Le fascisme et le corps des Italiens et des Italiennes
1. De la guerre à la guerre : des corps en tension permanente (Clément Luy)
I. Mosse, le corps et l’idéal-type masculin au XXe siècle
Les travaux de George Lachmann Mosse, historien allemand et états-unien, sont fondamentaux pour comprendre les origines du stéréotype masculin au XVIIIe siècle. Mosse, en décrivant les mécanismes de construction d’un idéal-type masculin, fait de la masculinité un phénomène normatif de la société moderne et industrielle. Il s’agit le plus souvent d’un idéal relié aux idéaux de force, de robustesse, mais aussi de modération et d’auto-contrôle des pulsions et des passions. Dans l’histoire des sociétés modernes, la construction de l’idéal-type masculin va aussi de pair avec l’élaboration, et la dénonciation, de "contre-modèles", régulièrement présents jusqu’au XXe siècle : les Juifs et les homosexuels. George Mosse, précurseur des men’s studies, fonde l’élaboration d’un stéréotype masculin sur la mise en scène du corps et de sa représentation. Dans les sociétés modernes d’Europe occidentale, ce sont en effet les hommes et leurs corps qui sont omniprésents dans l’espace public, tandis que le corps féminin en est exclu. Durant la période fasciste, la propagande promeut la force, la masculinité et la virilité. Pour Mosse, l’entre-deux-guerres est marqué par l’apogée du stéréotype masculin, en particulier dans le contexte du développement des régimes totalitaires nazi et fasciste.
Le fascisme instrumentalise les corps des Italiens de manière inédite. L’intérêt des fascistes pour la masculinité et le culte du corps part d’une expérience traumatique, la bataille de Caporetto. C’est une défaite terrible pour l’armée italienne, avec la mort de dix mille soldats et l’emprisonnement de plus de deux cent mille d’entre eux. Dans les milieux nationalistes, cet épisode est perçu comme la défaite morale et physique d’un peuple et d’une nation faibles par rapport à leurs adversaires. La responsabilité est celle du régime démocratique et libéral qui n’a pas su éduquer, discipliner et renforcer le corps des Italiens. Les informations relevées au moment de la conscription confirment la mauvaise condition physique des Italiens, très souvent réformés car trop petits, trop maigres, et avec les os pas assez robustes, en particulier au niveau du thorax (Marchesini, 2012). Dans les années 1920, il y a encore environ 20% de réformés pour raisons médicales (Fonzo, 2020). La reconstruction et le renforcement du corps deviennent des objectifs du régime fasciste, qui cherche à créer un homme nouveau au sein d’un peuple italien fort, patriote, et prêt pour une nouvelle guerre.
Dès leur prise du pouvoir, les fascistes prennent des décisions qui montrent cette préoccupation forte pour le renforcement du corps des Italiens, au travers notamment de l’éducation physique des garçons et des filles, insuffisante à leurs yeux pendant la période libérale, qui va de l’Unité d’Italie jusqu’à la guerre, mais aussi de l’hygiène et de la lutte contre les maladies. La politique fasciste du corps vise la création d’une nation guerrière, par plusieurs instruments et objectifs : la purification et la "bonifica" des corps et des lieux de vie ; l’éducation et la discipline, modalités du contrôle exercé par le fascisme sur les corps des Italiens et des Italiennes. Enfin, cette politique du corps se révèle par un certain nombre de représentations culturelles et artistiques, mettant en scène les corps des jeunes femmes et des jeunes hommes, des sportifs et des militaires, et enfin des dirigeants fascistes, dans une optique de préparation guerrière.
