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Art et politique dans l’œuvre de Franz Radziwill

Par Claire Aslangul : Maître de conférences en civilisation allemande - Université Paris-Sorbonne (Paris IV)
Publié par MDURAN02 le 07/09/2009

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Claire Aslangul démontre précisément comment la réception de l'œuvre de Radziwill a varié, lui dont les peintures furent un temps estampillées « art dégénéré » par le régime national-socialiste puis dont des études récentes révèlent l'ambiguïté fondamentale et la polysémie de certains motifs et mises en scène : critique ou apologie de la guerre ? traumatisme ou fascination du champ de bataille ? artiste persécuté ou peintre nazi ? Les retouches mises à jour dans les tableaux et dans la biographie du peintre soulèvent la controverse.

Parcours d'un peintre à travers le XXe siècle

Parti de l'expressionnisme, le peintre allemand Franz Radziwill (1895-1983) évolue dans les années 1920 pour devenir un représentant important du Réalisme Magique (Magischer Realismus) en Allemagne, variante onirique de la Nouvelle Objectivité (Neue Sachlichkeit). Parmi ses travaux célèbres, on trouve ceux qui, à partir de la fin des années 1920, reviennent sur l'expérience de la Première Guerre mondiale, ainsi que les toiles qui, après 1945, mettent en scène les ravages de la guerre qui vient de s'achever. Peintre des ruines et des malheurs de la guerre, collaborateur de Dix et d'autres représentants des avant-gardes de Weimar, classé un temps « dégénéré » par le régime national-socialiste, Radziwill apparaît comme un artiste au destin exemplaire, et il est dans la majeure partie des ouvrages consacrés à « l'art résistant » présenté en bonne place.

Et pourtant : des études récentes ont révélé d'une part l'ambiguïté de sa production des années 1920, d'autre part son adhésion profonde à une idéologie nationaliste qui l'a conduit à une collaboration poussée avec le régime national-socialiste, et enfin l'existence de retouches sur certaines de ses toiles s'inscrivant après 1945 dans un processus de réécriture de son itinéraire biographique et artistique.

Nous présenterons ici les jalons de l'évolution politique et artistique de Radziwill à partir de quelques tableaux-clés. Ce faisant, nous accorderons une place particulière à l'histoire de la réception qui leur fut réservée : ces discours critiques sur les œuvres sont riches d'enseignements sur la polysémie de certains motifs et mises en scène utilisés ; la réception partielle (et partiale) de ces œuvres après 1945 est aussi révélatrice des « mentalités » de l'après-guerre en Allemagne de l'Ouest. Pendant toute cette présentation, qui sera aussi l'occasion d'un parcours à travers les mouvements artistiques les plus importants de l'Allemagne, on gardera à l'esprit l'importance d'une réflexion sur les limites du discours autobiographique comme source pour l'historien.

Expressionnisme, Réalisme Magique, Nouveau Romantisme : Radziwill, représentant d'une Modernité entre avant-garde et réaction

La présentation du parcours de Radziwill est l'occasion d'aborder des mouvements importants de l'époque de Weimar, qui ont été par la suite, pour des raisons à la fois politiques et esthétiques, parfois oubliés ; ils témoignent de la richesse de la notion de modernité et attestent l'existence d'une large palette de positions politiques - de l'extrême gauche à l'extrême droite - chez les représentants des avant-gardes.

Les débuts et la Première Guerre mondiale

Franz Radziwill a, à l'origine, une formation de maçon, qu'il complète à la veille de la guerre par de brèves études d'architecture, tout en suivant quelques cours du soir à l'école d'art de Brême. Par l'intermédiaire de son mentor, l'architecte Karl Schwally, il entre en contact peu avant le premier conflit mondial avec les groupements d'artistes de Worpswede et Fischerhude. 

Mobilisé en 1915, Radziwill passe deux ans sur le front de l'Est puis un an sur le front Ouest, avant d'être fait prisonnier par les Anglais en octobre 1918. Sa captivité à Manancourt près de Cambrai, dans la Somme, dure toute une année ; dans les lettres de cette période, il décrit le travail artistique comme une activité qui lui procure un grand réconfort dans une situation difficile. Il réalise dans le camp de prisonniers la décoration d'une chapelle provisoire, peint les décors du théâtre. Ses aquarelles et dessins réalisés pendant la guerre, essentiellement pendant qu'il est prisonnier, ont disparu ; cependant, d'après ce qu'on peut en savoir, ce ne sont pas les horreurs de la guerre qui y trouvent place, mais les visions d'une vie paisible tant espérée. 

Si la guerre n'est pas dans l'immédiat le sujet de tableaux, elle constitue l'impulsion décisive qui mène Radziwill au choix de la carrière artistique : l'artiste rapporte dans une interview de 1971 que c'est avec les activités de ces années qu'il prend la décision définitive d'être peintre. Dès 1917, lors d'une permission, il a participé à la conception d'une exposition de ses œuvres dans une galerie de Hambourg.

De l'Expressionnisme à la Nouvelle Objectivité (version « Réalisme Magique »)

Lorsqu'il rentre en 1919, Radziwill s'intègre très rapidement aux cercles d'avant-garde. Il fonde un groupe d'artistes qui reste très peu connu, L'arc-en-ciel vert (Der Grüne Regenbogen). A Berlin, Radziwill devient membre de la Sécession libre (Freie Sezession) après que trois de ses tableaux ont été acceptés pour l'exposition du même nom en 1920. Il est alors le plus jeune membre de la communauté d'artistes qui, sous la houlette de Schmidt-Rottluff, Heckel et Pechstein, perdure autour des membres fondateurs de Die Brücke. Au nombre de ses amis, on compte Dix, Grosz, Schlichter. Il rencontre Meidner, Feininger, Schwitters, Marcks, Gropius, Brecht, Däubler, Schönberg et nombre d'autres artistes et intellectuels des cercles berlinois. Installé dans le petit village de Dangast à partir de 1921-22, l'artiste continue à participer à des présentations de ses œuvres avec notamment, en 1922, une exposition particulière à la Galerie Heller de Berlin. Il travaille avec les marchands d'art les plus célèbres de l'époque, Cassirer, Neumann-Nierendorf, mais aussi Flechtheim à Düsseldorf et Vecht à Amsterdam ; il connaît un succès important en 1923 dans la galerie new-yorkaise de Valentiner (exposition Deutsche Gegenwartskunst).
Les toiles expressionnistes de l'immédiat après-guerre ne traitent pas du conflit. Le séjour sur le front de l'Est, est, initialement, exclusivement exploité de façon positive, avec l'introduction dans l'œuvre de « motifs russes », prophètes, clochers d'églises orthodoxes et paysages. Pourtant, l'œuvre de jeunesse de Radziwill possède aussi des traits inquiétants ; l'ambiance oppressante, certains personnages des tableaux expressionnistes de 1919-1920 avec leurs yeux écarquillés et leur expression effrayée, ont été considérés comme des symboles de l'horreur vécue au front. 
Le tournant vers la Nouvelle objectivité, amorcé par Radziwill en 1923, a lui aussi souvent été interprété comme une conséquence de l'expérience de la guerre : après les excès « pathétiques » de l'expressionnisme se produit un « retour » à la réalité avec une vision sobre et sceptique. Hartlaub, organisateur de la première grande exposition de la Nouvelle Objectivité en 1925, écrit ainsi :

