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Chapitre 4. Description du lexique de l’anglais américain

Par Vincent Hugou : Maître de conférences en linguistique anglaise - Sorbonne Université (CELISO, UR 7332), Olivier Glain : Professeur des universités en linguistique anglaise - Université Jean Monnet de Saint-Étienne (UR ECLLA)
Publié par Marion Coste le 07/05/2025

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Ce chapitre est tout entier consacré au lexique de l’anglais américain. Nous y dressons tout d’abord un état des lieux sur la question. Sur la base de ces réflexions est établie une typologie du lexique de l’anglais américain en s’appuyant sur des critères formels et sémantiques.

1. Aperçu des travaux liés au lexique de l’anglais américain

1.1 Mencken et ses continuateurs

L’œuvre de Mencken, The American Language (1919), fait figure de pionnière en la matière. Elle fournit au lecteur une description aussi détaillée et exhaustive que possible de l’anglais américain et en particulier de son lexique. Bien qu’elle aspire à mettre au jour les caractéristiques de l’anglais américain, certains auteurs ont dénoncé une méthodologie douteuse et des conclusions hâtives (Forgue et Mc David, 1972, 136 ; Švejcer, 1978, 7). L’ouvrage reste néanmoins de grande ampleur et permet de couvrir une diversité de questions jusque-là passées sous silence ou traitées de façon incomplète, comme par exemple la propension à former des mots nouveaux par conversion en anglais américain ou le paradigme des verbes irréguliers. Cet ouvrage a aussi largement contribué à orienter la réflexion ultérieure.

Suivent en effet un grand nombre de travaux en tous genres, dont la liste ne peut être qu’ouverte et incomplète. Les recherches exclusivement consacrées au lexique sont d’ailleurs assez rares, notamment parce que ce domaine est soumis à l’influence d’autres domaines linguistiques. Par exemple, le choix du découpage des chapitres dans Algeo (2006) met bien en évidence le fait que le lexique est au carrefour de la morphologie pour ce qui concerne sa forme, de la sémantique pour ce qui concerne son sens, de la syntaxe pour ce qui concerne ses propriétés combinatoires et de la pragmatique pour ce qui concerne ses conditions d’emploi. L’étude du lexique de l’anglais américain est également dispersée dans d’innombrables publications, au détour de problématiques plus générales, comme celle des variétés d’anglais dans le monde (Trudgill et Hannah, 1982 ; Svartvik et Leech, 2006 ; Gramley, 2012), ou au sein d’ouvrages de description globale de l’anglais américain (Forgue et McDavid, 1972 ; Pyles et Algeo, 1993 ; Bryson, 1994 ; Kövecses, 2000 ; Tottie, 2002 ; Hargraves, 2003 ; Baker, 2017 ; Murphy, 2018). On trouve aussi des travaux qui portent sur des phénomènes plus ténus, comme la recherche de Suonperä (2009), qui vise à dépasser la distinction, théorique, entre specialty, supposément américain et speciality, supposément britannique.

Si l’on veut être parfaitement honnête, la conscience des divergences entre l’anglais britannique et l’anglais américain est bien antérieure aux travaux de Mencken, mais ce sont essentiellement des collections d’éléments pittoresques de l’anglais américain qui sont rassemblés souvent dans une optique puriste, voire normative. Le glossaire de Pickering (1816) est le premier ouvrage correctif du genre ; il ne se contente pas d’enregistrer des faits, mais associe, à tort ou à raison, des jugements de valeur à la description. L’auteur tente de corriger des écarts par rapport à l’anglais d’Angleterre, l’anglais américain à l’époque, et d’ailleurs bien plus tard (par ex., Fowler 1926), ne constituant pas encore aux yeux des gens un système linguistique autonome. C’est l’anglais britannique qui reste le modèle homogène à rejoindre. The Dictionary of Americanisms de Bartlett est publié seulement quelques années plus tard en 1849 et fait déjà davantage œuvre d’objectivité et d’impartialité. L’auteur indique plusieurs sources de richesse lexicale de l’anglais américain de son époque : les usages archaïques ou dialectaux en Grande-Bretagne qui ont perduré sur le sol américain, les emprunts de source amérindienne, mais aussi les provincialismes. Par exemple, à propos de go the whole hog, on lit a Western vulgarism (159). A Dictionary of Modern American Usage de Horwill (1935) est un autre grand pas de franchi. Dans sa préface, l’auteur, qui est britannique, indique que son étude est destinée à servir de guide notamment aux Anglais qui côtoieraient des Américains. Il s’agit d’un glossaire étoffé, offrant une sélection large d’unités. L’auteur est attentif à la phraséologie, aux connotations et à la fréquence des unités. Citons enfin l’œuvre magistrale de Craigie (1926) A Dictionary of American English on Historical Principles, qui se présente comme une banque de données d’environ 25000 rubriques et qui réserve, dans ses entrées, une place aux rapports qu’ont les mots avec la culture d’un pays.

1.2 Avantages et inconvénients des glossaires et autres recueils de mots

• Les glossaires

Comme dans toute tentative de description, les choix méthodologiques conditionnent inévitablement les résultats obtenus. Or, il n’est pas toujours aisé de savoir exactement sur quelle base les usages ont été répertoriés et validés dans certains recueils de mots, même parmi les plus récents. Par exemple, dans le glossaire de Carey (1953, 9), ce sont des observations sur le terrain qui ont constitué la matière première. Il n’est pas impossible non plus que l’auteur ait puisé dans des ouvrages plus anciens ou dans des sources livresques, tout en enrichissant chaque fois sa nomenclature.

Faisons aussi remarquer la tendance à la surreprésentation, même à date récente, d’emplois dialectaux ou archaïques, ainsi que d’emplois populaires. Il en va du glossaire de Moss (1973), de Dervaes et Hunter (2012) ou de McCormick (1996), lequel se résume à une liste hétéroclite d’unités appartenant à des époques différentes et des niveaux de langue différents, sans exemples réels en situation. L’archaïsme evenfall est donné, sans explication, comme équivalent britannique de dusk ou bien encore absey book, aujourd’hui désuet, pour primer. De la même façon, le Grand Dictionnaire d’Américanismes de Déak (1981) recense, sans méthode véritablement discernable, beaucoup d’hapax et de formes inusitées. Il est bien entendu impossible de répertorier tous les recueils alphabétiques et l’on se contentera de citer Zviadadze (1981), Darragh (2000), Hargraves (2003), Davies (2005), Johnston (2000), Smith (2006) et Torrents del Prats (2006). Malgré leurs défauts, les glossaires restent des œuvres inestimables, qui décrivent la richesse et la diversité du lexique de l’anglais américain.

• Les dictionnaires de papier et les dictionnaires en ligne

La variété nord-américaine et les autres variétés de l’anglais n’ont pas toujours eu une présence très marquée dans la lexicographie de l’anglais. Pendant longtemps considérés comme hors la norme, les américanismes sont relégués au second plan. Aujourd’hui, l’intégration de particularités topolectales est devenue une pratique généralisée, ce qui révèle une conception de plus en plus ouverte de la langue. Certains dictionnaires, comme l’Oxford Advanced Learner’s Dictionary au moins à partir de la septième édition de 2005 (Hornby et al.), ont même essayé d’inclure les australianismes, les sud-africanismes, etc., bien que les américanismes continuent de se tailler la part du lion.

Il ne faut pas néanmoins accorder aux dictionnaires une autorité sans limites, car même ceux qui choisissent de décrire la synchronie dans des espaces différents au sein d’une même langue affichent un retard par rapport aux usages et l’américanisme d’un jour ne l’est peut-être déjà plus lors de la publication du dictionnaire. Signalons aussi, avec Tottie (2002, 94), que les dictionnaires constitués en Grande-Bretagne sont plus conservateurs et indiquent les américanismes uniquement, pas les expressions britanniques. Les dictionnaires conçus aux États-Unis, comme le Webster, bien que ce ne soit ou ne fût pas toujours systématique, entrevoient de plus en plus la variation du point de vue américain. Ce déplacement de point de vue a son importance, car l’anglais de référence n’est alors plus perçu comme celui de Grande-Bretagne, mais comme celui des États-Unis.

Faisons enfin remarquer que l’avènement des corpus électroniques de grande envergure a offert aux lexicographes des possibilités inespérées : les chercheurs peuvent désormais appréhender l’énorme productivité langagière et atteindre des phénomènes qui échappent à l’intuition ou que l’intuition aurait pu penser marginaux ; ils peuvent aussi distinguer ce qui est sujet à variation et ce qui inversement a tendance à se figer dans la langue. Il n’en reste pas moins que de nombreux dictionnaires, même de facture plutôt récente et constitués à partir de grands corpus, sont des œuvres d’êtres humains qui décident, pour des raisons parfois difficiles à saisir, d’inclure ou de ne pas inclure telle ou telle unité.

Il serait enfin injuste de ne pas faire cas des très nombreux sites Internet, dont les blogs de Yagoda et de Murphy. Ces sites sont augmentés en permanence et enrichis des commentaires d’autres internautes qui se livrent à une forme de linguistique spontanée, qui déchaîne passions et polémiques.

1.3 L’approche différentielle et les typologies existantes

La majorité des études sur l’anglais américain, si ce n’est la totalité, s’inscrit dans une approche différentielle, ce qui signifie que la variété américaine est décrite, appréciée et évaluée par une mise en regard avec l’anglais britannique, qui sert d’étalon. Une telle perspective paraît être la seule façon de situer la variation qui, sans ce point d’appui, ne serait pas perceptible. Dans tous les ouvrages consultés, l’anglais britannique est retenu comme terme de comparaison, parce que cette variété est largement étudiée et reconnue, mais aussi parce que l’Angleterre envoya de nombreux colons en Amérique du Nord (voir chapitre sur l’histoire de l’anglais américain).

Plusieurs typologies du lexique de l’anglais américain traversent la littérature et elles se recoupent bien souvent d’un auteur à l’autre, avec des variations en termes de granularité. Nous en faisons la synthèse dans les lignes qui suivent.

• Approches essentiellement synchroniques

Dans la plupart des travaux, le lexique est étudié selon un axe de complexité structurelle, qui englobe les mots isolés, simples ou construits, mais aussi les unités constituées de plusieurs mots. Ces dernières ont un certain degré de cohésion interne, ce qui les différencie de la syntaxe libre. Cette conception élargie du lexique pose des problèmes de délimitation bien connus du champ de la lexicologie, mais elle s’avère nécessaire si l’on veut donner un aperçu de la diversité et de l’étendue des différences, qui ne s’arrêtent pas aux seuls mots.

En général, les particularités sémantiques, les particularités morphologiques et les particularités tenant à des différences de connotation, de fréquence, de niveaux et de registres de langue font l’objet d’un traitement séparé. Les travaux sur les québécismes apportent d’ailleurs des éclairages en intégrant la notion de « québécismes de fréquence » (de Villers, 2005), pour désigner des mots de la langue française, utilisés par les Français de France, mais dont la fréquence d’utilisation est plus grande au Québec. La question se pose en des termes identiques pour l’anglais. Dans les faits cependant, il est difficile de parler uniquement de changement de forme, sans parler de changement de sens, étant entendu que toute différence formelle implique en théorie une différence sémantique et/ou pragmatique, même ténue.

On trouve aussi des classements référentiels qui font appel à des considérations à la fois linguistiques et culturelles. Par exemple, à grands traits, dans la typologie d’Algeo (1989), typologie enrichie par Kövecses (2000, 158-162), ou bien des formes différentes sont utilisées pour référer à un même objet ou bien une seule forme peut renvoyer à plus d’un référent. À cela s’ajoute le fait que les formes et/ou les référents peuvent être généraux ou limités. Par exemple, pour airing cupboard, un placard où l’on fait sécher le linge, la forme et le référent sont limités à l’anglais britannique, puisque cette réalité n’existe pas en Amérique ; il y a donc une lacune culturelle. Le nom busker, qui renvoie à un chanteur des rues, ne se rencontre pas souvent en anglais américain, bien que cette réalité existe aussi aux États-Unis. Un Américain dirait peut-être plus volontiers street performer/entertainer ; il y a donc une lacune lexicale : une variété éprouve le besoin de nommer ce que l’autre passe sous silence ou considère comme insuffisamment important. Ce découpage fait en partie écho au concept de « statalisme », que l’on doit à Pohl (1985, 10), et qui désigne « tout fait de signification ou de comportement, observable dans un pays, quand il est arrêté ou nettement raréfié au passage d’une frontière ».

Par le terme de « ‘intellectual traditions’ approach », Kövecses (2000, 162) rassemble les études sur la variation qui se fondent sur les traits de caractère d’un peuple, en l’occurrence le peuple américain. Ces classements du lexique d’une variété sont quelque peu impressionnistes, mais ne sont pas dénués d’intérêt. Citons à titre d’exemple le travail de Leech et Fallon (1992) qui s’appuie sur des corpus parallèles d’anglais américain et britannique à partir de 1961 et qui met au jour des tendances dans le lexique américain, un lexique plus machiste et dynamique à rebours du lexique britannique qui, pour sa part, reflèterait une culture davantage tournée vers la discussion, la vie émotionnelle. Ainsi, les Britanniques auraient tendance à rester en deçà de leur pensée quand ils disent pour quelque chose qu’ils n’aiment pas vraiment the food was rather cold, là où un Américain serait plus direct : the food was cold.

