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«Nußknacker und Mausekönig», conte de Hoffmann, entre réhabilitation et démythification du conte populaire

Par Aline Le Berre : Professeur de Langue et Littérature - Université de Limoges
Publié par MDURAN02 le 04/05/2009

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Dans ((Nußknacker und Mausekönig)), tous les ingrédients du conte populaire sont présents: recours à des types plutôt qu'à des caractères, trame narrative conventionnelle, large place accordée au merveilleux. Il est question d'un casse-noisettes, qui se révèle être un prince envoûté, et d'une petite fille, Marie, appelée à le délivrer en surmontant un certain nombre d'épreuves. Pourtant Hoffmann, reste un écrivain ambivalent, qui pratique en virtuose la célèbre ironie romantique. Aussi met-il en place un système de distanciation par l'utilisation du grotesque, de la parodie, de l'inadéquation. Écrivain du XIXe, il entreprend toute une réflexion sur le conte populaire qui passe par la distanciation ironique.

Dans son conte Nußknacker und Mausekönig, Hoffmann ambitionne de s'inscrire dans la tradition du conte populaire. Il a composé ce récit en 1816 pour les enfants de son ami Hitzig, qui étaient au nombre de quatre : Eugénie (1807-1843), Marie (1809-1822), Frédéric (1811-1881), et la dernière Clara (1812-1873). Il reprend certains de ces prénoms, afin de créer une confusion entre réalité et fiction : son héroïne s'appelle Marie, et il la dote d'un frère, Fritz, plus âgé qu'elle. Il y a également une soeur aînée, mais elle se prénomme Luise. Quant à Clara, elle n'apparaît pas, sauf par l'intermédiaire de la poupée Klärchen nouvellement offerte à Marie.

De même, le château miniature peuplé de figurines, cadeau du parrain Droßelmeier aux enfants pour Noël, rappelle la maquette du château de Ringstetten évoqué par Fouqué dans Ondine, dont Hoffmann avait fait présent aux enfants Hitzig pour le Noël 1815 :

Daß der Pate Droßelmeier, ein kleiner, magerer Justizbeamter, der in seiner Freizeit künstlerischen Neigungen nachgeht, ein Selbstporträt Hoffmanns darstelle, gehört zur opinio communis bei der Beschäftigung mit dem Nußknacker. Dies wird allein schon durch die biographischen Bezüge nahegelegt: Hoffmann hatte den Kindern seines Freundes Hitzig ein Modell der Burg Ringstetten aus der Undine zu Weihnachten 1815 geschenkt. Für sie hat er dann, nach Hitzigs Auskunft, zunächst auch den u. a. auf diese Weihnachtsbescherung Bezug nehmenden Nußknacker geschrieben, in dem er Fritz und Marie Hitzig namentlich auftreten ließ. Damit ist die Familie Hitzig mit Chamissos Peter Schlemihl und Hoffmanns späterem Werk Das fremde Kind Anlaß für die Entstehung dreier romantischer Kunstmärchen geworden. (Barth, 1995, p. 8)

Hoffmann ne peut renoncer à l'égocentrisme du poète romantique. Il s'est portraituré dans la figure de Droßelmeier, juriste comme lui, personnage ambigu et double, puisqu'il est présent également dans Das Märchen von der harten Nuß, conte inséré dans le conte, sous la personnalité de l'horloger et arcaniste Christian Elias Droßelmeier :

C'est lui [Hoffmann] le parrain affectueux, bizarre, parfois inquiétant, féru de mécanique et de mystère, qui ne sait pas toujours choisir les jouets qui feront le plus plaisir. Frédéric ou Fritz (en réalité, le cadet, 5 ans) et Marie sont deux enfants de Hitzig ; elle avait sept ans, comme dans le conte ; l'aînée Eugénie, à peine plus âgée, n'y paraît pas. On se figure l'impression de vraisemblance que devait leur donner le mélange de vrai et d'imaginaire, par exemple la penderie de papa, qui sert de porte d'entrée au royaume des merveilles. (Ricci, 1947, p. 381)

Hoffmann confère au parrain Droßelmeier une psychologie complexe qui l'éloigne des figures typées conventionnelles pour en faire un caractère.

Pour brouiller les pistes, il place ce conte dans la bouche d'un de ses amis, Lothar. Effectivement, ce conte fait partie des Serapions-Brüder. Là encore, Hoffmann s'inspire de la réalité pour la déformer. A Berlin, il avait l'habitude de rencontrer régulièrement, au café, des amis s'intéressant aux arts. Il y avait, entre autres, Hitzig, Contessa, La Motte-Fouqué, Chamisso, auxquels s'adjoindront par la suite le docteur Koreff et l'acteur Devrient. Dans ses écrits, il met en scène ce groupe d'amis, qu'il présente comme un cercle d'initiés partageant les mêmes conceptions littéraires et se plaçant sous l'égide de Saint Sérapion:

Il y a le frère Theodore qui figure Hoffmann, Cyprien qui fait penser à Chamisso, Lothaire qui a l'ironie mordante de Fouqué, Ottmar inspiré du bouillant Hitzig, Sylvestre qui comme Contessa aime parler de théâtre, et enfin Vincent, spécialisé dans l'occultisme et qui ressemble plus ou moins à Koreff. (Péju, 1988, p. 178)