II. Purifier et reconstruire le corps des Italiens après la Première guerre mondiale
Dans le discours fasciste sur le corps des Italiens, l’idée de purifier les corps pour les reconstruire et les renforcer après la Grande Guerre est omniprésente. La purification doit aussi être intellectuelle et morale : pour les fascistes, chaque Italien doit avoir un "esprit sain dans un corps sain" pour la défense de la nation et du fascisme. Cette idée de purification est présente dans tous les aspects des actions des fascistes. La priorité pour eux est d’extirper tout reste, tout résidu de libéralisme ou de socialisme des corps et des esprits des Italiens. Les coups de matraque, l’administration forcée d’huile de ricin sont ainsi justifiés : par la violence et par les coups, on purifie le corps et l’intérieur du corps des Italiens réfractaires au fascisme. Les corps sont placés dans un état de tension constante, tandis que la peur inspirée par la violence aligne les Italiens sur la volonté du régime.
Cette politique de purification a en parallèle une dimension sanitaire. Le régime met en place une politique de "bonifica" des terres, par l’assèchement des marais et des zones où les épidémies sont récurrentes. C’est une réforme agricole, mais aussi hygiénique et sanitaire. En témoigne l’extension de terme de "bonifica" aux politiques culturelles et aux mesures visant le renforcement du corps des Italiens, en particulier dans le contexte de la création d’une "razza sportiva" (Ferretti, 1928) : dans le premier numéro du magazine Lo Sport fascista, revue de luxe du comité olympique italien, un éditorial explique que le régime poursuit l’objectif de la "sanità della razza" (Ferretti, 1928), par de nombreuses mesures en faveur de l’hygiène, de l’assainissement des terrains et des villes, mais aussi par les décisions prises dans le domaine du sport. La politique sportive, l’assèchement des marais, la construction de sanatoriums sur le littoral et dans les montagnes sont autant de secteurs d’intervention du régime pour lutter contre les maladies et renforcer les corps.
Purifier les corps, c’est ainsi les intégrer à la constitution d’une "razza italica" forte et ambitieuse. Comme on l’a vu, les politiques purificatrices sont souvent imposées par la force. La mise en œuvre de politiques d’exclusion de celles et ceux qui ne font pas partie de cette "razza italica" est cohérente avec l’idée des contre-modèles développée par Mosse. Les contre-modèles, en l’occurrence, sont les Éthiopiens, les Juifs, et les homosexuels. À l’approche de la guerre d’Éthiopie, les journaux fascistes se moquent des Éthiopiens en déployant toute une série de clichés racistes qui ont pour fonction de les exclure de l’humanité, comme par exemple dans La tradotta coloniale, un supplément à la revue L’Azione coloniale créé ad hoc en 1935. Des livres pour enfants font aussi des Éthiopiens et des autres peuples colonisés par l’Italie des peuples inférieurs, comme Le colonie italiane publié en 1931. Quand ensuite sont décidées les lois raciales deux ans plus tard, le régime revendique fièrement l’exclusion des Juifs. Dans Il Calcio illustrato du 7 septembre 1938, un article intitulé, une nouvelle fois, "Bonifica", explique que les lois raciales participent à la défense et au renforcement de la "razza italica". Il ne faut pas pour autant penser que ce tournant raciste et antisémite soit lié au rapprochement avec l’Allemagne nazie, à la fin des années 1930 : comme l’explique Valeria Deplano dans L’Africa in casa, la création dans les années 1920 de l’Institut colonial fasciste, qui diffuse des stéréotypes racistes, prépare l’opinion publique aux conquêtes coloniales des années 1930. Le traitement de l’homosexualité par le régime fasciste est très lié à la conception du corps idéal fasciste. En effet, le régime tient à montrer des corps d’Italiens forts, musclés et virils, et s’attaque aux comportements efféminés, ou considérés comme trop peu masculins, et qui seraient typiques de l’homosexualité. Le régime choisit de s’inscrire, du point de vue pénal, dans la continuité de la période libérale : le code pénal Rocco ne mentionne pas l’homosexualité comme un délit ou comme un crime, car il convient de ne pas la visibiliser en la pénalisant. L’arme la plus employée pour marginaliser les homosexuels est par conséquent celle du confino di polizia, une assignation à résidence dans des zones rurales de la péninsule italienne, à la discrétion des préfets et des tribunaux spéciaux. Dans Il nemico dell’uomo nuovo, Lorenzo Benadusi présente de manière détaillée les usages politiques de l’homosexualité, accusation à l’époque infamante utilisée dans les luttes de pouvoir entre les principaux dirigeants fascistes pour se discréditer mutuellement. Pour Lorenzo Benadusi, "proprio l’importanza della virilità, diventata a pieno titolo una delle componenti ideologiche del fascismo, consente di capire meglio perché i tanti fisiologici conflitti politici, che scandivano la vita del regime, trovassero armi e alimento nelle accuse su una sessualità « deviata » e « pervertita ». In pratica era il modo più sbrigativo e radicale per delegittimare « politicamente » l’avversario" (Benadusi, 2005, 264). On trouve un contre-modèle similaire dans la description de certains intellectuels, présentés comme des intellectuels dans des tours d’ivoire, et dont les corps ne seraient pas assez robustes, et les comportements pas assez virils.