Mention doit être faite des classements du lexique américain en fonction des procédés de formation des mots sollicités. Par exemple, selon Mencken (1919), Tournier (1983) ou Tottie (2002), entre autres, les Américains feraient montre d’une créativité débordante et recourraient à la conversion bien plus que ne le font les autres locuteurs de l’anglais. Si cette tendance observée a sans doute quelque fondement, on peut se demander comment les auteurs en arrivent à de telles conclusions en s’appuyant uniquement sur un relevé sommaire de données. En bonne méthode, il faudrait relever dans un dictionaire tous les verbes et noms qui ont la même forme, s’assurer de la direction de la conversion avec un dictionnaire étymologique, si tant est que l’on soit certain des mouvements catégoriels, puis enfin vérifier, dans ce même dictionnaire, si la conversion s’est effectuée en anglais américain ou pas. MacNeil et Cran (2005, 3) estiment d’ailleurs qu’un cinquième des verbes anglais ont commencé en tant que noms et, à l’appui de ce raisonnement, Mair (2006, 193-194) rappelle qu’en réalité les variétés de l’anglais suivent plus ou moins les mêmes trajectoires, mais à des vitesses variables, l’anglais américain ayant simplement une longueur d’avance sur les autres.

Les classements les plus connus sont ceux qui procèdent par concepts. Les unités lexicales y sont rassemblées en fonction de thématiques qui peuvent être très précises. Ainsi, en comparant deux recettes de cuisine américaine et britannique du banana bread, Murphy (2018, 68-72) montre qu’il peut y avoir des nuances insoupçonnées. Il est toujours possible d’ajouter aux classements thématiques des commentaires sur la culture déposée dans les mots, au-delà de leur définition sémantique (par ex. Hargraves, 2003 ; Davies, 2005). Cependant, ces types de classements s’inscrivent dans une tradition didactique bien établie et n’ont pas toujours la rigueur scientifique qu’on souhaiterait ; du reste, ils tendent à faire la part belle aux différences, qui sont valorisées, en laissant de côté les points communs entre variétés, qui sont naturellement bien plus nombreux.

• Approches essentiellement diachroniques

Dans d’autres travaux, les variantes sont étudiées du point de vue de leur origine : les variantes lexicales sont parfois considérées comme des américanismes originaires de Grande-Bretagne, dont des dialectalismes, qui proviennent de l’un des dialectes parlé par les Britanniques venus en Amérique et qui se sont maintenus sur le territoire américain. C’est le cas de different than, I guess, mad, platter et de sick (voir chapitre sur l’histoire de l’anglais américain) ; ces particularités peuvent être aussi des américanismes d’emprunt, c’est-à-dire le résultat d’interférences linguistiques plus ou moins anciennes avec d’autres langues que l’anglais. Par exemple, schmooze est issu du yiddish et skunk de l’amérindien ; elles peuvent être enfin des américanismes de création qui ont vu le jour sur le sol américain, étant bien entendu que la plupart sont fabriquées en puisant dans les réserves de la langue. Le nom bullfrog désigne une espèce de grenouille nord-américaine. C’est un américanisme de création, certes, mais qui est formé de deux mots relevant du vieux fonds anglais. Le même constat peut être fait au sujet de make good dans le sens de « be successful ». C’est dans l’alliance de mots qu’il y a innovation, pas dans les mots utilisés.

Une typologie fondée sur des critères historiques est en réalité délicate à mettre en place, car le chercheur n’est pas toujours assuré des dates de première apparition d’une occurrence et de son caractère américain ou britannique. Qui plus est, certains mots ont bénéficié de plusieurs naissances ou renaissances ; la question se pose avec acuité dans les faits de polysémie : mad, « en colère », fait figure d’américanisme aujourd’hui, alors qu’il était usité chez Shakespeare, mais a été évincé par le sens de « fou », le lien entre la colère et la folie n’étant pas anodin.

La classification retenue dans cette contribution s’inspire des classifications existantes, mais tente modestement de les dépasser en croisant des critères qui nous paraissent moins souvent exploités.

2. Présentation de la classification retenue dans cette contribution

2.1 Hypothèse de départ

La proposition de classement que nous proposons part d’un postulat de base : bien que l’approche différentielle (anglais américain vis-à-vis de l’anglais britannique) invite à se concentrer sur les différences, il convient de garder à l’esprit qu’en réalité les points communs entre les deux variétés l’emportent très largement. C’est donc de ce point de vue, celui d’un socle commun, que nous décidons d’envisager la description. Ainsi, si le lexique de l’anglais américain diffère par bien des aspects de celui d’autres variétés d’anglais, il existe aussi et avant tout un fonds commun d’expressions qui renvoient sensiblement aux mêmes concepts, bien que l’on puisse toujours considérer que les concepts sont tous imprégnés de la culture endogène. Il suffit de songer à des objets concrets ou des verbes du quotidien, comme window, computer, bag, walk, read et smell qui, pour un locuteur de l’anglais, qu’il soit américain, britannique ou australien, désignent a priori les mêmes réalités. Il n’y a pas non plus de procédé de formation des mots qui appartienne en propre à l’anglais américain. De même, les structures syntaxiques dans lesquelles s’insèrent les mots sont partagées par tous les locuteurs de l’anglais. Enfin, sur le plan du sens, l’ajout ou la disparition d’un sens à un mot existant peut être à l’œuvre en anglais, quelle que soit la variété. L’anglais américain s’inscrit alors dans le prolongement de principes plus généraux de l’anglais, qui lui donne son assise et ses fondements, et c’est plutôt la manière dont le stock lexical commun, les procédés de formation des mots et les structures syntaxiques sont exploités qui fonde les différences.

2.2 Critères de classement retenus

Il nous a paru intéressant d’envisager les différences sous deux angles majeurs, qui sont fréquemment invoqués dans la littérature : l’angle de la forme et l’angle du sens.

2.2.1 Plan de la forme

La classification adoptée se divise en trois groupes :

  • la structure d’accueil (par exemple, <base+affixe>, <base+base>, <verbe+particule adverbiale>, etc.) demeure identique d’une variété à l’autre ; ce n’est par conséquent que le matériau qui intègre la structure qui varie d’une variété à l’autre. Ce matériau peut être de toute petite taille, comme une lettre et un phonème différents (ex. pudgy /'pʌdʒi/ US/podgy /'pɒdʒi/ GB), ou un affixe (ex. flavorful US/flavoursome GB), ou des unités lexicales à part entière (ex. bathing suit US/bathing costume GB, at the end of my rope US/at the end of my tether GB), voire des unités grammaticales (ex. on a bet US/for a bet GB) ;
  • inversement, c’est parfois la structure d’accueil qui varie d’une variété à l’autre, mais le matériau constitutif, lui, reste le même (ex. spiderweb US : mot composé/spider’s web GB, génitif classifiant) ;
  • à l’autre extrême, les unités d’une variété se démarquent complètement de leurs homologues dans l’autre variété : ce n’est plus le même matériau qui est convoqué et la structure est distincte (ex. gas US/petrol GB).

Dans chacun des groupes ci-dessus, toutes les fois que cela s’est avéré pertinent, nous avons aussi prévu des distinctions entre mots non construits, en synchronie du moins, mots dérivés, mots composés, dont les verbes à particule (cf. Tournier, 2004), et deux types de séquences sur la base de leur transparence et de leur statut : les collocations, tout d’abord, dont le décodage est a priori plus simple, puis les locutions, qui véhiculent une composante imagée. Bien évidemment, nous avons déjà souligné que le lexique est le domaine qui donne le moins facilement prise à la description linguistique (par exemple, où commence le lexique et où s’arrête-t-il ? Peut-on aisément distinguer une collocation d’une locution ? Un verbe à particule est-il un construit syntaxique ou un construit lexical ?, etc.). Les nombreux débats à ce sujet (par ex., González Rey, 2015, pour d’excellentes mises au point) ont cependant été écartés, non qu’ils soient sans importance, mais parce qu’ils n’entrent pas directement dans le cadre de notre étude et parce que leur prise en compte aurait inutilement compliqué les classifications.

Il a été également question, dans notre conception, de dépasser la vision selon laquelle le lexique, et en l’occurrence le lexique de l’anglais américain, serait le lieu de l’irrégularité et du contingent, un ensemble d’éléments sans principe d’ensemble qui les relie. Nous avons alors fait la part entre les différences isolées et les situations où l’on pouvait déceler des régularités derrière la diversité des données observées. Toutes les fois que des micro-systèmes ont pu être mis au jour, des tentatives d’explication ont été avancées.

2.2.2 Plan du sens

Ici, à une unité formellement identique d’une variété à l’autre correspond une diversité de sens. La grille de classement se subdivise en trois groupes :

  • la différence de sens se situe au niveau des connotations que libère le mot (ex. appalling est plus formel en anglais américain qu’en anglais britannique) ;
  • elle peut se manifester essentiellement au niveau des traits dénotatifs (ex. sick US : malade, GB : malade ou qui a la nausée) ;
  • dans les cas de différenciation maximale, deux expressions identiques peuvent avoir des sens opposés ou complètement dissociés (ex. momentarily US : sous peu/momentarily GB : momentanément), comme dans l’homonymie (ex. skivvies US : sous-vêtements/skivvy GB : bonne à tout faire).

Comme dans la section sur la forme, nous avons essayé de voir si les écarts constatés étaient généralisables à toute une série d’unités ou s’ils étaient au contraire isolés.

Les données ont été recueillies selon une méthodologie qui a été présentée dans notre préambule. Elles ont ensuite été classées dans la grille qui vient d’être décrite. Il va sans dire que la variation lexicale entre anglais américain et anglais britannique est bien trop vaste et hétérogène pour être étudiée unitairement et exhaustivement. Seuls des exemples significatifs, parmi des centaines d’autres, seront à présent abordés.

3. Description du lexique de l’anglais américain

3.1 Différences au niveau de la forme

3.1.1 La structure est stable, les éléments constitutifs varient

Dans cette section, la structure lexicale (par exemple : <base+affixe>) ou syntaxique (par exemple : <syntagme nominal of syntagme nominal>) des données analysées est maintenue stable d’une variété à l’autre ; les variations se manifestent seulement dans l’exploitation qui en est faite.

3.1.1.1 Variation au niveau d’une unité plus petite que le mot

• Variation au niveau d’une ou deux lettres et d’un phonème

Au degré le plus minimal, la variation peut s’exercer sur deux plans solidaires mais distincts : au niveau d’une ou deux lettres et au niveau du phonème associé entre deux variantes d’un même mot.

Il est parfois possible de déceler une logique sous-jacente dans certains regroupements. Par exemple, pour ce qui est des voyelles, l’anglais américain manifeste une préférence assez marquée pour le <u> prononcé /ʌ/, à <o> dans amuck US/amock GB, plunk US/plonk GB, pudgy US/podgy GB, pummel US/pommel GB et putter US/potter GB. En réalité, l’affinité entre ces deux lettres est en germe dans la langue anglaise : c’est un fait bien connu que la lettre <o> se prononce /ʌ/ dans come, love, honey, etc. pour des raisons historiques (Stévanovitch, 1997, 42), et que sa résurgence s’est produite dans l’orthographe fantaisiste britannique de love : luv. Dans la même veine, l’anglais américain favorise les prétérits snuck, stunk, sunk à sneaked, stank, sank. Les formes dialectales drunk (pour drank), brung (pour brought) et drug (pour dragged) sont, elles aussi, passibles des mêmes analyses. Bien sûr, on n’aurait aucun mal à trouver des contre-exemples, comme crotch, mom, hot flashes, américains, et préférés à crutch, mum et hot flushes.

À l’inverse, certaines variations au niveau d’une lettre et d’un phonème sont dépourvues de systématicité. Citons des emprunts auxquels chaque variété a réservé un sort différent : ainsi, en anglais américain on entend chaise lounge, par association d’idées avec le verbe lounge, alors que l’anglais britannique reste proche du français, au moins sur le plan graphique, avec chaise longue GB ; bok choy US/pak choi GB et kabob US/kebab GB offrent aussi des exemples intéressants. C’est en revanche par le biais d’une intervention volontaire sur la langue que l’orthographe originelle, aluminum, a été transformée. Selon Davies (2005, 76), cette forme, qui a cours en anglais américain, a été modifiée plus tard en aluminium, la variante britannique, par analogie avec d’autres éléments chimiques, comme titanium ou magnesium.

Au niveau des consonnes, l’anglais américain tend à faire la place belle aux consonnes sourdes, ce qui permet d’entrevoir un début de série dans botch, gunk, shudder (vibrer), snicker splotch et squishy en regard de bodge, gunge, judder, snigger, splodge et squidgy. Cependant, c’est l’inverse avec ding-a-ling US/ting-a-ling GB, hodge-podge US/hotch-potch GB, tidbit US/titbit GB. La provenance et la motivation de ces différences ne sont pas toujours faciles à déceler. Murphy (2018, 54) signale que tidbit (un petit morceau) était la forme primitive, dès 1641 (tyd bit). Elle suppose que le <t> aurait été favorisé, plus tard, par les Britanniques parce que tit libère des connotations affectives et de petitesse, comme dans titmouse (la mésange). La consonne <s> est relativement instable entre variantes de l’anglais et aussi au sein d’une même variante. Ainsi, le <s> est normalement conservé en anglais américain dans des dérivés formés à partir d’une base au pluriel : artsy US/arty GB, woodsy US/woody GB. D’autres américanismes fonctionnent selon le même principe, sans avoir forcément de contrepartie britannique : antsy (à partir de have ants in your pants), ballsy (à partir de have balls), folksy (à partir de folks, l’anglais britannique utilisant ordinairement folk au singulier), sudsy (de suds, l’eau savonneuse). Dans des formations plaisantes, la consonne <s> n’est rien d’autre qu’un indicateur d’affectivité. Ces formations fonctionnent entre elles par analogie : itty-bitty/itsy-bitsy, teeny-weeny/teensy-weensy et cutesy ; par contre, dans les mots enfantins, la forme sans le <s> est favorisée en anglais américain : beddy-bye US/beddy-byes GB, din-din US/din-dins GB.