En fait, il existe là encore une ambiguïté : ce n'est pas au véritable Saint Sérapion que se réfère le recueil, mais à un fou, le comte P..., qui se prend pour le saint, et dont l'histoire précède la série de contes enchâssés dans le récit-cadre. Ce n'est donc pas un saint martyr qui est honoré, mais celui qui a abandonné sa vie au pouvoir de son imagination, celui qui est capable de se forger une autre identité, le marginal, le doux original, qui vit en anachorète et que ses semblables taxent de folie. En lui, Hoffmann voit une incarnation de l'idéal poétique, qui consiste à rendre une vision intérieure plus réelle que la réalité. Dans les commentaires qui font suite au conte, il adresse la prière suivante : "Serapion möge uns fernerhin beistehen und uns erkräftigen, das wacker zu erzählen, was wir mit dem Auge unsers Geistes erschaut!" (Hoffmann, 1957, p. 301). Cette formulation, "l'oeil de l'esprit", en soi antinomique, est caractéristique de l'art hoffmannien. Il s'agit d'associer imaginaire et description visuelle.

En se plaçant sous l'égide de Saint Sérapion, Hoffmann, par un renversement iconoclaste, ne rend aucunement un culte à la piété, mais érige la folie en sainteté. Il place son oeuvre sous le signe de l'aliénation, envers laquelle il entretient une relation complexe, faite de fascination et de crainte, comme en témoigne la déclaration qu'il prête à Ottmar:

Theodor hat recht [...] ich tadle, o Cyprian, deinen närrischen Hang zur Narrheit, deine wahnsinnige Lust am Wahnsinn. Es liegt etwas Überspanntes darin, das dir selbst mit der Zeit wohl lästig werden wird. Daß ich Wahnsinnige fliehe wie die Pest, versteht sich wohl, aber schon Menschen von überreizter Phantasie, die sich auf diese oder jene Weise spleenig äußern, sind mir unheimlich und fatal. (Hoffmann, 1957, p. 30.)

Hoffmann entretient certes un dialogue fictif entre plusieurs narrateurs qui ressemblent à ses amis réels, Chamisso, Fouqué, Hitzig, mais lui permettent aussi d'exprimer les multiples facettes de sa propre personnalité sous divers masques. Dans ces propos transparaît sa peur de la folie dont il s'estime par intermittence lui-même guetté.

On s'aperçoit donc que, même si Nußknacker und Mausekönig s'apparente à un conte de Grimm, il s'inscrit dans un contexte beaucoup plus élaboré. Hoffmann oscille en permanence entre conte populaire et conte savant. Pourtant, tous les ingrédients du récit populaire sont présents : recours à des types plutôt qu'à des caractères, trame narrative conventionnelle, large place accordée au merveilleux. Il est question d'un casse-noisettes, qui se révèle être un prince envoûté, et d'une petite fille, Marie, appelée à le délivrer en surmontant un certain nombre d'épreuves.

Hoffmann reprend en le modifiant un sujet classique de conte de fées, que l'on rencontre dans Riquet à la Houpe, La Belle et la Bête ou encore Der Froschkönig : l'union d'une personne séduisante avec un être contrefait, voire monstrueux. Hoffmann tente assurément de revaloriser une littérature populaire accessible à un public de non-initiés.

Cependant, il est un esprit trop caustique, pour ne pas entreprendre parallèlement une déconstruction du genre. Il reste un moderne, un écrivain ambivalent, qui pratique en virtuose la célèbre ironie romantique. Aussi met-il en place un système de distanciation par l'utilisation du grotesque, de la parodie, de l'inadéquation. Ecrivain du XIXe, il entame toute une réflexion sur le conte populaire qui passe par la distanciation ironique.

I. L'héritage populaire

Hoffmann sacrifie visiblement aux lois du genre, en s'adressant à un public enfantin et en réservant au merveilleux une place prépondérante dans son récit. Son héroïne partage le sort des héroïnes de contes de fées. Même si elle ne subit pas autant de mauvais traitements de la part de sa famille que Cendrillon, elle y fait cependant figure de marginale et d'incomprise. Ses parents la traitent de mythomane lorsqu'elle prétend avoir assisté à un combat entre souris et soldats de plomb. Son expérience du merveilleux ne suscite qu'incrédulité et hostilité chez les adultes. Elle connaît le parcours habituel du personnage de conte : il lui faut surmonter une série d'épreuves avant d'accéder au bonheur. On peut en dénombrer globalement trois : d'abord la maladie due à sa blessure lors du combat entre poupées et souris, puis le sacrifice de ses friandises et figurines de sucre au roi des souris, et enfin la punition de son père qui lui interdit de parler de ses aventures. Il faut également que son amour soit assez fort pour lui faire vaincre ses préjugés contre la laideur du casse-noisettes. Après qu'elle a prononcé la formule libératrice, le casse-noisettes s'avère être, comme de juste, un charmant jeune homme, Droßelmeier, envoûté à la suite d'une sombre histoire.

