent à Londres en 1948, à Helsinki en 1952 et à Melbourne en 1956. 

3. 1 Héritage(s) du fascisme : le chemin vers 1960

Avant même l’organisation des Jeux Olympiques, la première question qui se pose dans la relation entre les Italiens et le mouvement olympique est celle de l’épuration des institutions sportives italiennes. Les échanges entre le CONI et le CIO montrent que cette question concerne toutes les échelles de représentation du sport italien. Au sein des Fédérations sportives internationales, les Fédérations italiennes ne sont réadmises qu’après avoir prouvé que l’épuration a été menée en leur sein, comme c’est le cas de la Fédération Cycliste lors du Congrès de l’Union Cycliste internationale en 1946. Dans les discussions du Comité international olympique, c’est la question du membre représentant l’Italie, Giorgio Vaccaro, qui est au cœur des débats. Celui-ci est exclu du CIO à la fin des années 1940. C’est Alberto Bonacossa qui conserve la confiance des organisations internationales et du CONI représenté par son nouveau Président Giulio Onesti, emblématique de la reconstruction du système sportif italien (Sbetti, 2019).

Dans cette période, beaucoup de problèmes se posent quant à la continuité vis-à-vis du fascisme. L’épuration n’est pas menée à son terme, comme le montrent des carrières de dirigeants qui se prolongent longuement sous l’Italie républicaine, et les milieux sportifs sont aussi concernés par l’amnistie quasi généralisée mise en œuvre par la loi Togliatti de 1946 (Franzinelli, 2016).

Le projet olympique est l’une de ces questions où l’on peut voir se dessiner des héritages de l’ambition fasciste. Dans l’urbanisme, tout d’abord. Le stade du Foro Italico (ex Foro Mussolini) est agrandi pour créer un stade olympique aux normes. De nouvelles piscines olympiques sont créées sur le même site, à l’extérieur, pour accueillir les épreuves de natation. Le quartier du Village Olympique est construit face au Foro Italico, de l’autre côté du Tibre, là où le régime fasciste projetait d’étendre son Foro Mussolini. En outre, les deux quartiers emblématiques du régime fasciste, à savoir l’EUR et le Foro Italico, sont reliés entre eux par de grandes avenues (Bolz, 2015, 346) tandis qu’un Palazzo dello sport sort finalement de terre dans le premier des deux quartiers. Sans faire aucunement table rase du passé récent, rappelé de manière particulièrement visible par le très polémique obélisque Mussolini (Corriere 2015) situé à l’entrée du Foro Italico à quelques dizaines de mètres du stade olympique, les dirigeants italiens s’appuient sur les réalisations architecturales du Ventennio pour accueillir des Jeux olympiques censés donner l’image d’une « Italie moderne et démocratique » (Bolz, 2015, 344 ; Mourlane, 2004, 241, 251-252).

3.2 1956 et 1960 : l’apothéose du miracle économique italien

Le succès des candidatures italiennes pour l’organisation des Jeux Olympiques de 1956 et de 1960 témoigne de la réussite d’une opération de diplomatie sportive en trois temps (Sbetti, 2019). D’abord, l’Italie accueille, pour la seule fois de son histoire, la Session du CIO de 1949, qui élit les villes hôtes des olympiades de 1956. C’est à cette occasion que Cortina d’Ampezzo obtient, par un vote très large, l’organisation de l’édition hivernale. Décédé en 1953, Alberto Bonacossa ne peut assister à l’attribution des Jeux Olympiques à Rome lors de la session du CIO 1955.

Après que les Jeux Olympiques de Cortina aient permis un saut technologique en étant les premiers à être retransmis à la télévision (CNOSF, en ligne), les Jeux de Rome sont l’incarnation d’une Italie qui veut présenter une image moderne d’elle-même dans le contexte du « miracle économique italien », une expression qui apparaît le 25 mai 1959 dans le Daily Mail pour décrire une période de très intense développement socio-économique dont le cœur correspond aux années 1958 à 1963. La société de consommation s’installe dans la péninsule italienne, ce dont témoignent le développement des supermarchés et l’accès aux biens électroménagers. Au cœur de ces années, l’attribution des Jeux Olympiques à Rome représente le « rachat » d’une Nation qui s’affirme enfin au même rang que les autres Nations européennes en attirant touristes et médias internationaux à cette occasion (Bolz, 2015, 347). Les Jeux de Rome sont autant une vitrine de l’Italie du miracle économique qu’un facteur supplémentaire de développement économique (avec les grands travaux et le tourisme). Ils coïncident enfin avec un important moment de modernisation politique, favorisé par l’ouverture à gauche de la Démocratie chrétienne suite à la crise de l’été 1960, marquée par la compromission du gouvernement Tambroni avec le mouvement social italien néofasciste (Ginsborg, 1989, 346-348).