Comme avec les voyelles, on doit mentionner des cas difficiles à systématiser. Par exemple, la portée dans la notation musicale se dit staff en anglais américain et stave ailleurs, mais stave est la forme singulière obtenue par dérivation régressive d’un pluriel possible de staff, et qui est staves (Peters, 2004, 514). Le verbe pry, américain, est aussi le produit d’une réanalyse de prise, britannique, qui a été interprété à un moment de son histoire comme un pluriel.

• Variation au niveau d’un affixe

L’alternance de suffixes se manifeste de manière spectaculaire dans les adjectifs. Est communément mis à contribution le suffixe -y en anglais américain, sans que cette variété en ait l’exclusive, là où -ing ou -ish peut aussi parfois s’entendre dans d’autres variétés. Tel est le cas de freaky, gangly, nitpicky et whiny plutôt que freakish, gangling, nitpicking et whining. Cependant, c’est doddering, thundering qui se rencontrent de préférence à doddery, thundery. De même, les adjectifs bluish, greenish, yellowish sont préférés à bluey, greeny, yellowy, sans doute en raison de la pression du paradigme existant, blackish, reddish, brownish, etc. En anglais américain, le suffixe -some est utilisé dans adventuresome, lonesome, worrisome, mais adventurous, lonely et worrying ont également cours. En revanche, flavorful est la forme de choix (flavoursome GB). La forme sans le suffixe adverbial -ly prévaut en anglais américain dans les adjectifs en <full+participe passé> et en <fresh+participe passé>. Il s’agit là de véritables processus productifs qui finissent par s’instituer en motifs. On dira full-blown/-fashioned/-fledged/-grown (plutôt que fully-blown/fashioned/fledged/grown), et fresh-baked/squeezed (plutôt que freshly-baked/squeezed). D’autres exemples attestés, mais isolés sont anal US/anally retentive GB, bad-off US/badly-off GB, high US/highly-strung GB. En réalité, ce qui semble être idiosyncrasique n’est autre que le reflet d’une tendance plus générale de l’anglais dans laquelle certains adjectifs sont employés adverbialement (Schibsbye, 1973, 151-165).

Des situations de concurrence affixale pour les adjectifs peuvent être également régulièrement observées au sein d’une même variété. Elles s’accompagnent en général d’une spécialisation du sens. Ainsi, en anglais américain, une nourriture bonne pour la santé est healthy ou healthful, mais « en bonne santé » ne se rend que par healthy. Pour faire encore écho à ce qui a été dit plus tôt, eat healthy, adjectif en emploi adverbial, est fréquent en anglais américain, tout comme eat right (plutôt que eat well, britannique), même si l’on dit eat healthfully (?eat healthful). L’instabilité de la classe des adjectifs en -ic et -ical est également intrinsèque à l’anglais. Par exemple, la forme ironic est largement préférée par les locuteurs de l’anglais bien que ironical soit régulièrement présentée dans les dictionnaires comme une variante d’égal statut. L’anglais américain hésite particulièrement entre electrical et electric, avec des préférences au niveau des collocations. On entend plutôt electrical storm, mais plutôt electric shock et incontestablement electric chair. Une boîte à musique se dit music box en anglais américain et musical box ailleurs.

Les noms composés méritent aussi un examen attentif. Il est bien connu que le rôle quasi adjectival joué par le premier terme d’un nom composé expliquerait l’absence de toute marque de pluriel, le premier élément ajoutant une valeur qualitative au second. Le composé animal rights se paraphrase par rights of animals, mais l’on ne saurait trouver *animals rights. La possibilité de mettre le premier terme au pluriel n’est cependant pas exclue en anglais (Jamet, 2005 ; Algeo, 2006, 92-101). Parmi les nombreuses raisons avancées, on livrerait un autre message si l’on s’aventurait à dire *good train à la place de goods train (freight train US) ; le ‘s’ est obligatoire. Parfois, le ‘s’ est optionnel et sa présence est favorisée dans une variété : sont usuels en anglais américain appeals court, fireworks display, sports car, dans la mesure où le premier nom fonctionne prototypiquement au pluriel en dehors de ces composés. On dit aussi en effet, aux États-Unis, court of appeals et play sports (plus fréquemment que do ou play sport, envisageable dans d’autres variétés). En outre, deux cas de figure doivent être signalés en ce qu’ils forment des séries régulières : en anglais britannique, la catégorie des composés en <drug-X> ou <drugs-X> est soumise à un phénomène d’alternance, alors que seule la forme <drug-X> s’utilise en anglais américain : drug(s) addict, dealer, misuse (drug abuse US), overdose, squad (narcotics division US), trafficking ; il en va aussi de <drinks-X> : drinks cabinet (liquor cabinet US), drinks machine (vending machine US), drinks party (cocktail party US), et drinks trolley (beverage cart US).

Un assez fort contingent de noms composés présente aussi une alternance entre -ing et Ø au niveau du premier terme, avec une préférence marquée pour la forme la plus dépouillée en anglais américain, ce qui n’exclut pas l’idée que l’autre forme puisse aussi être usitée. Nous en offrons une liste assez détaillée : banquet US/banqueting hall GB, camp US/camping ground, cover US/covering letter GB, dance US/dancing class GB, delay US/delaying tactics GB, dial US/dialling tone GB, drain US/draining board GB, dress-up US/dressing-up GB, file US/filing cabinet GB, finish US/finishing line GB, gag US/gagging order GB, jump rope US/skipping rope GB, launch US/launching pad GB, race US/racing car GB, row US/rowing boat GB, sail US/sailing boat GB, scrub US/scrubbing brush GB, temp US/temping agency GB, travel US/travelling expenses GB, work US/working week GB.

Dans la même veine, on a barb US/barbed wire GB, dump US/dumper truck GB, four-leaf US/four-leaved clover GB, ice US/iced water GB, skim US/skimmed milk GB, sour US/soured cream GB, mais à rebours de la tendance générale, drinking US/drink problem GB, punching US/punchbag GB. Ce n’est pas uniquement l’anglais américain qui permet des formes plus ramassées, l’anglais en général tendant aussi vers des expressions plus synthétiques, ainsi qu’en témoignent les formes contemporaines damn (that damn car), three-room house préférées à damned (that damned car) et three-roomed house. Ce sont aussi parfois des facteurs extralinguistiques qui commandent les choix d’une forme plutôt qu’une autre : l’expression potted plant est usuelle en anglais américain, car pot plant évoque à l’esprit du locuteur une plante de cannabis. Le nom pot, pour désigner familièrement le stupéfiant (marijuana US/cannabis GB), aurait une plus grande fréquence d’emploi aux États-Unis.

Les affixes qui servent à former des adverbes sont également affectés par la variation. Le suffixe -ward, qui indique la direction, est systématiquement préféré en anglais américain à -wards, avec comme exception l’adverbe afterwards en concurrence avec afterward. Le suffixe -wise, quant à lui, entre en concurrence avec -ways, plus britannique, dans cross-wise, edgewise (dont la locution not get a word in edgewise US/edgeways GB), lengthwise, mais sideways est fréquent.

La classe des préfixes est moins sujette à variation. Quelques préfixes antonymiques départagent les deux variétés : counterclockwise US/anticlockwise GB, non-smoking US/no-smoking GB et unused (factory) US/disused GB. Il faut aussi faire une place à part au préfixe in- qui, en anglais, connaît des variantes conditionnées phonologiquement et/ou graphiquement (par ex., in- devient ir- devant <r> irresponsible, il- devant <l> illegal). L’usage hésite pourtant entre unexplainable et inexplainable, undefinable et indefinable ou unredeemable et irredeemable. C’est ce type d’hésitations qui creuse un peu plus l’écart entre les deux variétés dans unsanitary US/insanitary GB et undefinable US/indefinable GB.

Signalons aussi une différence isolée avec deux préfixes temporels en concurrence, pre- et ante-. Selon Dixon (2014, 153-156), le préfixe ante- est en perte de vitesse parce qu’il est susceptible de donner prétexte à la moindre ambiguïté (ante-war/anti-war), en raison de l’homophonie avec le préfixe négatif anti- /'ænti/ dans certaines variétés. Il survit cependant dans l’américanisme antebellum et dans antenatal en anglais britannique, l’anglais américain optant pour prenatal. Pour les mêmes raisons, le verbe antedate peut générer le doute si l’on ne perçoit pas le sens du préfixe ante-, de sorte que l’anglais américain tend d’ailleurs à favoriser backdate, le verbe predate étant réservé à une autre acception. En revanche, la variation se fait sentir dans la base avec post-partum US et post-natal GB, puisque le préfixe post- ne pose aucun problème d’interprétation.

3.1.1.2 Variation au niveau d’une unité lexicale

• Les unités dérivées

En ce qui concerne les unités dérivées, mention doit être faite du patron <X-er>. Des paires comme carpenter US/joiner GB sont perçues comme des noms agentifs parce qu’elles impliquent des êtres animés. Les paires eraser US/rubber GB, garters US/suspenders GB, sneakers US/trainers GB, sweater US/jumper GB impliquant un non-animé, on est tenté d’y voir des noms d’instrument. Se pose la question de la proximité conceptuelle entre ces formes concurrentes. En d’autres termes, la présence du suffixe -er suffit-elle au locuteur d’une variété pour deviner un usage relevant de l’autre variété ? La question de l’intelligibilité mutuelle est délicate et nous nous contenterons de soumettre quelques éléments à la réflexion. Tout d’abord, comme le souligne Benveniste (1975, 61), l’opposition agent/instrument est d’ordre contextuel et socioculturel. On ne peut deviner si trainers désigne un nom d’agent ou d’instrument, par exemple. Il faut aussi noter que tous les noms agentifs/instrumentaux ne reposent pas forcément sur une base verbale : l’idée verbale est présente dans sneakers (sneak) et trainers (train), mais absente dans garters (*gart) et carpenter (*carpent). En outre, si tant est qu’une base verbale soit récupérable, le lien entre celle-ci et le nom n’est parfois plus perceptible (sneakers/sneak), ou, s’il peut l’être, le calcul interprétatif requiert des connaissances d’arrière-plan : le nom eraser est formé sur erase (effacer), mais rubber est formé non pas sur rub (frotter), mais sur rub out (effacer), lui-même britannique. Enfin, le locuteur se heurte à d’autres obstacles lorsqu’un mot d’une autre variété existe aussi sous la même forme dans sa variété, mais avec un sens complètement différent (cf. section 3.2.3). Il en va, entre autres, de rubber (préservatif US/gomme GB), et suspenders (bretelles US/porte-jarretelles GB).

• Les noms composés

La variation lexicale est particulièrement riche dans les composés nominaux, et notamment dans les composés endocentriques, c’est-à-dire des composés dont l’un des éléments est la tête, typiquement celui le plus à droite de la construction. Tantôt, c’est la tête sémantique qui reste fixe : fava bean US/broad bean GB, sponge bath US/bed bath GB. Tantôt, c’est la tête qui change : air mattress US/air bed GB, bathing suit US/bathing costume GB, exclamation point US/exclamation mark GB, fairy tale US/fairy story GB, fish stick US/fish finger GB, nail polish US/nail varnish GB. Ces exemples indiquent que la variation se fonde sur des relations d’équivalence sémantique plus ou moins fortes. Ainsi, bathe et swim, suit et costume entretiennent des rapports très étroits. D’autres fois, en revanche, telle unité est en relation forte, sur le plan notionnel, avec une autre, mais les deux termes ne se valent pas comme dans la relation synonymique. Le lien peut être par exemple analogique, comme dans fish stick et fish finger, analogie de forme ici, ou de type partie-tout, comme dans air mattress et air bed. D’autres fois encore, le lien est plus lâche et n’est récupérable qu’au prix d’un calcul : dans sponge bath, le moyen est privilégié (l’éponge) ; dans bed bath, l’anglais britannique met en avant le lieu (le lit) où sont prodigués les soins. Dans des situations plus extrêmes, aucun lien n’est perceptible, comme entre fava, qui se fonde sur l’appellation scientifique vicia faba, et broad, qui rend compte de la taille de cette variété de haricot.

Dans d’autres cas, les deux constituants du composé varient. De la même façon, la classe peut se diviser plus finement selon le rapport sémantique qu’entretiennent les éléments constitutifs. Ainsi, par ordre décroissant de proximité, on citera comme exemples switchblade US/flickknife GB qui partagent les deux constituants switch/flick, blade/knife, puis absentee ballot US/postal vote GB, cankersore US/mouth ulcer GB, rubbing alcohol US/surgical spirit GB, thumbtack US/drawing pin GB, qui partagent un seul constituant, respectivement vote/alcohol, sore/ulcer, spirit/alcohol, tack/pin, et enfin advice columnist US/agony aunt GB, blood sausage US/black pudding GB, jackhammer US/pneumatic drill GB, weather strip US/draught excluder GB où aucun lien n’apparaît spontanément. Il arrive aussi que les constituants retenus dans l’une et l’autre variété soient proches, mais appartiennent en propre à chaque variété, ce qui accentue d’autant la différence : pour désigner le camion poubelle, l’anglais britannique a recours à dustcart, bin lorry et l’anglais américain à garbage truck. La différence formelle résulte ici de l’alliance inhabituelle de mots dans l’une et l’autre variété et du fait que les constituants internes sont originaux à chaque variété, mais pas au même niveau. Lorry est britannique pour truck et bin fait référence à dustbin ou rubbish bin, britanniques pour la poubelle, bin étant le contenant, alors que garbage can et trash can en anglais américain désignent la poubelle et que garbage dans garbage truck désigne le contenu ; on ne dit pas *can truck.

