«To Kill a Mockingbird» / «Du silence et des ombres» (Robert Mulligan - 1962)
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La voix d'un enfant chantonne pendant que sa main ouvre une boîte.
Contre-plongée. Nous découvrons un crayon, des fusains, des pastels, des billes, une clé, des pièces, un petit couteau, une montre, et deux figurines de bois. Puis la main se saisit d'un fusain, commence à écrire, à dessiner. Le titre et les noms défilent, toujours sur fond de chansonnette insouciante, bientôt couverte par une belle musique. La montre, pourtant sans aiguilles, laisse entendre un tictac imaginaire. Le temps, l'histoire peut commencer.
Magnifique générique qui fait des petits riens des trésors, et du monde un endroit où s'émerveiller. Le monde en l'occurrence, c'est Maycomb, Alabama, que l'on découvre dans la première scène du film, adapté du roman, en partie autobiographique, de Harper Lee. Le livre obtint le prix Pulitzer en 1961.
Un an plus tard, il est adapté pour l'écran et mis en scène par Robert Mulligan. Réalisateur de télévision (téléfilms et shows), passé au grand écran, Mulligan n'a alors rien laissé de très remarquable. Avec To Kill a Mockingbird, il va sortir de l'ombre, justement.
En pleine Grande Dépression, dans une ville imaginaire de l'Alabama, Atticus Finch, un avocat, élève seul ses deux jeunes enfants: Jean Louise (Scout) et Jeremy (Jem). L'histoire, vue à travers les yeux de Scout, raconte un été bien rempli, pendant lequel les enfants vont découvrir la face raciste du Sud, à travers le procès de Tom Robinson.
Le titre français est en définitive très bien choisi. Du silence, il est évidemment sans cesse question. Aussi bien le faux silence de la nuit, qui laisse les enfants délicieusement terrifiés et leur imagination galopante, que celui entretenu par le Sud. Silence sur le sort réel des noirs, sur la scandaleuse injustice de leur condition (nous sommes alors en 1961, c'est à dire en plein mouvement des droits civiques). C'est également le silence des adultes sur tout ce qui pourrait être différent. Silence enfin sur les désirs, les indicibles, inentendables désirs qui, s'ils venaient à se réaliser, feraient voler en éclat tous les "beaux rouages" de la ségrégation et des "Jim Crow laws".
Film sur l'enfance, et donc film initiatique, qui voit Scout et Jem traverser l'été, son silence et ses ombres. Ce petit bout d'Americana paisible rappelle aussi bien le Mississippi de Mark Twain que l'Ohio de La nuit du chasseur (( La chronique sur l'adaptation du roman de Grubb est à retrouver sur la Clé des langues : The Night of the Hunter / La nuit du chasseur (Charles Laughton - 1955))) de Davis Grubb. Insouciance et terreur. Innocence et noirceur.
Les jeux des enfants sont rituels, balançoire, cache-cache. Arrive un autre garçon en vacances, Dill. Le trio est formé. Des objets trouvés dans un tronc d'arbre vont leur poser une énigme très "club des 5". Et puis il y a Bo Radley, monstrueux et invisible voisin qui sert de Croquemitaine et alimente tous les fantasmes nocturnes.
Dans la deuxième moitié du film, le procès va progressivement voir la réalité faire irruption dans ces jeux enfantins. Les scènes magistrales et émouvantes s'enchaînent. La visite nocturne des enfants à leur père, qui garde la prison face à une foule en colère, est extraordinaire de naïveté et désarmante d'évidence. Elle fait penser à des scènes similaires dans le remarquable Young Mister Lincoln (Vers sa destinée, 1939) de John Ford, et dans Stars in My Crown (1950), non moins remarquable film de Jacques Tourneur.
La dénonciation de la ségrégation n'a pas besoin de mot, mais du regard des enfants, du beau regard de Scout, éclaireuse d'un nouveau monde à venir.
Pour parfaire la touche "Southern Gothic", les scènes finales ont lieu la nuit d'Halloween, dans une forêt, par grand vent. Décor idéal, théâtre d'ombres, encore une fois. Lieu de défoulement où la bête rencontre l'homme. Comme toujours les monstres ne sont pas ceux que l'on croit. Ils sont humains, trop humains (human), pas assez humains (humane).
Gregory Peck fut nommé aux Oscars. Les enfants sont remarquables, avec une mention toute particulière pour Mary Badham, prodigieuse Scout, sans qui le film ne serait pas crédible. Elle l'illumine de la lumière de l'enfance. Un pur joyau.
Un grand film qui inaugurait une période courte mais faste pour Mulligan. Dans la décennie qui s'annonçait, il aller réaliser cinq films intéressants, dont on peut distinguer The Stalking Moon (L'homme sauvage), Western original de 1968, et Summer of '42 (Un été 42), grand succès de 1971, immortalisé par la musique de Michel Legrand.
Il aura fallu attendre 2015, un an avant sa mort, pour que le second roman de Harper Lee, Go Set a Watchman (Poste une sentinelle), soit publié. Le premier s'est vendu, rappelons-le, à plus de quarante millions d'exemplaires.
Pour citer cette ressource :
Lionel Gerin, To Kill a Mockingbird / Du silence et des ombres (Robert Mulligan - 1962), La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mars 2017. Consulté le 30/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/arts/cinema/to-kill-a-mockingbird-du-silence-et-des-ombres-robert-mulligan-1962