Évidemment, les discours sur l’assainissement et la purification des corps et des terres prétendent répondre à un problème très concret : à cause des maladies, de la faiblesse physique des Italiens, le taux de mortalité infantile est très élevé au début des années 1920. Toutefois, ces discours sont des discours de propagande, qui cachent mal l’échec des tentatives du gouvernement fasciste visant à améliorer les conditions hygiéniques de vie du peuple italien. En effet, les problèmes sanitaires ne sont pas résolus et les épidémies restent présentes. Les conditions de vie sont encore éloignées du standard de santé fixé par le régime dans ses représentations du corps parfait de l’homme fasciste. La politique nataliste du régime, en outre, n’est pas un succès.
III. Éduquer et discipliner les corps des Italiens et des Italiennes
Les résultats du fascisme sont en revanche plus visibles en ce qui concerne la politique d’éducation physique et sportive. Dans ce domaine, les objectifs du régime sont clairs : le sport prépare des hommes et des femmes fortes pour construire une Nation guerrière. Cette nécessité d’encadrer, d’éduquer et de discipliner les Italiens ne concerne pas que les antifascistes, ou les personnes sceptiques face au régime : il faut aussi canaliser l’énergie et la violence des fascistes les plus convaincus à l’intérieur d’une action organisée et disciplinée. Salvatore Lupo, dans Le fascisme italien, rappelle ainsi qu’en 1923, la Milizia volontaria per la sicurezza nazionale est créée pour donner un débouché légal à l’action violente des squadristes, qui n’a pas été arrêtée par la prise du pouvoir à la fin 1922. De la même manière, la guerre d’Éthiopie permet aux plus fanatiques des Balilla, des GUF ou des Fasci di Combattimento de combattre au nom du fascisme en Afrique, en se rendant coupables de toutes les exactions contre des populations considérées comme inférieures. L’activisme frénétique des fascistes et l’emphase mise sur la violence trouvent dans la Milice, ou plus tard pendant les guerres, une manière de donner un cadre à leurs activités.
Cependant, au-delà même de cette canalisation de la violence, c’est l’ensemble des Italiens qui doivent être éduqués aux activités physiques en prévision d’une guerre à venir et de la défense de la Nation italienne face aux autres nations. L’homme nouveau fasciste doit être prêt à se sacrifier pour la patrie et l’éducation de son corps est confiée aux nombreuses organisations de masse constituées pendant le Ventennio fasciste. Les premiers GUF (Gruppi Universitari Fascisti) sont créés en 1920, avant la marche sur Rome, et les années qui suivent l’accession de Mussolini au pouvoir voient la création de très nombreuses structures pour encadrer l’activité physique de tous les Italiens. Les GUF, d’abord, deviennent une structure officielle du régime à laquelle l’ensemble des étudiants sont obligés de s’inscrire. Ils cherchent à construire un "nuovo goliardo" (Fonzo, 2020) et, dans une perspective transnationale, essaient de diffuser cette conception de l’éducation sportive à l’étranger, par la participation à des compétitions internationales ou des voyages avec des délégations d’étudiants italiens. En 1925 est créée l’Opera Nazionale Balilla (ONB), structure dédiée aux enfants de 6 à 14 ans, progressivement élargie aux adolescents jusqu’à 17 ans. Le 1er mai 1926, un décret fonde l’Opera Nazionale Dopolavoro (OND) qui organise dans les villes, les usines et les propriétés agricoles, le temps libre des travailleurs. Enfin, en 1930, le régime crée les Fasci Giovanili di Combattimento, dans le but d’éduquer, dans une optique paramilitaire, les jeunes de 18 à 21 ans qui ne sont pas étudiants.