• Les verbes à particule

La variation dans les verbes à particule se manifeste dans la particule adverbiale, avec fill out US/in GB, get along US/on GB, stink up US/out GB, tuck sb in US/up GB, ou dans le verbe act up US/play up GB, back up US/bung up GB (boucher), feel sb up US/touch sb up GB, figure out US/work out GB, put sb on US/have sb on GB, show up US/turn up, turn sth in US/give sth in GB, work US/do sb over GB. Cette variation n’est pas dépourvue de systématicité. En effet, à l’instar des noms composés, les substituts au niveau du verbe vont du véritable substitut synonymique (act/play), en passant par un terme plus générique dans l’une des deux variétés (work/do, turn/give), jusqu’à l’utilisation de deux verbes aux sémantismes assez éloignés (show/turn). Le jeu sur les particules est beaucoup plus délicat, car le choix doit souvent s’appréhender au cas par cas. Des séries connaissent toutefois une fortune remarquable et il est toujours possible d’y déceler des préférences. Aux États-Unis, un match de baseball est souvent annulé à cause de la pluie, rained out. En anglais britannique, on trouve rained off. Les deux particules reflètent une conceptualisation du monde différente : la particule out, dans son emploi canonique, présuppose l’existence d’un lieu clos et la sortie de ce lieu – dedans/dehors –, mais ce sens spatial peut, au prix d’extensions métaphoriques diverses, signifier, entre autres, l’extinction, la disparition complète (Lindner, 1983 ; Hugou, 2013) ; la particule off dit, quant à elle, la séparation par rapport à un fonctionnement actif exprimé par on. Il y a alors fort à parier qu’en raison de la neige un événement sportif puisse être snowed out ou snowed off, selon la variété d’anglais.

La variation peut aussi se manifester au niveau du verbe et de la particule. Pour traduire « rendre visite à qn » ou « recevoir qn chez soi », l’anglais britannique privilégie les particules in et round dans look in on sb, pop in, have sb round, invite sb round ; l’anglais américain emploie dans les mêmes contextes les particules by ou over, come by/over, drop by, swing by sb, have sb over, invite sb over. Les particules utilisées donnent encore à voir deux visions bien distinctes de l’espace.

L’anglais américain aurait également une plus grande propension à convertir ce type de verbes en noms. La littérature (par ex. Mencken, 1919 ; Strevens, 1972) en fournit de nombreuses illustrations, comme blowout, checkup, countdown, hang-up, hold-up, meltdown, put-down, put-on, rubdown, rundown, showdown, try-out, workout. Certains exemples continuent d’être plus ou moins rattachés à leurs origines, souvent parce que le verbe correspondant est lui-même toujours associé à cette variété : put-on (put sb on US), ou parce qu’il existe déjà une contrepartie britannique, push-up US/press-up GB, ou bien encore parce que le nom reflète une réalité toute américaine, comme dans cookout (repas en plein air), et stake-out (surveillance policière).

• Les collocations

Prototypiquement, une collocation est formée d’une base et d’un collocatif. La consultation de l’Oxford Collocations Dictionary for Students of English (McIntosh et al., 2009) nous apprend, sous réserve de vérifications plus poussées, que les variations entre anglais américain et anglais britannique se manifestent surtout au niveau des collocatifs. Ceci n’est guère surprenant, car dans une collocation, la base est plus stable et elle est indépendante du collocatif, qui est plus inattendu et assujetti à la base.

Les collocations verbales sont affectées par la variation. Certaines sont pour ainsi dire systématiques. Par exemple, carry out, véritable favori en anglais britannique, vis-à-vis de conduct, préféré de très loin en anglais américain, se combinent tous les deux régulièrement avec la classe sémantique des noms désignant des recherches en tous genres : conduct US/carry out GB an autopsy (post-mortem GB), experiment, interview, investigation (inquiry GB), research, survey. D’autres collocations concernent un plus faible contingent de collocatifs, mais présentent une certaine régularité : move house (move US), et par extension move jobs (pour change jobs), move schools, move tables (we moved tables when one became available, pour change tables). Dans le même ordre d’idées, trade seats ou switch seats est américain, swap seats plutôt britannique. L’alternance entre do et make est la même entre les deux variétés. Dans quelques cas cependant, le verbe do est utilisé en anglais britannique en regard de make (make US/do a deal GB), ou d’un verbe au sémantisme plus caractérisé (play sports US/do sport GB). Dans d’autres cas, l’anglais américain utilise make, là où l’anglais britannique a le choix de recourir à un verbe plus précis (make US/pull a face GB, make US/take a decision GB). Il existe aussi un ensemble régulier de suites <verbe + nom>, qui manifestent un sens compositionnel : ces suites, appelées « constructions à verbe support », décrites dans la littérature (par ex. Bruening, 2016), se caractérisent par l’emploi d’un verbe qui, dans la construction, est très peu significatif, et d’un nom qui fournit l’essentiel du sens. S’il n’existe pas de verbe support unique pour tous les noms, certains verbes forment une classe privilégiée, dans laquelle la variation s’exerce à plein. Des différences se font jour en particulier entre take et have : take US/have GB a bath, a listen, a look, a nap, a shower, a walk, etc. Le nom est variable surtout lorsque la collocation relève d’un niveau de langue familier : have a bash at sth, have a go en anglais britannique et give sth a shot, a whirl préférés en anglais américain ou encore take a leak, a whiz US/go for a slash GB. Kövecses (2000, 311) voit dans l’usage de take un reflet du pragmatisme des Américains, peuple davantage ancré dans le réel. Cette assertion n’est pas sans fondement, mais elle ne suffit pas si l’on se place sur le terrain strictement linguistique.

Toujours dans le domaine des collocations, l’anglais fait appel à des séquences relevant de la quantification ou de la mesure, sous la forme <SN1 of SN2>. Le premier syntagme nominal peut être spécialisé, c’est-à-dire contraint d’entrer en collocation avec l’élément nominal qu’il précède. Les quantificateurs relatifs à des noms de groupes varient assez peu, comme par exemple deck US/pack of cards GB. Les termes qui renvoient à la notion de contenance sont susceptibles d’une plus grande variation. En effet, tantôt c’est le premier terme qui est distinct (can US/tin of paint GB, pack US/packet GB of cigarettes), tantôt la différence intéresse la totalité du message (bag of chips US/packet of crisps GB, jar of jelly US/pot of jam GB), mais la forme du référent reste à peu près la même. Si le référent a une forme différente, la variation est encore plus nettement marquée. Ainsi, le beurre et les chewing-gums sont normalement vendus sous forme de bâtonnets aux États-Unis, d’où stick of butter et stick of gum. Le morceau de sucre se dit cube of sugar ou sugar-cube aux États-Unis, étant donné sa forme normalisée et aussi lump of sugar ou sugar lump en Grande-Bretagne, puisqu’il peut aussi se présenter sous une forme plus irrégulière. La variation se manifeste également dans la quantification qui renvoie à une évaluation imprécise, fondée sur l’unique jugement du locuteur. On peut citer loads of, très fréquent en anglais britannique, ce qui donne notamment a bunch of garbage, crap US/a load of rubbish, loads of crap GB.

• Les locutions

Dans les locutions, la variation, lorsqu’elle est permise, s’effectue pour l’essentiel entre couples de quasi-synonymes. Ce sont surtout des verbes : agree to disagree US/agree to differ GB, beat a dead horse US/flog a dead horse GB, hard pressed US/hard pushed GB, rake sb over the coals US/haul, drag sb over the coals GB, whip sth into shape US/knock sth into shape GB ; et des noms : the end of my rope US/tether GB, can’t see the forest US/wood GB for the trees, take sth with a grain US/pinch GB of salt, up your alley US/street GB ; plus rarement des adverbes : cut it close US/fine GB.

Ces exemples auront montré que les termes commutent aisément entre eux, malgré l’existence de nuances sémantiques et pragmatiques. La donne est cependant plus complexe quand, bien que la structure syntaxique soit conservée, les unités lexicales qui intègrent une séquence, d’une variété à l’autre, entretiennent des rapports plus faibles, voire inexistants : aux États-Unis, on dit preach to the choir plutôt que to the converted ; on dit aussi have a hissy fit, a conniption, mais jamais have a wobbly, ou encore not by a long shot et pas not by a long chalk, scream bloody murder et pas blue murder, ou not up to snuff et très rarement not up to scratch. Les proverbes admettent, eux aussi, des variations paradigmatiques, par exemple what’s good US/sauce GB for the goose is good US/sauce GB for the gander : la variation ne se manifeste que sur un item lexical et la structure reste décodable (what’s X for Y is X for Z).

Naturellement, plus le nombre de formes synonymes est important, plus le paradigme offre de choix. Ainsi, dans une perspective créative, le champ des possibles est théoriquement ouvert, puisqu’à côté de pain in the ass ou butt, on peut entendre pain in the backside, behind, keister, rear, rump, etc. Les parties du corps jugées taboues alimentent considérablement la langue familière, qui procède à coups d’euphémismes. Toujours dans la même optique, examinons les comparaisons imagées, qui soulignent le degré élevé de la qualité. Ces comparaisons donnent lieu à une créativité débordante, le locuteur souhaitant souvent récupérer une expressivité qu’il estime perdue ou éculée dans les formes les plus conventionnelles. Cette inventivité est naturellement propice à la variation entre anglais britannique et américain. C’est surtout au niveau du syntagme nominal, qui correspond à l’élément comparant, que se situe l’innovation : drunk as a skunk US/a lord GB, happy as a clam US/a lark GB, skinny as a rail US/a rake GB. Plus rarement, les deux termes co-varient et seul le canevas <X as Y> demeure stable : dumb as a box of rocks US/thick as two short planks GB. On le voit dans ces exemples, il devient de plus en plus difficile de parler de substitution de synonymes, puisque les comparants varient très largement. Qui plus est, le rapport entre le comparant et la qualité à intensifier n’est pas toujours motivé dans l’esprit du locuteur, sauf à avoir recours à des connaissances étymologiques. Par exemple, happy as a clam procède de l’ellipse de happy as a clam at high tide. À preuve également, les occurrences familières horny as hell et sure as fuck, dans lesquelles le lien entre l’adjectif et le comparant n’est pas pertinent.

3.1.1.3 Variation au niveau d’une unité grammaticale

La première condition pour que l’on puisse parler de variation au niveau d’une unité grammaticale est que l’on soit en présence d’une séquence composée a minima de trois unités autonomes. Nous traiterons en même temps les collocations et les locutions.

Dans bien des situations, la variation des séquences complexes met en jeu des unités grammaticales. Les prépositions sont concernées au premier chef. Dans les exemples ci-après, l’alternance s’associe sinon à une différence sémantique très nette, du moins à une vision du monde différente. Il convient de toujours garder à l’esprit que l’alternance ne se manifeste pas uniquement entre les deux variétés. L’anglais met déjà en jeu des couples de prépositions, parfois considérées comme plus ou moins interchangeables (Schibsbye, 1973, 302-381).

Si rien n’est vraiment le fruit du hasard, les variations observées restent difficiles à systématiser et une analyse au cas par cas s’imposerait pour arriver à des conclusions fermes. Dans quelques cas, le nom soumis à variation forme un micro-paradigme sémantiquement homogène, comme l’idée d’engagement dans on US/for a bet GB, on US/for GB a dare, ou l’idée de risque dans in fear for US/of GB one’s life, at risk for US/of GB sth. Il reste à savoir pourquoi telle préposition est retenue dans telle variété. Voici ce qui peut être supposé au sujet de go off on US/at GB a tangent. Avec la préposition on, la tangente est perçue comme une ligne droite que l’on suit et qui nous éloigne et on indique le contact et en conséquence la durée, alors que la préposition at oblige à envisager un point dans l’espace, à partir duquel on bifurque. Voici d’autres exemples à méditer : in US/on the cards GB, on US/at the double GB, error in US/of GB judgment, grist for US/to GB the mill, in US/on GB heat, have a knack for sth US/of sth GB, by US/in GB leaps and bounds GB, a new lease on US/of GB life, in US/at GB a pinch, be of US/in GB two minds about sth.

Les séquences complexes peuvent aussi être soumises à des variations au niveau du déterminant : in critical US/a critical condition GB, bring sth to a US/the GB boil, the gift of gab US/the gab GB, if worse comes to worst US/if the worse comes to the worse GB, ou take sth in stride US/in your stride GB. Le comportement du nom au sein de l’expression ne préjuge en rien du fonctionnement du nom quand celui-ci retrouve sa liberté, en dehors de l’expression.

Des variations flexionnelles de nombre peuvent aussi s’observer ; dans certains emplois, le pluriel permet de coller davantage au référent : easy on the eyes US/eye GB, fight like cats and dogs US/cat and dog GB, skin and bones US/bone GB. On a en effet bien deux yeux, la peau sur les os, etc. D’autres exemples reflètent une fine nuance sémantique, qui existe par ailleurs en dehors de la séquence : rack one’s brain US/brains GB (brain, l’organe et brains, l’intelligence). On a aussi at loose ends US/at a loose end GB et on second thought US/thoughts GB.

3.1.2 La structure varie, les éléments constitutifs restent stables

La situation inverse est à présent examinée : la structure, à quelque niveau que ce soit, diffère d’une variété à l’autre ; le matériau lexical qu’on y trouve, lui, reste stable. La différence structurelle peut être minimale ou importante. Comme il a déjà été souligné, ce sont des préférences plus ou moins marquées qui se manifestent pour une structure ou pour une autre ; aucune ne saurait être érigée en règle absolue et permanente.

3.1.2.1 Forme suffixée d’un côté, forme simple de l’autre

Dans les exemples suivants, l’alternance se manifeste entre une forme suffixée et une forme plus simple, non construite. Il est à noter que dans de nombreux cas, la variation ne s’exerce qu’au sein d’une structure plus large de type collocation.

