L'anglais américain dans tous ses états
Introduction
L’anglais britannique étant traditionnellement considéré en France comme la variété de référence, tant sur le plan institutionnel qu’à l’université et dans le secondaire (Hugou, 2017 ; Michari, 2024), l’anglais américain reste souvent, à titre de comparaison, le parent pauvre des études d’anglais. L’omniprésence de l’anglais américain, dans les séries télévisées et les réseaux sociaux, entre autres, est pourtant devenue une réalité difficilement contournable. En outre, de nombreux étudiants [1] aujourd’hui adoptent, de façon plus ou moins consciente et avec plus ou moins de bonheur, un parler plutôt « américain » (Ferragne et al., 2024 ; Michari et Glain, 2024).
Pourquoi ne pas faire alors davantage cas d’une variété dont on étudie à l’université, et sans sourciller, la littérature et la civilisation ? Si, du reste, un nombre non négligeable d’étudiants manifeste aujourd’hui une préférence marquée et plus ou moins assumée pour l’anglais américain, force est aussi de constater, chez ces mêmes étudiants, une connaissance de cette variété souvent parcellaire, voire impressionniste et investie de valeurs affectives. En choisissant de présenter l’anglais américain, de façon aussi complète que possible, tant sur le plan synchronique que diachronique, nous entendons amener ceux qui nous liront à une vision plus juste d’une réalité éminemment complexe.
L’anglais américain est ici souvent abordé dans une perspective comparative avec l’anglais britannique. Une telle perspective semble être la seule façon de situer la variation, qui sans ce point d’appui, ne serait pas perceptible. Si toutefois l’anglais britannique a été retenu comme terme de comparaison, c’est parce que cette variété est largement étudiée et reconnue. Elle reste souvent présente à l’esprit de l’étudiant ou de l’enseignant qui appréhende l’anglais américain. Ce choix ne signifie donc en aucun cas que les autres variétés d’anglais, telles que l’anglais australien, l’anglais sud-africain, etc. n’auraient pas fait l’affaire dans ce travail. Elles présentent, elles aussi, des particularismes dignes d’être étudiés.
Cette perspective différentielle présente toutefois un certain nombre de biais, dont il faut avoir conscience.
Tout d’abord, il convient de garder à l’esprit que la comparaison de l’anglais américain (ce que l’on compare) à l’anglais britannique (ce à quoi l’anglais américain est comparé) se veut être avant tout éclairante. Elle jette une lumière sur de nombreux mécanismes de l’anglais, sur des qualités propres de chaque variété, qu’une approche dans l’absolu, c’est-à-dire sans comparaison, échouerait à donner. Il serait en revanche complètement faux de croire que la comparaison des deux variétés implique qu’il y ait recherche, d’une part, d’un modèle normatif et centralisateur et, d’autre part, d’une autre variété mesurée à l’aune de ce modèle. La posture adoptée dans cette collection est bien celle du linguiste, c’est-à-dire celle d’un observateur. Dans une description linguistique, il n’y a pas de variété supérieure ou inférieure.