« Die Künstler - enttäuscht, ernüchtert, oft bis zum Zynismus resignierend, fast sich selber aufgebend, nach einem Augenblick grenzenloser, beinahe apokalyptischer Hoffnungen - besinnen sich mitten in der Katastrophe [la guerre, ndla] auf das, was das Nächste, das Gewißeste und Haltbarste ist: die Wahrheit und das Handwerk. » (HAGENLOCHER 1975, n. p.)

L'isolement des personnages, les procédés qui les mettent à distance - presque trop lisses, trop statiques pour être réels, avec des expressions étranges et énigmatiques - révèlent « le climat de l'époque » :

« Das Erlebnis des Krieges wirkte in seiner (Radziwills, ndla) Kunst anders als bei Dix fort. Ein nicht zu verdrängendes Angstgefühl während der 'Ruhe vor dem Sturm' und die Erwartung der Katastrophe haben (...) ihren Widerhall in den lautlosen Bildern des Künstlers gefunden.» (MÄRZ 1975, p. 5)

Ce n'est pas un hasard si, comme chez d'autres peintres de cette époque, on retrouve chez Radziwill ces figures sans visage, dont la perte d'identité indique des interrogations existentielles sur la place et la définition de l'homme (La nouvelle rue - Die neue Straße, 1922). Ces traits généraux de la Nouvelle Objectivité s'enrichissent, dans le cas de Radziwill, d'une dimension supplémentaire : l'inclusion d'éléments surréels ; leur interprétation se révèle souvent difficile, on les comprend généralement eux aussi comme une mise en scène de l'incompréhension du monde.

La reconnaissance de la nouvelle forme d'expression picturale développée par Radziwill à partir de 1923-24 est quasiment immédiate : les expositions se succèdent, les collections publiques achètent des tableaux de l'artiste (la Kunsthalle de Mannheim, par exemple, en 1927). Radziwill reçoit en 1928 la médaille d'or de la ville de Düsseldorf pour son tableau La rue (Die Straße). L'année suivante, il participe à l'importante exposition Neue Sachlichkeit au musée Stedelijk d'Amsterdam. S'il est apprécié comme l'un des représentants éminents de l'avant-garde, il est déjà considéré comme appartenant à « l'aile droite » du mouvement de la Nouvelle Objectivité. Entre révolution et réaction : ici s'expriment les premières contradictions qui caractériseront les œuvres de Radziwill dans les années suivantes.

Vers un Nouveau Romantisme

Cofondateur du groupe Les sept (Die Sieben) en 1932 avec Kanoldt et Schrimpf (importants représentants de la Nouvelle Objectivité), Radziwill incarne avec eux un « renouveau du romantisme » ; exaltant l'âme allemande et s'inscrivant dans la continuité de l'œuvre d'un Caspar David Friedrich, ce choix esthétique permet à l'artiste de bénéficier de la reconnaissance des responsables conservateurs de la politique culturelle dès le début des années 1930.

« Die Deutsche Neuromantik (...) versucht, die Umbenennung und konservative Verschiebung der Neuen Sachlichkeit erstmals in die Öffentlichkeit zu tragen. » (cat. Franz Radziwill 1995, p. 52)

Radziwill participe entre autres à la grande exposition Die Deutsche Neuromantik in der Malerei der Gegenwart à Francfort en 1931 et à celle intitulée Neue Deutsche Romantik à Hanovre en 1933. Ses images de ruines, d'églises, de cimetières (Kirche in der Friesischen Wehde / Friedhof in Ostfriesland, 1930) sont particulièrement appréciées. Il en va de même de ses tableaux de navires dans des décors « techno-romantiques ». Ces représentations ont été comprises par la critique d'après 1945 comme la dénonciation d'une technique agressive oppressant l'humain, à l'image des trois fragiles voiliers pris entre les monumentaux navires dans le tableau Port avec deux gros navires à vapeur (Hafen mit zwei großen Dampfern, 1930). Mais ces toiles ont été, en dépit de certains traits inquiétants, comprises à l'époque comme variations modernes des marines de C. D. Friedrich et comme des hymnes à la maîtrise par l'homme de l'acier, de la mer, de la machine de guerre ; ce n'est d'ailleurs pas un hasard si certaines toiles mettent ouvertement en scène ces sujets militaires, comme Le port de guerre Den Helder (Der Kriegshafen Den Helder, 1930). 

Les contacts de l'artiste avec les cercles de la « révolution conservatrice » autour de Niekisch et Jünger, la lecture de sa correspondance et de ses carnets de voyage (lorsqu'il navigue avec des militaires sur des navires de guerre à partir de 1932) confirment son positionnement politique. On y voit par exemple que la construction de la flotte - civile comme militaire - dans l'entre-deux-guerres est saluée comme le signe du réveil d'une Allemagne puissante, et les considérations de l'artiste sur le sujet se colorent parfois d'un nationalisme agressif :

« Niemals habe ich die Gemeinschaft und die technische Größe meines Vaterlandes so schön erlebt wie hier auf deutschen Schiffen im Ocean unter dem großen gewaltigen Raum von Wasser und Himmel im großen All. (...) Auf allen Meeren haben wir deutsche Werke getroffen, unsere Inseln sind die Technik, mit der wir im Meere fahren, mit der wir durch die Luft ziehen. » (carnets de voyage de 1935, cités in : cat. FR - Bilder der Seefahrt 1992, p. 168 et 174)

Aujourd'hui, la nature « sceptique » (SCHULZE 1975) de ce romantisme nous apparaît incompatible avec une quelconque instrumentalisation politique. Mais cette interprétation rétrospective est en parfait désaccord avec la réception des années 1920 et 1930 : le caractère désenchanté, voire subversif ou parodique du néo-romantisme de Radziwill n'est pas ce qui a retenu l'attention des contemporains.

