«Hospital Británico» de Héctor Viel Temperley
Presentación
Héctor Viel Temperley, Hospital Británico, Buenos Aires, Ediciones del Dock, 1997.
Né en 1933 à Buenos Aires, Héctor Viel Temperley est mort en 1987 d'une tumeur cérébrale. À l'âge de 23 ans, lorsqu'il édite son premier livre, il obtient une distinction de la Société argentine d'écrivains (SADE). Sa vie durant, il continue à publier à compte d'auteur, et demeure éloigné des modes de l'époque, des groupes littéraires et des présentations de livres. Ce fut un homme en marge, contemporain d'A. Pizarnik, F. Urondo, J. Gelman, et d'autres poètes de la génération des années 60. Peu avant de mourir, il reconnût qu'il n'avait pas beaucoup œuvré pour sa reconnaissance littéraire. L'intéressait-elle vraiment, ne serait-ce qu'un peu ?
Il publia donc à compte d'auteur sept ouvrages : Poemas con caballos (1956) ; El nadador (1967) ; Humanae vitae mia (1969) ; Plaza Batallón 40 (1971) ; Febrero 72-Febrero 73 (1973) ; Carta de marear (1976) ; Legión extranjera (1978) ; Crawl (1982) ; Hospital Británico (1986), qui furent repris dans son Oeuvre complète. Mais les éditions del Dock avaient déjà réédité Crawl et Hospital Británico en 1997 et en 2001 respectivement. Ce dernier ouvrage fut unanimement salué par la critique, et il est, de fait, considéré comme l'œuvre majeure de Viel Temperley. La rédaction de Hôpital Britannique fut scellée par deux évènements qui marquèrent profondément la vie du poète : l'apparition de sa maladie et la mort de sa mère. Le titre de l'ouvrage fait référence à l'hôpital où il fut en convalescence.
L'œuvre de Temperley a le goût de la musique et de la légèreté. Alternant vers libre, rime et diverses préoccupations formelles (il travailla attentivement sur la mise en page de Crawl de manière à rendre compte typographiquement de l'avancée du nageur), Viel Temperley s'impose à la lecture comme un poète de l'intensité. Intensité de la nage, intensité du corps qui s'abandonne à la nature pour absorber la chaleur du soleil et du sable. En effet, Temperley allie à l'expérience sensuelle des éléments celle du sacré. Éprouver avec le corps équivaut à éprouver de manière solitaire la nature, ce qui instaure une voie privilégiée pour dialoguer avec Dieu. C'est un dialogue intimiste qui relève davantage du panthéisme que du dogme religieux. La présence du Christ dans certains poèmes est donc à entendre comme la possibilité d'une communion transcendante sur terre, lui permettant d'accéder à une sorte de légèreté immatérielle.
Dans l'ouvrage Hospital Británico, un vrai chef d'œuvre de la poésie argentine, Viel Temperley commence par cinq phrases d'une très grande simplicité et d'une force inversement proportionnelle à leur dépouillement stylistique. Certaines parties de ces phrases (par exemple : « Elle gît agonisante », « Le rire, la liberté, l'été », « On m'a ôté du monde ») fonctionneront ultérieurement comme des sous-titres et seront glosées tout au long de l'ouvrage, en créant ainsi une irradiation formelle de la première page. Temperley réalisera des variations de chaque phrase choisie, qu'il déclinera une, deux, trois, voire quatre fois, en réutilisant des vers publiés antérieurement, ou en en rédigeant de nouveaux pour l'occasion. Tout se passe comme si Viel Temperley cherchait dans son œuvre, au moment de quitter la vie, les traces de la maladie qu'il sera obligé de subir à l'âge de 51 ans.
Poemas
Escuchar
"Dormido sobre sus labios"
https://video.ens-lyon.fr/eduscol-cdl/2010/2010-05-10_ESP_Viel-Temperley_01.mp3 |
"Británico"
https://video.ens-lyon.fr/eduscol-cdl/2010/2010-05-10_ESP_Viel-Temperley_02.mp3 |
"Larga esquina de verano"
https://video.ens-lyon.fr/eduscol-cdl/2010/2010-05-10_ESP_Viel-Temperley_03.mp3 |
"Tu rostro"
https://video.ens-lyon.fr/eduscol-cdl/2010/2010-05-10_ESP_Viel-Temperley_04.mp3 |
Son et bruitage : Roberto Azaretto
Leer
Larga esquina de verano
Alguien me odió ante el sol al que mi madre me arrojó. Necesito estar
a oscuras, necesito regresar al hombre. No quiero que me toque la
muchacha, ni el rufián, ni el ojo del poder, ni la ciencia del mundo.
