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Chapitre 2. La prononciation de l’anglais américain : caractéristiques segmentales

Par Olivier Glain : Professeur des universités en linguistique anglaise - Université Jean Monnet de Saint-Étienne (UR ECLLA), Vincent Hugou : Maître de conférences en linguistique anglaise - Sorbonne Université (CELISO, UR 7332)
Publié par Marion Coste le 07/05/2025

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Ce chapitre porte principalement sur les sons de l’anglais américain pris individuellement et sur un type de prononciation américaine qui n’est pas spécifiquement associé à des territoires particuliers mais qui peut au contraire se rencontrer dans la majeure partie des États-Unis. Il est coutumier de reconnaître l’existence de cette prononciation américaine standard, souvent appelée ((General American)) (GA). Il est également fréquent de la comparer à une forme de prononciation de l’anglais britannique standard en relevant les différences entre ces deux accents de référence. Cela étant posé, il convient peut-être dans un premier temps de nuancer quelque peu le propos. En effet, la réalité d’un accent qui serait commun à l’ensemble du territoire américain a fréquemment été remise en question. Un chapitre de ((L’anglais américain dans tous ses états)) sera consacré à la variation régionale. Néanmoins, nous ne nous interdisons pas d’y faire ponctuellement référence dans le présent chapitre.

Introduction

Dans ce chapitre, nous commençons par définir le type d’accent décrit. Nous recensons ensuite les principaux traits du General American, sur le plan segmental (voyelles, consonnes), puis au niveau suprasegmental (accentuation, rythme, intonation, phénomènes de chaîne parlée). Nous terminons par la difficulté d’identifier certains traits comme typiques de l’anglais américain, notamment quand ceux-ci se développent dans un certain nombre de variétés à travers le monde.

Lorsque nous faisons une comparaison avec d’autres prononciations, le terme Received Pronunciation (abrégé en RP) est à comprendre dans le sens de « accent britannique standard de type conservateur », c’est-à-dire qu’il n’inclut pas forcément les changements récents de la variété standard britannique. Le terme anglais britannique fait quant à lui référence à l’ensemble des accents de Grande-Bretagne de façon collective, indépendamment d’un quelconque statut de type standard.

Il est bien sûr impossible de décrire l’ensemble des traits phonético-phonologiques de l’anglais des États-Unis dans ce chapitre. Si nous proposons une description interne des caractéristiques du GA, nous ne pouvons faire autrement qu’avoir recours à la comparaison avec d’autres variétés, et principalement la variété standard britannique, pour mieux mettre en valeur les spécificités du GA. Dans cette optique, notons que certains des traits de prononciation qui nous paraissent parfois typiquement américains sont en réalité la résultante de l’émergence graduelle d’un accent britannique standard (cf. chapitre 1, section 1). Outre la perte de la rhoticité et l’établissement de prononciations différentes pour les ensembles lexicaux trap et bath, qui ne sont pas distinctives en anglais américain aujourd’hui (cf. chapitre 1, section 1), la voyelle de cloth a évolué de /ɔː/ en /ɒ/ en anglais britannique, alors qu’elle est demeurée /ɔː/ dans les prononciations américaines. Le premier élément de la diphtongue de goat s’est trouvé centralisé et cette voyelle a évolué de /oʊ/ en /əʊ/ en RP, tandis qu’elle demeurait /oʊ/ en GA.

Afin de différencier entre le phonème de référence et sa réalisation effective dans la variété d’anglais étudiée, on adoptera une notation entre barres obliques - / / - pour le phonème de référence (qui relève d’une certaine abstraction mentale) et entre crochets - [ ] - pour sa réalisation effective (qui peut concrètement varier). La notation entre < > fait quant à elle référence à l’orthographe.

1. Le General American (GA) : réalité ou mythe ?

Le processus de koinéisation qui a caractérisé le développement de l’anglais américain (cf. chapitre 1, sections 3 et 4) a contribué à véhiculer l’image d’une prononciation uniforme dans la majeure partie du pays. Le terme General American a été introduit dès les années 1920 (Krapp, 1925, 37) pour désigner cet accent, perçu comme dépourvu de toute caractéristique régionale, ethnique ou socio-économique distincte. En étaient exclus dès le départ les accents de la Nouvelle-Angleterre, de la ville de New York et du Sud, qui présentaient des caractéristiques locales ou régionales nettes, dont l’absence de /r/ post-vocalique. En dépit d’une tendance à une certaine homogénéité de la région des Grands Lacs jusqu’à l’ouest du pays, les dialectologues et les sociolinguistes ont toujours remarqué qu’il existait des différences de prononciation au sein de cette grande région dialectale (Schneider, 2011, 81). L’existence du GA est parfois même remise en question. Preston (2008) explique en effet que, dans le cadre d’enquêtes de dialectologie perceptuelle portant sur les frontières dialectales, les locuteurs ont tendance à identifier le GA à la région dont ils sont originaires et à associer les autres régions à un accent qui serait différent, preuve de l’aspect éminemment subjectif de la perception de ce qu’est le GA. Ainsi, « les définitions négatives du GA (un accent qui ne serait ni de l’est, ni du sud) en font une abstraction phonologique » (Jobert, 2009, 99).

Certains linguistes préfèrent utiliser le terme Standard American English en lieu et place de General American. C’est par exemple le cas de Kretzschmar (2008, 42), qui associe l’accent américain standard aux locuteurs les plus éduqués lorsque ceux-ci évoluent dans des contextes formels et non régionaux et ont alors fortement tendance à éliminer de leur prononciation toute caractéristique régionale ou sociale. Il s’agit donc d’un accent relativement homogène, qui présente toutefois quelques légères variations internes. Le terme Network English est aussi souvent utilisé pour désigner ce type de prononciation car celle-ci se rencontre fréquemment sur les réseaux et les chaînes de télévision nord-américaines, dont les premières se trouvaient dans la région de Chicago. À la différence de la prononciation standard britannique, elle est utilisée par une majorité des locuteurs américains. Wells (1982, 34) et Windsor Lewis estiment d’ailleurs que près des deux tiers de la population américaine parlent avec un accent GA. Dès le 18ème siècle, « les lexicographes et les professeurs de diction américains ont refusé de laisser une petite minorité dicter le comportement phonétique de la majorité » (Durand et Navarro, 2015, 118). La codification du standard oral s’est donc effectuée dans le sens des prononciations majoritaires. La variété née de ces processus est celle qui est décrite dans ce chapitre. Il s’agit d’une norme « qui est suffisamment stable pour servir d’objet de description et qui jouit d’un statut suffisamment prestigieux pour être adopté comme un modèle pédagogique pour l’enseignement de l’anglais américain comme langue seconde » (Durand et Navarro, 2015, 117). Par tradition, et par souci de conformité avec les pratiques de nombreuses universités européennes, nous conservons l’appellation General American.

2. Décrire et comparer les accents

À travers le monde anglophone, les principales variations phonétiques et phonologiques concernent les voyelles, les consonnes étant en comparaison plus stables. Le nombre de phonèmes vocaliques et la distribution de ceux-ci peut changer d’une variété à l’autre. Pour gagner en efficacité, nous utiliserons le système des ensembles lexicaux (lexical sets), créé par Wells (1982). Celui-ci permet de mieux se référer aux voyelles des différentes variétés d’anglais. Les ensembles lexicaux sont des groupes de mots qui ont une voyelle en commun, dans un même contexte et en syllabe accentuée. Chaque ensemble lexical constitue une variable qui se définit par rapport à la prononciation de cette voyelle en RP et en GA. L’ensemble lexical porte le nom d’un mot clé qui représente l’ensemble de la classe de mots en question. Il est habituel d’écrire le nom d’un ensemble lexical en petites lettres majuscules. Par exemple, bath désigne tous les mots dont la voyelle est /ɑː/ en RP et /æ/ en GA en position accentuée. Une comparaison des mots appartenant à l’ensemble lexical bath permet de rendre compte des prononciations de cette variable vocalique à travers les accents de l’anglais ((Pour vérifier à quel son correspond n’importe quel signe de l’Alphabet Phonétique International, on peut se rendre sur le site Paul Meier Dialect Services. Dans « IPA charts », il faut alors cliquer sur le symbole de son choix (dans les tableaux des voyelles et des consonnes), de façon à entendre le son qui y est associé.)). Les ensembles lexicaux seront introduits un par un, avec des exemples illustrant chacun d’entre eux.