Hoffmann introduit en effet dans son récit un second conte, Das Märchen von der harten Nuß, histoire de la princesse Pirlipat, affligée d'un enlaidissement monstrueux par la reine des souris qui veut se venger du roi, son père. Or, en délivrant Pirlipat, Droßelmeier, victime de la même malédiction, se trouve changé en casse-noisettes et se voit alors repoussé par la princesse qui devait l'épouser. A l'arrière-plan de cette histoire se profile l'amère expérience de Hoffmann, séducteur éconduit à cause de sa disgrâce physique par sa jeune élève, Julia Marc. Cette blessure encore cuisante transparaît dans le thème choisi. A ses yeux, il n'existe rien de pire qu'un extérieur peu engageant. Avec le personnage de Marie, il crée une anti-Julia Marc :

L'amour du couple prédestiné, ramené à des proportions enfantines, domine l'histoire, comme si Hoffmann avait rêvé d'une Julia parfaite, active, combattant pour le bien-aimé, tandis que lui-même luttait et souffrait pour elle sous les traits du Casse-Noisettes. L'ensemble est optimiste : un bon 'Märchen', disait Tieck, doit être imprégné de bonne humeur. » (Ricci, 1947, p. 382)

Marie, figure réparatrice, constitue un antidote à Julia, tandis que Pirlipat en serait l'incarnation. C'est pourquoi, par une vengeance détournée, Hoffmann inflige à celle-ci l'opprobre d'une repoussante difformité.

1.1 Une thématique largement répandue: la Belle et la Bête

Cependant, si l'on ne peut écarter l'éventualité d'une inspiration personnelle, il faut reconnaître qu'il emprunte également des éléments à divers contes populaires. Le passage de la beauté à la laideur ou inversement constitue un thème récurrent dans ce genre de récit. Peau d'âne, Cendrillon en fournissent des exemples. C'est également le cas de Riquet à la Houppe. Nußknacker und Mausekönig peut apparaître comme une variante du célèbre conte de Perrault, qui campe un héros contrefait, métamorphosé par l'amour d'une femme. Riquet, prince spirituel mais d'un extérieur disgracieux, "laid, mais pétri de qualités" (Ricci, 1947, p. 381) transmet son intelligence à une princesse belle et bête, tandis qu'elle-même, après l'avoir méprisé, a le pouvoir de lui conférer en retour un extérieur avenant. Ce récit contient un sens allégorique qui se dévoile à la fin de l'histoire : "Tout est beau dans ce que l'on aime, / Tout ce que l'on aime a de l'esprit ". Cette partialité de l'amour, Hoffmann en est tellement convaincu qu'il l'a déjà mise en scène de façon burlesque dans Der Sandmann où son héros Nathanael s'éprend d'un automate, la poupée Olimpia, qu'il pare de toutes les vertus et dont il se croit aimé. On rencontre dans Nußknacker und Mausekönig une thématique semblable. Marie trouve de la beauté à son casse-noisettes : "Indem Marie den netten Mann, den sie auf den ersten Blick liebgewonnen, immer mehr und mehr ansah, da wurde sie erst recht inne, welche Gutmütigkeit auf seinem Gesicht lag." (Hoffmann, 2001, p. 10). Hoffmann insiste sur l'importance du regard, et suggère sa subjectivité. Marie recrée le casse-noisettes, et se persuade de ses hautes qualités.

Le nom de Droßelmeier fait également songer au conte des frères Grimm, König Drosselbart, dans lequel la jeune princesse rebute son soupirant à cause d'un défaut physique : "Der hat ein Kinn wie die Drossel einen Schnabel." (Grimm, 1978, p. 109). L'héroïne, hautaine, se moque d'abord de son prétendant, pour finir par faire amende honorable et reconnaître ses torts. On peut aussi retrouver dans le récit hoffmannien le sujet de La Belle et la Bête de Jeanne Marie Leprince de Beaumont. Comme la Belle, Marie, en tombant amoureuse d'un monstre, le délivre de son enchantement et lui restitue sa beauté première. Certains critiques voient dans ce genre de métamorphose un symbole du pouvoir d' "humanisation par l'amour féminin" (Piarotas, 1996, p. 71). Hoffmann établit donc un réseau d'allusions plus ou moins explicites aux contes populaires, qui sont autant de clins d'oeil en direction du lecteur.

En même temps, il rejoint la vision sexiste de la jeune fille, véhiculée par la tradition populaire. Il accumule les stéréotypes. D'abord il insiste sur la beauté de son héroïne qui possède un "visage délicieux et ravissant" (Hoffmann, 2001, p. 57). En outre, elle est dotée des qualités de dévouement et de serviabilité qui passent pour typiquement féminines. Elle soigne donc avec empressement son casse-noisettes blessé. L'écrivain brosse d'elle un portrait conventionnel qui semble viser à l'édification des petites filles et les engager à l'abnégation. Il établit une corrélation entre femme et sacrifice. Il faut que la femme aime ce qui est rebutant, surmonte, face à un homme déplaisant, un sentiment naturel de répugnance. Ce message, qui se rapproche de celui de La Belle et la Bête ou de Der Froschkönig, incite la jeune fille à accepter n'importe quel prétendant, fût-il un casse-noisettes. C'est aussi la thématique de König Drosselbart, qui donne à entendre que l'héroïne a tort de se montrer difficile dans le choix de son futur époux. Finalement, comme dans les contes populaires, Marie se trouve récompensée de son abnégation, puisque la créature monstrueuse se métamorphose en un prince charmant qu'elle épouse.