Toutes ces organisations participent au travail d’éducation des corps des Italiens. Certaines ont des modalités d’encadrement plus rigide et militarisé (Fasci Giovanili, ONB) que d’autres (OND, GUF) mais toutes ces structures développent la discipline fasciste. Le corps est aussi contrôlé par les célébrations et les événements du régime, qui comportent souvent des défilés où le corps des Italiens, vigoureux, qui se tient bien droit, est mis en scène.
La volonté de discipliner les corps de l’homme nouveau, et surtout de la femme nouvelle fasciste, se traduit aussi par une politique biologique. Le régime fasciste crée de nombreux instituts qui s’occupent des corps comme l’Opera nazionale maternità ed infanzia (ONMI) qui protège les mères et les enfants en difficulté. À côté de cela, le corps des femmes doit être éduqué pour participer pleinement à la politique démographique du fascisme. Des femmes, le fascisme veut faire des mères : dans cette perspective, les femmes doivent être "sane, robuste, feconde" (Mauri, 2019). Mussolini, expliquent Francesco Cassata et Léa Drouet, choisit la voie d’un "natalismo nazionalista" (Cassata et Drouet, 2016). Dans son discours de l’Ascension 1927, il justifie ce choix par la nécessité de peupler l’Italie. Les mesures sanitaires et démographiques du régime ont une dimension eugéniste. S’y ajoutent les études de l’ISTAT (Istituto nazionale di statistica) et du CISP (Comitato italiano per lo Studio dei Problemi della popolazione) sur les populations dites "primitives" dans les colonies, sur les modalités d’assimilation des immigrés à la "razza italica", et sur l’impact des conditions climatiques et météorologiques sur la génétique. Un institut, l’Istituto biotipologico ortogenetico, qui s’intéresse à l’anthropométrie et à la physiologie des patients, est aussi créé. Cette série d’initiatives montre la volonté de contrôler les corps, de les discipliner biologiquement pour en faire des corps à l’image du corps idéal de l’homme fasciste, fort, viril, italien sur le modèle grec, et de la femme fasciste, forte et saine, prête à procréer et à préparer des enfants vigoureux et eux aussi forts. Il faut bien noter que dans les années 1930, dans la quête d’un compromis avec l’Église, le fascisme italien s’éloigne des conceptions eugénistes nazies. L’objectif est d’agir sur les corps avant la procréation, pour avoir des enfants sains et construire une Nation composée d’hommes et de femmes sains et forts.