Nous garderons la typologie des spécificités des accents et des différences entre ceux-ci telle qu’elle a été à l’origine définie par Trubetzkoy (1931). Au niveau segmental, ces différences peuvent concerner le système phonologique, la réalisation des phonèmes ou la distribution lexicale de ceux-ci. Les différences au niveau du système phonologique concernent l’inventaire des phonèmes du locuteur et / ou d’un accent. Par exemple, les locuteurs américains n’ont pas l’opposition trapbath dans leur système, contrairement à la plupart des autres locuteurs anglophones (cf. chapitre 1, section 1). Pour eux, cette opposition est neutralisée au profit du seul /æ/. On parle dans ce cas de spécificités systémiques, phonologiques ou phonémiques. Par ailleurs, deux accents de l’anglais peuvent se différencier par des réalisations différentes de phonèmes qui sont présents dans les deux variétés. On parle alors de différences réalisationnelles ou phonétiques. Par exemple, un locuteur RP et un locuteur GA ont tous deux la voyelle thought dans leur système phonologique mais la façon dont celle-ci est effectivement prononcée est différente, avec une voyelle plus ouverte en GA. Les spécificités réalisationnelles, c’est-à dire la façon dont les phonèmes sont effectivement prononcés, relèvent bien sûr de considérations phonétiques, et non phonologiques. Le troisième type de différence de prononciation, la distribution lexicale (ou incidence lexicale) consiste en la présence dans des mots différents de phonèmes communs à deux accents. Par exemple, les accents RP et GA ont tous deux le phonème /ɑː/. Néanmoins, celui-ci se rencontre dans les ensembles lexicaux bath et start en RP, alors qu’on le retrouve dans les mots de type lot et start en GA. Les différences de distribution lexicale peuvent aussi toucher des mots isolés. Ainsi, schedule se prononce ['ʃedjuːl] dans une prononciation RP plutôt conservatrice ((Les locuteurs britanniques moins âgés et linguistiquement moins conservateurs prononcent plutôt schedule avec un /k/.)), alors qu’il est réalisé ['skedʒuːl] en GA.

Les différences de distribution lexicale entre les variétés constituent en quelque sorte des « différences aléatoires » (Durand et Navarro, 2015, 131). Nous ne pouvons bien sûr pas viser l’exhaustivité dans ce chapitre. Par ailleurs, nous rappelons que ces différences relèvent de préférences des locuteurs et que certaines prononciations considérées comme américaines peuvent en réalité très bien être également attestées en anglais britannique (comme dans d’autres variétés) et vice-versa (cf. chapitre introductif). Tout est souvent question de fréquence d’utilisation. En ce qui concerne l’incidence lexicale, les préférences américaines relevées dans ce chapitre sont tirées de Wells (2008), Windsor Lewis, Durand et Navarro (2015), ainsi que de recherches personnelles menées à partir du site YouGlish.

Au-delà de la typologie de Troubetzkoy, les spécificités des accents de l’anglais peuvent également être suprasegmentales et opérer « à un niveau structurel supérieur à celui des phonèmes individuels et à leurs réalisations » (Brulard et Carr, 2015, 32). Elles peuvent alors se situer au niveau de l’accent lexical, qui peut changer de syllabe dans certains mots en fonction des variétés considérées. Par exemple, l’accent primaire de advertisement se place sur la deuxième syllabe de ce mot en anglais britannique (/əd'vɜːtɪsmənt/), tandis qu’il touche la troisième syllabe en anglais américain (/ˌædvər'taɪzmənt/). Le rythme, c’est-à-dire l’alternance entre les syllabes accentuées et les syllabes inaccentuées, peut également varier, ce qui peut entraîner des différences dans les processus de chaîne parlée (assimilations, élisions, liaisons, etc.). Sur le plan de l’intonation, le découpage en groupes intonatifs fonctionne de manière similaire dans la vaste majorité des accents de l’anglais. En revanche, il peut exister quelques différences dans les contours intonatifs, qui peuvent être ascendants ou descendants.

3. Les voyelles du GA

L’utilisation par certains linguistes du symbole diacritique de longueur /ː/ pour des descriptions qui s’inscrivent dans le cadre du système vocalique du GA relève d’une pratique plus particulièrement européenne qu’américaine. On les trouve notamment dans le Longman Pronunciation Dictionary (Wells, 2008) et le Cambridge English Pronouncing Dictionary (Roach et al., 2011). Pour rendre compte du traitement majoritaire chez les linguistes américains, Durand et Navarro (2015, 126) expliquent néanmoins que « une spécificité des phonèmes vocaliques du GA est que la longueur est souvent traitée comme ne faisant pas partie du système phonémique ». Pour mieux rendre compte de ces différentes pratiques, nous retenons les deux notations dans ce chapitre, avec et sans /ː/.

Wells (1982, 472) explique que deux variables sont à prendre en compte dans le système vocalique du GA. L’une concerne l’opposition entre /ɑ/ et /ɔ/ (lot vs. thought), qui n’existe pas dans certaines variétés américaines. L’autre concerne la possibilité de distinguer phonologiquement entre trap et bath, avec /æ/ pour trap et /eə/ pour bath. En dehors de ces deux points, la variabilité au sein du GA est liée à la réalisation phonétique des locuteurs mais n’est pas systémique.

Les caractéristiques des voyelles du GA sont présentées ci-dessous pour chaque ensemble lexical, avec des exemples de mots appartenant à cet ensemble.

kit : les mots dont la voyelle est phonologiquement /ɪ/ en RP et en GA (ex. kit, ship, kid, limp, myth, build). Elle est réalisée sous la forme d’une voyelle antérieure fermée et relâchée que l’on note [ɪ].

Sur le plan distributionnel, on trouve cette voyelle dans primer (dans le sens de « manuel d’apprentissage de la lecture »), forsythia, Syracuse, alors que ces mots ont la voyelle de price en anglais britannique. On trouve majoritairement la voyelle de kit dans inherent, dont la voyelle en position accentuée est principalement associée à dress dans d’autres variétés, dont l’anglais britannique.

happy : cette voyelle, parfois appelée « i neutralisé », se rencontre principalement en fin de mot, position dans laquelle /ɪ/ et /iː/ ne sont pas contrastifs (c’est-à-dire qu’il est impossible d’y trouver une paire minimale qui repose sur l’opposition entre /ɪ/ et /iː/). Ces mots s’écrivent avec <y>, <ey>, <ee>. En réalité, on trouve ce « i neutralisé » en fin de morphème, dans les comparatifs et superlatifs issus de tels adjectifs ou dans certaines flexions de tels noms ou verbes (ex. naughty, happy, happier, happiest, valley, valleys, baby, babies, fancy, fancies, fancied, coffee). On retrouve également cette voyelle en syllabe non accentuée, devant une autre voyelle (ex. radiation, glorious, associate ; cf. Wells, 2008).

On peut considérer que, en dépit d’une certaine variabilité, la réalisation de cette voyelle en GA est à mi-chemin entre une voyelle courte et relâchée de type [ɪ] et une voyelle longue et tendue de type [iː]. En revanche, chez des locuteurs plus âgés ou chez les locuteurs éduqués du Sud, c’est une voyelle courte de type [ɪ] qui est produite dans ces mêmes environnements (Kretzschmar, 2008, 48). Pour de tels locuteurs, des mots tels que taxes et taxis sont parfaitement homophones. Windsor Lewis explique que le passage de [ɪ] à [i] a été particulièrement rapide et généralisé en GA au 20ème siècle.

dress : les mots dont la voyelle est traditionnellement /e/ en RP conservateur et /ɛ/ en GA (ex. dress, step, ebb, tent, bread, friend, accept). Sur le plan réalisationnel / phonétique, il s’agit d’une voyelle mi-ouverte et relâchée en GA ; on la note [ɛ].

En ce qui concerne la distribution lexicale, les locuteurs GA utilisent cette voyelle dans lever et leverage. Il s’agit aussi de la principale variante, parfois de façon presque exclusive, dans (a)esthete, an(a)esthetize, epoch, era, ethos, Eva, febrile, hygienic, hysteria, methane, Oedipus, (o)estrogen, p(a)ederast, p(a)edophile, predecessor, quaestor, senile, schizophrenia. D’autres variétés, dont l’anglais britannique, ont majoritairement la voyelle de fleece dans ces items lexicaux.