Hoffmann s'inscrit donc dans la perspective misogyne du conte populaire qui vise à inculquer la soumission aux petites filles. Il s'agit de les préparer à leur futur rôle d'épouse modèle en les exhortant  à l'altruisme et à l'acceptation des travers masculins.

1.2 Un arsenal de procédés et de motifs récurrents

Hoffmann reprend de nombreux procédés narratifs présents dans la littérature populaire. De même, il imite le style vivant et suggestif des contes, en cultivant les onomatopées : "krack - krack und drei Zähnchen fielen aus des Nußknackers Munde." (Hoffmann, 2001, p. 11). "Knack - knack - knack - dummes Mausepack - dummer, toller Schnack - Mausepack - Knack - Knack - Mausepack - Krick und Krack - wahrer Schnack." (p. 17-18). "Klapp und Klipp und klipp und klapp, auf und ab..." (p. 57).

Il cultive, en outre, le manichéisme simpliste du conte, en opposant à la douce Marie l'altière Pirlipat, qui se montre ingrate envers son libérateur. Il  retrouve donc la veine pédagogique populaire, le goût des antithèses tranchées entre bons et méchants. Il manipule le temps à sa guise, le dilate ou le condense, mélange passé lointain et présent, ignore les lois physiques du vieillissement. Il campe des êtres qui échappent aux contingences. La frontière entre la petite fille et la jeune fille demeure floue. L'héroïne se marie à la fin du récit, sans que l'écoulement du temps ait été indiqué de quelque façon. C'est ce que le critique Max Lüthi range sous le concept de "Flächenhaftigkeit" : "Die Helden des Märchen besitzen die ewige Jugend." (Lüthi, 1997, p. 21). Les personnages n'ont pas le sens du temps. Ils vivent dans un éternel présent comme les enfants.

Comme les narrateurs populaires, Hoffmann affectionne les nombres symboliques. Le chiffre trois revient souvent : "Drei Tage und drei Nächte hatte Droßelmeier mit dem Astronomen ununterbrochen gearbeitet." (Hoffmann, 2001, p. 35). Marie est également trois fois éprouvée par le roi des souris, qui exige d'elle par trois fois des sacrifices. Elle est âgée de sept ans au début du récit. Le roi des souris a sept têtes et porte sept couronnes. Hoffmann campe un univers mythique.

Il s'inspire tout particulièrement du mythe du Pays de Cocagne. Marie visite le royaume du casse-noisettes qui se caractérise par son aspect comestible. Il y pleut du miel, il y neige du sucre, le vin coule des fontaines, les cailloux sur le chemin sont des fromages, les pigeons et les poulets volent tout rôtis dans les airs. Comme au pays de Cocagne, tout y flatte les sens gustatifs. La capitale s'appelle Villeconfite. Les maisons sont bâties en sucre, de la limonade coule des fontaines, les bassins contiennent de la crème, le château est en massepain... Hoffmann sacrifie ici à un fantasme enfantin de gourmandise, présent également dans le conte de Grimm Hänsel und Gretel, puisque la sorcière s'est construite une maison en pain avec un toit en gâteau et des fenêtres en sucre, piège conçu pour mieux attirer ses proies, les enfants. Il s'appuie donc sur le patrimoine populaire.

C'est pourquoi il insère dans son récit un second conte, Das Märchen von der harten Nuß, censé remonter aux origines de l'envoûtement du casse-noisettes. La composante populaire et mythique y est encore davantage marquée. Il évoque un royaume hors du temps et de l'espace, avec ses protagonistes obligés, un roi, une reine, leur fille et la méchante sorcière, apparaissant sous la forme de la reine des souris, Madame Mauserinks.

Comme le père de la Belle au bois dormant, le père de Pirlipat ne se tient plus de joie à la naissance de cette jolie petite fille, et exprime son allégresse en des termes quasiment similaires à ceux qu'emploie le père de La Belle au bois dormant. Tandis que le conte populaire disait "Die Königin gebar ein Mädchen, das war so schön, daß der König vor Freude sich nicht zu lassen wußte... " (Grimm, 1978, p.101), Hoffmann écrit : "Der König war außer sich vor Freude über das schöne Töchterchen, das in der Wiege lag." (Hoffmann, 2001, p. 27). Il se livre à un plagiat volontaire d'où n'est pas absente la connotation vaguement incestueuse de l'amour père/fille.

