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Chapitre 3. La prononciation de l’anglais américain : caractéristiques suprasegmentales et évolutions

Par Olivier Glain : Professeur des universités en linguistique anglaise - Université Jean Monnet de Saint-Étienne (UR ECLLA), Vincent Hugou : Maître de conférences en linguistique anglaise - Sorbonne Université (CELISO, UR 7332)
Publié par Marion Coste le 07/05/2025

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Ce chapitre porte principalement sur les caractéristiques suprasegmentales de la prononciation américaine, c’est-à-dire sur les aspects qui dépassent le niveau des sons pris isolément. En effet, les schémas accentuels des mots, l’intonation, le rythme, ou encore les processus de chaîne parlée qui sont associés à une variété d’anglais participent pleinement à ce qui fait la « signature acoustique » de celle-ci. La variété décrite est la même que celle du chapitre précédent, à savoir le ((General American)). Nous traitons aussi des principales évolutions qui ont été notées dans les accents de l’anglais au niveau mondial en tâchant de déterminer quelles sont celles qui sont également associées à l’anglais américain et en expliquant pourquoi certaines évolutions semblent concerner plusieurs variétés sans pour autant faire perdre leur spécificité à chacune d’entre elles.

1. Les accents lexicaux : accents primaires et secondaires

En ce qui concerne le placement de l’accent primaire au sein des mots, les différentes variétés d’anglais suivent très majoritairement les mêmes règles et schémas. Pour les connaître, on pourra se référer à un manuel plus traditionnel de phonologie de l’anglais. Les règles et schémas que nous mentionnons ci-dessous sont celles et ceux qui sont spécifiques à l’anglais américain. On peut noter en GA un renforcement de la tendance germanique à placer l’accent en début de mot, c’est-à-dire sur la première syllabe du radical. Il s’agit là d’un processus historique, amorcé avant l’existence même de la langue anglaise, lors de l’évolution du proto-indo-européen au proto-germanique ((Le proto-indo-européen et le proto-germanique sont des langues reconstituées qui sont les ancêtres de nombreuses langues, dont l’anglais.)). En anglais, l’incorporation de mots d’origine latine, parmi lesquels un grand nombre d’emprunts au français, a entraîné un système accentuel mixte, avec des mots ne suivant pas la tendance germanique (ex. bi'zarre, u'nique, ma'sseur). Dans certains mots, le schéma d’accentuation des emprunts s’est en revanche trouvé assimilé au système accentuel anglais, poursuivant ainsi la tendance germanique (ex. mouton /mutɔ̃/ → mutton /'mʌtən/, raisin /ʀɛzɛ̃/ → /'reɪzən/, bonté /bɔ̃te/ → bounty /'baʊnti/). La majorité des spécificités des schémas accentuels américains va dans le sens de l’accentuation en début de mot, y compris dans les composés ((Les variétés du Sud des États-Unis vont encore plus loin dans cette tendance au placement de l’accent en première syllabe. On peut ainsi citer les schémas accentuels « sudistes » suivants : 'cement, 'insurance, 'pecan, 'umbrella, 'united.))

Les verbes de deux syllabes se terminant par -ate sont généralement accentués sur la première syllabe en GA alors qu’ils sont accentués sur la dernière syllabe en anglais britannique. Parmi les plus fréquents, on peut noter : 'castrate, 'cremate, 'curate, 'dictate, 'donate, 'frustrate, 'hydrate, 'locate, 'migrate, 'mutate, 'narrate, 'placate, 'prostrate, 'pulsate, 'rotate, 'stagnate, une variante de 'translate, 'truncate, 'vacate, 'vibrate. Les noms dérivés gardent l’accent sur la première syllabe de la base : 'curator, 'dictator, 'rotator, 'spectator, 'vibrator

Cette différence de schéma accentuel se solde le plus souvent par une voyelle sous l’accent prononcée différemment (ex. cremate GA /'krmeɪt/ vs. RP /krə'meɪt/ ; narrate GA /'næreɪt/ vs. RP /nə'reɪt/). Cela peut être très marqué, comme dans placate (GA /'plkeɪt/ vs. RP /plə'keɪt/), ou encore vacate (GA /'vkeɪt/ vs. RP /və'keɪt/).

Néanmoins, lorsque le verbe dissyllabique en -ate contient un préfixe, il est généralement accentué sur sa dernière syllabe. Les principaux exemples sont : a'bate, co'llate, con'flate, de'bate, de'flate, di'late, e'late, in'flate, in'state, ne'gate, re'late, ainsi qu’une variante de tran'slate.