C’est également [ɛ] qui est majoritairement utilisée en GA en syllabe porteuse d’un accent secondaire dans les mots devolution, ecumenical, evolution, esoteric, predilection. La même voyelle se trouve également dans les syllabes inaccentuées de esthetic, esthetist (alors qu’on a majoritairement /iː/ en RP). Un /r/ phonologique en fin de syllabe accentué a tendance à faire basculer la voyelle accentuée de certains mots de trap à dress en GA (cf. le rôle de /r/, section 4).

trap : les mots dont la voyelle est phonologiquement /æ/ en RP et GA (ex. trap, bat, cat, tap, rag, hand, lapse) et bath / dance ((L’environnement de bath / dance est le suivant : la voyelle se trouve devant l’une des fricatives /f, θ, ð, s/ (bath) ou devant l’un des agrégats suivants : /nd, nt, ns, nʃ/ (dance). La distinction entre bath et dance n’est à l’origine pas faite par Wells (1982).)) : les mots dont la voyelle est /ɑː/ en RP et /æ/ en GA (ex. bath, staff, class, ask, fasten, laugh, rather, branch, dance, can’t, France, grant).

Chez une majorité de locuteurs, ces deux ensembles lexicaux ont fusionné, ce qui crée donc une différence systémique avec d’autres variétés telles que l’anglais britannique, qui maintient deux phonèmes distincts. Certains locuteurs américains maintiennent toutefois une distinction entre trap (/æ/) et bath (/eə/) (Wells, 1982, 472).

Chez les locuteurs pour qui il y a eu fusion, la voyelle produite prend souvent la forme d’une voyelle antérieure ouverte, courte et relâchée qui se transcrit [æ]. Elle se démarque ainsi sur le plan réalisationnel de l’anglais britannique, qui a majoritairement une voyelle plus ouverte de type [a] pour trap. Devant /m/ et /n/, voire /ŋ/ chez certains locuteurs, elle est souvent moins ouverte (mi-ouverte) et tend vers [ɛ]. Elle se trouve parfois diphtonguée dans ce même environnement et peut donner lieu à des réalisations telles que [ɛə] ou [eə] (ex. Alexander, ban, hand, tram, sand, sang).

Sur le plan de la distribution, deux mots isolés sont à ajouter à la liste des mots de type bath / dance sans pour autant suivre le même schéma phonologique : example et sample (qui ont /m/ au lieu de /n/). Le mot father constitue une sorte d’exception dans la mesure où la voyelle accentuée est majoritairement /ɑː/ ou /ɑ/ et s’aligne donc sur les mots de type bath d’autres variétés, telles que l’anglais britannique. Dans les mots suivants, la voyelle porteuse de l’accent primaire est alignée sur la voyelle de trap en GA, alors qu’elle se prononce avec la voyelle de face en RP : apparatus, une variante de apricot, dahlia, une variante de data, patent, status.

Les exemples suivants sont difficiles à classer dans des ensembles lexicaux particuliers, mais Windsor Lewis relève une tendance contraire à l’usage général dans un certain nombre de mots étrangers, où le GA utilise normalement /ɑ(ː)/ là où la RP préfère /æ/ ou /a/. Il est possible que ces mots soient encore clairement perçus comme des emprunts par les locuteurs américains, ce qui permettrait d’expliquer le /ɑ(ː)/ comme marqueur de « valeur étrangère ». Un grand nombre de mots italiens sont concernés au premier chef. C’est le cas des différents types de pâtes, à commencer par l’hyperonyme pasta, mais aussi, dans la même logique, lasagna, ravioli, etc. ou encore d’autres aliments ou boissons d’origine italienne comme chianti, ciabatta, grappa, latte, parmesan, etc. On ne s’étonnera pas non plus d’entendre prononcés surtout avec /ɑ(ː)/ certains noms propres comme Dante, Milan, Vivaldi, et aussi macho et mafia. L’analogie marche à plein et elle va même plus loin, puisque d’autres mots aux consonances méditerranéennes, mais pas forcément italiennes, sont frappés par cette variation : une variante de Casablanca, hacienda, pâ, une variante de patio, pecan (dans l’une de ses nombreuses variantes), Picasso, Vasco (de Gama). D’autres mots étrangers sont concernés, tels que Ankara, aqua, une variante de Cannes, Cézanne, dachshund, Dante, Galapagos, goulash, Lausanne, pilaf, Taliban.

lot : les mots dont la voyelle est phonologiquement /ɒ/ en RP et /ɑ/ ou /ɑː/ en GA (ex. lot, job, stop, odd, box, gone, swan, wash).

Sur le plan réalisationnel, elle prend la forme d’une voyelle désarrondie par rapport à son équivalent en anglais britannique. Cette délabialisation a eu lieu après la « grande séparation » avec l’anglais britannique (cf. chapitre 1, section 1). Une variante possible chez certains locuteurs (notamment les plus âgés) est [ɔ] ou [ɔː] (même remarque en ce qui concerne la notation de la longueur), sans désarrondissement des lèvres, ou avec un désarrondissement moins marqué. Les mots dans lesquels la voyelle <a> suit un /w/ ne se trouvent pas arrondis comme ils le sont en anglais britannique. Par exemple, quality et watch sont prononcés avec /ɑ(ː)/, alors que le /w/ entraîne la voyelle arrondie /ɒ/ en RP.

En ce qui concerne l’incidence lexicale, les voyelles en position accentuée des mots suivants ont très majoritairement la voyelle de lot en GA alors qu’elles ont la diphtongue de goat en RP : codify, docile, goffer, process, progress. Les mots accomplice, constable, monetary ont également la voyelle de lot en syllabe accentuée (vs. celle de strut en RP). Les syllabes non accentuées des mots suivants ont une voyelle qui a la même qualité dans le suffixe -on (vs. /ə/ en RP) : Amazon, hexagon, marathon, octagon, paragon, pentagon, phenomenon, python.

thought : les mots dont la voyelle est phonologiquement /ɔː/ en RP et en GA sauf s’ils sont suivis de /r/ en GA (voir north) (ex. thought, cause, taunt, hawk, chalk, broad). Chez une quantité non négligeable de locuteurs, il y a donc fusion entre les mots de type thought et lot.

Cette voyelle peut être articulée avec arrondissement des lèvres ou non. Les variantes sont donc [ɔː], dont l’ouverture est plus importante que celle de l’anglais britannique, et [ɑː]. Lorsque la variante arrondie est produite, elle a tendance à être plus courte que son homologue britannique ; [ɔ] est alors probablement une meilleure notation. Windsor Lewis explique à titre d’exemple que lorsque la série américaine MASH (1972) a été diffusée en Grande-Bretagne, il a fallu un certain temps aux spectateurs britanniques pour se rendre compte que le surnom de l’un des personnages était en réalité Hawkeye, et non Hockeye.

strut : les mots dont la voyelle est /ʌ/ en RP et /ʌ/ ou /ə/ en GA (ex. strut, bus, cup, bud, lump, come, love, touch).

Sur le plan réalisationnel, il s’agit d’une voyelle centrale. Le Longman Pronunciation Dictionary (Wells, 2008) et l’English Pronouncing Dictionary (Roach et al., 2011) utilisent le symbole /ʌ/ pour noter cette voyelle. Le Routledge Dictionary of Pronunciation for Current English (Upton et Kretzschmar, 2017) utilise le symbole /ə/ (schwa), qui est aussi le choix de plusieurs dictionnaires ou manuels américains. Sur sa chaîne YouTube, Lindsey considère que la qualité vocalique est exactement la même en GA pour la voyelle en position accentuée de strut et celle en position inaccentuée de about. En d’autres termes, les deux voyelles de above sont identiques en GA et le mot peut donc être transcrit /ə'bəv/. Tel n’est pas le cas de la prononciation RP, dans laquelle les deux voyelles sont distinctes sur le plan de la qualité, la seconde étant plus ouverte : /ə'bʌv/. Il existe toutefois une convention de transcription selon laquelle le schwa /ə/ ne se rencontre pas en position accentuée, ce qui favorise l’utilisation du symbole /ʌ/ dans cet environnement. En raison de cet écart dans les pratiques, nous proposons ici les deux transcriptions.