Il reprend également le motif de l'ensorcellement. Madame Mauserinks est mécontente du roi, qui, pour empêcher les souris de consommer le lard, leur tend des pièges et a ainsi anéanti sa descendance. Elle se venge en jetant un sort à l'enfant qui vient de naître. Si la Belle au bois dormant est frappée de léthargie par la treizième fée qui n'avait pas été invitée, la ravissante Pirlipat se mue en nabot difforme :

Statt des weiß und roten goldgelockten Engelköpfchens saß ein unförmlicher dicker Kopf auf einem winzig kleinen zusammengekrümmten Leibe, die azurblauen Äugelein hatten sich verwandelt in grüne hervorstechende, starrblickende Augen, und das Mündlein hatte sich verzogen von einem Ohr zum andern. (Hoffmann, 2001, p. 33)

Là encore, Hoffmann reste fidèle à l'esthétique du conte populaire et à son goût des extrêmes. Une jeune fille ne peut être que très belle ou très laide. Mais il se montre plus descriptif, s'attardant, à des fins grotesques, sur la laideur du personnage. De même, la longue attente de quinze ans infligée à Pirlipat, avant qu'elle ne soit délivrée de son apparence hideuse par un jeune homme, peut rappeler le sort de la Belle au bois dormant, condamnée à patienter cent ans.

D'autre part, dans La Belle au bois dormant apparaît le fuseau, connoté sexuellement par les psychanalystes : "Pour deviner la signification du fuseau de la Belle au Bois, il suffirait de s'en rapporter à la théorie freudienne qui voit en tout objet pointu un emblème phallique." (Loeffler-Delachaux, 1949, p. 168). Hoffmann lui substitue le casse-noisettes, qui, s'il n'est pas pointu, n'en a pas moins pour fonction de pénétrer et de perforer. De plus, de même que le contact avec le fuseau entraîne chez la princesse un profond bouleversement physiologique, matérialisé par un sommeil de cent ans, l'entrée en possession du casse-noisettes, qui suscite un combat entre les poupées et les souris, détermine chez Marie un saignement et un évanouissement, s'accompagnant par la suite d'une transformation de son monde intérieur. On peut donc discerner la même symbolique sexuelle dans ces deux contes.

Marie a sept ans, un âge fatidique pour les petites filles, celui auquel, dans les contes, la petite fille commence à se muer en femme, et auquel Blanche-Neige surpasse sa belle-mère en beauté. Elle atteint une étape charnière de son développement. Selon Gerhard Neumann, la blessure qu'elle se fait en brisant la vitre de l'armoire aux jouets, est le signe du "passage du monde de l'enfance à celui des adultes" ("Übertritt aus der kindlichen Welt in die der Erwachsenen"), de la transformation de la fillette en femme ("Reifung eines Mädchens zur Frau"). (Neumann, 1997, p. 152). Elle ressemble à un sacrifice : "Ein Blutopfer gleichsam, das zum Zeichen des Übertritts aus der kindlichen Welt in die der Erwachsenen gesetzt wird." (Neumann, 1997, p. 152). Marie perd beaucoup de sang, et, de l'avis des adultes, elle aurait même pu en mourir. La femme associée au sang est un motif habituel dans les contes, particulièrement mis en évidence par Blanche-Neige, le sang étant symbole à la fois de vie et de mort, ainsi que de sensualité. Il fait en outre de la fillette une victime, ce qui s'inscrit dans une représentation traditionnelle de la femme, faite pour être dominée.

Hoffmann crée un monde vivant, coloré dans lequel, à la manières des contes de fée, sont abolies les frontières entre l'animé et l'inanimé, les objets et les êtres vivants, et plus généralement le vraisemblable et le merveilleux. Mais s'il renoue avec la tradition populaire, il la revisite également et lui imprime sa marque.

II. La spécificité hoffmannienne

Hoffmann est bien éloigné d'avoir écrit un conte populaire :

Les 'Märchen' de Hoffmann ne sont pas des contes populaires : tandis que Perrault ou Grimm bâtit son histoire sur un schéma simple, selon des procédés très apparents, (p. ex. les trois épisodes semblables, dont le dernier provoque le dénouement, ou les dialogues à répétition du Petit Chaperon rouge et de Barbe-Bleue) - bref, naïveté, maladresse, voulue ou non, - Hoffmann, au contraire, comme Novalis ou Tieck, déploie tout son art de narrateur, varie le ton, apostrophe son lecteur, interrompt son chapitre au moment palpitant, invente autour de l'action principale un habile échafaudage d'épisodes, imprime à l'action des rebondissements complexes et imprévus, s'efforce de dissimuler longtemps le dénouement. Donc, Hoffmann est un artiste très conscient des moyens qu'il emploie et du but qu'il veut atteindre.  (Ricci, 1951, p. 105)

L'histoire, dont la complexité se situe aux antipodes de la "linéarité" (Antoine Faivre, 1979, p. 34-36) du conte, présente donc un agencement subtil, reposant sur une technique d'enchâssements, avec un récit cadre, plusieurs narrateurs, des leitmotiv sans cesse repris et développés, une progression qui s'effectue par paliers, avec des ruptures, des rechutes dans le quotidien, suivies de retours au merveilleux.