Les verbes dissyllabiques suivants sont également accentués sur leur première syllabe en GA (vs. dernière syllabe en RP) : 'fragment, 'segment, 'baptize, 'capsize. Le verbe protest a tendance à suivre le même schéma : 'protest (vs. pro'test en RP), même si une variante avec l’accent sur la seconde syllabe peut se rencontrer. Il est bien possible que les locuteurs Américains forment le verbe 'protest et le nom 'protestor sur le modèle du nom 'protest accentué en première syllabe.

Dans divers items lexicaux, le GA montre une tendance au placement de l’accent primaire sur la première syllabe, parfois sous forme de variante et parfois de façon exclusive, alors que l’accent est placé sur une autre syllabe en RP. On peut citer les exemples suivants : le verbe 'accent, le nom ou adjectif 'alternate, 'amortize, 'Augustine, 'avoirdupois, 'barcarolle, 'buckshee, une variante de 'cement, 'cervical, 'circulatory, 'classificatory, 'congener, 'congeries, 'constitutive, 'contractor, 'controversy, 'corollary, 'courtesan, 'disciplinary, 'dilettante, 'doctrinal, 'dungarees, 'elephantine, 'expletive, 'furore, 'gyratory, 'hullabaloo, 'inquiry, 'laboratory, 'lychee, 'MacNamara, 'manganese, 'Mardi Gras, 'margarine, 'medullary, 'miscellany, une variante de 'obligatory, 'pangolin, 'parmesan, 'partisan, 'pretense, 'prospector, 'recourse, 'research, 'respiratory, 'recess, 'reveille, 'romance, 'saxophonist, 'shallot, 'sitar, 'stewardess, 'tangerine, 'toward(s), 'trachea, 'urinal, 'weekend (exemples tirés de Windsor Lewis).

On notera que quelques mots ont ici un caractère spécialisé. Ainsi, trachea est médical (windpipe est le mot usuel pour « la trachée »), ou encore amortize est utilisé surtout dans le domaine de l’économie. Il y aurait donc parfois une corrélation entre la fréquence d’un mot, son usage restreint et l’instabilité du schéma accentuel (les locuteurs n’ont parfois jamais entendu le mot prononcé et hésitent en conséquence). Cependant, comme les exemples ci-dessus le montrent aussi, d’autres mots sont d’usage très courant : contractor, controversy, laboratory, pretense, research, recess, urinal, weekend. Ce qu’il importe alors de bien comprendre, c’est que rien n’est jamais laissé au hasard. Ainsi, si contractor s’accentue /100/ communément aux États-Unis, c’est que les locuteurs forment dans leur esprit le dérivé sur le nom contract /10/ et pas sur le verbe contract /01/, comme le ferait sans doute plus volontiers un locuteur britannique. Saxophonist /1000/ en GA est somme toute plus logique, puisque le suffixe -ist est faible et ne devrait rien changer au dérivant, saxophone /100/. L’anglais RP avec /0100/ est en ce sens moins régulier.

Les schémas accentuels de nombreux mots empruntés à d’autres langues sont parfois différents en GA et en RP en raison de deux tendances contraires qui sont, d’une part, l’anglicisation (qui implique un accent en début de mot) et, d’autre part, l’identification du mot en tant que mot étranger (qui implique souvent un accent en fin de mot, surtout pour les mots français). On peut donner les exemples suivants, qui se démarquent en GA par l’application d’un accent primaire en dernière syllabe : appli'qué, ate'lier, atta'ché, ba'llet, ba'ton, be'ret, Ber'nard, bla'sé, bra'ssiere, bro'chure, (crème) bru'lée, bu'ffet, ca'fé, cha'grin, cha'let, chariva'ri, cha'teau, cli'ché, cor'net, cou'pé, cro'chet, cro'quet, de'bris, enn'ui, fian'cé(e), fi'let, Flau'bert, fron'tier, ga'rage, Ge'rard, gla'cé, ma'ssage, mi'rage, par'quet, pa'ssé, pâ'té, pla'teau, pré'cis, pre'mier, pu'rée, Rabe'lais, renai'ssance, ren'tier, retrou'ssé, ri'squé, Rou'sseau, sa'lon, sau'té, sa'vant, sor'bet, sou'fflé, Su'ez, Tho'reau, tou'ché, tou'pee, tri'age, trou'sseau, ver'mouth.

La tendance est également celle d’un déplacement vers la droite dans les mots d’origine étrangère suivants : adver'tisement, al'bumen, a'ristocrat, ba'salt, bi'tumen, bra'ssiere, ca'ffeine, Chi'lean, une variante de cli'toris, com'plex, co'mmunal, com'posite, cor'net, une variante de de'tail, une variante de dis'locate, ec'zema, une variante de elec'toral, une variante de evi'dently, finan'cierhygi'enic, une variante de mi'nuscule, moussa'ka, o'mega, pa'prika, une variante du nom per'fume, une variante de Phi'listine, une variante de prede'cessor, prema'ture, pre'mier, pro'lix, une variante de re'spite, sta'lactite, sta'lagmite, su'baltern, une variante de to'pee, une variante de tri'bune, vac'cine, ver'mouth.