No quiero ser tocado por los sueños.
El enano que es mi ángel de la guarda sube bamboleándose los pocos
peldaños de madera ametrallados por los soles; y sobre el pasamano
de coronas de espinas, la piedra de su anillo es un cruzado que trepa
somnoliento una colina: burdeles vacíos y pequeños, panaderías abiertas pero
muy pequeñas, teatros pequeños pero cerrados -y más arriba ojos de catacumbas,
lejanas miradas de catacumbas tras oscuras pestañas a flor de tierra.
Un tiburón se pudre a veinte metros. Un tiburón pequeño -una bala
con tajos, un acordeón abierto- se pudre y me acompaña. Un
tiburón -un criquet en silencio en el suelo de tierra, junto a un
tambor de agua, en una gomería a muchos metros de la ruta- se pudre
a veinte metros del sol en mi cabeza: El sol como las puertas, con
dos hombres blanquísimos, de un colegio militar en un desierto; un
colegio militar que no es más que un desierto en un lugar adentro
de esta playa de la que huye el futuro. (1984)
Larga esquina de verano
¿Nunca morirá la sensación de que el demonio puede servirse de los
cielos, y de las nubes y las aves, para observarme las entrañas?
Amigos muertos que caminan en las tardes grises hacia frontones de
pelota solitarios: El rufián que me mira sonríe como si yo
pudiera desearla todavía.
Se nubla y se desnubla. Me hundo en mi carne; me hundo en la iglesia
de desagüe a cielo abierto en la que creo. Espero la resurrección
-espero su estallido contra mis enemigos- en este cuerpo,
en este día, en esta playa. Nada puede impedir que en su Pierna me azoten
como cota de malla -y sin ninguna Historia ardan en mí-
las cabezas de fósforos de todo el Tiempo.
Tengo las toses de los viejos fusiles de un Tiro Federal en los ojos. Mi
vida es un desierto entre dos guerras. Necesito estar a oscuras.
Necesito dormir, pero el sol me despierta. El sol, a través de mis
párpados, como alas de gaviotas que echan cal sobre mi vida;
el sol como una zona que me había olvidado; el sol como un golpe
de espuma en mis confines; el sol como dos jóvenes vigías en una
tempestad de luz que se ha tragado al mar, a las velas y al cielo.
(1984)
Larga esquina de verano
La boca abierta al viento que se lleva a las moscas, el tiburón se
pudre a veinte metros. El tiburón se desvanece, flota sobre el último
asiento de la playa -del ómnibus que asciende con las ratas
mareadas y con frío y comienza a partirse por la mitad y a desprenderse
del limpiaparabrisas, que en los ojos del mar era su lluvia.
Me acostumbré a verlas llegar con las nubes para cambiar mi vida.
Me acostumbré a extrañarlas bajo el cielo: calladas, sin equipaje,
con un cepillo de dientes entre sus manos. Me acostumbré a sus
vientres sin esposo, embarazadas jóvenes que odian la arena que
me cubre. (1984)
(...)
Tu Rostro
Tu Rostro como sangre muy oscura en un plato de tropa, entre cocinas
frías y bajo un sol de nieve; Tu Rostro como una conversación
entre colmenas con vértigo en la llanura del verano; Tu Rostro
como sombra verde y negra con balidos muy cerca de mi aliento
y mi revólver; Tu Rostro como sombra verde y negra que desciende
al galope, cada tarde, desde una pampa a dos mil metros sobre el nivel
del mar; Tu Rostro como arroyos de violetas cayendo lentamente
desde gallos de riña; Tu Rostro como arroyos de violetas
que empapan de vitrales a un hospital sobre un barranco. (1985)
Traduction française
Héctor Viel Temperley, Hôpital britannique, traduit de l'espagnol (Argentine) par Julia Azaretto
Longue ruelle d'été
Quelqu'un me hait face au soleil auquel me lança ma mère. J'ai besoin
d'un peu d'obscurité, je dois retourner à l'homme. Je veux que la jeune fille
ne me touche pas, ni le maquereau, ni l'œil du pouvoir, ni la science du monde.