Dans les cinq premiers chapitres, qui comprennent la fête de Noël et le combat entre le casse-noisettes et les souris, l'action se noue. Le milieu du récit, essentiellement consacré à Das Märchen von der harten Nuß, semble interrompre l'action. En fait, ce conte dans le conte orchestre les principaux thèmes et surtout met en evidence la mission échue à Marie. La dernière partie, qui commence au chapitre onze, est centrée sur Marie, sur les épreuves qu'il lui faut surmonter pour délivrer le casse-noisettes et sur sa récompense, la découverte du royaume des poupées et son mariage avec le prince de ce royaume. Au-delà de cet aspect disparate que dénonce Hoffmann lui-même ("tolles, buntscheckiges, aberwitziges Zeug", Hoffmann, 1957, p. 300), de cette fantaisie débridée, des apparentes digressions, de ce mélange constant de prosaïsme et de merveilleux, ce qui frappe, c'est la logique de cette structure ternaire, c'est la savante gradation, au cours de laquelle le conte central joue un rôle de pivot et motive le triomphe du merveilleux dans la dernière partie.

Hoffmann "varie le ton, apostrophe son lecteur, interrompt son chapitre au moment palpitant, invente autour de l'action principale un habile échafaudage d'épisodes, imprime à l'action des rebondissements complexes et imprévus, s'efforce de dissimuler longtemps le dénouement." (Ricci, 1951, p. 105). Il met au service de son récit toute son habileté et son expérience d'écrivain confirmé, apparaissant en tant que narrateur sous divers visages, omniprésence imputable à l'importance du moi romantique. Ainsi, il intervient au deuxième chapitre :

Ich wende mich an dich selbst, sehr geneigter Leser oder Zuhörer Fritz - Theodor - Ernst - oder wie du sonst heißen magst und bitte dich, daß du dir deinen letzten mit schönen bunten Gaben reich geschmückten Weihnachtstisch recht lebhaft vor Augen bringen mögest, dann wirst du es dir wohl auch denken können, wie die Kinder mit glänzenden Augen ganz verstummt stehen blieben...  (Hoffmann, 2001, p.6)

Non content d'être présent comme narrateur, il se démultiplie, donnant encore à ses auditeurs ses propres prénoms : Theodor et Ernst. Ce clin d'oeil humoristique au public témoigne du désir de ne pas se prendre au sérieux. Aussi l'intervention du narrateur, qui correspond à une mode littéraire de l'époque, à la traditionnelle captatio benevolentiae, vire-t-elle à la facétie, même si Hoffmann y délivre un message qui lui tient à coeur : la nécessité pour le lecteur de recouvrer son âme d'enfant. Il existe en outre un arrière-plan philosophique et idéologique, qui donne de la profondeur au récit et fait apparaître sa naïveté comme un leurre : "E.T.A. Hoffmanns Märchennovelle vom Nußknacker und Mausekönig erweist sich somit zuletzt als eine kompliziert strukturierte und vielfach verschlüsselte Initiationsgeschichte." (Neumann, 1997. p. 149).

2.1 Arrière-plan idéologique

Hoffmann met son récit au service du message romantique, qui n'a rien à voir avec l'objectif édifiant poursuivi par le conte populaire. A l'inverse de Rotkäppchen, qui condamne l'indiscipline de la petite fille, contrevenant aux ordres maternels, Nußknacker und Mausekönig démontre que Marie a raison de s'opposer à l'univers étriqué et conformiste de ses parents et de garder ses convictions. Il engage à la subversion, parce qu'il se situe dans une optique romantique, qui consiste en une glorification de la fraîcheur enfantine à la Rousseau. Hoffmann oppose au prosaïsme des adultes la richesse imaginative des enfants, qui seuls vivent réellement, car, n'étant pas entravés par la raison desséchante, ils recréent le monde, le parent aux couleurs de leur fantaisie, comprennent le langage de la nature. On peut tout à fait interpréter Nußknacker und Mausekönig comme le parcours initiatique d'une petite fille qui apprend à se libérer des contraintes du milieu familial pour s'abandonner aux forces de son imagination. Ce conte prône un affranchissement de la réalité. A l'image de l'étudiant Anselme du Goldener Topf, Marie se retire dans son royaume intérieur, dans une Atlantide qui a l'aspect d'un pays de Cocagne:

Casse-Noisette reprend le thème de l'initiation avec ses épreuves et le triomphe final ; mais, cette fois, le néophyte est une femme, Marie, la petite somnambule, c'est-à-dire rêveuse, nature poétique, âme nostalgique, comme Anselme après la vision des serpents ; c'est elle qui a la révélation du monde merveilleux, elle qui aime son Casse-Noisettes comme Anselme aimait Serpentine et arrive à l'Atlantide des enfants sous la conduite d'un initiateur assez équivoque, Droszelmeier, qui tient de Lindhorst et du professeur X (Automates). (Ricci, 1947, p. 382)

Nature rêveuse et nostalgique, Marie apparaît comme l'héroïne romantique type, le pendant et l'envers de Nathanael dans Der Sandmann. Comme lui, elle s'éprend d'un objet inanimé, auquel son imagination prête des sentiments. Elle n'a pas la lorgnette de Nathanael, mais Hoffmann insiste sur sa perception du regard de l'objet aimé. De même que Nathanael se persuade qu'Olimpia lui jette un regard "plein d'amour et de nostalgie" (Hoffmann, 2002, p. 30), Marie croit lire dans les yeux du casse-noisettes de "l'amitié et de la bienveillance" (Hoffmann, 2001, p.10).