3. 3 Un succès pour l’Italie et une nouveauté : les Jeux paralympiques

Avec des épreuves se déroulant dans un certain nombre d’infrastructures existantes, certaines construites pendant le Ventennio fasciste (le stade des Marbres, les stades de Florence, L’Aquila ou Livourne) dans des infrastructures nouvelles (la piscine ou le vélodrome olympique) ou même dans des sites romains (la lutte dans la Basilique de Massenzio ou les épreuves de gymnastique aux Thermes de Caracalla), les Jeux investissent la ville de Rome. Ils sont aussi un important succès sportif, puisque l’Italie se classe troisième au tableau des médailles, derrière les États-Unis et l’Union soviétique mais devant les autres pays d’Europe occidentale, grâce à treize médailles d’or.

1960 est aussi l’édition olympique marquée par une nouveauté très importante, les Jeux paralympiques. Initialement organisée de manière séparée, la compétition s’intitule alors « Jeux de Stoke Mandeville » du nom d’un hôpital militaire anglais pour handicapés de guerre. Le choix de Rome en 1960 permet de donner de la visibilité à un événement qui n’existe que depuis 1948 (CIO, en ligne) en le faisant se dérouler à l’automne, dans la continuité des Jeux olympiques d’été. La compétition est reconnue a posteriori, lors de la session du CIO en 1984 (CIO, en ligne), comme première édition des Jeux Paralympiques d’été : 400 athlètes s’affrontent dans huit disciplines (athlétisme, billard, fléchettes, natation, basket, escrime, tennis de table et tir à l’arc). Les sportifs italiens obtiennent là encore un grand succès : premiers au tableau des médailles, loin devant l’ensemble des autres nations représentées.

Conclusion

L’organisation des Jeux olympiques de 1960 à Rome est le résultat d’un long processus, entamé au début du siècle et particulièrement développé pendant le Ventennio fasciste. L’ambition fasciste s’est construite dans le cadre du projet d’Homme nouveau fasciste, tout en s’accompagnant de négociations et en se heurtant au contexte diplomatique et stratégique des années 1920 et 1930. Le projet olympique qui aboutit en 1960 reflète ensuite les hésitations d’une Italie, entre continuité et aboutissement du projet initié sous le fascisme, et inscription dans une renaissance économique de l’Italie au cœur de son « miracle économique ».

Dans les décennies suivantes, l’Italie n’est pas mieux lotie qu’elle ne l’a été dans la première moitié du siècle. Hormis les échéances hivernales de 2006 à Turin, et celle à venir en 2026 à Cortina d’Ampezzo, aucune candidature pour les Jeux olympiques d’été n’a abouti jusqu’à nos jours, malgré des candidatures pour les éditions de 2004 et de 2024, l’Italie échouant deux fois au profit d’autres villes européennes.

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SBETTI Nicola, « Entre fidélité olympique et nationale. Le cas du membre du CIO Alberto Bonacossa », Staps, n° 125, no 3, 2 décembre 2019, p. 107-122.

SBETTI Nicola et Daniele Serapiglia, « Was football fascist? The 1934 World Cup in the postwar memory », Soccer & Society, vol. 21, no 8, 16 novembre 2020, p. 889-903.

SCANDONE Felice, « Significato e limiti dell’atletica femminile », Il Mezzogiorno sportivo, 8 novembre 1933, p. 1.

Sources d’archives

Archives du CONI (Rome) :

  • Comptes-rendus des procès-verbaux du « consiglio direttivo » : 4 octobre 1933, 29 septembre 1934 et 23 février 1939

  • Buste consacrées à l’organisation des Jeux Olympiques de Berlin en 1936.

Archives du CIO (Lausanne) :

  • Fonds consacrés aux Congrès de l’UCI (D-RM02-CYCLI/009) 

  • Fonds de la correspondance avec le CNO de l’Italie (D-RM01-ITALI/006) 

  • Fonds de la correspondance avec Alberto Bonacossa et famille (CIO MBR-BONAC-CORR) 

  • Fonds de la correspondace avec Augusto Turati (CIO MBR-TURATI-CORR) 

  • Fonds de la correspondance avec Paolo Thaon de Revel (CIO MBR-THAON-CORR) 

  • Fonds de la correspondance avec Carlo Montù (CIO MBR-MONTU-CORR).

Pour citer cette ressource :

Clément Luy, "L’Italie olympique : du rêve fasciste à la réalité des Jeux de 1960", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), septembre 2024. Consulté le 02/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/italien/civilisation/xxe-xxie/l-italie-olympique-du-reve-fasciste-a-la-realite-des-jeux-de-1960