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Dossier sur Joaquín O. Giannuzzi

Par Julia Azaretto : Étudiante-chercheuse
Publié par Christine Bini le 10/05/2010

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Présentation du poète argentin, quatre poèmes et leurs traductions en français, ainsi que des enregistrements audio des lectures de quatre autres poèmes.

Presentación

Joaquín O. Giannuzzi , Obra poética, (Nuestros días mortales, Contemporáneo del mundo, Las condiciones de la época, Señales de una causa personal, Principios de incertidumbre, Violín obligado, Cabeza final, Apuestas en lo oscuro), Buenos Aires, Emecé, 2000.

Journaliste dans les principaux quotidiens de la capitale argentine (Crítica, Clarín, La Nación), fondateur de Crónica, et collaborateur assidu de la revue Sur, dirigée par Victoria Ocampo, Joaquín Giannuzzi est l'une des références majeures pour les jeunes poètes contemporains. L'œuvre de Giannuzzi a reçu plusieurs prix en Argentine et à l'étranger : le Prix Vicente Barbieri de la Société Argentine d'Écrivains (1957), le premier prix du Fonds National des Arts (1963, 1977), le Prix Municipal (1980), le Prix Esteban Echeverría, et le Prix National de Littérature (1992), entre autres distinctions. Il a déjà été traduit en italien et en anglais, mais aucune traduction n'a été proposée en français jusqu'à présent. Né à Buenos Aires en 1924, il est mort en 2004, année de la publication de son dernier ouvrage par les éditions del Dock. On peut situer la poésie de Giannuzzi dans le sillage réflexif de la poésie argentine des années 50. 

Le temps, le présent, le contemporain sont les thématiques qui, comme un fil conducteur, traversent toute l'œuvre de Giannuzzi. Le regard avide du poète se fixe sur l'époque comme pour tenter de proposer, à travers la poésie, une glose du réel. Glose qui permettra de mieux approcher les objets du quotidien. On dirait que pour Giannuzzi le monde existe pour être énoncé. Tout au long de son œuvre nous ressentons sa stupeur face à la matière. La présence des objets peut ainsi devenir oppressante sans la parole. Leur inertie est conjurée grâce au poème qui permet de sublimer le monde. La mort et son corollaire, la finitude humaine, universelle, hantent de toutes parts les poèmes de Giannuzzi. C'est parce que le mystère apparaît au sein même du banal que Giannuzzi fait du quotidien une métaphysique. Il aime à employer des expressions figées qui lui permettent de faire du détournement linguistique, en supprimant un mot de l'expression et en le remplaçant par un autre, il arrive à faire parler autrement la formule. Pour n'en donner qu'un exemple : « Notre télévision quotidienne » faisant écho à notre pain quotidien de la prière Notre père.

Sous la plume de Giannuzzi, la poésie se met au service du monde et de l'existence (« Este mundo, muchachos, ¿no lo oyen? reclama otra especie de poesía »/ « Ce monde, les gars, ne l'entendez-vous pas ? exige une autre sorte de poésie »). Le poète devient ainsi l'observateur, le scrutateur du monde contemporain, et la parole lui permet de mieux le déchiffrer. Il observe les aspects politiques et sociaux de son pays, ainsi que la quotidienneté et les actes banals, desquels il dégage une surprenante transcendance. Le poème prend souvent l'allure d'un récit qui tisse un questionnement parfois stupéfiant, et qui est, en même temps, d'une justesse rare. Giannuzzi n'est pas un poète du lyrisme, il travaille plutôt sur l'économie des moyens, aboutissant à un grand dépouillement dans l'écriture. Cette sobriété de la langue, contrairement à ce que l'on pourrait penser de prime abord, est le fruit d'une formidable maîtrise des mots, ce qui fait tout son art.