Or Nathanael ne lit dans les yeux de la poupée Olimpia que ce qu'il y met. Victime de son narcissisme, il emplit de sa propre richesse intérieure le vide d'Olimpia. Dans cette oeuvre, Hoffmann met en évidence la subjectivité humaine, le pouvoir de recréer l'autre dont dispose l'esprit. Marie se trouve dans la même situation que Nathanael : "So bevorzugt die kleine Marie von allen Weihnachtsgeschenken einen Nußknacker, den sie liebt und im grotesken Kampf mit Mäusescharen beschützt, an dem sie 'beseelte Augen' und eine sich erwärmende Hand zu bemerken glaubt wie Nathanael bei der Puppe Olimpia. » (Hilscher, 1992, p. 26). En projetant sur un objet son trop-plein affectif, elle témoigne d'un certain narcissisme comme Nathanaël. Un objet se laisse, dans sa passivité, plus facilement recréer, qu'un être vivant avec une personnalité affirmée. Marie est abusée par des impressions subjectives. Dans un épisode, elle attribue la grimace qu'elle observe chez son casse-noisettes tantôt à une modification réelle de ses traits, tantôt à une illusion d'optique, due aux reflets de la lampe : "Sie wußte nun wohl, daß der von der Zugluft berührte, schnell auflodernde Strahl der Lampe im Zimmer Nußknackers Gesicht so entstellt hatte." (Hoffmann, 2001, p.14). Hoffmann souligne donc l'approximation de ses interprétations, leur manque de fiabilité.

Pourtant, le dénouement du conte constitue la réplique inverse de celui de Der Sandmann. Alors que Der Sandmann s'achève par l'échec du héros, incapable de supporter la confrontation à une bien-aimée réduite à l'état de poupée désarticulée, avec des cavités noires à la place des yeux, Marie parvient à transformer son casse-noisettes en un être animé, à lui donner vie et à l'épouser. Alors que Nathanael se réfugie dans le suicide, Marie part pour le royaume des poupées au bras de son prince.

Derrière l'opposition des dénouements se profile une certaine similitude. Une fois de plus, Hoffmann constate l'impossibilité pour l'âme romantique de s'adapter à la trivialité de la société ambiante. Dans les deux cas, il décrit une fuite. Nathanael fuit dans le suicide, Marie dans le rêve. Ce dénouement se rapproche davantage de celui de Der Goldene Topf, dans lequel l'étudiant Anselme s'évade en Atlantide. La fin du Casse-noisettes, comme celle de Der Goldene Topf, est allégorique et consacre la défaite du principe de réalité, au profit du monde imaginaire que se façonne la petite fille, pour combattre la platitude du quotidien.

Ce conte décrit donc une initiation au romantisme. Marie parcourt un chemin qui l'amène à une intériorisation de plus en plus grande :

Aber die Bilder jenes wunderbaren Feenreichs umgaukelten sie in süßwogenden Rauschen und in holden, lieblichen Klängen; sie sah alles noch einmal, sowie sie nur ihren Sinn fest darauf richtete, und so kam es, daß sie, statt zu spielen wie sonst, starr und still, tief in sich gekehrt dasitzen konnte, weshalb sie von allen eine kleine Träumerin gescholten wurde... (Hoffmann, 2001, p. 65)

Après sa visite au royaume des poupées, elle quitte la sphère du jeu et apprend à cultiver ses rêves. La petite fille est "profondément absorbée en elle-même", selon la célèbre formule de Novalis : "Nach Innen geht der geheimnisvolle Weg. In uns, oder nirgends ist Ewigkeit mit ihren Welten - die Vergangenheit und die Zukunft. Die Außenwelt ist die Schattenwelt." (Novalis, 1965, p. 418). Hoffmann montre que le merveilleux ne s'impose pas, mais se mérite, car il est une création de l'esprit. Seulement, et c'est là où se révèle toute l'ambiguïté hoffmannienne, le message romantique se trouve en permanence subverti par l'auto-ironie.

2.2 Satire et parodie

Hoffmann ne s'en adonne pas moins à son penchant pour la mystification et le pastiche. Il affectionne les formules de politesse exagérées, les appellations précieuses qui renvoient au parlé pédant des petits bourgeois de son temps et qui jurent avec le contenu féerique : "höchst geneigte und sehr vortreffliche Zuhörer" (Hoffmann, 2001, p. 19), "teuerste Frau Medizinalrätin" (p. 27), "werteste Demoiselle Stahlbaum - vortreffliche Freundin" (p. 50), "meine allerbeste Demoiselle Stahlbaum" (p. 52). Il en résulte un effet d'inadéquation, producteur de comique. L'écrivain cultive les fausses notes, les changements de niveaux de style, les incongruités, pour pratiquer cette distanciation ironique, qui reste son objectif, car elle "stimule l'esprit indolent, et l'entraîne [...] dans un domaine inconnu." (Hoffmann, 1957, p. 301). Ainsi il se dédouble. Il se parodie lui-même en tant que narrateur de contes pour enfants et montre qu'il n'est pas dupe de leur caractère simpliste et conventionnel, en prenant, grâce à la bouffonnerie, constamment ses distances, par rapport au récit qu'il est en train de composer.