  • -ed ((On distingue traditionnellement le -ed dérivationnel qui sert à former de nouvelles unités lexicales et le -ed flexionnel qui s’adjoint à des verbes pour former des participes passés. La distinction n’est pas toujours aussi simple dans l’état actuel de la langue, puisque ces deux morphèmes sont complètement homographes et homophones.))/Ø : (do sth) blindfolded US/blindfold GB, diluted (solution) US/dilute GB, extroverted US/extrovert GB, flocked (wallpaper) US/flock GB, pedigreed (dog) US/pedigree GB, polkadotted (dress) US/polkadot GB, (lie) spread-eagle US/spread-eagled GB, underhanded (tactics) US/underhand GB, underwire (bra) US/underwired GB.
  • -er/Ø : blush (fard à joues) US/blusher GB, cheater US/cheat GB, cop US/copper GB, five, ten (billet de banque) US/fiver, tenner GB, helper (assistant) US/help GB, nut (malade mental) US/nutter GB, stinger (dard) US/sting GB, zipper US/zip GB.
  • -ing/Ø : (prize) drawing US/draw GB, feeding (têtée) US/feed GB, financing (financement) US/finance GB, heat (chauffage) US/heating GB, part (raie des cheveux)/parting GB, turn (virage) US/turning GB, viewing (visionnage) US/view GB.
  • -ize/Ø : burglarize US/burgle GB, cette dernière forme est le produit d’une dérivation inverse à partir de burglar, c’est-à-dire qu’on a tiré un mot plus simple (burgle) d’un mot plus long (burgl+ar) ; la forme américaine, quant à elle, est pourvue du suffixe -ize, qui a connu une productivité continue tout au long de la seconde moitié du 19ème siècle (Trevian, 2015, 258). En témoignent des américanismes comme customize, hospitalize, slenderize, winterize. L’anglais américain préfère cependant acclimate à acclimatize, pressure à pressurize.
  • -y/Ø : campy (maniéré) US/camp GB, crappy (merdique) US/crap GB, flashy (clinquant) US/flash GB, swanky (chic) US/swank GB.

Les éléments recensés ci-dessus vont à l’appui de la thèse selon laquelle le goût pour le concret des Américains se reflète dans leurs usages (cf. Kövecses, 2000). En d’autres termes, il semblerait, dans la limite des données disponibles, que l’anglais américain préfère une forme étendue toutes les fois qu’il est possible de le faire, car le sens visé a besoin d’être exprimé morphologiquement. Ceci est particulièrement marquant avec l’adjectif crappy en regard du très fréquent crap adjectival en anglais britannique. Que l’adjectif crap soit en position attribut ou épithète n’a aucune importance : that film was crap, I’m a crap dad. D’ailleurs, il en va de même pour rubbish et shit : your rubbish photos. L’anglais américain, s’il doit absolument recourir à ces termes, utilise plus naturellement crappy ou shitty (rubbish est britannique), car la structure <X-y> ressemble davantage à celle d’un adjectif prototypique. Le même raisonnement peut être tenu à propos de thusly et overly, à la place de thus et over. La première forme a été condamnée par les puristes au motif qu’elle n’apporte rien, si ce n’est qu’elle comble justement un vide ; la seconde s’est exportée dans le monde anglophone. Il serait cependant malhonnête de passer sous silence la tendance inverse qui s’observe en anglais américain avec fool (it was a fool idea), aux côtés de foolish, et avec fun qui, en tant qu’adjectif, s’est fait une place aux côtés de funny.

3.1.2.2 Unité composée d’un côté, unité dérivée de l’autre

La variation structurelle passe aussi par d’autres canaux : la désignation de noms d’agents, essentiellement des métiers et des fonctions sociales, offre une série d’unités composées (composés ordinaires ou composés savants), préférées en anglais américain, et d’unités dérivées, qui peuvent être aussi utilisées en anglais britannique. Par exemple, caregiver US/carer GB, cricket, football player US/cricketer, footballer GB, drug-sniffing dog US/sniffer dog GB, escape artist US/escapologist GB, freshman US/fresher GB, palm reader US/palmist GB et physical therapist US/physiotherapist GB.

Sans trop de surprise, plus la fonction ou le métier est rare, plus grande est la motivation pour choisir une forme plus compositionnelle, comme c’est le cas, selon Miller (2014, 23), avec le métier de tonnelier, cooper, dont une contrepartie actuelle plus concrète est barrel-maker. Cette démarche s’applique aussi à sheepherder. En effet, shepherd, la forme usuelle, qui était anciennement un nom composé, s’est complètement lexicalisée avec le temps et se comporte aujourd’hui comme un seul mot ; la variante américaine, sheepherder, tend à faire revivre cette forme et à la resémantiser : a sheepherder is a herder of sheep. La possibilité de dire eye doctor, américanisme courant, ou zit doctor, familièrement (bien que optometrist (optician GB) et dermatologist s’entendent couramment) participe du même phénomène, avec de surcroît le souci de contourner une forme savante.

L’alternance fonctionne, bien sûr, dans le sens inverse comme avec landscaper, en anglais américain, parallèlement à landscape architect et en regard de landscape gardener, britannique. Le terme landscape architect serait éclipsé, car il n’exprime pas exactement l’idée derrière la fonction de paysagiste : a landscape architect is not an architect per se. Ce sont peut-être aussi des raisons d’économie qui ont présidé au choix de l’unité dérivée dans first-grader, dans le système scolaire américain, pour first-grade student, high-schooler pour high-school student, pre-schooler pour pre-school children, mais pas *colleger pour college student. Voilà un exemple de micro-série qui était presque parfaite.

3.1.2.3 Unité composée d’un côté, unité simple résultat d’une élision de l’autre

Il existe des cas où une forme composée entre en concurrence avec une forme simple, qui semble être le produit d’un effacement, bien que la distinction entre l’ellipse et l’implicite ne soit pas toujours facile à opérer.

• Nom composé d’un côté, nom non composé de l’autre

L’élément de gauche peut être élidé, comme avec hanger, usuel en anglais américain, qui passe sous silence coat ou clothes. Ce peut être aussi l’élément de droite comme avec seniors pour senior citizens (old age pensioners, OAP, pensioners GB), ou illegals pour illegal aliens, tous deux américains. L’ellipse, qui est souvent facultative (cf. fries et French fries en anglais américain), tient souvent au fait que le signe possède un référent stable, partagé par toute une communauté linguistique. Tel est le cas, même hors contexte, de l’accompagnement très populaire aux États-Unis, ketchup ou de la pâtisserie, Danish, ou encore de la salle de jeux électroniques, arcade. On trouve en parallèle, en anglais britannique, tomato ketchup, Danish pastry et amusement arcade. Pour les mêmes raisons de popularité, le téléphone portable se décline en cellular phone, cell phone, cell en anglais américain et mobile phone, mobile en anglais britannique. Il n’en reste pas moins que le terme supposément élidé doit parfois être reconstruit en s’appuyant sur des connaissances partagées : le hockey était à l’origine un sport qui se pratiquait sur un terrain gazonné et c’est ainsi qu’il est toujours appelé en anglais britannique, là où les Américains spécifieront field hockey. À l’inverse, les Américains appellent hockey, ce qui par défaut se pratique sur une patinoire quand les Britanniques éprouvent le besoin de préciser ice hockey.

À considérer les exemples examinés ci-dessus, on pourrait alors être tenté de croire que ce sont les Américains qui, animés par un souci d’économie linguistique, favorisent une forme abrégée. Les exemples qui suivent nous conduisent cependant à reconsidérer ces impressions : aftershave lotion US/aftershave GB, balance beam US/beam GB, bathtub US/bath GB, bodysuit US/body GB, Brussels sprouts US/sprouts GB, crossword puzzle US/crossword GB, eyeglasses US/glasses GB, horseback riding US/horse riding, riding GB, pipe organ US/organ GB. En forçant un peu le trait, on pourrait dire cette fois que l’anglais britannique dégage plutôt le trait essentiel et que l’anglais américain s’embarrasse davantage des détails de la réalité, que l’anglais britannique estime oiseux (cf. remarques sur la suffixation supra). Force est donc de constater qu’en matière de variation, rien n’est systématique même si tout est raisonné.

En réalité, en contexte, et quelle que soit la variété, l’effacement ou le maintien de la forme étendue sont presque toujours envisageables au sein d’une même variété. C’est le cas si une occurrence fait l’objet d’une reprise. Dans l’exemple qui suit, alors que sprouts est, comme nous venons de le voir, la forme par défaut en anglais britannique de Brussels sprouts, l’anglais américain procède sans peine à une réduction : « In the flurry of all this activity, when it came time to fry the Brussels sprouts, we made one big mistake: We didn't follow our own directions. Rather than ensuring the sprouts were fully dry, we washed them off […] » (COCA). La forme étendue est parfois aussi suffisamment évidente pour pouvoir être abrégée. Une recherche sur le COCA de where are my *glasses fournit vingt-deux occurrences de glasses, trois de sunglasses et une seule de eyeglasses. Le même raisonnement peut s’appliquer à houseguest, house slippers, necktie, wall-to-wall carpet (GB fitted carpet), tous américains, mais qui, étayés par un contexte suffisamment fort, ne s’encombrent pas de leur premier membre. Ce raisonnement n’est pourtant pas généralisable. Ainsi, la forme pleine est requise dans bathtub aux États-Unis ; bath, tout seul, n’évoque pas l’appareil sanitaire, mais le bain que l’on prend ou éventuellement la salle de bains : a hotel room with an adjoining bath (with an ensuite bathroom GB).

• Verbe à particule d’un côté, verbe sans particule de l’autre

Une réflexion semblable peut être développée au sujet des verbes à particule qui ont une contrepartie sans particule. Sans entrer dans la question de savoir quel est l’apport de la particule (Hampe, 2002 ; Machonis, 2009), on doit noter qu’en leur temps Horwill (1935, xxvii) et Mencken (1919, 198) voyaient déjà dans l’ajout d’une particule une tendance américaine, qui rechercherait des effets à peu de frais. Ce fut le cas de beat up, check up, close down, finish up, open up, win out, à l’origine américains, alors que beat, check, close, finish, open et win existaient déjà pour exprimer, selon les auteurs, la même chose.

La tendance est inversée avec les verbes hang et chill qui sont préférés par les jeunes générations à hang out et chill out (Jackendoff, 2002, 92). Il existe d’ailleurs une série de verbes, tous américains à l’origine et tous liés par le sens, qui fonctionnent avec ou sans particule : chill (out), hang (out), mellow (out), veg (out), zone (out). L’absence de particule est également la possibilité préférée aujourd’hui dans les américanismes qui dénotent un état dysfonctionnel d’ivresse ou de fatigue, comme dans bombed, pooped, tanked sont plus usuels que bombed out, pooped out et tanked up.

Cette particularité américaine a été sans doute surestimée, puisque les Britanniques en font tout autant, peut-être, certes, sous l’influence américaine : dans les verbes trigger off et spark off, qui fonctionnent par analogie avec start off et finish off, la particule apporte une indication aspectuelle que l’anglais américain estime redondante avec les verbes, d’où la préférence pour la forme simple. De même, eye sb up, fathom sth out, be full up, hatch sth out, last out, be packed out et strip off sont britanniques, l’anglais américain se contentant plutôt de eye sb, fathom sth, be full, hatch sth, last, be packed et strip.

3.1.2.4 Forme plutôt lexicale d’un côté, forme plutôt syntaxique de l’autre

Le glissement d’une forme plutôt syntaxique à une forme plus lexicale ou l’inverse peut s’envisager comme un changement de statut, ce qui se solde inévitablement par une différence de points de vue.

• Verbe à particule d’un côté, verbe à particule prépositionnel de l’autre

Cette question se pose dans ces termes avec une sous-catégorie de verbes à particule. En effet, certains de ces verbes ont une variante réduite sous forme de verbe à particule transitif, qui serait première diachroniquement (Denison, 1998, 223), et une variante étendue sous forme de verbe à particule prépositionnel, qui serait seconde. Selon Denison, la forme étendue, qui crée une distance formelle entre les signes linguistiques, est corrélée à une distance conceptuelle. Ainsi, beat up on sb, américanisme à l’origine, ne traduit pas forcément une attaque physique directe et peut s’employer métaphoriquement, tandis que dans beat sb up, l’objet the beatee est immédiatement adjacent au verbe et non loin du sujet, the beater. Son emploi est préférentiellement littéral. En conséquence, John was beaten up on by the press évoque des critiques acerbes et John was beaten up by the press tend à faire penser que les journalistes ont roué John de coups.

L’anglais américain fait montre d’une prédilection particulièrement prononcée pour cette construction, même si le raisonnement de Denison au sujet de la contiguïté ou de la distance syntaxique s’applique difficilement aux verbes suivants ; il est cependant sans doute possible de déceler une fine nuance sémantique ou pragmatique, tant il est vrai qu’il n’y a pas de synonymie parfaite : blow up at sb US/blow sb up GB, brush up on sth US/brush sth up GB, catch up on, with sb US/catch sb up GB, follow up on sth US/follow sth up GB, give up on sth, sb US/give sth, sb up GB, etc. C’est notamment dans l’analogie que réside toute la force de cette construction. La forme brush up on sth ou une autre forme a peut-être servi de modèle productif et interprétatif à une famille de verbes, sans même toujours passer par un patron primitif du type <X sth up>. Il en irait par exemple de bone up on sth, « potasser » (*bone sth up). L’expression britannique familière swot for an exam a aussi une contrepartie plus récente swot up on an exam. Notons pour terminer que nombre des constructions mentionnées ci-dessus sont établies dans l’usage britannique où elles ont souvent occulté la forme plus ancienne, telle que blow sb up ; d’autres sont au contraire toujours usitées, comme dans go ahead, I’ll catch you up.