On ne peut éluder la participation de Radziwill au mouvement néo-romantique d'obédience conservatrice sans se priver d'une clé pour comprendre la suite de l'itinéraire de l'artiste. Werner Haftmann, en classant Radziwill parmi les représentants d'un vérisme critique et en s'appuyant sur la brève participation de l'artiste au Novembergruppe (en 1931) estime que l'artiste devait incarner pour les nazis le prototype du Kulturbolschewist, et dès lors, l'entrée de Radziwill au NSDAP en 1933 apparaît comme un revirement incompréhensible :

« Aus unerklärlichen Gründen war Radziwill irgendwann 'Parteigenosse' geworden. » (HAFTMANN 1986, p. 286)

La démarche de 1933 s'inscrit en réalité dans une certaine continuité. Mais avant d'en venir à la période délicate de l'hitlérisme, il convient de se pencher sur un groupe particulier d'œuvres de Radziwill qui, à la fin des années 1920 et au début des années 1930, traitent de la guerre.

Les tableaux de guerre de Radziwill et le « culte des morts » : la mise en images de la Grande Guerre, entre traumatisme et fascination

Le retour de l'expérience de guerre, dix ans après

Les premiers tableaux traitant ouvertement du thème de la Première Guerre mondiale dans l'œuvre de Radziwill datent du tournant des années 1920-1930. L'avion rouge (Das rote Flugzeug, 1928-32) convoque, en pleine période d'euphorie et d'adulation des « chevaliers du ciel », le Baron Rouge Manfred von Richthofen (commandant du 11e bataillon de chasseurs de la Luftwaffe, il a abattu plus de 80 aéronefs ennemis avant d'être mortellement atteint en 1918). Radziwill donne également des représentations de champs de bataille ravagés, peints en couleurs sombres, en 1929 et 1930 (Abri à Narocz - Unterstand am Naroczsee et Champ de bataille de Cambrai - Schlachtfeld von Cambrai). Ils se réfèrent aux épisodes vécus pendant la Première Guerre mondiale sur les deux fronts - les tableaux seront d'ailleurs rebaptisés respectivement Der Krieg im Osten et Der Krieg im Westen. Dans deux autres tableaux importants, Casque d'acier (Stahlhelm,1933) et Tombe de nulle part (Grab im Niemandsland, 1934), on retrouve la même absence apparente de dramaturgie : le regard se focalise sur ce qui reste après la bataille, la mort, le casque du soldat tombé.

Une interprétation délicate : critique ou éloge de la guerre ?

En dépit de leur apparente lisibilité, ces œuvres ont donné lieu à des interprétations multiples et antinomiques. Après 1945 et jusqu'à une époque récente, les deux tableaux de bataille ont généralement été compris comme mettant en scène l'horreur de la guerre meurtrière et industrielle :

« Das Ungeheuer Technik hat auch in Radziwills Kriegslandschaften des russischen 'Unterstand am Naroczsee - Der Krieg im Osten' und des flandrischen 'Schlachtfeld von Cambrai - Der Krieg im Westen' (1930) nichts als verbrannte Erde und den klagenden Torso einer skelettierten Natur hinterlassen. » (MÄRZ 1995, p. 24)

Le tableau Tombe de nulle part a été ainsi compris :

« eine erschütternde Anklage gegen den Krieg », « ein weltgroße(s) Sinnbild unseres Schicksals » (Niemeyer in : WIETEK 1990, p. 259)

Cependant, cette interprétation juge les productions des années 1930 à l'aune des tableaux critiques d'après 1945 et s'appuie sur des déclarations a posteriori des amis du peintre et du peintre lui-même. Des travaux récents attestent en réalité que la tristesse et les ravages de la guerre que nous voyons aujourd'hui dans ces tableaux ne furent pas, dans les années 1930, perçus de la même manière : le caractère total des destructions de la guerre ne constituait nullement une accusation, il était au contraire un des éléments exprimant le caractère de grandeur de la guerre. Le critique Werner Meinhof notait en 1933 à propos de Narocz et Cambrai :

« Sie zeigen den Krieg (...) entrückt der schwächlichen 'Verklärung' und entrückt der sentimentalen Angst in seiner wüsten Gestalt und in seiner riesenhaften Größe. Auf diesen Schlachtfeldern kämpfte unser Volk. In dieser Hölle taten Millionen ihren Dienst. Auf diese Maßstäbe zu blicken, wenn wir heute 'zum Dienst' gehen, das ist eine würdige Erinnerung an den Krieg, und könnte eine fruchtbare Erinnerung sein. »

Quant à la Tombe de nulle part, Kai Artinger en a effectué en 1998, après l'acquisition de la toile par le Musée historique de Berlin, une analyse iconographique contextuelle détaillée ; il montre qu'elle participait au culte des morts de la Grande Guerre cher au régime national-socialiste :

« (es geht hier um) eine sublime Heroifizierung des Soldatenopfers und eine Mythologisierung des Krieges, (...) die beide feste Bestandteile des nationalsozialistischen Gefallenkultes waren. »

Sans entrer dans le détail de l'analyse d'Artinger, consultable sur Internet (http://www.dhm.de/magazine/radziwill_p/home1.htm), on retiendra qu'avec le casque d'acier présenté dans sa solennelle simplicité et figuré dans un style naturaliste, nous retrouvons le même type de motif et de mise en scène que dans le tableau 1917 d'Albert Heinrich, personnellement acheté par Hitler (cf. http://www.dhm.de/magazine/radziwill_p/rezeptiondeserstenweltkriegesinderzwischenkriegszeit/symbolstahlhelm.htm et http://www.dhm.de/magazine/radziwill_p/bildundkontext/thematikstahlhelm.htm). Pour ce dernier, le casque d'acier est le symbole de l'endurance des soldats qui permettra la revanche et la renaissance de la Nation :

« Dann wird aus dem Schleier der Vergangenheit heraus die eiserne Front des grauen Stahlhelms sichtbar werden, nicht wankend und nicht weichend, ein Mahnmal der Unsterblichkeit. » (p. 82 dans l'édition de 1933 de Mein Kampf)