Poemas/Poèmes

Joaquín O. Giannuzzi, Señales de una causa personal, in Obra poética, Buenos Aires, Emecé, 2000 (1era ed. 1977)

En español

Meditación detrás de los cristales
Cuando mueves la cola
aplaudo públicamente, pero en privado
escucho una nostalgia
que nada puede decidir. Tú
en la unánime calle, yo
detrás del vidrio de la ventana
y de mis anteojos. Cada vida en su lugar
y todo el mundo en el mundo.
Tú andas
felino libre viento joven
en plena oportunidad carnal de la luz
entre la gente que silba y entusiasmas
con tanto porvenir. Yo
en mi rincón tabacoso,
repasando mis pulgares, con cierta
inteligencia práctica respecto al pasado
y mi presente reumatismo especulativo.

Lluvia en el jardín
He observado el comportamiento de las mariposas
sorprendidas por la lluvia en el jardín.
En vano buscaron refugio bajo las hojas
y en la profundidad de las flores.
Pero una de ellas se elevó
hacia las nubes sombrías
y eligió la muerte en el rayo
perdida la memoria de la especie.
Yo fumaba en la galería, tendido de espaldas;
yo sobrevivía tranquilamente, ensayando
mi oficio de holgazán, mis vacaciones metafísicas,
aunque también pensando
qué clase de muerte, qué modelo de sepulcro
podría convenir a mi exclusiva historia personal,
la especie de pena que me correspondía.

Diagnóstico
Le diagnosticaron una esquizofrenia orgánicamente terrestre
síntomas subjetivos y objetivos
un síndrome disociador porciones sueltas de la realidad
cavidad mental poblada de fantasías
alucinaciones fuertemente impolíticas
emociones sin fundamento fobias de perro azul
comportamiento simiesco muecas lenguaje primitivo.
Todo por haber estado mirando
demasiado tiempo objetos sin importancia,
por haber desplazado las varias y ordenadas conjeturas del intelecto
por descansar nomás de tanta vida.

Apuntes de época
Frecuencia de tiroteos
en las inmediaciones de nuestro cuerpo.
Las noches llegan como amenazas secretas.
Explosiones, aullidos de ambulancias y neumáticos,
pasos que se precipitan.
Espasmos de una gestación avanzada.
La vieja época
pierde el ritmo cardíaco, boquea
en el estanque seco de su propia historia.
Detrás de las puertas
cerradas a doble llave, pasador y moral sin dientes
todo el mundo conteniendo el aliento.
Timbales y música a volumen crítico.
El baile de los muchachos
del otro lado de la pared.
Desde aquí no hay mucho que explicar:
acumulo muecas, examino ideologías
pero en conjunto ignoro
si son libres o felices,
qué heroísmo reclaman, qué sueños conciben.
A veces hay un accidente en el tocadiscos
y entonces los muchachos
con puños y pies golpean las paredes
para escapar de estos tiempos difíciles y oscuros.
Con la rabiosa fe sin porvenir
de la mosca luchando en la mermelada.
La calle, esta mañana,
sólo ofrecía opciones mortales.
De los edificios descendían
entre bocanadas de humo y odio
sufrimientos de hombres, de mujeres y de objetos manufacturados.
Morir sin esperanza era el único credo
y el mundo terminaba en los tachos de basura.
No era un momento surrealista, pueden creerme.
Y juro que los automóviles revelaban
su verdadera naturaleza criminal.

Traduction française

Joaquín O. Giannuzzi, Les Signes d'un combat personnel, Traduit de l'espagnol (Argentine) par Julia Azaretto

Écouter

Autocritique

https://video.ens-lyon.fr/eduscol-cdl/2010/2010-05-10_ESP_Giannuzzi_Autocritique.mp3

Chambre d'hôtel

https://video.ens-lyon.fr/eduscol-cdl/2010/2010-05-10_ESP_Giannuzzi_Chambre.mp3

Tentative de plainte individuelle

https://video.ens-lyon.fr/eduscol-cdl/2010/2010-05-10_ESP_Giannuzzi_plainte.mp3

Sans traces

https://video.ens-lyon.fr/eduscol-cdl/2010/2010-05-10_ESP_Giannuzzi_Sans_traces.mp3