En ce qui concerne l’incidence lexicale, on trouve la voyelle de strut dans grovel et hover en GA, avec une variante de type lot, seule prononciation attestée en RP. Le GA a exclusivement strut dans brusque, alors que la RP y a majoritairement la voyelle de foot ou de goose, avec strut comme variante possible. Ce mot est d’ailleurs parfois orthographié <brusk> en anglais américain, signe d’un alignement entre orthographe et prononciation plus marqué dans cette variété (cf. chapitre sur orthographe). On retrouve également strut dans les formes non réduites des mots grammaticaux suivants : because, of, from, was, what (vs. /ɒ/ en RP).

foot : les mots dont la voyelle est phonologiquement /ʊ/ en RP et en GA (ex. foot, put, bush, good, wolf).

Sur le plan réalisationnel, il s’agit d’une voyelle postérieure relâchée, souvent un peu moins arrondie que le /ʊ/ de la RP (même si cela change dans la variété britannique avec les jeunes générations) et qui tend donc vers [ɯ] (voyelle fermée) ou [ɤ] (voyelle mi-fermée), toutes deux prononcées sans arrondissement des lèvres.

Sur le plan de la distribution lexicale, les voyelles accentuées de boogie-woogie, boulevard, snooker et woof contiennent majoritairement cette voyelle alors qu’elles ont la voyelle tendue de goose en RP.

cloth : les mots dont la voyelle est /ɒ/ en RP et traditionnellement /ɔ/ ou /ɔː/ en GA (ex. cloth, off, cross, soft, cough, Austin, Australia). Sur le plan phonologique, le GA se différencie ainsi de la RP et de la plupart des variétés britanniques, dans lesquelles la voyelle a évolué de /ɔː/ en /ɒ/ alors qu’elle demeure phonologiquement /ɔ(ː)/ en GA.

Sa réalisation principale est une voyelle mi-ouverte de type [ɔ(ː)], avec une voyelle désarrondie de type [ɑ(ː)] comme variante possible (Wells, 2008). Pour les locuteurs utilisant cette variante, une fusion avec l’ensemble lexical palm, voire avec l’ensemble lexical lot, est possible si cette variante devient systémique.

fleece : les mots dont la voyelle est phonologiquement /iː/ en RP et en GA (ex : fleece, need, cheese, brief, field). Certains spécialistes la traitent phonologiquement comme une diphtongue de type /ij/ (Durand et Navarro, 2015, 126).

Sur le plan réalisationnel, cette voyelle est en effet rarement une monophtongue. Kretzschmar (2008, 46) explique que sa réalisation dépend de son environnement phonétique. En effet, la diphtongaison est plus marquée en fin de mot, où elle a une forte tendance à être réalisée [ɪi] (ex. flee, be). Les voyelles sont toujours plus longues devant des consonnes voisées (ex. feed, beam) que des consonnes sourdes (ex. fleece, reap). Cela semble être particulièrement le cas pour cette voyelle (Kretzschmar, 2008, 46).

Sa distribution s’étend à des mots tels que Cecil, cretin, depot, equine, leisure, Megan (avec une variante de type face), paracetamol, Petrarch, zebra, voire era (qui a aussi des variantes fréquentes avec les voyelles de kit et dress). Ces mots ont généralement la voyelle de dress en anglais britannique. C’est également [iː] qui est majoritairement utilisée en GA en syllabe porteuse d’un accent secondaire dans les mots crematorium, premature, presentation et reconnoiter (vs. /ɛ/ en RP). On trouve également très majoritairement la voyelle de fleece dans either et neither, même si ces mots peuvent être parfois associés à la voyelle de price, comme ils le sont majoritairement dans d’autres variétés. Le GA a également de façon exclusive ou préférentielle fleece dans les voyelles accentuées de aphrodisiac, bulimia, Parisian, Tunisia(n), qui correspondent plutôt à kit en RP. Notons également la prononciation de la consonne <z>, /'ziː/ (vs. /'zɛd/ en anglais britannique).

face : les mots dont la voyelle est /eɪ/ en RP et /eɪ/ ou /eː/ en GA (ex. face, tape, fade, waist, play, reign). Si elle est traditionnellement considérée comme une diphtongue, certains traitent cette voyelle comme une monophtongue de type /e/ ou /eː/ (Durand et Navarro, 2015, 126).

Sur le plan réalisationnel, cette voyelle présente les variations suivantes (Kretzschmar, 2008, 46) : une forte tendance à une diphtongaison de type [eɪ] en position finale (ex. tray, bay), une plus grande monophtongaison sous la forme de la voyelle longue [eː] devant des consonnes voisées (ex. fade, lame) et une tendance à la réduction de longueur ([e]) devant des consonnes sourdes (ex. face, great).

En ce qui concerne la distribution lexicale, l’emprunt grec omega est accentué sur sa deuxième syllabe en GA (/oʊ'meɪɡə/) et la voyelle est majoritairement associée à face, même si dress et fleece sont aussi des possibilités (Wells, 2008). Il en est de même en GA pour les lettres grecques beta, eta, theta, zeta, qui ont la voyelle de face (vs. fleece en RP). L’emprunt espagnol Señor est également /'seɪnjɔːr/ en GA, alors qu’il contient plutôt la voyelle de dress en RP : /'senjɔː/. Quant aux mots suivants, ils ont plutôt la voyelle de trap en RP, alors qu’ils sont associés à face en GA : basil, (com)patriot, patronize, phalanx, ration, repatriate, Sabine. Tel est aussi le cas du mot plait, qui est très peu fréquent en anglais américain, braid lui étant préféré pour désigner « une tresse », « une natte ». La rareté, voire l’étrangeté de ce mot explique probablement l’alignement sur la prononciation des mots en <ai>, par analogie. Enfin, les emprunts suivants ont face en GA alors qu’ils ont traditionnellement la voyelle de bath dans d’autres variétés, dont la RP : charade, promenade, vase ((Un changement en direction de la norme américaine et un alignement sur la voyelle de face s’opère depuis quelque temps en anglais britannique chez les locuteurs les moins âgés pour charade et, surtout, vase.)) (emprunts au français), stratum/strata (emprunt au latin), tomato (emprunt à l’espagnol). 

palm : les mots dont la voyelle est phonologiquement /ɑː/ en RP et /ɑː/ ou /ɑ/ en GA sauf s’ils sont suivis de /r/ en GA (il s’agit dans ce cas de l’ensemble lexical start) (ex. palm, calm, ma, hurrah, façade, bravado). Une fusion avec lot, voire avec cloth, est possible chez certains locuteurs. Certains linguistes ne notent pas la longueur.

palm est une voyelle antérieure, parfois centralisée, ouverte et non labialisée (les lèvres ne sont pas arrondies). 

goat : les mots dont la voyelle est phonologiquement /əʊ/ en RP et /oʊ/ en GA (ex. goat, no, soap, joke, host, toe, mauve). Si elle est traditionnellement considérée comme une diphtongue, certains traitent toutefois cette voyelle comme une monophtongue de type /o/ ou /oː/ (Durand et Navarro, 2015, 126).

Kretzschmar (2008, 46) estime que, sur le plan réalisationnel, goat présente le degré de diphthongaison de type [oʊ] le plus élevé en position finale (ex. go, no). Cette tendance à la diphtongaison est moindre devant des consonnes voisées et la voyelle tend alors vers une monophtongue de type [oː] (ex. road, lone). Enfin, devant des consonnes sourdes (non voisées), elle a tendance à être raccourcie (ex. goat, rope). Dans sa version diphtonguée, on peut constater que le premier élément de la voyelle consiste en une voyelle postérieure mi-fermée prononcée avec les lèvres arrondies. Si l’on compare le symbole /oʊ/ au symbole /əʊ/ utilisé pour la RP, on peut en déduire que la différence est importante sur le plan réalisationnel, la diphtongue de la RP ayant un premier élément central de type schwa. Néanmoins, il convient de relativiser quelque peu la différence. Windsor Lewis explique à cet effet que tous les locuteurs GA ne commencent pas cette diphtongue par un élément arrondi et que, inversement, les locuteurs RP n’utilisent pas tous systématiquement un premier élément ne présentant aucune labialisation. Sur son blog ((https://www.phon.ucl.ac.uk/home/wells/blog_archive_links.htm, entrée du 12 juillet 2007.)), Wells estime pour sa part :

As it is, the use of different symbols implies a greater difference between British English and American English than really exists.