Au final, si une composante « pessimiste » est présente dans certains tableaux du début des années 1930, elle participe non d'une dénonciation, mais d'une forme d'apologie de la guerre qui intègre les aspects de la destruction et de la mort tout en les sublimant pour leur conférer une dimension héroïque. L'appréciation de Fritz Witschetsky en 1937, dans sa lettre de soutien pour l'acquisition de Narocz et Cambrai par l'Ecole de Marine Mürwik / Flensburg, est à cet égard éloquente :

« Nicht das an sich Dargestellte, das Gegenständliche, die rauchenden Ruinen, die Flieger, der zerschossene russische Wald, der Unterstand, der Stacheldraht, sind das Entscheidende, sondern der geistige Inhalt dieser Bilder. Dieser geistige Inhalt ist in kurzen Worten folgender: der Heroismus, den der Krieg von Soldaten verlangt, die Entbehrungen, die der Krieg dem Soldaten auferlegt, (...), der Krieg: eine Naturnotwendigkeit. Gott will den Krieg, Gott will den Kämpfer und Soldaten! (...) Das alles predigen diese beiden echten Kunstwerke und ohne daß irgend welche abstoßenden Gegenstände (Leichen, blutende Wunden usw.) gemalt worden sind. » (reproduite in : SOINE 1992, p. 17)

L'accueil plus que favorable réservé par les cercles militaires et les responsables de la politique culturelle du régime national-socialiste à ces tableaux confirme cette interprétation : par exemple, en 1933, à l'exposition organisée par Hanfstaengl sur le thème Images de guerre (Kriegsbilder) pour célébrer les dix ans de la tentative de putsch d'Hitler (9 novembre 1923), Naroczsee, Cambrai et Casque d'acier sont exposés aux côtés des œuvres de Fritz Erler, Eduard Thöny, Karl Arnold, Ferdinand Spiegel, Ludwig Dettmann. Cambrai, Narocz et Tombe de nulle part sont rassemblées en « triptyque de guerre » (Kriegstriptychon) et exposés à la Hamburger Kunsthalle jusqu'en 1939.
En définitive, on voit qu'entre, d'une part le néo-romantisme des ruines urbaines modernes et des navires dans la brume, et d'autre part les tableaux de guerre conformes aux exigences du régime, il n'y a pas de contradiction de fond. L'entrée de Radziwill dans le NSDAP dès 1933 apparaît comme une étape « logique » suivant son intégration déjà bien amorcée dans les mouvements conservateurs, et ne peut être présentée comme un « accident de parcours ».

1933-1945 : une position controversée à l'époque nazie

La multiplication des sujets militaires

Les sujets militaires qui vont se multiplier entre 1935 et 1942 ont leur source dans les tableaux réalisés antérieurement. L'artiste reçoit de nombreuses commandes, et tente par ailleurs de vendre d'autres œuvres produites sans contrat à des instances officielles. La toile Sous-marin en partance (Auslaufendes U-Boot, 1936) est ainsi réalisée à la demande de la Marine, et représente l'un des vaisseaux « mythiques » de la Première Guerre mondiale :

« [Es handelt sich um] das berühmte Unterseeboot U9 des Kapitänleutnant Oddo von Weddingen, (...) das 1914 innerhalb einer Stunde drei englische Panzerkreuzer versenkte. (...) Zugleich entstand ein Bild, das die Politik der Revision von Versailles und der maritimen Aufrüstung unterstützen konnte. » (PETERS 1998, p. 174)

En 1942 encore, le tableau Navire de guerre allemand dans la baie de Eckernförde (Deutsches Schlachtschiff in der Eckernförder Bucht) est réalisé pour le Offiziercorps. En 1937, Radziwill revient pour la décoration d'une caserne sur la bataille de Cambrai (Tankschlacht von Cambrai). Or, cet épisode représente, dans la mémoire officielle de la Première Guerre mondiale, un événement-clé, fondant une sorte de « mythe » : c'est en effet le symbole d'un moment où, face aux machines de guerre massivement utilisées par l'ennemi et face à des adversaires en surnombre, les vertus « germaniques » de courage et d'endurance ont trouvé à s'exprimer de façon privilégiée (les Allemands subissent la première attaque massive de tanks).

Radziwill, ami depuis 1932 avec l'officier de marine Fritz Witschetsky (ancien membre des corps francs), fait aussi plusieurs séjours sur des navires de la Kriegsmarine. En 1938, il voyage sur le Graf Spee dirigé par l'amiral Hermann von Fischel, pour étudier la vue d'Almeria, car il doit réaliser à la demande de la Kriegsmarine un tableau représentant l'attaque de la ville (Die Beschießung von Almeria, 1938). Rappelons qu'il s'agit de la ville qui fut bombardée par les Allemands en 1937, en représailles à l'attaque aérienne du Deutschland (alors précisément sous le commandement de von Fischel) par des Républicains espagnols ; cette attaque était elle-même consécutive au bombardement de Guernica par la légion Condor. L'adhésion de Radziwill à l'interprétation officielle de l'événement, et son appréciation de la guerre d'Espagne en général, apparaissent dans une lettre envoyée en 1937 à sa femme - qui témoigne d'un engagement tout autre que pacifiste :

« Wir sehen jetzt alle mit großem Vertrauen auf Spanien und hoffen, da die Nationalen bald den endgültigen Sieg davontragen. Denn es ist auch unser Sieg, wenn die Nationalen siegen. » (cité in : VAN DYKE 1994, p. 43)

Conformément à ces déclarations, on ne voit dans l'œuvre de 1938 ni morts ni souffrance, l'événement apparaît comme un harmonieux jeu de couleurs, la toile est dominée par le puissant vaisseau allemand.