IV. Du sport à la guerre : représentations artistiques et médiatiques des corps
L’art et la propagande fascistes créent un modèle du héros moderne, en exploitant en particulier la sculpture. Dans les stades, les statues représentent des hommes nus, dont le corps est un symbole de beauté et de pureté. Cette nudité doit seulement être symbolique parce qu’elle ne doit pas nuire au régime, elle ne doit pas provoquer de nouvelles formes de déchéance sexuelle ou morale. Les sculptures font des athlètes des héros des temps modernes, explique Maria Beatrice Giorio. Le sport est central pour le régime, et derrière Mussolini "primo sportivo d’Italia" (Ferretti, 1933), des athlètes comme le boxeur Primo Carnera ont cette fonction d’exemple pour tous les Italiens. Le sport permet de définir "pacifiquement" ce que doit être le corps fasciste pour les hommes, comme, de manière différente, pour les femmes dont l’activité sportive ne doit pas nuire à la fonction de procréation. La boxe est instrumentalisée par le régime car ce sont des hommes grands et forts, des idéaux-types de virilité et de masculinité, qui s’affrontent sur le ring. Marchesini présente ainsi Mussolini et Carnera comme deux modèles de l’homme fasciste, mis face à face, par exemple, lors d’une soirée sportive en octobre 1933. Selon Andrea Bacci, dans Mussolini, il primo sportivo d’Italia, c’est surtout quand Achille Starace dirige le CONI (Comitato Olimpico Nazionale Italiano) entre 1933 et 1939 que cette mise en avant d’exemples de champions est la plus présente. Le fascisme peut ainsi revendiquer, dans sa propagande, une augmentation de la taille moyenne des Italiens pendant le Ventennio, qui serait due à la visibilité de ces exemples. Même les statues du Stadio dei Marmi, selon Marchesini, pourraient être inspirées du corps du Duce. Maria Beatrice Giorio décrit ces statues édifiées entre 1928 et 1932 : elles ont "una dimensione eroica", et, à ce moment-là, les modèles ne sont pas "rappresentati nel bel mezzo di un’azione o di un momento di tensione che avrebbe potuto intaccare la loro aura mitica" (Giorio, 2019). Les soixante-quatre statues représentent la diversité des activités sportives promues par le régime et choisies par le chef de l’ONB, Renato Ricci. Dans les années 1930, la représentation des corps se transforme. Ceux-ci sont de plus en plus en mouvement, ils sont représentés au milieu de l’exploit athlétique, pour "rispondere alle attese della propaganda che vedeva nel dinamismo e nella velocità i valori fondamentali della nuova civiltà fascista, in accordo con l’estetica promossa dall’avanguardia futurista" (Giorio, 2019). L’art se met ainsi au service de la propagande, en choisissant, selon les exigences du régime, entre différentes manières de représenter le corps des hommes et des sportifs, héros de la nation fasciste.
L’éducation militaire, l’encadrement et la discipline imposés aux Italiens et aux Italiennes donnent l’impression de corps placés dans un état de "guerre permanente" (Mosse, 1998). De nombreuses images représentent ainsi les corps alignés, en uniforme, et qui marchent au pas, selon la cadence imposée par la hiérarchie fasciste. De ce point de vue, tous les dirigeants, et pas seulement Mussolini, doivent être des exemples de la discipline imposée par le régime. Ainsi, au cours du conseil général du CONI, le 4 octobre 1933, Starace fait une demande aux dirigeants des Fédérations sportives : "Vi prego ora di essere di esempio nelle attività sportive praticando almeno lo Sport che è affidato alle rispettive Federazioni. Il Presidente della Federazione Nuoto nuoti, il Presidente della scherma tiri di scherma. L’esempio è una molla potentissima nei confronti degli atleti. Vi prego inoltre nelle manifestazioni ufficiali di indossare la divisa ; anche la forma esteriore ha il suo valore". Les dirigeants ont un rôle spécifique, et participent eux-mêmes au travail d’éducation du régime : ils doivent apparaître en mouvement, en action. L’uniforme est nécessaire car il représente le bellicisme et la militarisation des corps et des comportements. Les dirigeants, et leur présence dans les journaux et les revues, ont une responsabilité car leur corps sert aussi d’exemple. Lo Sport fascista, en août 1939, rend ainsi compte d’épreuves sportives qui ont rassemblé les dirigeants des Fédérations sportives : ces épreuves sont, selon la revue, "un singolare aspetto di quello stile di vita fascista che è il codice morale della nostra Rivoluzione" (Ferretti, 1939). Elles représentent l’union entre le corps et l’esprit des dirigeants. Cette conception de l’intellectuel-dirigeant sportif qui