La distribution lexicale de goat inclut les voyelles de cognac, polka, produce (nom), sojourn, shone, troll, yogurt (qui, malgré des variantes pour certains d’entre eux, ont plutôt lot en RP), covert (dans lequel il y a variation en RP entre une prononciation traditionnelle avec la voyelle de strut et un alignement sur celle de goat, sous l’influence américaine).

goose : les mots dont la voyelle est phonologiquement /uː/ en RP et /uː/ ou /u/ en GA (ex. goose, shoe, loop, mood, tomb, two, fruit). Certains spécialistes la traitent phonologiquement comme une diphtongue de type /uw/ (Durand et Navarro, 2015, 126).

Dans sa réalisation effective, cette voyelle a en effet une forte tendance à diphtonguer, particulièrement en position finale (ex. shoe, blue). Par ailleurs, elle se trouve fréquemment antériorisée en direction de [ʉː], en GA comme dans tous les accents du pays (Labov et al., 2006).

Sur le plan de l’incidence lexicale, une variante possible de brooch contient cette voyelle. Il s’agit peut-être d’une influence de l’orthographe sur la prononciation. L’autre variante est une prononciation avec la voyelle de goat (seule variante attestée en RP). Les items suivants ont également une prononciation majoritaire ou une variante avec la voyelle de goose, alors que cette voyelle est très rare en RP, qui préfère la voyelle de foot : Buddha, cuckoo, guru.

price : les mots dont la voyelle est phonologiquement /aɪ/ en RP et en GA (ex. price, my, ripe, side, child, try, eye).

D’après Kretzcschmar (2008, 44), cette voyelle a deux variantes en GA sur le plan phonétique : [aɪ] (premier élément de la diphtongue antérieur) et [ɑɪ] (premier élément postérieur).

En ce qui concerne la distribution lexicale de price, on retrouve cette voyelle dans la syllabe accentuée de albino, geyser et migraine (vs. la voyelle de fleece dans la très grande majorité des cas en RP). La voyelle accentuée des items suivants est également majoritairement associée à price en GA, alors qu’elle s’aligne (au moins très majoritairement, voire exclusivement pour certains de ces mots) sur la voyelle de kit en RP : advertisement (accentué sur sa deuxième syllabe en RP), dynasty, idyl(lic) (l’adjectif étant accentué sur sa deuxième syllabe), privacy, simultaneous, tricolor, vitamin, une variante de long-lived et de short-lived. Le terme Iran possède une variante avec price en GA, même si la préférence statistique va vers kit (prononciation exclusive en RP). Tel peut aussi être le cas de la syllabe inaccentuée de Italian (même si la prononciation avec /aɪ/ est aujourd’hui rare en GA et a probablement des connotations péjoratives). Ce raisonnement s’applique également au surnom péjoratif correspondant, eyetie, qui peut aussi s’écrire eytie. La valeur vocalique de price est aussi associée aux voyelles inaccentuées des préfixes anti-, multi- et semi- (cette voyelle étant /i/ en RP), surtout lorsque le suffixe est vraiment perçu comme ayant une autonomie, comme étant séparable. L’hésitation paraît plus grande lorsque le préfixe est fusionné au mot et forme un item fréquent, comme cela est le cas dans antibiotics, qui peut alterner entre /ˌænt̬ibaɪ'ɑːt̬ɪk/ et /ˌænt̬baɪ'ɑːt̬ɪk/ en anglais américain.

Le GA a majoritairement price dans les deux syllabes de quinine : /'kwaɪnaɪn/, alors que la prononciation RP comporte des voyelles et possiblement une accentuation différente : /kwɪ'niːn/ ou /'kwɪniːn/. La prononciation principale de enquiry comporte une accentuation sur la deuxième syllabe et la voyelle de price en GA, comme dans d’autres variétés dont la RP : /ɪn'kwaɪri/. Néanmoins, la variante avec accentuation de la première syllabe et changement de qualité de la deuxième est plus fréquente en GA : /'ɪŋkwəri/.

choice : les mots dont la voyelle est phonologiquement /ɔɪ/ en RP et en GA (ex. choice, boy, noise, spoil, employ, hoist).

Sur le plan réalisationnel, il s’agit d’une diphtongue fermante dont le premier élément est postérieur et mi-ouvert et s’articule avec les lèvres arrondies ; sa course fermante tend vers le [ɪ]. Cet ensemble lexical ne présente pas de variation notable. On peut noter que buoy (« une bouée ») n’y est pas rattaché en GA, puisqu’il se prononce /'buːi/ (vs. /'bɔɪ/ en RP) et reflète ainsi davantage son étymologie (probablement buie en ancien-français).

mouth : les mots dont la voyelle est phonologiquement /aʊ/ en RP et en GA (ex. mouth, brown, out, crowd, cow, round, bough).

Sur le plan réalisationnel, Kretzcschmar (2008, 47) note deux variantes principales, [aʊ] et [æʊ], avec un premier élément moins ouvert en ce qui concerne la deuxième variante, qu’il estime devenir de plus en plus fréquente.

Sur le plan de l’incidence lexicale, la voyelle de route peut être celle de mouth en GA, même si la voyelle de goose y est également possible (comme dans d’autres variétés d’anglais pour lesquelles elle constitue toutefois une prononciation quasiment exclusive). De même, mouth est la prononciation principale en GA dans trauma, alors que la préférence britannique va vers la voyelle de thought.

En position inaccentuée, la voyelle finale de Moscow est également majoritairement celle de mouth en GA, alors qu’elle est associée à la voyelle de goat en RP. De même, La voyelle de la première syllabe de glaucoma est mouth (vs. thought en RP).

L’anglais américain fait partie des accents rhotiques, ce qui signifie que le /r/ y est prononcé dans tous les contextes phonologiques. Concrètement, si l’on prend l’orthographe comme point de départ, tous les <r> graphiques sont prononcés. Dans les accents non rhotiques, dont la RP fait partie, seul le /r/ se trouvant en attaque de syllabe, c’est-à-dire devant une voyelle, est prononcé. Au contraire, un /r/ post-vocalique, qui figure après une voyelle et dans la même syllabe que celle-ci, ne se trouve pas réalisé. Ainsi, la prononciation d’un mot tel que hard est /'hɑːrd/ dans un accent rhotique tel que le GA, mais /'hɑːd/ dans un accent non-rhotique. La rhoticité de l’anglais américain a une influence sur la prononciation des voyelles dans les ensembles lexicaux ci-dessous, celles-ci se trouvant « colorées » par /r/. D’un point de vue articulatoire, la « coloration » par /r/ se traduit « par un mouvement de rétroflexion de la pointe de la langue ou par une élévation du centre de la langue vers la zone molaire ou prémolaire (« bunched r » ou « molar r ») » (Navarro, 2016, 11). En ce qui concerne la transcription phonologique du /r/ post-vocalique (après une voyelle), nous utilisons ci-dessous le symbole /r/ plutôt que le symbole diacritique de la rhoticité. Ainsi, /'nɜrs/ ou /'nɜːrs/ sont préférés à /'nɝs/ ou /'nɝːs/ pour transcrire nurse.

start : les mots dont la voyelle est phonologiquement /ɑː/ en RP et /ɑr/ ou /ɑːr/ en GA (ex. start, far, sharp, carve, heart). Comme expliqué plus haut, le symbole diacritique de longueur /ː/ est utilisé par certains linguistes. Il s’agit principalement d’une pratique européenne, les linguistes américains ne le notant généralement pas. En effet, la longueur provient historiquement de l’affaiblissement du /r/ dans les variétés non rhotiques et l’on peut donc considérer que la présence du /r/ en anglais américain bloque l’allongement de la voyelle. Ce raisonnement est valable pour les autres ensembles lexicaux ci-dessous, lorsque un <r> graphique suit la voyelle.

Sur le plan articulatoire, il s’agit d’une voyelle ouverte et centralisée, qui ne présente pas d’arrondissement des lèvres.

nurse : les mots dont la voyelle est phonologiquement /ɜː/ en RP et /ɜr/ ou /ɜːr/ en GA (ex. nurse, first, hurt, birth, church, verb, word). Il s’agit d’une voyelle centrale suivie du /r/ post-vocalique.