La logique se trouve inversée dans les mots suivants, qui sont accentués en première syllabe en GA (vs. dernière syllabe en RP) : 'secateurs, 'cigarette, 'magazine, 'mayonnaise, une variante de 'millionnaire, 'mustache, 'spinet. Cela est également le cas dans les noms propres suivants : une variante de 'Afrikaans, 'Dunkirk, 'Baghdad, 'Beirut, 'Bucharest, 'Budapest, 'Corfu, 'Hong Kong, 'Pakistan, 'Panama, 'Saigon, 'Singapore. Pour les mots suivants, le schéma accentuel est en revanche le même dans les deux variétés : syllabe finale pour bou'quet, cri'tique, fa'çade, ho'tel, my'stique, ra'pport et syllabe initiale pour 'camouflage, 'espionage, 'fuselage, 'restaurant, 'sabotage, 'depot, 'dossier, 'gendarme (Windsor Lewis).

Quelques différences de schémas accentuels opèrent au niveau de mots isolés. Par exemple, adult est très majoritairement accentué a'dult en GA (vs. 'adult en RP). Le nom address est le plus souvent 'address en GA (vs. a'ddress en RP). Quant au nom combatant, il est accentué com'batant en GA (vs. 'combatant en RP). Le nom advertisement est accentué ˌad'vertisement (vs. ad'vertisement en RP). La tendance britannique à déplacer l'accent primaire sur la syllabe initiale dans les verbes contribute et distribute ne s’est pas produite en GA, qui a gardé con'tribute et di'stribute. L’accent secondaire de improvisation est placé sur la deuxième syllabe en GA (/ɪmˌprɑːvɪ'zeɪʃən/), alors qu’il frappe la première en RP (/ˌɪmprəvaɪ'zeɪʃən/).

En ce qui concerne les composés, le GA montre à nouveau la tendance à une remontée de l’accent primaire, c’est-à-dire à une accentuation principale sur le premier terme du composé (contrairement à la RP) dans les items suivants : a'boveboard, 'Adams apple, 'Alka-Seltzer, 'apple pie, 'applesauce'backfire, ba'nana republic, 'big end, 'boyscout, 'Bunsen burner, 'card index, 'castor oil, 'chili sauce, 'Christmas rose, 'club-foot, 'cod liver oil, 'conger eel, 'cottage cheese, 'court martial, 'cream cheese, 'cream soda, 'crocodile tears, 'DJ, 'dry-cleaner, 'elsewhere, 'field marshal, 'flat-chested, 'flying fish, 'foul play, 'forest fire, 'French beans'French fries, 'furthermore, 'ginger beer, 'goldenrod, 'grizzly bear, 'Guy Fawkes, 'headquarters, 'horse chestnut, 'hot dog, 'icecream, 'kidney bean, 'lions share, 'Long Beach, 'long johns, 'lopsided, 'mealy-mouthed, 'Mickey Mouse, 'minute steak, 'morning glory, 'musical chairs, 'olive oil, 'party line, 'pearl barley, 'peanut butter, 'pea soup, 'polar bear, 'pork chop, 'Promised Land, 'red light district, 'Robin Hood, 'round-shouldered, 'salad dressing, 'saltwater, 'Santa Claus, 'Santa Fe, 'season ticket, 'shish kebab, 'shop steward, 'shop window, 'shortcut, 'short story, 'sol-fa, 'stage manager, 'stage whisper, 'Stonehenge, 'stonewall, 'submarine, 'sugar candy, 'sweet tooth, 'top-hat, 'top-heavy, 'trade union, 'treasure-trove, 'Twelfth-night, 'Union Jack, 'vocal cords, 'wastepaper, 'Worcester sauce, 'writers block, 'yellow fever.

Dans les composés en -ed suivants, le premier terme est souvent porteur de l’accent primaire en GA. Cela est parfois le cas de façon majoritaire, voire exclusive, mais une variante avec accent primaire sur le second terme peut aussi se rencontrer. En RP, c’est toujours le second terme qui porte l’accent dans ces mêmes composés : 'baldheaded, 'bow-legged, 'bullnecked, 'close-fisted, 'cross-eyed, 'fairminded, 'foulmouthed, 'gilt-edged, 'knock-kneed, 'long-haired, 'longwinded, 'lopsided, 'mealy-mouthed, 'pig-headed, 'pot-bellied, 'short-sighted, 'simpleminded, 'toffee-nosed (Windsor Lewis).