pratique des activités physiques s’oppose à une conception libérale dépassée de l’intellectuel dans sa tour d’ivoire : pour la revue fasciste, il faut s’émanciper des "superati preconcetti degli uomini rimasti sulle ammuffite e dirute trincee dei principi dell’89". Dans cet article, le lien entre activité sportive des dirigeants et préparation guerrière est de nouveau très clair. Les intellectuels et les dirigeants sportifs doivent être, dans cette vision du monde, à la tête de ceux qui défendront le fascisme sur le champ de bataille. Culture et sport ne sont pas opposés, ce sont "due pagine successive dello stesso libro" (Ferretti, 1930, 208) en vue de l’éducation du peuple italien. Mussolini, "unico tra gli uomini di Stato del nostro tempo, non ha mostrato solo al mondo la potenza del Suo genio, dono di Dio ma una indomita vigoria fisica e morale, una tempra d’acciaio" et devient le premier de ces exemples. Le "primo sportivo d’Italia", tel qu’il apparaît dans les journaux, est représenté pratiquant de nombreux sports, et apparaît en public toujours vêtu d’un uniforme. Dans l’article de Sport fascista, c’est aussi le cas d’Achille Starace. Symboliquement, la mort de Mussolini et la destruction de son corps par la foule Piazzale Loreto à Milan en 1945, sont significatives : elles représentent l’humiliation définitive de celui qui avait voulu transformer et renforcer les corps des Italiens et des Italiennes.
Lo Sport fascista est aussi un très bon exemple de la militarisation des représentations médiatiques du sport, notamment à l’approche du début de la Seconde Guerre mondiale. Pendant l’été 1940, deux Unes sont consacrées à des images militaires : en juillet 1940, l’aviation et la marine italiennes sont mises à l’honneur ; en septembre 1940, c’est au tour de soldats en armes. Plusieurs articles théorisent, en le nommant ouvertement, ce passage du sport à la guerre. La GIL (Gioventù Italiana del Littorio), en février 1940, est déjà présentée par la revue comme un "esercito permanente" dont l’objectif est le "miglioramento fisico-agonistico indispensabile al maggior vigore della razza e alla formazione dell’ottimo soldato" (Favre, 1940). L’article "I sei sport della GIL" est illustré par des images où les corps sont alignés, au pas (pour les hommes) ou saisis dans un effort (le lancer de javelot pour les femmes) qui a une connotation militaire. Le numéro de juillet 1940, quant à lui, comporte un article qui revient sur l’historique de la politique sportive du fascisme et son rôle dans la formation de la Nation guerrière. Son titre est éloquent : "Dallo sport alla guerra". Dans l’article, le corps du sportif est le corps d’un combattant, le sportif se confond avec le soldat : "Le armate littorie sono pronte da tempo. Come l’atleta, pronto a scattare al segnale di partenza, come il legionario, che innastata la baionetta o stretto il pugnale, attende il comando secco dell’assalto. Atleti e legionari, le falangi sacre dell’Italia di Mussolini sono sul terreno del combattimento" (Favre, 1940). Le résultat de la préparation physique des Italiens est, pour l’auteur de l’article, évident : "lo sport, inteso così come vuole il Fascismo, dà frutti prodigiosi di gente guerriera" (Favre, 1940).
Conclusion
Si la préoccupation pour l’image du corps n’est pas nouvelle dans la société moderne et contemporaine, le fascisme exploite de manière inédite les possibilités données par la propagande et l’art pour construire un modèle de l’homme nouveau et de la femme nouvelle fascistes. L’intérêt du régime et de Mussolini pour la construction du corps naît après la Grande Guerre qui, au lieu de montrer la force des corps italiens, a révélé aux yeux du monde la faiblesse de ceux-ci. Renforcer la nation italienne passe ainsi par la reconstruction et la purification des corps, pour en extraire tout ce qui ne correspond pas à la vision du monde, viriliste et belliciste, du fascisme. Dans le contexte d’une politique nataliste et nationaliste, le corps des femmes est aussi un objet de l’action des fascistes : ce corps doit être préparé et éduqué à la maternité. Pour parvenir à ses fins, le régime crée plusieurs instruments d’éducation et de discipline des corps. Cette démarche a une dimension scientifique et médicale, mais les organisations de masse du régime, notamment dans le champ sportif, sont les plus visibles et laissent un important héritage dans la pratique du sport. Ce que le fascisme fait au corps, c’est lui apporter une tension constante, le préparer à l’action en défense de la race et de la patrie, et l’encourager au sacrifice suprême pour le fascisme et pour la nation.