Sur le plan de l’incidence lexicale, les voyelles accentuées de Berkeley et de clerk ont la qualité de nurse, alors que ces mots contiennent la voyelle de start en RP. Il s’agirait peut-être d’un cas d’influence de l’orthographe sur la prononciation. Rappelons que, historiquement, l’anglais américain présente une plus grande correspondance entre graphie et phonie, notamment en raison de l’influence de Webster (cf. chapitre 1, section 6). Par ailleurs, les mots suivants ont également la voyelle de nurse en syllabe accentuée en GA, alors qu’ils ont celle de strut en RP : borough, burrow, courage, (con)current, currant, currency, curry, flourish, flurry, furrier, furrow, hurricane, hurry, nourish, occurrence, recurrent, scurrilous, scurry, slurry, surrogate, thorough, turret et worry. Cette différence dans l’incidence lexicale est due à l’influence du /r/ en GA. Un certain nombre de noms propres suivent le même schéma. Parmi ceux-ci, on peut citer Durham, Durrant, Durrell, Murray, Murrow, Spurrier, Sturridge, Surrey.

north (ex. north, orb, form, norm, quart, cord, horse) et force (ex. force, fore, soar, floor, court, sword, hoarse). Historiquement, ces deux voyelles étaient phonologiquement différentes, ayant /ɔr/ ou /ɔːr/ pour north et /oʊr/ ou /oːr/ pour force. La fusion s’est à présent produite dans la plupart des variétés d’anglais et chez un très grand nombre d’Américains, dont la vaste majorité des locuteurs de type GA.

Sur le plan réalisationnel, il s’agit d’une voyelle d’arrière mi-ouverte avec une qualité de type [ɔ] (elle peut parfois être un peu moins ouverte). Les mots horse et hoarse sont ainsi homophones. Dans les accents où ces deux ensembles lexicaux n’ont pas fusionné, hoarse se prononce avec une voyelle plus fermée ou diphtonguée.

near : les mots dont la voyelle est phonologiquement /ɪə/ en RP et /ɪr/ en GA (ex. near, hear, ear, beer, here, pier, fear, pierce). Pour near, comme pour square et cure, la rétention du /r/ historique fait que celui-ci n’a pas été remplacé par un schwa. Pour cette raison, le GA ne possède généralement pas les diphtongues centralisantes /ɪə/, /ɛə/ et /ʊə/ dans son inventaire vocalique, même si un schwa de transition peut parfois être produit sur le plan phonétique.

Sur le plan réalisationnel, la voyelle est souvent un peu plus fermée que ce que la notation phonologique laisse à penser et se rapproche de [i]. Un schwa, parfois appelé « de transition » peut s’entendre, donnant lieu à une prononciation de type [ɪə] ou [iə] suivie du /r/.

square : les mots dont la voyelle est phonologiquement /ɛə/ en RP et /ɛr/ en GA (ex. square, hair, air, share, fair, bear, where, scarce).

Sur le plan phonétique, il s’agit d’une voyelle mi-ouverte suivie du /r/.

cure : les mots dont la voyelle traditionnelle est phonologiquement /ʊə/ ou /ɔː/ en RP mais /ʊr/ en GA (ex. cure, moor, your, sure, gourd, fury). Sur le plan phonologique, l’anglais américain maintient /ʊr/ dans cet ensemble lexical, qui a évolué vers /ɔː/ en anglais britannique dans la seconde partie du 20ème siècle. Des mots tels que shore et sure restent donc distincts en GA. Le mot sure possède une variante avec la voyelle de nurse en anglais américain.

Sur le plan phonétique, la qualité de la voyelle est proche de [ʊ], même si des prononciations alternatives de type [ɔː] ~ [ɔ] peuvent se rencontrer.

4. Les consonnes du GA

Outre sa distribution et le fait qu’il « colore » certaines voyelles, le « r américain » se caractérise sur le plan phonétique par une plus grande rétroflexion de la langue que dans certaines variétés d’anglais, comme la RP. Il se rapproche en cela de réalisations que l’on peut trouver en Irlande. La zone d’approximation se situe au niveau de la jonction entre les alvéoles et le palais dur et la langue est incurvée. Une transcription phonétique étroite peut se faire à l’aide du symbole [ɻ], qui dénote la qualité rétroflexe de cette approximante. Le « r américain » est plus sonore et plus long que le « r britannique ».

Par ailleurs, le /r/ a d’autres influences sur les voyelles le précédant. En effet, le GA présente un certain degré de neutralisation des phonèmes vocaliques devant /r/ lorsque celui-ci figure entre deux voyelles. C’est par exemple le cas des voyelles des mots tels que hurry et furry, dont la prononciation est très souvent identique en GA : /'hɜːri, 'fɜːri/. En RP, les voyelles sont différentes : /'hʌri, 'fɜːri/. De même, marry, merry, Mary ont une même voyelle en GA : /'mɛri/. Il s’agit en revanche de trois voyelles distinctes en RP, respectivement /'mæri, 'mɛri, 'mɛəri ~ 'mɛːri /. De façon plus large, /æ/ et /ɛ/ se trouvent généralement neutralisés devant /r / en GA. Dans certains mots, cette neutralisation peut prendre la forme de /æ/, en plus de /ɛ/ (ex. parent /'pærənt ~ 'pɛrənt/, Aaron /'ærən ~ 'ɛrən/). Néanmoins, la présence d’un /r/ phonologique en fin de syllabe entraîne une prononciation avec la voyelle de dress /ɛ/ chez la plupart des locuteurs et dans la majorité des mots (ex. Arab, carry, carrot, garish, karat), alors qu’elles ont la voyelle de trap en RP).

Le /r/ centralise les voyelles des mots suivants, qui se trouvent plutôt prononcés avec /ɜ(ː)/ en GA (vs. /ɪ/ en RP) : chirrup, stirrup, syrup, squirrel. Enfin, il a tendance à changer en voyelle de type nurse la voyelle accentuée de certains mots qui est celle de strut dans d’autres variétés, dont la RP (voir plus haut).

Comme pour la plupart des variétés non rhotiques, le GA ne comporte presque pas de /r/ de liaison « intrusif », c’est-à-dire apparaissant entre deux mots en position intervocalique alors que le mot de gauche ne comporte pas de <r> graphique (ex. law [r] and order ; the idea [r] of it). Bien sûr, le /r/ de liaison classique apparaît lorsqu’un <r> graphique se trouve en fin de mot et que le mot suivant commence par une voyelle, comme cela est le cas pour toutes les consonnes (la consonne finale du mot de gauche se trouvant resyllabifiée en attaque de la syllabe initiale du mot de droite ; ex. the carpenter[r] and me).

Sur le plan réalisationnel, le /t/ et le /d/ intervocaliques qui se situent entre une syllabe accentuée et une syllabe inaccentuée se confondent en prenant la forme d’une battue alvéolaire voisée, suite à un processus que l’on qualifie en anglais de tapping ou de flapping. Les dictionnaires de prononciation les plus utilisés en France (Wells, 2008 ; Roach et al., 2011) transcrivent cette prononciation de /t/ dans un mot tel que writer par le symbole /t̬/ (/'raɪt̬ər/), qui fait référence à un /t/ voisé. L’utilisation du symbole de l’Association Phonétique Internationale [ɾ] permet toutefois une transcription phonétique plus précise, de type ['raɪɾər]. On trouve cette battue dans des mots tels que better, potato, writer, rider. On peut aussi la trouver après un /r/ (ex. party, forty), un /l/ (ex. guilty), entre une voyelle et un /l/ syllabique (ex. little, battle), ainsi qu’en phénomène de liaison entre deux mots (ex. cat and mouse, what else, full of get up and go). Le fait que le /d/ puisse aussi se prononcer ainsi entraîne des cas d’homophonie comme dans atom/Adam, hurting/herding ou encore writer/rider. Cependant, les voyelles sont toujours plus longues devant des phonèmes voisés, comme /d/, si bien que l’homophonie n’est en réalité que partielle. Les risques de confusion sont aussi fréquemment levés par le contexte : cowboys are good riders (??writers), but not skilled horsemen. Il convient de noter que, si ce type de prononciation est presque systématique en anglais américain, cette innovation est loin d’être exclusive à la seule variété américaine. Il n’est ainsi pas rare de l’entendre dans de multiples accents britanniques aujourd’hui, certes à une moindre fréquence. Dans un mot comme military, le /t/ n’est pas prononcé avec une battue alvéolaire car « les terminaisons en -ary et -ory ont tendance à constituer des pieds séparés en GA. (En termes traditionnels, ils déclenchent un accent secondaire.) » (Durand et Navarro, 2015, 124).