La tendance à produire un schéma d’accentuation de type germanique est encore plus marquée chez certains Américains. En effet, Windsor Lewis explique qu’une minorité non négligeable de locuteurs du GA accentue sur le premier élément la quasi-totalité des séquences de deux mots qui pourraient être considérées comme des composés. Il donne pour exemple 'ducks back, the 'Milky Way, 'West Point.

Dans les terminaisons en -ary, -ery, -ory, -ony, -berry, -ative, qui sont « fortes » en GA, c’est-à-dire dans lesquelles la voyelle reste pleine (cf. chapitre 2, section 5), on peut analyser l’absence de réduction comme la marque d’un accent secondaire (voire tertiaire). C’est d’ailleurs le choix de transcription qui est opéré par les auteurs du Routledge Dictionary of Pronunciation for Current English (Upton et Kretzschmar, 2017). On peut donc dans ce cas noter comme suit : arbitrary /'ɑ(ː)rbəˌtrɛri/, cemetery /'sɛməˌtɛri/, category /'kæt̬əˌɡɔːri/, acrimony /'ækrəməˌmoʊni/, ceremony /'sɛrəˌmoʊnni/, blueberry /'bluːˌbɛri/, cranberry /'krænˌbɛri/, innovative /'ɪnəˌveɪt̬ɪv/.

2. Autres aspects suprasegmentaux : rythme, chaîne parlée, intonation

Le rythme du GA est semblable à celui de la plupart des variétés du « cercle intérieur » ((Le cercle intérieur est constitué de pays où l’anglais est traditionnellement utilisé comme langue maternelle. Les variétés qui y sont utilisées servent souvent de normes linguistiques à d’autres pays (ex. les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie, etc.).)) (Inner Circle). Il est essentiellement caractérisé par l’accentuation des mots porteurs de sens, c’est-à-dire principalement les mots lexicaux, et la réduction des mots grammaticaux. Par exemple, from, of ou at sont généralement réduits à [frəm], [əv] et [ət]. Les voyelles des syllabes inaccentuées de mots lexicaux tels que villain ou arrive sont également réduites pour prendre souvent la forme d’un schwa ([ə]) : ['vɪlən], [ə'raɪv]. Meier (2009, 182) note une tendance des Américains à produire une accentuation plus forte en début qu’en fin de phrase, contrairement aux locuteurs RP, qui produisent des accents plus saillants en fin de phrase. Par ailleurs, les réductions sont un peu moins fréquentes en GA que dans d’autres variétés, dont la RP, comme nous avons commencé à le voir dans la section précédente. Les différences rythmiques entre GA et RP sont toutefois bien moins nombreuses que leurs similitudes. Les différences sont plus importantes avec les variétés du « cercle extérieur » ((Le cercle extérieur est composé de pays post-coloniaux dans lesquels l’anglais est une langue officielle et joue un rôle important dans l’éducation, la gouvernance et la culture populaire, bien que n’étant la plupart du temps pas la langue maternelle des habitants (ex. l’Inde, le Nigéria, le Pakistan, les Philippines, Singapour, etc.). Les variétés d’anglais utilisées dans ces pays développent leurs propres normes linguistiques.)), qui présentent une plus grande syllabicité. En effet, ces dernières sont davantage rythmées par les syllabes que par les accents lexicaux, ce qui entraîne fréquemment une moins grande réduction vocalique dans les syllabes inaccentuées. Ainsi, on trouve fréquemment from [frɔm], of [ɔv], at [æt] ou [at], villain ['vɪlɛn], arrive [æ'raɪv] ou [a'raɪv] dans les variétés du cercle extérieur.

Outre les absences de réduction post-accentuelles vues plus haut, pour lesquelles il est possible de postuler la présence d’un accent secondaire, le GA se caractérise par des absences, certes moins systématiques, de réduction vocalique en position pré-accentuelle. On peut ainsi noter les exemples suivants, dans lesquels les locuteurs du GA ont tendance à utiliser une voyelle pleine là où un schwa /ə/ apparaît de façon très majoritaire en RP : baboon /bæ'buːn/, nasturtium /næ'stɜ(ː)rʃəm/, papoose /pæ'puːs/, raccoon /ræ'kuːn/, taboo /tæ'buː/, trapeze /træ'piːz/, obedience / obedient /'biːdiəns, 'biːdiənt/, une variante de official /'fɪʃəl/, omit /'mɪt/, probation /pr'beɪʃən/, prohibit /pr'hɪbət/, protract /pr'trækt/, protuberance /pr'tuːbərəns/, protrude /pr'truːd/, vociferous /v'sɪfərəs/, Satanic /s'tænɪk/.

