« Mario Vargas Llosa, conversation avec Rubén Gallo»
GALLO, Rubén, Mario Vargas Llosa, L’atelier du roman, Conversation à Princeton avec Rubén Gallo (Mario Vargas Llosa Conversación en Princeton con Rubén Gallo, 2017), traduit de l’espagnol par Albert Bensoussan et Daniel Lefort, Éditions Gallimard, collection Arcades, Paris, 2019.
ISNB : 978-2-07-279420-9
L’université de Princeton aux États-Unis conserve les archives (brouillons, lettres et articles de journaux) de l’écrivain péruvien, naturalisé espagnol en 1993, Prix Nobel de littérature 2010, Mario Vargas Llosa (1936, Arequipa, Pérou). En 2015, Rubén Gallo, professeur de langue, littérature et civilisation espagnole de cette université l'a invité à participer à un séminaire. Par la suite, celui-ci a été retranscrit et publié sous la forme d'un livre qui se compose de huit parties : trois consacrées aux sources d'inspiration, à la formation, au contexte de l’écriture et cinq à des romans considérés comme les plus représentatifs de l’écrivain.
Mario Vargas Llosa parle tout d’abord de ses influences et mentionne notamment Jean-Paul Sartre qu’il admirait à ses débuts en tant qu’écrivain même si aujourd’hui il ne le considère plus comme un bon modèle car il ne se laisse pas guider par ses émotions. Il évoque aussi la révolution cubaine qui eut un fort impact sur la littérature hispano-américaine de l’époque.
Puis il parle de son métier de journaliste qu'il a commencé à exercer à l'âge de 15 ans pour le journal La Crónica :
"J'ai fait mes premiers pas dans le journalisme alors que j'étais encore lycéen - c'était pendant les vacances entre la première et la terminale, c'est-à-dire l'avant dernière et la dernière année du lycée. J'avais quinze ans et j'ai commencé à travailler comme rédacteur dans un journal qui m'a envoyé faire toutes sortes de reportages dans une ville que je connaissais seulement de manière très partielle." (p.48).
Tout en continuant cette activité, il a fait des études de droit et de littérature à l'Université Nationale San Marcos. Le journalisme lui semble fondamental car il lui a permis de découvrir la réalité de son pays natal et aujourd’hui encore il écrit pour le quotidien espagnol El País. Pour lui, la liberté d’expression est la première des libertés. Il pense aussi qu’il est “pratiquement impossible d’écrire en n’offensant personne” (p.275) et qu’il est important de savoir où sont les limites même s’il n’apporte pas de réponse à cette question. Il s'interroge davantage sur les actions que mettent en place les États pour la faire respecter, notamment après des attentats terroristes.
Le premier roman dont parle l’écrivain est Conversation à La Catedral (1969), considéré comme son chef d’œuvre, mais dont la compréhension est difficile. L’auteur lui-même admet qu’il n’est pas facile à lire et précise qu’il n’a pas non plus été simple pour lui de l’écrire : “La difficulté ne naît pas d’une volonté purement artistique mais d’un besoin de représenter une réalité compliquée, une existence et un monde compliqués” (p.71). Dans ce roman, les faits sont réels mais tout ce qui se trouve autour est romancé, la construction est littéraire. Par ailleurs, le Pérou qui y est décrit n’est plus le Pérou d’aujourd’hui ; la réalité et la vision des choses de l’écrivain étaient beaucoup plus pessimistes à cette époque.
Dans son roman Histoire de Mayta nous assistons à l’évolution de sa pensée : sa vision du Pérou est davantage optimiste. Le Pérou représenté est presque un pays de science-fiction : “Le dernier chapitre est un commentaire sur la frontière entre la réalité et la fiction” (p.143). Néanmoins, comme Conversation à La Catedral, ce roman a pour point de départ la réalité puisque Mayta existe et Mario Vargas Llosa est allé à sa rencontre.
L’auteur évoque aussi la mauvaise réception du livre, qui selon lui est due à l’image qu’il donne de la gauche et au personnage du révolutionnaire homosexuel.
De la même manière que Conversation à La Catedral et Histoire de Mayta, le roman Qui a tué Palomino Molero ? s'appuie sur la réalité et plus précisément sur un fait divers. Il prend la structure d’un roman policier dans lequel de nombreux éléments sont passés sous silence ce qui permet au lecteur de créer sa propre réalité. Dans La fête au bouc nous retrouvons la même volonté de représentation de la réalité, mais l’histoire se déroule en République dominicaine ce qui montre que l’auteur concède une certaine importance à la situation politique et historique de toute l’Amérique latine. Pour l’écrire Mario Vargas Llosa a récolté de nombreux témoignages ; sa seule limite était “de ne rien inventer qui n’ait été possible dans le contexte de la République dominicaine de cette époque” (p.220). Dans ce roman, le dictateur est un personnage à part entière, ce qui n’est pas le cas dans Conversation à La Catedral. L’autre différence vient du fait que les personnages sont des héros qui agissent par conviction même s’ils risquent leurs vies.
Ensuite Rubén Gallo décrit Le poisson dans l’eau comme un livre hybride qui mélange l’autobiographie, la mémoire, l’essai et la chronique. Mario Vargas Llosa, lui, considère qu'il résulte de la volonté “de créer un contrepoint entre le déroulement de la campagne politique et la naissance de [s]a vocation dans [s]a plus tendre jeunesse” (p.179). L’auteur profite de cet aparté pour donner son avis sur la politique actuelle des pays d’Amérique latine, qui selon lui, ne sont pas gouvernés par les bonnes personnes. Il estime que les intellectuels feraient de très bons dirigeants. Son échec politique, est selon ses propres mots, dû aux alliances qu’il a réalisées et au fait qu’il n’était pas préparé à ce monde.
Le travail réalisé par Rubén Gallo, qui a recoupé les différentes interventions de l'auteur pour en faire un livre clair et structuré, nous permet de découvrir les sources d’inspiration, les personnes et les événements qui ont influencé Mario Vargas Llosa. Il nous livre aussi ses réflexions sur son métier d’écrivain, sur la situation politique du Pérou et de l’Amérique latine.
Pour citer cette ressource :
Zoé Noël, Mario Vargas Llosa, conversation avec Rubén Gallo, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), septembre 2020. Consulté le 03/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/litterature/litterature-latino-americaine/les-classiques-de-la-litterature-latino-americaine/mario-vargas-llosa-conversation-avec-ruben-gallo