La coalescence de /nt/ est également une innovation américaine, même si elle s’est ensuite retrouvée de façon moins systématique dans d’autres accents. Il s’agit d’un processus d’assimilation en syllabe inaccentuée lorsque /n/ précède /t/. Les deux phonèmes se trouvent alors confondus en un [n] un peu plus long. Ce processus peut se rencontrer au sein des mots, comme à la frontière de ceux-ci : Clinton, winter, twenty, center, Canterbury, want to (la graphie <wanna> pour désigner want to révèle de façon assez explicite la forme que prend ce phénomène). La notation retenue dans Roach et al. (2011) et Wells (2008) est /'twent̬i/ pour twenty, ce qui tend à créer une confusion entre ce phénomène et celui du flapping. Un dictionnaire de prononciation plus récent (Upton et Kretzschmar, 2017) propose /'twɛn(t)i/, une notation qui permet de rendre compte de la coalescence de /n/ et de /t/, tout en indiquant qu’elle n’est ni obligatoire, ni systématique.

Le /l/ est presque toujours sombre, c’est-à-dire vélarisé, en anglais américain, qu’il soit en position post-vocalique (c’est-à-dire en coda de syllabe) ou en position pré-vocalique (c’est-à-dire en attaque de syllabe, avant la voyelle). La transcription phonétique de cet allophone est [ɫ] (ex. lose ['ɫuːz], milk ['mɪɫk], pill ['pɪɫ]). Notons que dans d’autres accents de l’anglais, comme par exemple dans la plupart des variétés britanniques, le /l/ est clair, c’est-à-dire palatalisé, devant une voyelle (ex. lose ['luːz]). Ce qui réunit néanmoins tous ces accents est la possibilité d’avoir un /l/ vocalisé lorsqu’il ne se trouve pas devant une voyelle. La forme phonétique, extrêmement courante en GA, est alors une voyelle proche de [ʊ] ou [o] (ex. milk ['mɪok], pill ['pɪo] (McWhorter, 2008). 

Certains locuteurs américains ont deux phonèmes qui correspondent aux premières consonnes de which et witch, et qui sont respectivement /ʍ/ et /w/. La consonne /ʍ/, parfois notée /hw/, correspond à la graphie <wh> (elle ne s’utilise pas dans les mots qui ont simplement <w> ou <h> à l’initiale, comme water ou heat). Il s’agit d’une fricative qui présente une double articulation labiale et vélaire. La distinction entre /ʍ/ et /w/, et donc entre which et witch, est aujourd’hui en perte de vitesse en raison du recul des prononciations avec /ʍ/. Durand et Navarro (2015, 122) notent d’ailleurs que le phonème /ʍ/ est « en voie de disparition aux États-Unis ».

L’élision historique de /h/ est effective en GA, comme dans la plupart des variétés de l’anglais, dans hour, heir, honest(y) et honor(able). Il est également effacé dans herb et herbal, ce qui n’est pas le cas en RP. Il peut parfois être élidé, mais de façon bien moins systématique, dans homage, huge, human, humor et upholstery. A contrario, le /h/ est parfois prononcé dans vehicle en GA, ce qui ne se produit pas en RP.

L’élision du yod /j/ est plus généralisée en GA que dans de nombreux accents, dont la quasi-totalité des variétés britanniques. En effet, en raison du processus de Later Yod Dropping (Wells, 1982), le yod s’est trouvé élidé dans des mots comme tune /'tuːn/, student /'stuːdənt/, dune /'duːn/, new /'nuː/, enthusiast /ɪn'θuːziæst/, suit /'suːt/, presume /pri'zuːm/, lewd /'luːd/, allude /ə'luːd/, c’est-à-dire après toutes les consonnes coronales. Cependant, /j/ s’est maintenu après les labiales et les vélaires et après /f, v/ (Wells, 1982, 247 ; Cruttenden, 2008, 227) dans des mots tels que beauty /'bjuːti/, cute /'kjuːt/, few /'fjuː/, view /'vjuː/. Le Later Yod Dropping, innovation à l’origine américaine, s’est ensuite diffusé de façon variable en direction d’autres accents de l’anglais. En raison de cette chute du /j/, le GA n’est pas candidat à la palatalisation du yod que l’on trouve aujourd’hui dans les syllabes accentuées de nombreux accents, par exemple britanniques, australiens, ou encore néo-zélandais (ex. tune /'tʃuːn/, dune /'dʒuːn/, assume /ə'ʃuːm/, presume /prɪ'ʒuːm/). Curieusement, une exception concerne le pourcentage d’Américains qui prononcent coupon avec /j/, bien plus élevé que celui des Britanniques, chez qui le yod est extrêmement marginal dans ce mot (Wells, 2008). De façon globale, l’élision du yod est plus spécifiquement américaine dans les syllabes accentuées. En effet,

Il y a […] une grande variabilité aux États-Unis, et bien que cela ne soit pas toujours remarqué, l’effacement du yod ne se produit pas nécessairement en position postaccentuelle. Ainsi, pour s’en tenir à un seul exemple, annual est /'ænjuəl/ en GA comme en RP. En position pré-accentuelle, l’effacement du yod est également sujet à variation en GA : nutrition peut s’y prononcer /njuː'trɪʃən/ ou /nuː'trɪʃən/. (Durand et Navarro, 2015, 123)

Parmi les exemples les plus frappants, on peut citer le mot figure, qui retient majoritairement le /j/ en position postaccentuelle en GA : /'fɪɡjər/, là où il est effacé en anglais britannique : /'fɪɡə/. Il semblerait d’ailleurs que, pour beaucoup d’Américains, une prononciation sans yod de figure soit considérée comme une erreur ou comme un phénomène dialectal. Ainsi, dans des romans où les prononciations dialectales sont encodées par des modifications graphiques dont le but est de représenter des formes non standard (cas de dialecte pour l’œil ; eye dialect en anglais), on trouve la graphie <figger>. The Adventures of Tom Sawyer, de Mark Twain (1876) en est un exemple classique.

Dans les fricatives, une opposition de voisement touche parfois les variétés GA et RP. Ainsi, le GA a principalement l’alvéolaire sourde /s/ (vs. son équivalent voisé /z/ en RP) dans les mots suivants: blouse, blouson, Chrysler, diagnose, Denise, dextrose, une variante de diesel, erase, une variante de Joseph, mimosa, une variante de muesli, parse, resource, talisman, Teresa, treatise, valise, vase. En plus de /z/, /s/ est également une possibilité en GA dans les terminaisons en -ese (ex. Bernese, Burmese, Chinese, Japanese, Vietnamese (/s/ semble plus marginal pour ce dernier mot). Au contraire, greasy avec /z/ peut s’entendre (de façon minoritaire) en GA alors que la prononciation avec /s/ semble exclusive en RP.

La version voisée de la palato-alvéolaire, c’est-à-dire /ʒ/, prédomine en GA (vs. /ʃ/, son équivalent sourd, en RP) dans cashmere, luxury, Persia(n), excursion, version, Asia (malgré une préférence pour la norme américaine chez les jeunes Britanniques dans le cas de Asia).

De façon plus générale, la coalescence (ou palatalisation) du yod en position non accentuée aboutit de façon systématique à une prononciation avec /ʒ/ en GA dans les items se terminant en -sia(n). La RP a majoritairement une prononciation sans palatalisation, avec /zj/ (ex. amnesia, anesthesia, euthanasia, Indonesia(n), Parisian, Polynesia(n)). Dans les mots se terminant en -ual précédés de /s/ ou /z/, le GA a nécessairement une variante avec yod palatalisé en /ʃ/ ou /ʒ/ (ex. sexual /'sekʃuəl/, casual /'kæʒuəl/). Par comparaison, la prononciation RP se faisait précédemment avec des variantes non palatalisées (/'seksjʊəl, 'kæzjʊəl/, cf. Gimson 1980) mais la grande majorité des locuteurs RP (surtout les plus jeunes d’entre eux) s’est depuis alignée sur la prononciation américaine. Dans un mot comme associate, la coalescence est plus répandue en GA qu’en RP (/ə'səʊʃieɪt/ est plus fréquent que /ə'səʊsieɪt/).