Des tableaux et une biographie retouchés

L'artiste s'est efforcé après 1945 de réinterpréter certains de ces tableaux. Par exemple, il avait reçu le soutien inconditionnel de Werner Peiner, peintre officiel du régime, pour l'exposition de sa toile Cambrai lors de sa candidature pour l'exposition officielle Große deutsche Kunstausstellung de Munich de 1940 ; le tableau avait été refusé, et Radziwill en tire argument dans sa demande de reconnaissance du statut d'artiste « résistant et persécuté » en 1955 :

« Es wird in diesen Aufnahmen die genaue Zertrümmerungs- und Vernichtungswucht des modernen Krieges 1914-1918 gezeigt; als Mahnung gegen einen zukünftigen Krieg, den die Nazis schon lange vorbereiteten. » (extraits reproduits p.184 in : PETERS 1998)

Radziwill a aussi souligné rétrospectivement l'importance de ses liens avec la Marine, car les représentants de ce corps d'armée passaient pour constituer un foyer d'opposition à la politique hitlérienne. L'historien Olaf Peters a bien montré que dans le cas des amitiés de Radziwill, cette argumentation n'était pas tenable. La fidélité de Radziwill au régime nazi est d'ailleurs proclamée dans plusieurs lettres (il s'y nomme en 1934 « Politischer Leiter in der NSDAP » !) et a duré au moins jusqu'en 1940 (voire jusqu'en 1943 ou 1944 selon Peters).
Les recherches récentes à partir d'analyses aux rayons X ont par ailleurs bien montré, comment l'artiste avait pu, a posteriori, transformer certains tableaux pour tenter de faire remonter sa critique du nazisme et de la guerre à 1935 environ. Ainsi, dans les années 1950 et 1960, il retouche le tableau Der Morgen / Schnitter und Flugzeug de 1937 : il efface la croix gammée de l'avion et ajoute une petite ruine. Il reprend aussi le tableau Flandres (Flandern) de 1939-40 qui dans son état initial de 1940 donnait à voir surtout « une guerre éclair propre » :

« Das Gemälde zeigt im ursprünglichen Zustand den 'sauberen Blitzkrieg' mit vier deutschen Tieffliegern und einer nur partiell zerstörten Landschaft. » (GERSTER 1995, p. 35)

Il y ajoute la fissure dans le ciel, donne un nouveau titre à l'œuvre (Où va-t-on dans ce monde ? / Wohin in dieser Welt ?), remplace les douces collines par des montagnes aux courbes douloureuses ; la présence des quatre petits avions de la version initiale est complétée par deux gros engins agressifs au premier plan...

Cette présentation de Radziwill peut paraître surprenante, quand on sait que l'artiste a été un temps classé dégénéré ! Walter Hansen a ainsi réclamé son bannissement de l'Académie et l'interdiction d'exposer ses « images perverses » (« perverse Bilder »), au nom de la « propreté du mouvement » national-socialiste (« für die Sauberkeit unserer Bewegung ») :

« Es ist für einen Nationalsozialisten unverständlich und für unsere Bewegung gewiß nicht tragbar, wenn man einen solchen Kulturbolschewisten (...) heute wieder als Kunsterzieher und Professor an der Düsseldorfer Akademie im Dritten Reich beschäftigt. » (cité in : SCHMIDT 1964, p. 215)

Mais on sait aujourd'hui que la « persécution » dont Radziwill a fait l'objet sous le régime national-socialiste doit être relativisée. Si au total, 51 de ses œuvres sont saisies dans les collections publiques, cela n'empêche pas que d'autres soient présentes dans des collections officielles. Globalement, Radziwill fait partie de ceux qui ont tiré bénéfice de la politique culturelle nazie : dès 1933, il est l'un des premiers à profiter des places libérées à l'Académie de Düsseldorf par le départ forcé d'artistes déclarés « non conformes ». Sa position n'est pas incontestée, mais l'attaque la plus grave n'aura que de faibles conséquences : ayant renié ses toiles expressionnistes, il est réhabilité au bout de quelques mois par le Ministère de la Propagande (Reichsministerium für Volksaufklärung und Propaganda). Son exclusion du NSDAP, présentée comme un fait réel jusqu'aux travaux récents, n'a en réalité jamais eu lieu.

Un exemple de la complexité de la politique culturelle nazie

On ne saurait pour autant faire de Radziwill un peintre officiel : sa position est beaucoup moins simple, et il ne s'agit pas de remplacer une interprétation extrême (Radziwill comme artiste persécuté) par une autre interprétation extrême (Radziwill comme peintre nazi). Radziwill est simplement un bon exemple des contradictions du régime, et c'est aussi ce qui fait son intérêt (il est en cela similaire au cas du sculpteur Rudolf Belling ou du dessinateur A. Paul Weber).

L'année 1937 condense à elle seule toutes ces incohérences, qu'un regard rétrospectif tend à passer sous silence par simplification : cette année-là, le nom de l'artiste est à nouveau, et doublement, associé à la qualification de « dégénéré », car l'exposition Entartete Kunst de Munich présente un portrait de Radziwill par Otto Dixet celle de Berlin s'enrichit de trois toiles de Radziwill lui-même ; l'une de ses expositions est interdite à Königsberg. Pourtant, c'est aussi cette même année que ses tableaux Narocz, Cambrai et Tombe de nulle part sont exposés sous la forme d'un triptyque à la Kunsthalle de Hambourg, que la Luftwaffe acquiert Cambrai, que de grandes expositions ont lieu à Cologne et Wuppertal... Un artiste pouvait donc voir des toiles classées dégénérées, et en même temps (parfois) continuer à exposer, recevoir des commandes à condition de se plier aux recommandations officielles et de faire jouer ses amitiés (Radziwill exploite notamment les différends entre Rosenberg et Goering).

Si certaines toiles ont effectivement été controversées, le titre d'artiste « persécuté » et « underground » (dans l'interview de 1971, cf. SCHULZE 1995, p. 71) réclamé dans les années 1950 n'apparaît pas crédible. Ces réclamations ont d'ailleurs parfois suscité l'indignation :

« Es handelt sich bei Franz Radziwill (...) um das eklatante Unvermögen, Schuld zu erkennen und anzuerkennen. Der Künstler kann so als ein Prototyp der westdeutschen Nachkriegsgesellschaft gelten, die in weiten Teilen nicht fähig oder bereit war, sich der Vergangenheit selbstkritisch zu stellen. » (PETERS 1998, p. 288)

Et l'on comprend la virulence de certaines attaques, quand on sait que pendant que d'autres étaient torturés ou contraints à l'exil, Radziwill pouvait, en 1938, se vanter d'avoir connu une année exceptionnelle :

« Das vergangene Jahr hat mir alles gebracht. Das Letzte an Demütigungen und das Gröte an Erfolgen zugleich. Denke Dir, das große Bild 'Cambrai' ist an die Luftwaffe verkauft mit noch vielen anderen Arbeiten. Auch sonst habe ich in den letzten Monaten über alle Erwartungen hinaus verkauft und manchen schönen Auftrag gehabt und noch einen sehr großen Auftrag in Aussicht. Das vergangene Jahr ist somit das schaffensreichste und erfolgreichste meines Lebens. » (lettre du 6 février 1939 à Niemeyer)

Le tournant critique de Radziwill pendant la Seconde Guerre mondiale

Une nouvelle vision : la guerre comme « catastrophe universelle »

L'expérience du deuxième conflit mondial, alors que l'artiste a presque 45 ans, constitue un événement décisif. Mobilisé dès 1939, il passe d'abord un an sur le front ouest (comme infirmier ou comme soldat, les informations divergent). Puis, en 1944, il est employé à la sécurité aérienne et dans le service des pompiers de Wilhelmshaven, avant d'être réquisitionné comme dessinateur technique dans une fabrique d'armement. A la fin de la guerre, en 1945, il est enrôlé dans les troupes constituées à partir de tous les hommes valides de 16 à 60 ans, le fameux Volkssturm. A nouveau fait prisonnier par les Anglais, il parvient à s'enfuir.