2. Présentation de l'article d'Antonella Mauri, "Sane, robuste, feconde: l’educazione sportiva delle giovani fasciste", Italies, n° 23, 2019 (Sofia Iguelouzene)
Nell’articolo Sane, robuste, feconde, pubblicato nel 2019 sulla rivista “Italies”, Antonella Mauri sottolinea le contraddizioni del regime fascista rispetto all’educazione fisica delle donne. Dopo aver esposto le radici storiche della politica sportiva fascista, la studiosa presenta due esempi, diversi ma particolarmente pertinenti, dei risultati non rigorosamente conformi alle intenzioni del regime: quello dell’atleta Ondina Valla in quanto modello individuale adoperato dalla propaganda e quello dell’Accademia di Orvieto in quanto istituzione di regime ed ente collettivo.
Antonella Mauri dedica un posto di rilievo all’esposizione delle origini storiche e teoriche del progetto di educazione sportiva delle donne. Enuncia i motivi sociali e sanitari della cattiva condizione fisica della popolazione italiana dalla fine dell’Ottocento all’avvento del fascismo e le diverse azioni intraprese dai governi successivi in materia di educazione fisica a scuola, assieme ai loro limiti. Mette in evidenza la diffidenza nei confronti dell’esercizio intenso a favore di sforzi moderati e di una ricerca di “armonia del corpo” per le donne, mentre per gli uomini, lo sport doveva sviluppare l’agonismo e l’aggressività.
L’articolo offre una panoramica del ruolo della stampa sportiva nella promozione dello sport femminile attraverso l’esempio della “Gazzetta dello Sport”, che aveva la particolarità di pubblicare sia opinioni riluttanti alla pratica sportiva femminile che opinioni più novatrici che affermavano quanto fosse indispensabile lo sport, per gli uomini come per le donne. Le citazioni scelte dalla studiosa palesano l’assurdità dei pregiudizi dell’epoca e la ritrosia del regime nei confronti della possibile emancipazione delle donne. La loro educazione era limitata da attese eugenetiche secondo cui il corpo femminile si doveva sviluppare in modo “armonioso”, ma soprattutto funzionale, per favorire le gravidanze.
Il titolo della seconda parte dell’articolo, la locuzione latina “tota mulier in utero”, fa in effetti chiaramente riferimento alla fertilità femminile, riducendo l’essenza della donna alla sua funzione biologica di procreatrice, il che corrispondeva complessivamente alla concezione della donna sotto il regime fascista. Mentre l’educazione sportiva dei giovani acquistava sempre più importanza nella vita quotidiana, la donna sportiva veniva considerata innaturale e brutale perché opposta all’archetipo della futura madre e assimilata ad un maschio: si pensava infatti che si potesse diventare sterili facendo sport. Questi pregiudizi contrari all’obiettivo iniziale pro-sportivo si appoggiavano su un argomento biologico secondo cui lo sport avrebbe potuto danneggiare gli organi riproduttivi. Alle riserve dell’opinione pubblica si aggiunse la posizione della Chiesa e di papa Pio XI sfavorevole allo sport femminile: nell’ambito di una conciliazione tra regime e Chiesa, le donne non furono autorizzate a partecipare alle Olimpiadi del 1932.