Le GA n’a pas de forme faible pour les mots Saint /'seɪnt/ et Sir /'sɜːr/, qui sont le plus souvent réduits à /sənt/ et /sə/ en RP lorsqu’ils précèdent un nom propre (ex. the University of St Andrews, Sir Paul McCartney). Windsor Lewis note une utilisation plus fréquente des formes non réduites des articles a et the, respectivement /eɪ/ et /ðiː/, dans les discours ou les prises de parole formelles en anglais américain.

Ces remarques vont dans le sens d’une moins grande réduction vocalique typique de l’anglais américain, qui lui confère un rythme un peu différent de celui de l’anglais britannique. D’ailleurs, cela va de pair avec un débit de parole souvent moins rapide chez les Américains. Rappelons le rôle historique joué par Noah Webster, véritable « père fondateur » du GA, qui souhaitait faire du modèle américain une variété dans laquelle toutes les syllabes seraient prononcées afin de se démarquer du modèle britannique et qui préconisait par ailleurs une correspondance aussi étroite que possible entre orthographe et prononciation (cf. chapitre 1, section 6). À ce titre, un certain nombre d’absences de réduction, synonymes de voyelles pleines, notées dans la section précédente, pourraient très bien figurer ici.

Le GA possède toutefois quelques réductions qui lui sont propres. On peut noter la forme ['sʌmpm] de something (vs. ['sʌmɪŋ] en RP). La réduction de you à [jə] est aujourd’hui toujours plus fréquente en GA (même si les choses sont peut-être en train d’évoluer en RP) ; elle se trouve notamment utilisée devant une consonne (ex. you want), comme dans la plupart des variétés, mais aussi devant une voyelle (ex. you eat).

Certains processus d’assimilation sont très fréquents an anglais américain. Cela est par exemple le cas de la palatalisation de /s/ en [ʃ] dans les environnements /str/ et (ex. street ['ʃriːt], strong ['ʃtrɔːŋ], straight ['ʃtreɪt]) et /sr/ (ex. grocery ['groʊʃri], nursery ['nɜ(ː)rʃri], restaurant ['reʃtrɑːnt]). Plus les locuteurs sont jeunes, plus ils ont tendance à multiplier ces prononciations (Glain, 2016 ; 2020b), qui se développent petit à petit dans la variété standard (il n’est pas rare de les entendre chez les présentateurs de journaux télévisés, par exemple), ce qui justifie leur inclusion dans la description du GA. Ces phénomènes existent en anglais britannique, mais ils sont plus rares dans la variété standard, du moins pour l’instant ((Ces processus de palatalisation se développent dans de nombreuses variétés ; ils sont par exemple très fréquents en anglais australien et néo-zélandais.)).

Dans un autre domaine, on assiste depuis la fin du 20ème siècle à la diffusion d’une certaine qualité de voix, que l’on appelle voix craquée (phénomène connu sous le nom de creaky voice ou vocal fry en anglais). Il s’agit d’un processus de laryngalisation qui est davantage développé chez les locuteurs, et surtout les locutrices ((Il y a certainement deux raisons pour lesquelles ce sont les jeunes femmes qui utilisent le plus la voix craquée. Tout d’abord, les études sociolinguistiques nous montrent que les jeunes femmes constituent régulièrement la catégorie de la population qui se trouve à l’avant-garde des changements linguistiques. En d’autres termes, ce sont celles qui contribuent à diffuser les innovations linguistiques qui sont par la suite souvent reprises par le reste de la population. Par ailleurs, l’utilisation de la voix craquée constitue probablement un acte d’identité (conscient ou inconscient) et d’appartenance à cette catégorie de la population (Habasque, 2020).)), les plus jeunes. Les cordes vocales vibrent de plus en plus lentement et finissent par se relâcher, ce qui entraîne des vibrations irrégulières ((De nombreux exemples de voix craquée peuvent être entendus sur YouTube en tapant vocal fry dans la barre de recherche.)). La voix craquée est très régulièrement perçue comme typique des Valley Girls de Californie (Habasque, 2020) mais elle est utilisée dans le reste du pays. Il est difficile de savoir s’il s’agit d’une simple mode passagère ou d’un phénomène durable.