Certaines lettres attestent un tournant dans l'attitude de Radziwill face à la guerre et au régime dès 1940 :

« Im großen Krieg habe ich als junger Soldat nie ein Auge für dieses grausame Los der Zivilbevölkerung gehabt. Jetzt als 45jähriger sehe ich fast nur dieses und sehe hier auch die grausamste Seite des Krieges. So soll mein stilles Gebet jeden Tag sein, da der Krieg bald ein Ende nehmen möge. » (lettre à Johanna Ingeborg-Radziwill du 21 mai 1940, citée ici d'après cat. Franz Radziwill 1995, p. 57)

Les travaux récents estiment cependant que c'est en 1942-1943 seulement, avec la mort de sa femme et les informations terrifiantes sur Stalingrad, que l'artiste prend réellement ses distances par rapport au régime. Dès lors, sa critique de la guerre se fait acerbe, puis s'élargit à une critique de la civilisation et de la technique qui prend une coloration apocalyptique extrêmement pessimiste :

« Die wirkliche Welt ist unbegreiflich geworden und die Suche nach noch verbleibendem Sinn endet in der Finsternis einer Bilderwelt. Verwandt scheint alles nur noch im Vergehen, und der für die Verarbeitung des Kriegstraumas so wichtige Nachkriegsexistentialismus erhält hier eine gefühlsmäßige und malerische Variante. » (KÜSTER 1981, p. 16)

Le traitement pictural de la Seconde Guerre mondiale a lieu sans distance temporelle, à travers la réalisation obsédante de paysages urbains et naturels ravagés. La plainte de Brême (Die Klage Bremens, 1946) est la toile la plus représentative de la production de l'artiste à partir de 1945, et c'est la plus célèbre. Ici, comme dans d'autres toiles (Die letzten Reste des Krieges, 1947, Frieden und Unfrieden, 1947, Landschaft mit Ruine, 1945), domine l'impression de silence, de calme après la tempête ; le temps semble figé, la destruction définitive. Le titre d'un tableau de 1947, Le monde dans le chaos (Die Welt ohne Verhältnisse), invite le spectateur à considérer que le paysage fixé dans l'image est représentatif d'une destruction universelle, d'une « Apocalypse » - un thème qui revient en 1952 (Apokalypse) au moment où les Etats-Unis font exploser leur première bombe H. Ici, l'indifférence des petits personnages sous le ciel déchiré donne le terrible sentiment que l'humanité marche, inconsciente, vers sa perte, sans espoir de retour. Parfois persiste cependant une référence divine qui parvient presque à « compenser » la perte de sens et introduit une perspective consolatrice (cf. Der Kosmos kann zerstört werden, der Himmel nicht, 1953).

Dans ses toiles de l'après-guerre qui traitent du rapport de l'homme au monde, à Dieu, à la nature, la vision de l'artiste est indéniablement marquée par la guerre. L'un des motifs-clés de nombreux tableaux produits après le « tournant critique » de Radziwill est d'ailleurs la fissure, profonde, irréparable, qui parcourt les bâtiments ( Vergehende Bauten, 1944 ; Der Riß im Hof, 1945), puis, de façon systématique avec les retouches des années 1950, le ciel.

Une « stratégie d'évitement », représentative de l'état d'esprit en Allemagne après 1945 ?

Les tableaux de Radziwill à partir de son tournant critique ne sont cependant pas incontestés. La civilisation humaine (maisons, cathédrales, sculptures mais aussi objets de la vie quotidienne comme la corde à linge par exemple) y apparaît anéantie, sous le coup d'on ne sait quel cataclysme ; jamais Radziwill ne montre crûment la souffrance des corps. La portée symbolique des toiles a parfois été interprétée comme un refus de regarder en face la responsabilité des hommes, et en particulier de l'Allemagne : la faute semble non assumée, attribuée aux puissances du destin ou aux forces divines. Dans son ouvrage sur l'art de la République fédérale d'après 1945, l'historien d'art Martin Damus fait de Radziwill un exemple paradigmatique de la mentalité d'après-guerre, lui accordant une large place dans le passage qu'il consacre aux procédés esthétiques visant à éviter la confrontation avec les vrais problèmes :

« Das Zeitgeschehen wurde, wo Künstler es thematisieren, überhöht. Der Nationalsozialismus und damit der Krieg scheinen als Schicksal, als Unheil über die Welt gekommen. Franz Radziwill bezog das Bild 'Die Klage Bremens' nur metaphorisch auf den zu Ende gegangenen Krieg. Das Bild zeigt eine surreal anmutende kriegszerstörte Stadtlandschaft und über der Stadtwüste einen dramatischen Himmel. (...) Der Krieg erscheint im Bild als ein vom Himmel stürzendes unfaßbares, menschliches Maß und menschliche Verantwortung übersteigendes Ereignis. (...) Die Überhöhung des Krieges als Apokalypse (dient) (...) der Entlastung (...). » (DAMUS 1995, p. 46-47)

En dépit de cette confrontation détournée avec les événements, ces tableaux ont connu une réception difficile dans l'immédiat après-guerre. On sait notamment qu'en 1947, plusieurs de ces toiles furent détruites par le public. März décrit les acteurs de cet épisode de 1947 comme des « nazis incorrigibles » (« unverbesserliche Nazis », MÄRZ 1975, p. 11), la colère des iconoclastes attestant la valeur protestataire, pacifiste et antifasciste des tableaux de Radziwill. L'ouvrage récent de Olaf Peters livre une analyse antagoniste à celle de März, et décrit les plaintes comme venant des peintres persécutés pendant le régime : il est ainsi attesté que Carl Hofer a envoyé une lettre aux autorités de la ville de Hambourg, pour protester contre l'exposition d'un artiste inféodé au régime national-socialiste (il le surnomme « Naziwill » !). D'autres sources encore évoquent une réaction scandalisée du public en général, faisant de cet incident le symptôme que la société allemande de l'après-guerre ne souhaitait pas qu'on lui mette sous les yeux des toiles rappelant ces tristes événements :