Per gli uomini come per le donne, lo sport doveva essere un “fattore di coesione sociale” e un’occupazione sana. Tuttavia l’incoraggiamento dello sport per i giovani provocò un cambiamento della condizione sociale delle donne, che divennero consapevoli delle proprie capacità fisiche e mentali. Insomma, divennero più “robuste”, ma non più solo per assumere il ruolo di madri. Questa situazione nuova contribuiva al rafforzamento del contro-modello della donna urbana, considerata troppo ancorata nella modernità per i criteri fascisti.
Antonella Mauri esamina poi due iniziative del regime per inquadrare e controllare l’attività fisica delle donne. Sviluppa l’esempio dell’atleta Trebisonda Valla, detta Ondina Valla, un’ostacolista e velocista che vinse le Olimpiadi del 1936 e fu la prima donna italiana ad ottenere una medaglia d’oro.
Ondina Valla è un modello veicolato dalla propaganda, come mostrano le illustrazioni degli anni 1930 commentate dalla studiosa. Le immagini della Valla come molte altre che proliferavano nella stampa e nelle riviste raffiguravano delle donne in movimento, veloci, attraverso una prospettiva dal basso in alto per tradurre un’idea di grandezza, cioè con gli stessi processi usati per esaltare gli atleti maschili. Queste nuove rappresentazioni dell’atleta femminile evidenziano il rinnovamento operato dal regime fascista per mettere in scena una “nuova immagine della donna e del suo corpo”, che va di pari passo con l’idea di un “uomo nuovo” fascista. Di conseguenza, la donna sportiva era “esaltata” dal regime e concretizzò una nuova idea di bellezza femminile.
Per risolvere i problemi di mancanza di insegnanti di educazione sportiva evocati nella prima parte dell’articolo, vengono create l’Accademia della Farnesina per i maschi nel 1928 e l’Accademia di Orvieto per le donne nel 1932 per formare professori di educazione sportiva. L’istruzione voleva essere sia fisica che intellettuale, ed aveva come obiettivi la robustezza fisica e il conseguimento di un diploma di stato, per formare i dirigenti delle organizzazioni giovanili fasciste. Per le donne che entravano all’Accademia di Orvieto era in gioco la loro libertà, sia nell’Accademia che in casa, poiché ogni aspetto della loro vita era controllato dal regime. Tuttavia, incorporandosi a Orvieto, una donna si distaccava dal nucleo familiare, acquistando paradossalmente più libertà e uscendo “dagli schemi classici previsti per le giovani donne”. Riceveva anche uno stipendio ed era economicamente autonoma, il che contribuiva alla costituzione di un nuovo modello di donna indipendente.
L’articolo si conclude con un elenco dei risultati contraddittori della politica sportiva femminile fascista: le adesioni a questo progetto furono sempre più numerose, sicché per gli uomini come per le donne, l’abitudine della pratica sportiva è rimasta nei costumi italiani anche dopo la caduta del regime. Mentre lo scopo del regime era di incrementare il capitale umano maschile della nazione per preparare futuri soldati, il risultato è stato diverso dall’obiettivo eugenetico e demografico iniziale. Il saggio della studiosa riesce così a descrivere il risultato non previsto, quel ritorno del “boomerang”, scaturito dalla contraddizione tra il concedere più libertà alle donne attraverso lo sviluppo dell’attività fisica e la volontà di rilegarle al ruolo di mogli e di madri.
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- Sophia Quine Maria, "Racial ‘Sterility’ and ‘Hyperfecundity’ in Fascist Italy. Biological Politics of Sex and Reproduction", Fascism, vol. 1, n° 2, 2012, p. 92-144.
Pour citer cette ressource :
Clément Luy, Sofia Iguelouzene, Le fascisme et le corps des Italiens et des Italiennes, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), janvier 2023. Consulté le 21/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/italien/civilisation/xxe-xxie/fascisme-et-seconde-guerre-mondiale/le-fascisme-et-le-corps-des-italiens-et-des-italiennes