5. Autres caractéristiques segmentales

Les terminaisons en -ile et -ization sont « faibles » en GA. Ainsi, la séquence -ile est prononcée /əl/, /ɪl/ ou /l/, et non pas /aɪl/ comme en RP (ex. agile, docile, fertile, fragile, futile, hostile, missile, mobile, senile, servile, sterile, tactile, versatile, virile). Néanmoins, on trouve uniquement la prononciation avec /aɪl/ dans les items suivants en GA : exile, gentile, reptile, crocodile, domicile, ainsi qu’une variante de infantile et de juvenile. La terminaison -ization, quant à elle, est prononcée /ɪ'zeɪʃn/ ou /ə'zeɪʃn/ et non pas /aɪ'zeɪʃn/ comme en RP (ex. civilization, realization). Les suffixes anti-, multi- et semi- ayant /aɪ/ en GA (vs. /i/ en RP, voir plus haut), anti-missile se prononce /ˌæntaɪ 'mɪsəl/ en GA, mais /ˌænti 'mɪsaɪl / en RP.

À l’inverse, les terminaisons en -ary, -ery, -ory, -ony, ainsi que les mots en -berry contiennent une voyelle forte en GA et une voyelle faible en RP (ex. momentary /'moʊməntɛri/ (GA) vs. /'məʊmənt(ə)ri/ (RP) ; cemetery /'semətɛri/ (GA) vs. /'semətri/ (RP) ; category /'kæt̬əɡɔːri/ (GA) vs. /'kætəɡ(ə)ri/ (RP) ; ceremony /'serəmni/ (GA) vs. /'serəməni / (RP) ; strawberry /'strɔːbɛri/ (GA) vs. /'strɔːb(ə)ri/ (RP). Parmi les exemples les plus fréquents, on peut citer arbitrary, cautionary, commentary, culinary, customary, dictionary, disciplinary, estuary, February, imaginary, itinerary, January, judiciary, literary, legendary, library, mercenary, military, missionary, mortuary, obituary, ordinary, preliminary, primary, revolutionary, sanctuary, sanitary, secondary, secretary, seminary, solitary, temporary, veterinary, vocabulary, voluntary; cemetery, monastery, allegory, category, conciliatory, derogatory, dormitory, inventory, laboratory, lavatory, migratory, obligatory, oratory, predatory, preparatory, promontory, purgatory, reformatory, statutory, territory, acrimony, alimony, ceremony, matrimony, parsimony, patrimony, sanctimony, testimony, blueberry, cranberry, raspberry… On peut noter les exceptions suivantes, qui ont une voyelle faible en GA : artery, chancellery, discovery, distillery, emery, grocery, imagery, jewelery, mystery, rockery, savagery, calorie, factory, history, ivory, memory, savory, theory, trajectory, victory, exemplary, granary, infirmary, notary, salary, summary, quandary, ainsi qu’une variante de auxiliary, beneficiary et tertiary, agony, balcony, colony, harmony, monotony, symphony, telephony (Windsor Lewis).

Lorsqu’elles ne suivent pas immédiatement l’accent primaire, les terminaisons en -ative tendent à contenir également une voyelle forte en GA : /-eɪtɪv/. Si les choses semblent évoluer dans la direction américaine chez les jeunes locuteurs britanniques, elles sont traditionnellement prononcées avec /-ətɪv/ en RP (ex. administrative, authoritative, communicative, educative, innovative, palliative, qualitative, quantitative, vegetative). En position postaccentuelle, la terminaison se prononce avec /-ətɪv/ dans les deux variétés (ex. in'dicative, 'negative, pro'vocative, repre'sentative, su'perlative).

Les exemples précédents illustrent la tendance du GA à posséder une voyelle pleine après l’accent primaire, et notamment deux syllabes après celui-ci, là où la voyelle est beaucoup plus souvent réduite à /ə/ en RP. Ce schéma est généralisable dans les terminaisons notées ci-dessus, mais on le retrouve également dans les exemples isolés suivants : circumstance /'sɜ(ː)rkəmstæns/, consequence /'kɑ(ː)nsəkwɛns/, consequently /'kɑːnsəkwɛntli/, difficulty /'dɪfɪkʌlti/, evident(ly) /'evɪdɛnt(li)/, melancholy /'melənkɑ(ː)li/, miscellany /'mɪsəlni/, rosemary /'roʊzmɛri/, sycophancy /'sɪkəfænsi/.

De façon beaucoup plus marginale, la réciproque se rencontre, le GA ayant une variante avec une voyelle réduite à /ə/ (vs. une voyelle pleine en RP) dans les syllabes inaccentuées des items suivants : dandruff, epoch, program et, surtout, Amos, congress, despot, partisan, progress, placard.

D’après Windsor Lewis, les mots se terminant en -in ou -ain après /t/ ou /s/ sont généralement prononcés avec /ən/ ou un « n syllabique » en GA. La tendance RP est une prononciation avec /ɪn/ (ex. assassin, bulletin, cretin, fountain, Latin, martin, mocassin, mountain, resin, satin). Cette terminaison est néanmoins sujette à variation.

La terminaison française -euse est majoritairement prononcée avec /u(ː)z/ ou /u(ː)s/ en GA, alors qu’elle a de façon presque exclusive la voyelle /ɜː/ en RP (ex. berceuse, chanteuse, chartreuse, masseuse). La même différence se retrouve dans le mot français milieu. Quant à masseur, il est prononcé avec /ʊ/ (vs. /ɜː/ en RP).

Les mots suivants présentent des spécificités américaines, notamment par rapport à la prononciation britannique et à celles des variétés influencées par cette dernière : glacier /'ɡleɪʃər/ (vs. RP /'ɡlæsiə/), jaguar /'dʒægwɑ(ː)r/ (vs. RP /'dʒagjuə/), lieutenant /lu(ː)'tenənt/ (vs. RP /lef'tenənt/), mayor /'meɪər / (vs. RP /'meə/ ou /'mɛː/), nougat /'nu(ː)gət / (vs. RP /'nuːɡɑː/), une variante courante de nuclear /'nu(ː)kjələ / (vs. RP /'njuːkliə/), schedule /'skedʒuːl/ (vs. RP conservatrice /'ʃedjuːl/), wrath /'ræθ/ (vs. RP /'rɒθ/).

Windsor Lewis note que la prononciation de certains mots étrangers, et notamment français, est davantage influencée par l’orthographe en GA. La RP y maintient des prononciations qui imitent davantage celles de la langue d’origine. Notons par exemple : chassis avec /ʧ/ (vs. /ʃ/ en RP), fracas /'freɪkəs/ (vs. /'frækɑː/ en RP), niche avec /ʧ/ (vs. /ʃ/ en RP), Notre Dame /ˌnoʊtər 'deɪm/ (vs. /ˌnɒtrə 'dɑːm en RP), penchant /'pen(t)ʃənt/ (vs. /'pɒ̃ʃɒ̃/ en RP), tourniquet /'tɜ(ː)rnəkət/ (vs. /'tɔːnɪkeɪ/ en RP). Le schéma inverse s’applique au mot liqueur, qui conserve une prononciation plus proche de celle du français en GA : /lɪ'kɜ(ː)r/ (vs. /lɪ'kjʊə/ en RP).

Ce chapitre a porté sur le niveau segmental de la prononciation de l’anglais américain en traitant principalement des sons pris isolément. Le chapitre suivant traitera de l’aspect suprasegmental de la prononciation américaine, c’est-à-dire des composantes de la prononciation qui dépassent le niveau du son individuel : accents de mots, intonation, rythme et processus de chaîne parlée. Bien entendu, cette distinction est un peu artificielle, le suprasegmental ayant une influence sur le segmental et vice versa. Certains des phénomènes traités dans ce chapitre auraient d’ailleurs pu être abordés dans le chapitre suivant. Ce découpage est toutefois privilégié pour des raisons de clarté.

Notes

Pour citer cette ressource :

Olivier Glain, Vincent Hugou, Chapitre 2. La prononciation de l’anglais américain : caractéristiques segmentales, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mai 2025. Consulté le 09/05/2025. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/langue/chapitre-2-la-prononciation-de-l-anglais-americain-caracteristiques-segmentales