• Génitif d’un côté, nom composé de l’autre

Il est communément admis que le génitif classifiant fonctionne comme un nom composé : il forme une unité lexicale appréhendée en bloc et le terme de gauche au génitif fonctionne dans la séquence <N’s N> comme un adjectif, puisqu’il permet de déterminer une sous-classe de ce qui est nommé par le terme de droite. Ainsi, a woman’s voice est une voix d’un certain type. C’est ce qui explique l’aisance qu’ont certains génitifs classifiants, en particulier ceux qui sont hautement conventionnalisés, à donner lieu à des noms composés. Cette tendance est plus avancée en anglais américain. Ainsi, les formes composées opposent au génitif une concurrence assez forte dans butcher-knife (butcher’s knife), dentist appointment (dentist’s appointment), dollhouse (doll’s house), dunce cap (dunce’s cap), goat-cheese (goat’s cheese), kidstuff (kid’s stuff) et spiderweb (spider’s web). L’anglais britannique utilise toujours volontiers le génitif dans ces exemples. En réalité, même en anglais américain, chaque cas est un cas d’espèce, puisque si goat cheese est usuel, goat milk ne semble pas avoir suivi la même trajectoire (COCA : goat’s milk 192 occurrences/goat milk 103 occurrences).

Concernant le génitif déterminatif et sa version elliptique, l’anglais américain s’accommode plus volontiers d’une forme simple, sans l’apostrophe ‘s’, dans go to the dentist/doctor, pour the doctor’s (the doctor’s office US/the doctor’s surgery GB). Dans the dry-cleaners, pour the dry-cleaner’s, l’apostrophe est omise. Cet usage est également flottant en anglais britannique, comme on le voit dans le nom de la chaîne de pharmacie Boots, pour Boot’s à l’origine. C’est aussi, en anglais américain, le nom du magasin qui est mis en avant plutôt que son propriétaire dans bakery (baker’s GB), grocery store (greengrocer’s GB), newsstand (newsagent’s GB) et pharmacy (chemist’s GB). Paradoxalement, dans barbershop (barber’s shop GB), l’ellipse du second terme ne se produit pas, mais le ‘s’ disparaît et la forme finit par se souder. Enfin, dans le même esprit, le lieu d’habitation d’un individu pouvant rester relativement indéterminé, il est plus naturel aux États-Unis de demander were you at John’s place yesterday? (place ne dit rien du lieu exact où John habite), que were you at John’s?, plus britannique (la case laissée vide dit aussi l’indétermination). Noter let’s go to yours, autre formulation familière en anglais britannique.

• Verbe composé d’un côté, forme périphrastique plus analytique de l’autre

Les verbes composés, qu’ils relèvent d’un processus de conversion (cheap-shot, rear-end, tail-gate à partir des noms correspondants), d’une dérivation régressive (baby-sit à partir de baby-sitter), ou d’un processus d’inversion des composants (load down puis download) sont des formes plus condensées qu’une périphrase analytique. L’anglais américain leur donne nettement l’avantage (Murphy, 2018, 57), comme on le voit avec les formes citées qui sont toutes des américanismes bien implantés dans le tissu linguistique de l’anglais. Le verbe tailgate a car est en effet répandu aujourd’hui, bien qu’une solution toute britannique, qui se plie plus mal à cette concision, puisse être encore drive up sb’s arse. Signalons également l’existence de structures devenus disponibles à force d’usage répété (Erdmann, 2009, 55-58) : par exemple, <X-shop (around)> : car-shop, comparison-shop, doctor-shop, food-shop, ou bien <self-X> : self-destruct, self-implode, self-isolate, self-parody, self-quarantine, self-roam, ou encore <X-hop (around)> : channel-hop (channel-surf GB), city-hop, island-hop, bar-hop. Pour « faire la tournée des bars », l’anglais britannique a une locution toute faite : go pub-crawling.

• Construction à verbe support d’un côté, forme périphrastique plus analytique de l’autre

Une habitude particulièrement britannique est le recours à un type particulier de constructions à verbe support, qui doit être ramené à un terme unique en anglais américain ou à une périphrase : give your teeth a good brush, ou a good clean est très britannique tandis que brush your teeth thoroughly relève de l’anglais en général, dont l’anglais américain. Cette construction originale admet d’ailleurs volontiers des prémodifications qui constituent des indices supplémentaires de son caractère britannique : <give X a good (old), a bit of a Y>, ce qui donne libre jeu à give sth a good brush, clean-up, dust, hoover, rub, scrub, sweep, wipe, etc. (Hargraves, 2003, 39 ; Algeo, 2006, 269-278). À propos d’une moquette, on pourrait très bien entendre once the carpet is dry, give it a good hoover and a brush-through. Dans la même veine, have another think about it est britannique, là où give it some more thought, par exemple, serait plus courant en anglais américain, tout comme I gave breakfast a miss US pour I skipped breakfast GB ou give sb a telling-off US pour tell sb off GB. On trouve la situation inverse, bien que plus rarement, dans have a falling-out US/fall out GB.

3.1.2.5 Ordre des unités différent

• Proverbes et formules

En toute logique, les séquences phrastiques échappent à l’étude du lexique. Mention doit être pourtant faite des formes proverbiales. L’examen de données diachroniques, parfois au sein d’une même variété, souligne l’instabilité de ces formes, qui sont loin d’être totalement figées, sur le plan lexical et/ou syntaxique (Anscombre, 2000, 19). C’est le cas en anglais américain où de nombreux proverbes ont subi une simplification formelle par rapport à des formes plus traditionnelles et conservatrices. Qu’on juge de la différence entre an ounce of prevention is worth a pound of cure US/prevention is better than cure GB, when it rains, it pours US/it never rains but it pours GB, where there’s smoke, there’s fire US/there’s no smoke without fire GB ou encore you make your bed, now lie in it US/as you make your bed, so you must lie in it GB. Le proverbe américain est de préférence une structure bimembre, qui privilégie spontanément des tournures syntaxiques plus générales, telles que la juxtaposition de propositions, ce qui permet de conserver un parallélisme structurel et un caractère plus littéral. Dans to each his/their own, c’est-à-dire to each person his/their own opinion, l’ordre des mots suit la succession habituelle des mots, alors que ce n’est pas le cas dans each to his own, britannique. La formule prononcée pendant une cérémonie de mariage chrétien suit la même logique : en Amérique, till death do us part se dit plutôt que till death us do part, témoin d’une syntaxe plus ancienne.

• Séquences non phrastiques

La locution think one is hot shit se rend par think one is shit hot en anglais britannique, et le plat que l’on commande est aux États-Unis bacon and eggs, plutôt que eggs and bacon. Dans cette variété, la préférence est également donnée à salt and pepper hair, plutôt que pepper and salt hair. Le polynôme en anglais britannique right, left and centre est réduit à un schéma binaire en anglais américain, left and right, qui est réversible, right and left.

3.1.3 La structure, ainsi que tous les éléments constitutifs sont différents

La différenciation formelle a tout lieu d’être considérée comme maximale toutes les fois que l’on a des unités entièrement originales par rapport à l’une ou l’autre variété. Il est toutefois possible de distinguer, au sein de cette catégorie, des degrés plus fins de différenciation.

3.1.3.1 Couples d’équivalences

• Liens plus ou moins perceptibles entre unités équivalentes

Deux unités lexicales peuvent être fondamentalement différentes sur le plan formel tout en ayant entre elles à tout le moins un rapport analogique. Il en va de gas US/petrol GB, tous deux des fluides combustibles, de hood US/bonnet GB qui servent à couvrir la tête avant d’être appliqués à la voiture, ou de line US/queue GB qui entretiennent une analogie de forme. Les mots lift en anglais britannique et elevator en anglais américain sont deux mots bien distincts mais rapprochés par l’idée d’ascension. Construction worker US et builder GB partagent l’idée de construction. On pourrait multiplier les exemples de ce type.

Il arrive toutefois que les équivalents n’aient plus grand-chose à voir et le lien qui les unit n’est pas perceptible : make-up, forme composée en anglais américain, force l’idée associée au verbe make up (test) dans l’une de ses nombreuses acceptions, comme « rattraper le temps perdu », tandis que resit, forme dérivée en anglais britannique, convoque le verbe britannique, sit (for) an exam (take an exam US), et le préfixe re- qui marque l’itération. Voici d’autres exemples dans la même veine : back-up US/tailback GB, comforter US/duvet, eiderdown GB, internship US/(work) placement GB, pacifier US/dummy GB, pantyhose US/tights GB, stroller US/pushchair GB.

• Les équivalences strictes existent-elles vraiment ?

Nous pensons qu’en principe, au niveau de la parole, toute langue est en mesure d’exprimer tous les concepts. Se pose toutefois la question très délicate de savoir si à une forme donnée l’équivalent proposé par l’analyste est un pis-aller ou si c’est véritablement l’équivalent approprié et utilisé spontanément par les locuteurs de telle variété. Les exemples suivants mettent en évidence le fait que certaines locutions incorporent des réalités propres à chaque variété, qui ne sont pas véritablement récupérables par l’autre variété. Ainsi, les Britanniques emploient ordinairement GP pour désigner le médecin (GP surgery). En anglais américain, ce contenu n’est véritablement saisissable qu’à un niveau supérieur au moyen du terme général doctor (doctor’s office), qui n’a rien d’américain, mais qui est le meilleur équivalent pour GP.

On pourrait ajouter à la liste les locutions iconiques qui décrivent des gestes pourvus de signification, comme stick two fingers up at sb, give sb the V-sign, toutes deux britanniques, face à flip sb the bird l’équivalent américain, moins transparent. Il apparaît donc dans tous ces exemples qu’il est difficile de se tenir près de l’original.

De la même façon, tout le pittoresque des locutions britanniques Bob’s your uncle, throw a sickie, be quids in et I could murder a Chinese ne peut être rendu que de manière approximative en anglais américain, respectivement ta-da!, be out sick, turn a profit, I’m in the mood for ou I have a craving for Chinese (food). Les locutions do a double take et take a raincheck sont américaines à l’origine. Cependant, jusqu’à preuve du contraire, il n’y a guère d’équivalents britanniques de la même espèce.

Que penser aussi des termes qui désignent des individus qui manquent de discernement ou qui sont méprisés ? On peut se satisfaire de mettre en parallèle des équivalences, mais l’on doit avoir conscience que l’on perd alors inévitablement de fines nuances sémantiques et pragmatiques. Voici quelques exemples d’insultes en anglais américain, cocksucker, dipshit, douchebag, dumbass, dummy, jack-off, jerk, jerk-off, knucklehead, motherfucker, schmuck, scumbag, son of a bitch, qui n’ont qu’un piètre équivalent en anglais britannique, bastard, git, gobshite, numpty, pillock, plonker, prat, toerag, tosser, twat, twit, wanker.

• Examen des raisons qui expliquent l’absence d’équivalence stricte

Chaque variété a des lacunes qui tiennent à ce que dans la civilisation d’en face il y a des réalités culturelles concrètes ou abstraites dont elle ne tient pas compte ou qui ne sont pas encore dénommées. Certains champs continuent aussi de se redessiner au fur et à mesure que la société se structure différemment ou que son organisation se complexifie. Ces évolutions de la société déclenchent des besoins dénominationnels nouveaux.

Ainsi, pour ce qui est de l’environnement géographique, il est possible de voyager, par les mots, des régions marécageuses (fen) en Angleterre, en passant par la lande (Yorkshire moors), jusqu’au nord-ouest du Texas (the Texas panhandle), et les buttes de l’Arizona pour remonter vers le nord de la région métropolitaine de New York ou upstate New York. La configuration des villes américaines en blocks a favorisé le développement de cattycorner pour désigner dans l’espace un point qui se trouve diagonalement à l’opposé d’un autre point, comme dans the bakery is cattycorner from the bank.

Les traditions et pratiques en tous genres fournissent aussi des expressions qui n’ont pas de contrepartie : cowtipping ou toilet-papering a house en tant que farces aux États-Unis ; le fell-running pour désigner la course en montagne dans le nord de l’Angleterre et le Boxing Day au lendemain de Noël ; les spécialités culinaires ou autre du côté américain : Philly steak, Reuben sandwich, sloppy Joe, et du côté britannique : bangers and mash, bubble and squeak, marmite, ploughman’s lunch, toad in the hole.

Que l’on songe aussi aux questions environnementales qui sont au cœur de la vie de nombreux individus ces dernières années. En Grande-Bretagne, les box schemes sont des initiatives qui favorisent les livraisons de produits saisonniers locaux et organiques directement au client. Du côté américain, le concept de farm-to-table/fork restaurants désigne, dans le mouvement locavore, des établissements qui servent des mets fabriqués à partir de produits locaux. Il en va aussi de bottle bank, britannique, pour désigner un conteneur pour verre et qui, parce qu’il évoque la banque en tant qu’institution financière, ne manque pas de susciter des interrogations chez les locuteurs américains, pour qui la question ne s’était jamais posée. Ici encore, les forums en ligne offrent des perspectives : « Also note that this is a UK usage. I doubt that most speakers of American English would have any idea that bank is used anywhere in this way (I certainly was not before reading this thread), or that "tin can bank" meant a container where one placed metal cans for recycling. The meaning most speakers of AE would assign to "tin can bank" would probably be a tin can with a slot cut in it which was intended for saving small coins, much as one does with a piggy bank, and "bottle bank" or "paper bank" would suggest similar ideas » (Forum WordReference). Les locuteurs américains qui ont été sondés rendraient cette réalité par bottle deposit, une forme plus transparente.

Le monde de l’immobilier est également source de nouveautés et contribue à la différenciation entre variétés d’anglais : en Grande-Bretagne, EPC rating (Energy Performance Certificate) correspond à la DPE (Diagnostic de Performance Energétique), stamp duty et council tax sont des impôts, et tout nouvel acquéreur se targue de pouvoir accéder à la propriété, get on the property ladder.