« Die stark besuchte Ausstellung [à Hambourg en 1947, ndla] erregte das Publikum derart, da es schließlich sieben der ausgestellten Gemälde zerstörte. Nach zwölf Jahren Faschismus und sechs Jahren Krieg erschienen Radziwills Bilder einer aus den Fugen geratenen Welt unerträglich. (...) Solche extremen Reaktionen (...) erscheinen als symptomatisch für die aufgeregte und sprachlose Abwehr von Schuld, Scham und Angst. (...) 'Böswillig' erschienen nicht selten die, die nicht vergessen wollten. » (JÜRGENS-KIRCHHOFF 1993, p. 314-315) 

L'art, un enjeu de la politique internationale

L'examen détaillé du cas de Radziwill permet de déceler une autre composante de ce rejet : dans une interview, l'artiste affirme que c'étaient sans doute moins les Allemands eux-mêmes que la puissance occupante (en l'occurrence les Anglais), qui avait manifesté une virulente opposition à l'exposition de 1947, parce que les images de ruines étaient susceptibles de mobiliser la population contre les Alliés responsables des bombardements. Rapidement, de toute façon, ces toiles ont été reléguées à l'arrière-plan dans le contexte de la Guerre froide : sous l'influence des tensions internationales, la pluralité des expressions artistiques de l'immédiat après-guerre a été refoulée au profit d'une définition de styles correspondant à l'idéologie de chaque « camp » - abstraction à l'Ouest, réalisme socialiste à l'Est :

« Nach 1945 gab es einen sprunghaften Anlauf : Eine 1947 in Hamburg inszenierte Ausstellung hatte in vier Wochen über 15 000 Besucher, dann war alles schlagartig vorbei. » (Radziwill cité ici d'après REINHARDT 1995, p. 42)

« Der Maler gerät in Vergessenheit, während das Nachkriegsdeutschland sich bemüht, den vom Nationalsozialismus verursachten Bruch in der kulturellen Entwicklung notdürftig mit Abstraktion zu füllen, worin das Weltgefühl einer 'Neuen Sachlichkeit' keinen Platz mehr hat. Der 'Magische Realismus' Radziwills erscheint immer noch als unzeitgemäße Variante des Vorkriegsrealismus. » (KÜSTER 1981, p. 16)

La figuration ne souffrant pas à l'Est du même ostracisme qu'en Allemagne de l'Ouest, Radziwill expose en 1957 à la Nationalgalerie de Berlin-Est. C'est seulement dans les années 1960 que l'on « redécouvre » son œuvre en RFA. Il reçoit en 1963 le Grand Prix de Rome qui lui permet de renouer avec la célébrité perdue. Suit une série de grandes expositions et de décorations diverses (entre autres, 1971, Großes Verdienstkreuz zum Verdienstorden der BRD). En France, il est représenté aux expositions des années 1970 qui redécouvrent la Nouvelle Objectivité.
Cependant, à cette phase de reconnaissance tardive suit bientôt la controverse déjà évoquée qui met en lumière l'implication de l'artiste sous le régime national-socialiste ; l'interprétation en vigueur de l'œuvre de Radziwill est alors fortement remise en cause, et invite à un regard plus nuancé sur l'ensemble de sa création.

Conclusion

A l'heure actuelle, la question de savoir si Radziwill s'est interrogé lui-même sur ses propres faiblesses et sur son engagement à l'époque nazie ne peut être tranchée de façon définitive. Il est en tout état de cause avéré qu'il a tout mis en œuvre après la Seconde Guerre mondiale pour minimiser son engagement aux côtés du régime national-socialiste. Nombre d'œuvres ont été retouchées et réinterprétées. L'analyse des toiles produites à partir de 1929 et jusqu'en 1940-42, si elle tient compte des recherches récentes et du parcours de Radziwill dans le champ politique et artistique après 1918, permet de conclure à une tendance héroïsante - même si le pathos qui s'exprime est plus empreint de solennité et de terrible grandeur que d'enthousiasme belliqueux. Nous avons vu notamment que certains de ces tableaux sont particulièrement conformes au culte des morts de la Grande Guerre qui, dans la propagande officielle des années 1920 et 1930, est instrumentalisé pour exciter à la revanche et justifier la guerre à venir. Il est néanmoins incontestable que l'artiste évolue avec la Seconde Guerre mondiale vers une dénonciation affirmée de la guerre.

La prise en compte de ce cheminement permet de proposer une interprétation alternative concernant la question des retouches postérieures à 1945 : certains y voient une tentative de l'artiste pour masquer des opinions douteuses ; on pourrait aussi y lire un changement d'opinion sincère, quoique tardif, de Radziwill, sur le régime national-socialiste et son idéologie belliciste. Le travail pictural sur les malheurs de la Seconde Guerre mondiale s'accompagne en effet d'un appel à la mobilisation contre les guerres futures. La recherche d'un sens d'ordre transcendantal constitue peut-être une forme d'éviction des responsabilités humaines ; il n'en reste pas moins qu'en dépit de ses limites, la tentative de confrontation artistique avec l'événement est réelle, et prend acte des aspects négatifs du conflit, contrastant ainsi avec l'idéalisation dont la Première Guerre mondiale avait fait l'objet.

Bibliographie

(sélection, présentation par ordre chronologique dans chaque section)

Catalogues citant Radziwill

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- Cat. Kunst im Widerstand. Malerei, Graphik, Plastik 1922-1945, dirigé par FROMMHOLD, Erhard, Verlag der Kunst & Röderberg-Verlag, Dresde, Francfort/Main 1968.

- Cat. Revolution und Realismus. Revolutionäre Kunst in Deutschland 1917 bis 1933. Zum 50. Jahrestag der Gründung der Assoziation Revolutionärer Bildende Künstler, Staatliche Museen zu Berlin, Nationalgalerie, Kupferstichkabinett & Sammlung der Zeichnungen, Berlin (RDA) 1978.