Lecture : Emmanuel Lefloch
Dirigé par : Grégory Faive
Son : Michel Dessarps

Lire

Méditation derrière les carreaux
Quand tu bouges la queue
publiquement j'applaudis, mais en privé
j'entends une nostalgie
impromptue. Toi,
dans la rue unanime, moi
derrière la vitre de la fenêtre
et de mes lunettes. Chaque vie à sa place
et tout le monde dans le monde.
Tu es
- libre félin, jeune vent -
en pleine opportunité charnelle de la lumière
parmi les gens qui sifflent tu égayes
avec ton avenir en herbe. Moi,
dans mon fuligineux recoin,
scrutant mes pouces avec une certaine
intelligence pratique du passé
et mon présent rhumatisme spéculatif.

Pluie dans le jardin
J'ai observé le comportement des papillons
surpris par la pluie dans le jardin.
Ils ont cherché en vain un abri sous les feuilles
et dans la profondeur des fleurs.
Mais un d'entre eux s'est haussé
vers de sombres nuages,
il a choisi la mort dans la foudre,
perdue la mémoire de l'espèce.
Je fumais dans la terrasse, vautré, de dos,
je survivais sereinement en m'entraînant
à mon métier de fainéant, mes vacances métaphysiques,
tout en m'interrogeant
sur le type de mort, le modèle de stèle funéraire
qui pourraient convenir à mon exclusive histoire personnelle,
sur cette sorte de peine qui m'était réservée.

Diagnostic
On lui diagnostiqua une schizophrénie organiquement terrestre
symptômes subjectifs et objectifs
un syndrome dissociatif, un détachement de la réalité,
cavité occipitale peuplée de fantaisies
hallucinations hautement impolitiques
émotions sans fondement, phobies de chien bleu
comportement simiesque, grimaces, langage primitif.
Car il a passé son temps à regarder
des objets sans importance,
à déplacer les nombreuses et rationnelles conjectures de l'intellect
à se reposer, simplement, d'autant de vie.

Quelques notes sur l'époque
Fréquence de coups de feu
aux alentours de notre corps.
Arrivent les nuits, telles des menaces secrètes.
Des explosions, des hurlements d'ambulance et de pneus,
des pas qui se précipitent.
Des spasmes d'une gestation avancée.
La vieille époque perd son rythme cardiaque, râle
dans l'étang stérile de sa propre histoire.
Derrière les portes
fermées avec deux verrous et morale mordante
tout le monde retient son souffle.
Des timbales, la musique au paroxysme de sa puissance
La danse des gars
de l'autre côté du mur.
Vu d'ici il n'y a pas grand chose à expliquer :
j'accumule les grimaces, examine les idéologies
mais dans l'ensemble j'ignore
s'ils sont libres ou seulement heureux,
quelle sorte d'héroïsme exigent-ils, quel type de rêves ils conçoivent ?
Parfois un accident survient dans le tourne-disque
alors les gars
frappent les murs des poings et des pieds
pour échapper à ces temps difficiles et obscurs.
D'une foi enragée, dépourvue d'avenir,
comme la mouche qui lutte contre la confiture.
La rue, ce matin,
ne proposait que des alternatives mortelles.
Des immeubles descendaient,
parmi les bouffées de fumée et de haine,
les tourments des hommes, des femmes et des objets manufacturés.
Mourir sans espérance, le seul crédo.
Et le monde s'arrêtait dans les poubelles.
Ce n'était guère un moment surréaliste, je vous assure.
Et je jure que les voitures révélaient
leur vraie nature criminelle.

 

Pour citer cette ressource :

Julia Azaretto, Dossier sur Joaquín O. Giannuzzi, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mai 2010. Consulté le 24/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/litterature/litterature-latino-americaine/poesie/joaquin-o-giannuzzi