Dans ce travail, les étiquettes « anglais américain » ou « US » et « anglais britannique » ou « GB » sont respectivement réservées aux deux variétés lorsqu’il est question de différences lexicales. Les étiquettes « General American » ou « GA » et « Received Pronunciation » ou « RP » sont utilisées dans le chapitre sur la prononciation lorsque nous comparons les accents standard des deux variétés. Le mot « anglais » est aussi employé pour désigner la langue commune, celle parlée par l’ensemble des locuteurs de l’anglais, où qu’ils soient. Il va de soi cependant que nous supposons ici une forme de moyen terme, un anglais américain « standard » et un anglais britannique « standard ». Les écarts dus aux disparités d’âges, d’appartenances sociales ou ethniques n’ont malheureusement pas pu être pris en compte, ce qui conduit dans cette étude à une vision relativement globale et homogénéisante de chaque variété. C’est là une simplification faite uniquement pour les besoins de l’exposé. Bien entendu, en réalité, les situations linguistiques réelles sont autrement plus complexes. Les locuteurs américains (ou britanniques) ne parlent pas tous l’anglais américain (ou britannique) de façon identique et chaque locuteur ne le parle pas toujours de façon identique [2]. L’anglais américain, tout comme les autres variétés d’anglais, est loin de constituer dans les faits un système unitaire et homogène. Par exemple, dans le domaine de la prononciation, même s’il est évident que l’on peut distinguer à l’oreille un accent américain d’un accent britannique, la question est parfois traitée par le prisme d’un certain nombre de différences se situant au niveau de la prononciation de mots isolés (ex. either, leisure, schedule, etc.). Or, les différences de ce type ne relèvent pas de règles absolues. Il s’agirait plutôt de fortes tendances d’usage ou de préférences de prononciations. En effet, il n’est pas exceptionnel d’entendre une variante supposément britannique utilisée par un Américain, la réciproque étant très probablement encore plus fréquente. En ce qui concerne le lexique, les Américains comme les Britanniques ne s’empêchent pas d’utiliser des ressources relevant en théorie de l’autre variété. Dans l’exemple ci-dessous, issu d’un site commercial britannique, la forme dite américaine, rental car, est employée aux côtés de la forme réputée britannique, hire car : « If you are looking for central parking to explore the city centre, you’ll find over 600 parking spaces at a multi-storey car park on Lower Mosley Street. You can leave your hire car there for up to 24 hours if you are planning a big city adventure. There will be an hourly charge to park your rental car in this carpark ». Il serait donc dangereux de figer les données en deux mondes parallèles, cloisonnés et d’entretenir l’illusion naïve d’une équivalence absolue entre les variétés décrites.
La donne se complique si l’on accepte que la variation est un processus dynamique, non un produit : par exemple, le lexique, et pas uniquement le lexique de l’anglais américain mais le lexique en général, est un ensemble évolutif qui repose sur des emprunts à d’autres langues ou à des variétés de la même langue, des évolutions successives. Les mots vont et viennent dans les deux sens, de l’anglais américain vers l’anglais britannique et de l’anglais britannique vers l’anglais américain, même si les deux courants contraires ne sont presque jamais d’égale force, les américanismes étant adoptés en bien plus grande quantité par les Britanniques que l’inverse. Forgue et McDavid, au sujet des différences saillantes entre les deux variétés, rappellent déjà en 1972 (164) que « [ces différences] sont très mouvantes, comme on peut le constater en consultant l’édition 1936 de The American Language, par H. L. Mencken : la liste est à refaire, et même celle de 1963 (277-285), en raison de l’évolution récente de l’anglais britannique ». Les listes de différences, en effet, doivent constamment être reprises, sans doute encore plus aujourd’hui avec le développement de l’Internet et des réseaux sociaux, qui concourent à propager et légitimer des usages. Il peut alors paraître plus réaliste de parler d’américanisme historique toutes les fois qu’on a la certitude qu’un américanisme s’est complètement dérégionalisé. Le système phonologique est, lui aussi, sujet à évolution, bien que les changements soient sans doute moins remarquables que dans le domaine du lexique. Ainsi, des mots isolés comme controversy ou cigarette s’accentuent parfois aujourd’hui en anglais britannique « à l’américaine », avec l’accent primaire sur la première syllabe. Cette tendance s’inscrit en réalité dans un mouvement plus vaste, le phénomène de rétraction accentuelle propre aux langues germaniques. En somme, dans ces chapitres, ce qui est retenu n’existe que le temps de la démonstration ; il convient d’accepter de saisir la différence entre les variétés dans un état de langue donné, sachant que ce qui est vrai à un instant T ne l’est peut-être déjà plus pour tout le monde aujourd’hui, notre travail, comme tous les autres, enregistrant inévitablement un retard par rapport à la réalité des faits.