Les fonctions de l’intonation sont les mêmes en GA que dans la plupart des variétés de l’anglais. Pour une description complète de l’intonation de l’anglais (américain), il convient de se reporter à un ouvrage plus spécialisé. Nous ne décrivons ici que les grands principes de l’intonation et les spécificités américaines. On peut distinguer les fonctions grammaticales, accentuelle, attitudinale et discursive. Par sa fonction grammaticale, l’intonation aide à l’identification des structures grammaticales et syntaxiques du discours, à la manière de la ponctuation à l’écrit. L’intonation permet en effet d’identifier les frontières entre des groupes de sens, c’est-à-dire bien souvent des unités telles que les phrases, les propositions et les groupes intonatifs et de faire la différence entre une affirmation et une question. La langue orale divise ainsi les informations en blocs que l’on appelle des groupes intonatifs (ou groupes de souffle). Ces blocs d’informations sont séparés les uns des autres par des petites pauses et / ou par des changements de rythme et des modifications du schéma intonatif. Les frontières entre les groupes intonatifs peuvent être déterminantes pour le sens de l’énoncé. Considérons les deux énoncés suivants, dans lesquels | représente une frontière intonative :

(1) The children who like fries | are happy

(2) The children | who like fries | are happy

L’intonation permet de faire la différence entre les propositions relatives restrictives et non restrictives. Si la caractérisation effectuée par la relative est nécessaire à la définition ou à l’identification de l’antécédent, comme en (1), il s’agit d’une restrictive : tous les enfants ne sont pas contents ; seuls ceux qui aiment les frites le sont. Il n’y a alors pas de frontière intonative entre l’antécédent et le pronom relatif. En revanche, si l’information véhiculée par la relative n’a pas vocation à définir ou à identifier l’antécédent, il s’agit alors d’une relative non restrictive ou appositive. Tel est le cas en (2), où tous les enfants sont contents car il se trouve qu’ils aiment tous les frites. À l’écrit, l’apposition est bien sûr marquée par des virgules. À l’oral, il y a une frontière intonative entre l’antécédent et le pronom relatif.

En accordant une plus grande importance aux syllabes qui doivent être accentuées, la fonction accentuelle de l’intonation permet de diriger l’attention de l’auditeur vers certaines parties du message. L’information qui est importante pour l’énonciateur prend ainsi un relief particulier, pouvant par exemple marquer le contraste (ex. I’m not the best. You’re the best). Cette fonction est proche de la fonction discursive, l’intonation indique la façon dont les différentes unités d’information (qui correspondent aux différents groupes intonatifs) sont liées ou mises en contraste les unes par rapport aux autres. Elle nous donne également des indications sur les informations qui sont considérées comme nouvelles, les distinguant en cela de celles qui sont considérées comme déjà données ou établies. Cela est accompli par le placement du noyau intonatif (ou accent nucléaire ou tonique) sur une syllabe particulière, qui reçoit ainsi un accent plus marqué que celui des autres syllabes accentuées. C’est également sur cette syllabe que commence le ton / le contour intonatif. Le noyau marque la fin de l’information que l’énonciateur souhaite apporter, c’est-à-dire la fin de l’information nouvelle. Le noyau tombe la plupart du temps sur la syllabe accentuée du dernier élément lexical, mais pas nécessairement. Dans les deux groupes intonatifs suivants, prononcés par un célèbre agent secret, le noyau est souligné :

My name is Bond | James Bond

Dans la première unité intonative, le noyau correspond bien au dernier élément lexical. En revanche, dans la seconde, le noyau est placé sur James, qui constitue la fin de l’information nouvelle apportée par l’énonciateur, le nom de famille ayant déjà été communiqué.

Par sa fonction attitudinale, l’intonation peut exprimer des émotions et des attitudes spécifiques (surprise, plaisir, colère, intérêt, ennui, humour, sarcasme, sérieux, etc.). Cela est souvent en rapport avec les contours intonatifs / les tons. Traditionnellement, on considère qu’il existe trois contours intonatifs principaux : la montée (intonation ascendante), la chute (intonation descendante) et le ton creusé (descendant-montant ; fall-rise en anglais). La chute constitue en quelque sorte le ton neutre et objectif de la langue anglaise, typiquement associé aux constructions déclaratives. Elle véhicule une impression de finalité et l’interlocuteur n’est pas sollicité davantage. L’intonation descendante est typique des phrases déclaratives courtes, des phrases impératives et des question tags pour lesquels on n’attend pas de réponse particulière. En d’autres termes, l’énonciateur est certain de ce qu’il affirme ; il n’y a pas de doute. Avec la montée, quelque chose est en suspens. La conversation n’est pas terminée et quelque chose peut être attendu de l’interlocuteur. Même lorsque l’interlocuteur n’est pas sollicité par une question, une intonation montante est une invitation à poursuivre la conversation alors qu’une intonation descendante est synonyme de finalité. L’intonation montante est typique des questions fermées (yes/no questions), des énoncés non achevés ou introductifs, des demandes polies, des question tags pour lesquels on attend une réponse. Une intonation montante peut également être utilisée pour mettre l’interlocuteur à l’aise. Enfin, le ton creusé est fréquemment utilisé lorsque le locuteur exprime des réserves, une contradiction vis-à-vis de propos précédents, un contraste, ou encore un avertissement. Le locuteur est émotionnellement impliqué avec ce contour intonatif. Il est parfois utilisé dans les termes d’une énumération, à part le terme final. Il peut également servir à marquer l’emphase.