Les groupes d’appartenance sociaux donnent lieu à des catégories et sous-catégories multiples. La Essex girl, le lager lout et le chav sont des réalités britanniques et la Valley Girl, le guido, le hood ne représentent respectivement que des pis-aller en anglais américain. Les expressions ne sont guère superposables.

Dans l’onomastique commerciale, il existe entre les deux variétés des différences qui semblent durablement implantées, comme Bic US/Biro GB, Exxon US/Esso GB, Milky Way US/Mars GB, Play-Doh US/Plasticine GB, Plexiglas US/Perspex GB, White-out US/Tipp-ex GB. Parfois, la dénomination par un terme plus général est préférée par les locuteurs parce qu’il n’y a pas de nom de marque disponible. Ainsi, sont des noms de marque américaines, Chapstick, Dumpster, Jello, Kleenex, Mace, Pap smear, Popsicle, Q-tip, Saran wrap et sont des termes généraux en anglais britannique lip-salve, skip, jelly, paper tissue, CS gas (sigle correspondant à la composition du gaz lacrymogène), smear test ou cervical screening, ice lolly, cotton bud, cling film. Rien n’empêche l’anglais américain d’avoir un terme générique en parallèle : lip-balm, tissue, wrap, cotton swab, par exemple. Inversement, sont des marques Dodgem cars, Identikit, pedalo en Grande-Bretagne et aux États-Unis des mots ordinaires bumper cars, composite sketch, paddle-boat.

3.1.3.2 Unités maximalement éloignées

Le comble de la différenciation formelle entre variétés est atteint lorsqu’une unité lexicale ou une suite de mots utilisée uniquement dans une variété constitue le point de départ de formations diverses, qui empruntent des directions différentes. La locution britannique take the piss out of sb, dans le sens de « se moquer de qn », est triviale et a une forme plus polie take the mickey ou the mick out of sb. Selon Franklyn (1961), dans A Dictionary of Rhyming Slang, celle-ci est première et constitue un exemple de rhyming slang, une forme d’argot rimé qui consiste à remplacer un mot par un autre avec lequel il rime. Mickey Bliss aurait donc désigné l’urine au départ, en raison de la rime avec piss, mais les locuteurs emploient aussi une forme euphémistique et humoristique qui est extract the urine. Ce jeu est compris, pour qui connaît l’original, mais il n’est pas sans créer des problèmes de communication entre locuteurs appartenant à une autre aire géographique. Il en va aussi de formations familières comme le verbe bottle it, et qui n’est compris que par celui qui connaît la locution originelle, lose one’s bottle, qui remonterait au rhyming slang : lose one’s bottle, c’est-à-dire littéralement lose one’s bottle and glass, qui rime avec arse, ce qui évoque lose control of one’s bowels through fear, en d’autres termes, lose one’s courage. Moyennant contexte, le verbe bottle out, britannique, qui est modelé sur chicken out, wuss out, wimp out, tous des américanismes historiques, aurait alors plus de chances d’être compris par un locuteur américain, comme dans he was ready to jump but bottled out at the last minute.

Un autre exemple est celui de l’abréviation : la tendance à l’abréviation dans la langue parlée est universelle et aucune variété d’anglais n’en a le monopole ; cependant, l’anglais britannique exploite avantageusement le patron <X-ie>. Prenons l’exemple de trackie, « le survêt ». La base est le nom composé tracksuit, terme britannique (sweat-pants US). Le terme de droite est élidé et le mot qui reste est pourvu dans le même temps de la terminaison hypocoristique -ie, ce qui produit trackie (sweats US). L’écart entre les deux variétés se creuse d’autant. La liste suivante donne une idée de la vitalité du procédé ; toutes les bases utilisées sont britanniques : biccie pour biscuit (cookie US), budgie pour budgerigar (parakeet US), footie pour football (soccer US), mozzie pour mosquito (skeeter US), offie pour off-licence (liquor store US), pinnie pour pinafore dress (jumper US), postie pour postman (mailman US), Wellington boots devient wellie boots qui est raccourci en wellies (rubber boots US). S’ajoutent d’autres formations obtenues par apocope et exploitées en anglais britannique familier, comme deffo (definitely), at the mo (at the moment, britannique, right now US, at this time US), mais aussi bants (pour banter) et no probs (no problem). Le suffixe -er(s) a vu le jour dans l’argot des écoles privées britanniques (Algeo, 2006, 75). On dit encore rugger (rugby), rugger bugger (rugby fan US), footer (football, pour soccer, le seul survivant de cette mode en anglais américain), et starkers (stark naked) (Miller, 2014, 181-182).

3.1.3.3 Le sort des expressions qui n’ont pas d’équivalents stricts dans une autre variété

On peut alors se demander quel sort est réservé aux unités lexicales ou polylexicales qui n’ont pas de véritable pendant dans l’autre variété. Plusieurs trajectoires sont envisageables.

Tout d’abord, comme on l’a vu avec bottle bank plus haut, la question peut ne pas se poser. C’est in fine le locuteur qui a le sens de ses besoins et qui peut soudain éprouver que dans telle ou telle circonstance, dont il reste juge, tel ou tel mot ne suffit pas. La question du conteneur à bouteilles en verre ne semble pas se poser, avec acuité du moins, pour un locuteur américain, jusqu’à nouvel ordre bien entendu.

Le plus souvent aussi, une expression est empruntée telle quelle, car elle comble un vide dans une autre variété, et ce en dépit de l’élément exogène qu’elle contient. Svartvik et Leech (2006, 158-159) fournissent des exemples de tours américains qui se sont acclimatés en anglais britannique : ballpark figure pour rough estimate, bien que ballpark désigne un terrain de baseball, réalité on ne peut plus nord-américaine, ou encore three strikes and you’re out, qui vient, à l’origine, d’une loi en vigueur aux États-Unis. Reste à savoir si ces expressions sont vidées de leur origine dans la variété d’emprunt ou si elles conservent une saveur toute américaine.

Il est aussi permis de penser qu’une transposition littérale d’une variété à l’autre a parfois été à l’œuvre, comme dans ces deux locutions à l’origine américaine, like a kid in a candy store et caught with your hand in the cookie jar qui sont en anglais britannique like a child in a sweetshop et with your hand in the biscuit tin. Motivée par une forme de pulsion ludique, la variété emprunteuse, l’anglais britannique, aurait conservé à la fois le sens et la structure syntaxique en y faisant commuter des unités lexicales plus fondamentalement rattachées à l’anglais britannique. Une fois de plus, les forums de discussion donnent à voir ce qui peut se passer ou a pu se passer dans l’esprit d’un locuteur. Il en va ici de l’américanisme bang for your buck : « I’m looking for a British equivalent of ‘bang for your buck’. I thought ‘power for your pound’, but ‘I’m not sure if that works well ». Ce à quoi un autre internaute suggère « more bang for your bob? more squid for your quid? », et un autre de renchérir « more pints for your pence » (English Language & Usage). Le locuteur britannique dispose pourtant de la possibilité, mais non pas de l’obligation, de dire be good value (be a good value US) ; on peut en déduire que l’expressivité d’une expression joue un rôle dans sa diffusion : bang for your buck, ou ses adaptations, est perçu comme plus percutant que good value. De même, Murphy (2018, 14) signale que les équivalents britanniques boffin, swot et anorak échouent à saisir tout le sel de nerd, qui est aujourd’hui utilisé dans l’ensemble du monde anglophone. Peut-on alors prédire l’avenir d’une expression en fonction de sa charge expressive ? L’expression britannique cheap and cheerful décrit à la fois une ambiance chaleureuse et une sensation de bien-être, qui rappelle les intraduisibles gezellig néerlandais et hygge danois. Si les conditions lui sont favorables, finira-t-elle par être adoptée en anglais américain pour combler un vide ?

Enfin, l’adoption d’une réalité étrangère peut s’effectuer par le truchement d’un adjectif : American football est britannique, les Américains tenant pour acquis que football désigne le sport d’origine américaine, le football en Europe étant désigné par soccer ; the War between the States est américain et the American Civil War correspond à un point de vue extérieur. Notons que The Civil War, sans l’adjectif American, est aussi communément utilisé aux États-Unis. Inversement, les Américains utilisent English muffin pour désigner ce que les Britanniques appellent tout simplement muffin, une petite crêpe épaisse et salée, laquelle ne recouvre pas la même réalité que le gâteau sucré, que les Britanniques appellent aussi American muffin.

Un très grand nombre d’unités lexicales est partagé par l’anglais américain et l’anglais britannique, ce qui permet d’avancer que les deux variétés appartiennent à la même langue. Nous avons vu cependant qu’il existe des spécificités formelles et donc repérables qui permettent leur identification. Il en va tout autrement des spécificités sur le plan du sens.

3.2 Différences au niveau du sens

3.2.1 Mêmes expressions, mais différences de connotation

• Dénotation et connotation

À grands traits, la définition d’un mot est la résultante d’un ensemble de traits dénotatifs, qui sont constants et distinctifs, et de traits connotatifs, c’est-à-dire un « ensemble de faits de connotation dont la fonction consiste à signaler que le message procède d’un certain code ou sous-code linguistique particulier » (Kerbrat-Orecchioni, 1977, 94). Dans les faits, la distinction entre dénotation et connotation est souvent délicate et il serait plus juste de parler de connotations individuelles, dans la mesure où ce qui est ressenti par l’un comme courant, par exemple, peut être perçu par un autre individu, de la même communauté linguistique, comme soutenu en fonction de ses préférences individuelles, de sa sensibilité à la langue qu’il utilise ou que les autres utilisent ou de son parcours personnel. Dans le même ordre d’idées, Calvet signale que « des caractéristiques régionales peuvent être perçues socialement » (2013, 91), remarque qui vient appuyer les propos de Coseriu, qui pose l’existence d’un diasystème, dont la caractéristique principale est que « le même fait matériel peut appartenir à un certain niveau et à un certain style dans un dialecte et à un autre niveau et à un autre style (ou, même, à tous les niveaux et à tous les styles) dans un autre dialecte » (1998, 15). À ces difficultés s’ajoute la question de la fréquence d’un mot. Ainsi, un mot de faible fréquence finit toujours par être considéré comme vieilli, soutenu ou spécialisé par tel locuteur, que ce jugement soit fondé ou pas. En conséquence, il tend à être encore moins usité, ce qui accroît d’autant le sentiment d’étrangeté qui lui est associé. Inversement, un mot de haute fréquence aura plus de chances de s’appliquer à des domaines de plus en plus variés et/ou de s’investir sémantiquement de nouvelles valeurs. La perception des phénomènes est donc variable et les groupements opérés ci-dessous, afin de faciliter la lecture, masquent une réalité plus intriquée.

La consultation de sources britanniques contemporaines, comme des séries télévisées, permet de se rendre compte de la haute fréquence – toute relative – d’unités de natures différentes : des adjectifs (fit, fussy, handy, horrendous, ill, lovely, massive, odd, pleased, poorly, proper, sensible), des noms (bit, GP, holiday, night out, night in, row, scheme), des verbes (book, chat, fancy, finish, hire, pop, shout, shut, sort), ou des séquences de natures diverses (at the moment, have a word, loads of). Quelques-unes de ces unités, ainsi que quelques formes dérivées qui leur sont associées, vont être examinées de plus près à présent et comparées aux usages américains.

• Examen de quelques cas de figure

C’est tantôt uniquement une différence de niveaux de langue qui est perceptible. Par exemple, appalling, at the moment, autumn, dressing gown, perhaps et tread, courants en anglais britannique, ne sont pas inconnus des Américains, mais ils relèvent d’une langue soutenue et ont même un charme suranné. C’est ainsi que variation diaphasique, liée au niveau de langue, et variation diastratique, liée à un groupe socio-culturel se superposent : un Américain qui emploierait tread plutôt que step dans un échange quotidien détonnerait, peut-être parce qu’il souhaiterait affirmer une identité sociale par cet usage. Bien entendu, à l’impossible nul n’est tenu. Les expressions horrible, right now, fall, bathrobe, maybe et step, sont plus usitées en anglais américain dans des situations analogues. La réciproque est vraie : scold, berate et accusatory, quoique soignés en anglais américain, y sont courants. Ces mots ont perdu en fréquence en anglais britannique actuel. De même, refrigerator et parentheses sont usuels aux États-Unis et plus soignés en Grande-Bretagne où sont préférés fridge, possible en anglais américain, et brackets, dont le sens est celui de « crochets » en anglais américain, ce que les Britanniques nomment en conséquence square brackets. Le langage familier n’est pas exempt de ces considérations : le mot kid est utilisé assez librement en anglais américain, là où l’anglais britannique opte pour child. Le mot kid a d’ailleurs une extension plus large aux États-Unis, comme le montre college kids. Cette remarque s’applique aussi aux termes d’argot qui ont la faveur du moment, mais ce moment n’est pas le même des deux côtés de l’Atlantique. Ainsi dough et shut-eye sont-ils considérés comme vieillis en anglais britannique ; ils le sont moins en anglais américain.

La distinction se fait aussi entre une forme standard dans une variété et un régionalisme dans l’autre. En anglais britannique, I reckon est d’usage courant quels que soient les locuteurs et la région. Aux États-Unis, I reckon évoque essentiellement les parlers ruraux du sud ou de l’ouest du pays. I guess ou I figure sont les contreparties de I reckon britannique.

Il arrive aussi qu’un tour relève d’un domaine de spécialité dans une variété. Par exemple, take sth under advisement (considérer mûrement qch) est courant aux États-Unis, alors qu’il s’agit de langage juridique ailleurs. En anglais britannique yeast infection est plus technique que thrush, d’usage ordinaire, alors que le terme est courant en anglais américain.