Les objectifs que nous nous sommes assignés ont interdit l’exhaustivité. Ainsi, lorsqu’il a été question d’opérer des choix, nous avons été guidés par notre propre expérience de l’anglais et de son enseignement, ainsi que par nos propres recherches. Certains détails jugés trop mineurs ou trop particuliers ont parfois été simplement mentionnés dans de brèves anecdotes, voire complètement éliminés de la réflexion, et ce, au profit des éléments les plus fréquents et les plus pertinents pour le public que nous visons.
Notre réflexion s’est appuyée sur une méthodologie composite : les données ont tout d’abord été puisées dans les dictionnaires et ouvrages sur l’anglais américain, puis elles ont été soumises à différents types de filtrage. Pour le lexique, nous sommes passés par le Corpus of Contemporary American English (COCA), créé par Mark Davies. Afin de se faire une idée plus juste des usages, certaines prononciations ont également fait l’objet de recherches notamment sur le site Youglish. Enfin, des informateurs ont parfois été sollicités et des forums en ligne consultés, car même dans les meilleures conditions imaginables, les dictionnaires et les corpus ne livrent jamais qu’une partie des conclusions. Cependant, pour reprendre la formulation de Bureau (1985, 148) au sujet des québécismes, il a bien fallu reconnaître que « les régionalismes n’existent que pour ceux qui réfléchissent sur la langue ; pour ceux qui la parlent, ce ne sont pas des régionalismes ; c’est la langue, puisqu’ils ne peuvent, à bon droit et avec raison, la parler autrement ». L’avis explicite des informateurs a donc toujours été accueilli avec prudence.
Cette étude se compose pour l’instant de cinq chapitres. D’autres verront le jour par la suite.
La première partie constitue le versant historique de ce travail. La variété d’anglais américain, telle qu’on la connaît aujourd’hui, est bien entendu le fruit d’une histoire toute particulière, d’une longue maturation, d’apports extérieurs différents et d’ajustements au fil des années.
La deuxième partie entre dans le détail du système phonologique de l’anglais américain. Pour ce faire, des comparaisons avec le système britannique standard sont établies. Des phénomènes phonétiques, en discours, sont également abordés dans une troisième partie [3].
Dans la quatrième partie vient une cartographie du lexique de l’anglais américain. Il ne s’agit pas de fournir un énième catalogue de mots avec leurs équivalents britanniques en regard, mais d’amener les lecteurs par une approche raisonnée, à prendre toute la mesure de la complexité de ce lexique, en tant qu’il constitue un système.
L’étude de quelques spécificités de l’orthographe de l’anglais américain fait l’objet de la partie suivante.
Les auteurs souhaitent vivement remercier Marion Coste et Vanessa Guignery pour le travail qu'elles ont mené sur ce projet. Leur aide et leur efficacité ont été grandement appréciées. Sans elles, ce projet ne serait pas le même.
- [1] Dans cette étude, le masculin (ex. étudiant, locuteur, lecteur) est utilisé par souci d'allègement.
- [2] Un chapitre abordant la variation au sein des États-Unis viendra d’ailleurs compléter par la suite le tableau que nous dressons aujourd’hui.
- [3] Pour vérifier à quel son correspond n’importe quel signe de l’Alphabet Phonétique International, on peut se rendre sur le site Paul Meier Dialect Services. Dans « IPA charts », il faut alors cliquer sur le symbole de son choix (dans les tableaux des voyelles et des consonnes), de façon à entendre le son qui y est associé.
Sommaire de L'anglais américain dans tous ses états
Chapitre 1. Brève histoire de l’anglais américain : une construction identitaire
Chapitre 2. La prononciation de l’anglais américain : caractéristiques segmentales
Chapitre 3. La prononciation de l’anglais américain : caractéristiques suprasegmentales et évolutions
Chapitre 4. Description du lexique de l’anglais américain
Chapitre 5. L’orthographe de l’anglais américain
Pour citer cette ressource :
Vincent Hugou, Olivier Glain, L'anglais américain dans tous ses états, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mai 2025. Consulté le 21/05/2025. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/langue/langlais-americain/introduction-anglais-americain-dans-tous-ses-etats