Force est de constater que ces explications « traditionnelles » correspondent à des contours intonatifs traditionnels qui ne correspondent pas toujours à la réalité. En effet, les contours descendants et ascendants ne suivent pas toujours ces schémas canoniques. En ce qui concernent d’éventuelles différences entre GA et RP, Meier (2009, 182) explique que les Américains utilisent davantage le volume de la voix afin de marquer l’emphase alors que les locuteurs RP utilisent davantage la hauteur de leur voix. Au niveau intonatif, la différence la plus évidente est la tendance britannique à utiliser des chutes supérieures, qui « tombent » depuis un point plus haut dans la tessiture. Pour une intonation descendante, le GA aura davantage tendance à utiliser des chutes inférieures, partant d’un point comparativement plus bas. Par ailleurs, le GA se caractérise par une utilisation nettement moins fréquente du fall-rise que la RP, notamment pour marquer l’emphase.

Si l’intonation descendante demeure le schéma par défaut du GA, elle est parfois en concurrence avec le phénomène connu sous le nom de High Rising Terminal (HRT). Il s’agit d’une intonation montante utilisée en fin d’assertion dans les phrases déclaratives, en lieu et place d’une intonation descendante. Le HRT, parfois appelé upspeak ou uptalk, peut donner l’impression qu’une question a été posée alors que tel n’est pas le cas ((Des exemples de HRT peuvent s’entendre sur : https://www.youtube.com/watch?v=z756L_CkakU.)). Ce schéma intonatif est particulièrement utilisé par les locuteurs les plus jeunes, et encore davantage par les jeunes femmes, pour les mêmes raisons que celles qui ont été évoquées pour la voix craquée. Il y a donc une certaine corrélation entre son utilisation et celle de la voix craquée. Dans la mesure où le HRT existe dans plusieurs variétés d’anglais, son origine est parfois attribuée aux soap operas australiens ou néo-zélandais, ou encore une fois aux jeunes femmes de Californie. Il n’est donc pas l’exclusivité de l’anglais américain mais il y est toutefois beaucoup plus développé qu’en anglais britannique, et notamment qu’en RP, variété dans laquelle le ton neutre est résolument descendant. Le HRT peut ne pas être systématique chez les locuteurs qui le pratiquent. Son utilisation peut être stylistiquement motivée, le contexte et l’identité de l’interlocuteur / des interlocuteurs semblant jouer un rôle prépondérant.

3. Des évolutions mondiales ?

Il peut être difficile aujourd’hui d’identifier certains traits de prononciation comme typiquement américains. Le rapprochement de certaines prononciations britanniques (cf. chapitre 1, section 9) n’est pas un phénomène isolé. La prononciation australienne a par exemple fortement été influencée par l’anglais américain en dépit de la séparation géographique très nette des deux pays. Au niveau mondial, des phénomènes d’accommodation ponctuels se font désormais souvent en direction de la variété des États-Unis, en raison du rôle prépondérant que joue ce pays sur les scènes économiques et culturelles. Peut-on donc parler d’une forme mondiale de convergence des prononciations de l’anglais ? Au contraire, Trudgill (1998) estime que les « principales » variétés d’anglais sont en train de diverger sur le plan phonologique. Il justifie ces écarts par des raisons écologiques : toutes les langues changent au fil du temps, et elles changent de différentes manières dans des lieux différents (Trudgill, 2003, 55). Même si la situation évolue certainement en raison des phénomènes d’imitation désormais possibles entre locuteurs de variétés d’anglais différentes en raison de l’essor des médias modernes et de la révolution numérique, les sociolinguistes estiment traditionnellement qu’un contact direct entre locuteurs est nécessaire pour qu’il y ait influence en matière de prononciation. Les cas de convergence lexico-phonétique, touchant des mots isolés (cf. chapitre 1, section 9) constituent une exception notoire.