Je veux ne pas être touché par les rêves.
Le nain qui est mon ange gardien monte en titubant les quelques
marches de bois mitraillées par les soleils ; et sur la rampe aux
couronnes d'épines, la pierre de sa bague est un croisé somnolent qui
grimpe une colline : des bordels vides et petits, des boulangeries ouvertes
mais minuscules, des théâtres minuscules mais fermés - et un peu au-
dessus des yeux de catacombes, de lointains regards de catacombes
derrière les cils obscurs à fleur de terre.
À vingt mètres pourrit un requin. Un petit requin - une balle fendue, un
accordéon ouvert - pourrit et m'accompagne. Un requin
- un criquet silencieux posé sur le sol de terre, près d'un
tambour d'eau, dans un garage à de nombreux mètres de la route - pourrit
à vingt mètres du soleil dans ma tête : Le soleil comme les portes, il y a
deux hommes d'une blancheur extrême, d'une école militaire dans un
désert ; une école qui n'est qu'un désert quelque part à l'intérieur
de cette plage d'où le futur s'évade. (1984)
Longue ruelle d'été
Ne périra-t-elle jamais l'impression que le démon peut se servir des cieux,
et des nuages et des oiseaux pour observer mes entrailles ?
Des amis morts marchant dans les soirées grises vers des frontons
solitaires : Le maquereau qui me regarde sourit comme si
je pouvais encore la désirer.
Le ciel se couvre et se découvre. Je sombre dans ma chair ; je sombre dans
l'église d'exutoire à ciel ouvert à laquelle je crois. J'attends la
résurrection - j'attends son éclatement contre mes ennemis - dans ce
corps, dans cette journée, dans cette plage. Plus rien ne saurait empêcher
que dans sa Jambe, me fouettent telle une cotte de maille qui brûlent en
moi sans aucune Histoire les têtes d'allumettes du Temps éternel.
J'ai les toux de vieux fusils de la Fédération de Tir dans mes yeux. Ma
vie est un désert entre deux guerres. J'ai besoin d'un peu d'obscurité.
J'ai besoin de dormir mais le soleil me réveille. Le soleil, à travers mes
paupières, comme les ailes des mouettes qui déversent de la chaux dans
ma vie ; le soleil comme une zone qui m'avait oublié ; le soleil comme un
coup d'écume dans mes confins ; le soleil comme deux jeunes guetteurs
lors d'une tempête de lumière qui a avalé la mer, les voiles et le ciel. (1984)
Longue ruelle d'été
Bouche ouverte au vent qui emporte les mouches, à vingt mètres pourrit le
requin. Le requin se dissipe et flotte sur le dernier siège de la plage - du
bus qui monte avec les rats étourdis dans le froid et commence à se fondre
en deux, à se détacher de l'essuie-glace, qui dans les yeux de la mer était
sa pluie.
Je m'habituai à leur manque sous le ciel : silencieuses, sans bagage,
juste une brosse à dents dans les mains. Je m'habituai à leurs
ventres sans époux, des jeunes enceintes qui haïssent le sable
qui me recouvre. (1984)
(...)
Ton visage
Ton Visage comme du sang très obscur sur une assiette de troupe, parmi
les cuisines froides sous un soleil de neige ; Ton Visage comme une
causerie entre les ruches vertigineuses dans la plaine de l'été ; Ton
Visage comme une ombre verte, noire, et des bêlements tout près de mon haleine,
de mon revolver ; Ton Visage comme une ombre verte,
noire, qui descend au galop chaque soir, en provenance d'une pampa à
deux mille mètres au-dessus du niveau de la mer ; Ton Visage comme
des ruisseaux de violettes s'épanchant doucement depuis des coqs de
combat ; Ton Visage comme des ruisseaux de violettes qui
éclaboussent de vitraux l'hôpital sur un ravin.
Pour citer cette ressource :
Julia Azaretto, Hospital Británico de Héctor Viel Temperley, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mai 2010. Consulté le 25/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/litterature/litterature-latino-americaine/poesie/hospital-britanico-de-hector-viel-temperley