- Cat. Zwischen Widerstand und Anpassung. Kunst in Deutschland 1933-1945, coordonné par VOLKMANN, Barbara, Akademie-Katalog, vol. 120, Berlin (RFA) 1978.

- Cat. Bremen. Der grüne Regenbogen. Konturen einer norddeutschen Kunstlandschaft, exposition à la galerie Uwe Michael, Kunsthandel Michael, Brême 1983.

- Cat. Verfemte Kunst. Bildende Künstler der inneren und äußeren Emigration in der Zeit des Nationalsozialismus, rédigé par HAFTMANN, Werner, DuMont, Cologne 1986.

- Cat. Schrecken und Hoffnung. Künstler sehen Krieg und Frieden, rédigé par HOFMANN, Werner, STÖLZL, Christoph, KAULBACH, Hans-Martin, EBERLE, Matthias, Hamburger Kunsthalle, Hambourg 1987-88.

- Cat. Entartete Kunst. Das Schicksal der Avantgarde im Nazi-Deutschland, BARRON, Stéphanie (dir.), Deutsches Historisches Museum, Hirmer, Munich 1992.

Catalogues monographiques

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- Cat. Radziwill - Gemälde, Sammlung Düser, édité par ISENSEE, Dieter, en coopération avec GILLY, Wilhelm, Oldenburg / Kulturdezernat, Stadtmuseum Oldenburg, Isensee, Oldenburg 1980.

- Cat. Franz Radziwill, Staatliche Kunsthalle, Berlin, Landesmuseum Oldenburg, Kunstverein Hannover, Neue Gesellschaft für Bildende Kunst, Fröhlich & Kaufmann, Berlin 1981.

- Cat. Franz Radziwill - Gemälde, Aquarelle, Zeichnungen, rédigé par PRESLER, Gerd, Kunsthandel und Galerie Michael Pabst, Brême 1988.

- Cat. Franz Radziwill - Raum und Haus, édité par RADZIWILL, Konstanze, MAASS-RADZIWILL, Hans Heinrich, Franz-Radziwill-Gesellschaft, Exposition d'inauguration de la maison Radziwill à Dangast, Bucher, Munich 1988.

- Cat. Franz Radziwill. Aquarelle, Zeichnungen, Druckgraphik 1913-1973, rédigé par SEEBA, Wilfried, PRESLER, Gerd, Dangast 1989.

- Cat. Franz Radziwill - Bilder der Seefahrt, édité par SOINE, Knut, H. M. Hauschild, Brême 1992.

- Cat. Franz Radziwill (1895-1983), die Druckgraphik. Ein Werkverzeichnis, rédigé et édité par PRESLER, Gerd, en coopération avec la Franz-Radziwill-Gesellschaft, Dangast, Franz-Radziwill-Haus und Archiv, Varel, Engelhardt & Bauer, Karlsruhe 1993.

- Cat. Franz Radziwill 1895 bis 1983 : Das größte Wunder ist die Wirklichkeit. Monographie und Werkverzeichnis, dirigé par FIRMENICH, Andrea, SCHULZE, Rainer W., Wienand, Cologne 1995.

- Cat. Franz Radziwill - Mythos Technik, rédigé par SEEBA, Wilfried, Landesmuseum für Kunst und Kulturgeschichte Oldenburg, Kunsthalle Wilhelmshaven, Isensee, Oldenbourg 2000.

Articles et études

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- KEISER, Herbert Wolfgang, SCHULZE, Rainer W. (éd.), Franz Radziwill - der Maler, Thiemig, Munich 1975.

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- MÄRZ, Roland, Franz Radziwill, Henschelverlag Kunst und Gesellschaft, Berlin 1975.

- SCHULZE, Rainer W., « Die Unfähigkeit, loszulassen. Zu Radziwills Praxis der Bildveränderungen », in : cat. Franz Radziwill, 1981.

- MÄRZ, Roland, « Idylle und Katastrophe - Apokalyptischer Raum », p. 124-131 in : cat. Franz Radziwill - Raum und Haus, 1988.

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- VAN DYKE, James A., « Von Revolution' zu Dämonen' - Franz Radziwill im Dritten Reich », p. 40-46 in : cat. Das Konzentrationslager Oranienburg, édité par MORSCH, Günter, Schriftenreihe der Stiftung Brandenburgische Gedenkstätten, n° 3, Brême 1994.

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- GERSTER, Ulrich, « Zwischen Avantgarde und Rückwendung. Die Malerei Franz Radziwills von 1933 bis 1945 », p. 30-38 in : cat. Franz Radziwill, 1995.

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- PETERS : « Brutalisierung der Politik : Franz Radziwill und die deutsche Revolution' », p. 144-165 ; « Franz Radziwill und die Frage der Opposition », p. 262-288 in : PETERS, Olaf, Neue Sachlichkeit und Nationalsozialismus. Affirmation und Kritik 1931-1947, Reimer, Berlin 1998.

- ARTINGER, Kai, « Franz Radziwill Grab im Niemandsland'. Ein Beitrag zum Gefallenenkult im Dritten Reich », in : DHM-Magazin, cahier 22, 8e année, automne 1998, non paginé dans la version accessible sur Internet http://www.dhm.de/magazine/radziwill

Divers

- SCHMIDT, Dieter, In letzter Stunde. 1933-1945. Schriften deutscher Künstler des 20. Jahrhunderts, vol. 2, 1964.

- HOFER, Karl, Malerei hat eine Zukunft. Briefe, Aufsätze, Reden, textes rassemblés et présentés par HÜNEKE, Andreas, Kiepenheuer, Berlin 1991.

- JÜRGENS-KIRCHHOFF, Annegret, Schreckensbilder. Krieg und Kunst, Reimer, Berlin 1993.

- DAMUS, Martin, Kunst in der BRD 1945-1990. Funktionen der Kunst in einer demokratisch verfaßten Gesellschaft, Rowohlt, Reinbek, Hambourg 1995.

A voir sur Internet : les « galeries » d'œuvres de Radziwill sur :
1) –  http://www.tendreams.org/radziwill.htm
2) –  http://www.museumsyndicate.com/artist.php?artist=243

 

Pour citer cette ressource :

Claire Aslangul, Art et politique dans l’œuvre de Franz Radziwill, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), septembre 2009. Consulté le 21/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/allemand/civilisation/histoire/le-nazisme/art-et-politique-dans-l-uvre-de-franz-radziwill