Au-delà de ces cas d’incidence lexicale, Trudgill (2003) recense des cas de changements de sons analogues, opérant cette fois-ci au niveau des systèmes des locuteurs, et ce, dans un grand nombre de variétés et de façon simultanée. Il propose une synthèse orientée autour de cinq exemples de changements de ce type. Parmi ceux-ci, quatre portent sur des traits qui sont notamment associés à l’anglais américain :

  • La palatalisation des agrégats en /str/ (cf. chapitre 2, section 4) se produit à la frontière des mots (ex. this train [ðɪʃ 'treɪn]) et à l’intérieur des mots (ex. street ['ʃtriːt], strong ['ʃtrɒŋ], extraction [ɪk'ʃtrækʃən]). Cette évolution a été notée dans plusieurs régions des États-Unis (dont Hawaï), en Nouvelle-Zélande, en Australie, ainsi que dans diverses régions de la Grande-Bretagne et de l’Irlande et en Afrique du Sud. Ces formes semblent se développer dans de nombreuses régions du monde depuis les années 2010 (Glain, 2013).
  • La perte de /θ, ð/. La réalisation de /θ/ comme /f/ et de /ð/ comme /v/ (ex. think ['fɪŋk], brother ['brʌðə]), considérée à l’origine comme une innovation londonienne, se développe rapidement dans plusieurs régions de l’Angleterre, de l’Écosse, en anglais néo-zélandais, ainsi qu’en anglais afro-américain. Ces prononciations labio-dentales sont en quelque sorte « en concurrence » avec les prononciations dentalisées sous la forme de [t, d], qui se développent également, notamment en anglais américain, participant peut-être ainsi conjointement à un début de « disparition » de /θ, ð/.
  • L’antériorisation de goose. Cette évolution se rencontre en RP, dans plusieurs accents d’Angleterre, d’Écosse, d’Irlande du Nord, des États-Unis, dont le GA, ou encore de l’hémisphère sud. Dans ces accents, l’articulation est plus centrale que postérieure, une voyelle d’arrière étant plutôt la marque d’accents conservateurs. Les variétés du cercle extérieur sont moins marquées par cette antériorisation que celles du cercle intérieur.
  • La perte de labialité de foot. Les lèvres se désarrondissent, ce qui entraîne souvent une réalisation de cette voyelle de type [ɤ] (une voyelle mi-fermée) dans de nombreuses variétés, et notamment en milieu urbain (Wells, 1982, 133). Cette évolution se rencontre (au moins) dans divers accents d’Angleterre (dont la RP), des États-Unis (dont le GA), du Canada, de la Nouvelle-Zélande, ou encore de l’Australie. Rajoutons que cette perte de labialité s’accompagne souvent d’une antériorisation de l’articulation.

En plus de ces phénomènes relevés par Trudgill, on peut noter un développement très fort du HRT dans plusieurs territoires anglophones. Wilhelm (2015) fait une synthèse d’études sur le sujet et note la présence du HRT dans divers accents d’Australie, de Nouvelle-Zélande, des États-Unis, du Canada, des îles Malouines, de l’Angleterre, du pays de Galles, de l’Écosse et de l’Irlande du Nord. La voix craquée semble également gagner du terrain, étant recensée aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie (Madill, 2015). Force est de constater qu’un certain nombre de traits parfois exclusivement associés à l’anglais américain dans les représentations linguistiques (palatalisation de /str/, HRT, voix craquée) sont en réalité des phénomènes plus larges.

Pourtant, ces évolutions parallèles ne sont pas synonymes de convergences des accents dans leur globalité, ni d’américanisation de la prononciation mondiale. Les évolutions des voyelles sont par exemple nombreuses et variées dans le monde anglophone, la variation vocalique y étant presque illimitée. Tel n’est pas le cas des consonnes. En anglais britannique, Williams et Kerswill (1999, 147) observent une convergence des consonnes. Glain (2013) observe des évolutions parallèles dans les systèmes consonantiques des variétés britanniques, américaines, ainsi que dans celles de l’hémisphère sud (Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud). Compte tenu de l’extrême variabilité des voyelles, des réalisations consonantiques communes contribuent certainement au maintien de l’intelligibilité entre des locuteurs de variétés différentes. En effet, « ce sont les consonnes, et non les voyelles, qui jouent un rôle clé dans l’intelligibilité de la chaîne parlée » (Wilhelm, 2011, 91).

Un accent se caractérise par un ensemble de traits de prononciation. Ces caractéristiques étant en nombre limité, il est normal de les retrouver dans un certain nombre d’accents, comme il est normal qu’elles apparaissent dans un certain nombre d’évolutions. C’est leur association au sein d’un même accent qui définit celui-ci. En dépit de l’incontestable convergence de certains traits de prononciation au niveau mondial, la combinaison des caractéristiques typiques des accents des États-Unis, dont le GA, leur confère une signature acoustique qui fait d’eux des accents clairement identifiables comme américains.

Notes

Pour citer cette ressource :

Olivier Glain, Vincent Hugou, Chapitre 3. La prononciation de l’anglais américain : caractéristiques suprasegmentales et évolutions, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mai 2025. Consulté le 09/05/2025. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/langue/chapitre-3-la-prononciation-de-l-anglais-americain-caracteristiques-suprasegmentales-et-evolutions