Un mot peut être également pris en mauvaise part d’un côté de l’Atlantique seulement : l’adjectif clever est anodin en anglais britannique dans la plupart des usages spontanés (he’s very clever at maths, a clever child). En anglais américain, est dit clever celui qui fait preuve d’ingéniosité, certes, mais aussi de ruse, de roublardise. Une comparaison mérite d’être faite avec l’adjectif malin en français, dont l’emploi est tout aussi versatile. C’est aussi le trait péjoratif qui est activé dans cheap en anglais américain. En conséquence, un produit bon marché, sans être de qualité inférieure, est plutôt inexpensive ou affordable dans cette variété. La variété britannique préservant cheap au sens de « bon marché » a développé cheap and nasty, afin peut-être de lever une ambiguïté potentielle. Il en va aussi de scheme pour « programme » (pension scheme), alors qu’en anglais américain le nom renvoie inévitablement à une manœuvre, une action dissimulée (a devious scheme). En conséquence, grading scale, pour un barème dans le système scolaire, tend à céder la place à marking scheme, l’équivalent britannique.

3.2.2 Mêmes expressions, mais différence sémantique plus ou moins importante

• Unités lexicales

L’idée d’« engagement » unit les deux emplois britannique et américain du verbe hire, mais les deux variétés diffèrent par le caractère animé ou non animé du référent de l’objet. En anglais britannique, one hires a car, a taxi, a bike. En anglais américain, one hires sb, au sens de « embaucher », et l’on dira par contre rent a car, a bike et call a taxi. Le verbe rent a aussi une extension sémantique différente. En anglais britannique, selon que l’on adopte la perspective du locataire ou du propriétaire, on a respectivement rent a place et let a place. L’anglais américain, quant à lui, emploie le verbe de manière converse et lui adjoint souvent la particule out lorsqu’il est question de louer un logement à quelqu’un. Toutes ces différences entraînent des conséquences : aux États-Unis, a rental désigne, selon les circonstances, une maison, une voiture, un vélo de location, et l’on se rend dans a car rental company. C’est aussi le panneau for rent « à louer », qui est posé en façade. En Grande-Bretagne, la voiture de location se dit car hire, et on la récupère dans a car hire company. Les taxis londoniens arborent l’enseigne lumineuse For hire et des espaces vacants à louer sont signalés par le panneau To let. De la même façon, à I got my bike fixed, plus américain, répond I got my bike sorted, plus britannique. Le verbe sort sth (out) est d’emploi plus restreint en anglais américain qu’en anglais britannique, qui lui donne une grande flexibilité, comme dans sort out a room (clean up, pick up, straighten out a room US), get sth sorted (take care of sth US). Inversement, fix a un large spectre d’arguments en anglais américain, dans fix a car, house, ou one’s leg, marriage, hair, make-up, et dans d’autres contextes, fix a cat (châtrer) et fix breakfast. Il n’est cependant pas inutile de constater que les deux variétés font montre de la même souplesse, en usant de moyens linguistiques différents, dans le domaine de la réparation et de la préparation. Les choix opérés dans la langue ne sont donc jamais vraiment arbitraires.

Les différences peuvent être subtiles. En ce qui concerne les noms de métiers, Crystal (1995, 308) signale que professor ne recouvre pas la même réalité dans les deux variétés et qu’il s’ensuit des recoupements partiels dans la chaîne hiérarchique descendante entre reader, senior lecturer et lecturer, britanniques, et associate professor, assistant professor, américains. Vinay et Darbelnet (1977, 62) signalent aussi que celui qu’on désigne par carpenter aux États-Unis fait le travail du menuisier (joiner GB), du maçon et du couvreur, dans la mesure où les maisons sont souvent en partie en bois dans ce pays. D’autres mots jugés équivalents à première vue sont en réalité sur des plans différents : le trait « couleur orange » du Cheddar n’est vraiment activé qu’en anglais américain, alors que le trait « jaune pâle » est présent dans l’esprit d’un Britannique. Murphy (2018, 197-198), linguiste américaine qui vit en Grande-Bretagne, décrit « [the] American soup prototype » (légumes cuits en morceaux), et « [the] English soup prototype » (bouillon plus épais et légumes passés au mixer). Cette distinction n’est pas automatiquement consignée dans les dictionnaires.

Il convient aussi de garder à l’esprit que le sens d’une unité lexicale évolue en permanence : abandon d’usages, acquisition de nouvelles acceptions et préservation de traits plus anciens sont constamment à l’œuvre. Nous donnerons à cet égard l’exemple de holiday. Le mot était à l’origine holy day et dénotait un jour religieux. Holy day est aujourd’hui lexicalisé phonologiquement (la prononciation de la suite holy day n’est pas la même que l’unité holiday), graphiquement (la fusion en témoigne), mais aussi sémantiquement. En effet, en anglais américain, le mot a gardé quelque chose de son sens initial, à savoir une période de 24 heures pour désigner un jour férié (bank holiday GB), alors qu’en anglais britannique, le sens s’est élargi à une période de vacances, d’une durée indéterminée (vacation US).

L’adjectif sick fournit une autre illustration convaincante. Il signifiait primitivement « malade », dont on trouve un écho lointain dans Henry V de Shakespeare (he is very sick, and would to bed, II.1) ; ce sens a toujours cours en anglais américain. En Grande-Bretagne, le sens s’est spécialisé au début du 17ème siècle pour signifier « qui a la nausée ». Dans cette perspective, my dog was sick on the carpet et I’m feeling sick se comprennent spontanément au sens de my dog threw up on the carpet et I’m feeling nauseous ou sick to my stomach, des solutions retenues en anglais américain. Toutefois, le sens premier de sick n’a pas été complètement occulté en anglais britannique dans sick note (doctor’s note, doctor’s excuse US), et off sick (out sick US). Le sens plus moderne de « malade mentalement, tordu », dans sick joke, that guy is sick peut être alors perçu comme une résurgence du sens premier. Les Britanniques utilisent, quant à eux, ill ou poorly familièrement là où l’anglais américain emploie uniformément sick ; les Américains tendent à choisir ill pour les maladies graves (terminally ill). Qui plus est, Bryson (1990, 164) note que les Britanniques utilisent parfois ill dans le sens de injured. Témoin ce gros-titre : « Baby boy remains seriously ill in hospital a week after incident in Hamptons, Peterborough » (Peterborough Telegraph). L’article fait mention de the boy’s injuries et de grievous bodily harm, un tour britannique pour les coups et blessures.

Les différences de ce type sont légion. Le lecteur peut méditer les exemples suivants :

  • En anglais britannique, road ajoute au sens de « route » celui de voie de communication bordée de maisons, au sein d’une agglomération. Ainsi over the road doit-il souvent s’entendre au sens de across the street en anglais américain.
  • Le nom bit a un emploi plus étendu en anglais britannique : that last bit isn’t right, the bit in the paper, the end bit of the garden, the hard bit is when…, do your bit, my (private) bits, là où part, voire private parts pourraient être attendus en anglais américain.
  • L’anglais britannique use et abuse de book, dans le sens de « réserver » (book a table), de « s’inscrire, s’enregistrer » (book your free trial), ou de « prendre un rendez-vous » (book an appointment) ; l’anglais américain répond par reserve sth, sign up for sth et schedule sth.
  • L’adjectif odd a une plus grande fréquence d’emploi en anglais britannique, ne serait-ce que dans le sens de « étrange » et a un emploi qui lui est propre : the odd painful day, we have the odd takeaway, que l’anglais américain rendrait par exemple par occasional.
  • L’adjectif massive mériterait à lui seul un traitement approfondi en raison de sa grande fréquence en anglais britannique actuel. La consultation de textes britanniques fait ressortir, entre autres, massive difference, geek, headache, queues, thanks. Massive, en anglais américain, est circonscrit à de grandes quantités (massive amounts, corruption), et huge difference, lines et familièrement big-ass headache seraient plus probables dans des échanges spontanés.

• Locutions

Alors qu’une unité lexicale peut avoir jusqu’à une vingtaine de sens différents, il a été démontré que le nombre d’acceptions d’une séquence complexe est rarement supérieur à trois (Pausé et Sikora, 2016). De plus, si polysémie il y a dans une séquence partagée par les deux variétés, il y a alors des chances que cette polysémie soit commune aux deux variétés. Quelques locutions cependant ont un sens privilégié dans une variété. Par exemple, pour put your best foot forward, deux sens sont à considérer, celui de faire un effort, en anglais américain, celui de bien se comporter dans d’autres variétés. Il en va aussi de go off the deep end qui signifie « agir sans réflexion » en anglais américain (he went off the deep end and left his wife and two children), aux côtés de « se mettre en colère ». L’expression française « péter un plomb » présente la même dualité de sens. Les américanismes get out of here et give me a break reçoivent des interprétations différentes, au sens respectivement de « sors d’ici » et « lâche-moi », ou de « je ne te crois pas » en fonction de paramètres intonatifs (voir chapitres sur la prononciation de l’anglais américain).

3.2.3 La différenciation sémantique poussée à son extrême

• Polysémie maximale

Exceptionnellement, une même unité peut avoir acquis deux sens parfaitement distincts, voire opposés, bien que tous les deux soient justifiés par une interprétation logique des éléments qui les composent. S’ensuivent souvent des incompréhensions, que le contexte permet de lever. Ces sources de malentendus cocasses ont été documentées dans la littérature (par ex. Davies, 2005). En voici quelques exemples :

  • Hotel concessions : doit-on s’attendre à de bonnes affaires (GB) ? Ou y a-t-il, dans l’hôtel, une buvette, c’est-à-dire a concession stand (US) ?
  • The plane will land momentarily : doit-on prévoir de désembarquer au plus vite, la présence à terre étant momentanée (GB) ? Ou l’avion va-t-il simplement atterrir sous peu (US) ?
  • The most important issue has been tabled : doit-on se dire que le sujet a été mis sur la table (GB) ? Ou doit-on comprendre que la discussion a été repoussée à plus tard (US) ?
  • I saw the King on the tube : dans le métro londonien (GB) ? ou à la télévision (US) ?
  • John washed up after dinner : cela signifie-t-il que John vous a rendu un grand service en faisant la vaisselle pour vous (GB) ? Ou a-t-il fait un brin de toilette après le repas (US) ?

• Homonymie

À l’ultime extrême du pôle de notre classification se situent les situations d’homonymie, c’est-à-dire des unités dont la distance sémantique est trop importante pour parler de lien sémantique. L’adjectif nappy en anglais américain, qui renvoie de manière péjorative à des cheveux crépus, et le nom nappy, pour les couches pour bébés en anglais britannique (diapers US), constituent un bon exemple. Les deux mots proviennent de différents étymons : l’adjectif nappy est dérivé de nap, la bourre, alors que le nom nappy est un diminutif de napkin, lui-même hérité du français nappe, pourvu du suffixe diminutif -kin. On mentionnera aussi skivvies US (sous-vêtements)/skivvy GB (bonne à tout faire), op (troncation de operation GB et de opportunity US). La troncation aboutit au même résultat sur le plan formel, mais la base est différente et le sens différent.

Ce chapitre a tout d’abord permis d’effectuer un tour d’horizon des principaux travaux sur le lexique de l’anglais américain. Le classement que nous avons retenu ensuite doit beaucoup aux nombreuses propositions de classements dans ce domaine. Il va de soi que le lecteur ne doit voir dans nos propositions rien d’autre qu’un choix, parmi d’autres possibles, de dresser une cartographie du lexique de l’anglais américain.

À un niveau très général, la grille proposée a permis de distinguer des différences formelles (c’est à ce niveau qu’elles sont le plus remarquables), et des différences de sens. Cette bipartition a été enrichie de distinctions supplémentaires, en fonction notamment du degré croissant de différenciation des unités (d’un degré de différenciation minimal à un degré de différenciation maximal). Des micro-systèmes ou des familles de différences ont pu être décelés, même si tous souffrent, comme toutes les tendances, d’exceptions. La variation n’est pas un phénomène linéaire et constant. Nous avons cependant toujours voulu montrer que les différences, qu’elles soient tendancielles ou pas, sont rarement le produit du hasard. Il existe toujours (ou presque toujours) en germe, dans la langue anglaise, un élément qui motive la différence. C’est pourquoi nous avons défendu, comme hypothèse de départ, que les différences entre anglais américain et anglais britannique ne doivent pas masquer les convergences, bien plus importantes, qui caractérisent ces deux variétés. Les deux variétés partagent en effet le même socle (un stock lexical identique en grande partie, des procédés de formation des mots identiques, des structures syntaxiques identiques). Les écarts entre les deux variétés doivent donc être envisagés comme des différences de degré plutôt que des différences de nature ; ce sont aussi des différences de démarche vis-à-vis du matériel que la langue fournit aux locuteurs.

La question de l’intelligibilité mutuelle a été soulevée en un seul endroit de ce chapitre. Elle mériterait sans doute qu’on s’y attarde davantage. En effet, il semblerait qu’un classement en fonction du degré croissant de différenciation des unités (sur le plan de la forme ou du sens) n’a pas pour corollaire obligatoire une moins grande compréhension entre locuteurs des deux variétés, et vice versa. Parfois les ressemblances sont importantes et les locuteurs des deux variétés ne se comprennent pas. À l’inverse, il est de cas où deux expressions a priori équivalentes sollicitent du matériau différent et une structure différente, ce qui induit un degré de différenciation maximal, et les locuteurs communiquent sans effort significatif.

Notes

Pour citer cette ressource :

Vincent Hugou, Olivier Glain, Chapitre 4. Description du lexique de l’anglais américain, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mai 2025. Consulté le 10/05/2025. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/langue/chapitre-4-description-du-lexique-de-l-anglais-americain