Il utilise le procédé de l'exagération en décrivant un univers miniature où règnent le clinquant et le mauvais goût. Le casse-noisettes porte une "belle petite veste de hussard d'un violet brillant, avec beaucoup de tresses et de boutons". (Hoffmann, 2001, p. 9). Sa tête est disproportionnée par rapport au reste du corps, ses jambes trop petites et menues pour le thorax massif et allongé. Il y a là une subtile moquerie de Hoffmann à l'égard des goûts étranges et imprévisibles du sexe féminin. Tout en glorifiant l'imagination, valeur clé du romantisme, il la décrédibilise. Il est évident que le royaume des poupées, ce pays de Cocagne amélioré, apparaît comme une caricature désespérément triviale de l'Atlantide. Hoffmann laisse ainsi pressentir ses propres limites d'écrivain romantique rêvant d'un royaume imaginaire sublime et n'arrivant qu'à décrire un univers d'un matérialisme affligeant. Il se livre aussi implicitement à une critique de l'imagination enfantine, qu'il lui faut flatter par des visions de plaisirs gourmands. Pour utiliser un terme freudien, Marie n'a pas dépassé le stade de la sexualité orale.

2.2.1 Satire du conte populaire

Ainsi, tout en prétendant écrire un conte pour enfants, Hoffmann se livre à une déconstruction du genre, en outrant jusqu'au ridicule le merveilleux et l'arbitraire qui le caractérisent, comme en témoigne tout particulièrement Das Märchen von der harten Nuß. Les conditions qui permettent à Pirlipat de recouvrer sa beauté première sont comiques. Il lui faut consommer l'intérieur de la noix Krakatuk dont la coque, très dure, ne peut être brisée que par un jeune homme remplissant certaines conditions :

Diese harte Nuß mußte aber von einem Manne, der noch nie rasiert worden und der niemals Stiefeln getragen, vor der Prinzessin aufgebissen und ihr von ihm mit geschlossenen Augen der Kern dargereicht werden. Erst nachdem er sieben Schritte rückwärts gegangen, ohne zu stolpern, durfte der junge Mann wieder die Augen erschließen. (Hoffmann, 2001, p. 35)

Hoffmann reprend la thématique de l'épreuve à surmonter et du jeune homme prédestiné, que l'on rencontre, entre autres, avec la Belle au bois dormant, éveillée, au bout de cent ans, par le prince charmant, chargé de cette mission depuis l'éternité des temps. Le jeune Droßelmeier fait figure de sauveteur caricatural. Les conditions qu'il doit remplir pour avoir le droit de sauver la princesse (ne jamais s'être rasé, ni avoir porté de bottes, fermer les yeux en offrant la noix et en faisant sept pas en arrière) dévaluent sa mission par leur pointillisme gratuit, et la ravale au rang d'une farce. L'épreuve, réduite à certains gestes dénués de sens, perd ainsi son symbolisme. Le grotesque naît de la trivialisation, de l'accumulation des prescriptions qui produisent une miniaturisation et mettent le conte au niveau d'un formalisme administratif, mesquin. Hoffmann transpose l'univers des ronds-de-cuir, sa cible favorite, dans le conte. De ce mélange contre-nature et insolite, il tire des effets burlesques. Dans Die zwölf Brüder de Grimm, la jeune fille devait, pour rendre à ses frères leur forme originelle, "rester muette sept ans, ne pas parler, ne pas rire" (Grimm, 1978, p. 83), et si elle prononçait un seul mot, ou s'il manquait une seule heure, tout serait vain. Hoffmann reprend ce même type d'exigence. Il ne s'agit plus de sept ans, mais de sept pas. Le jeune Droßelmeier ne parvient pas à exécuter correctement ses sept pas à reculons et se trouve frappé de malédiction. De même, l'innocence et la pureté du jeune homme, conditions souvent nécessaires dans le conte pour surmonter les difficultés, se trouvent ici disqualifiées par l'exigence saugrenue de n'avoir jamais porté de bottes, ni s'être rasé.

Ainsi Hoffmann procède à une critique sous-jacente de l'univers du conte et de ses caractéristiques récurrentes qu'il vide de leur signification allégorique. Il parodie sa complexité, sa minutie, son caractère rituel en se livrant à une surenchère dans ce domaine. Il s'agit non seulement de trouver la noix, mais aussi le jeune homme qui la cassera. Les efforts démesurés, déployés dans cette quête sont d'autant plus dérisoires que finalement, c'est dans sa propre ville, à Nuremberg, que l'oncle Droßelmeier les trouvera. Hoffmann dépoétise et désacralise le merveilleux. Victime de ses propres contradictions, il ne peut s'empêcher, tout en voulant écrire un conte pour enfants, de se moquer de lui-même et de pratiquer une auto-critique.

Il brise l'indétermination spatiale et temporelle du mythe, en multipliant les anachronismes. La reine est ranimée de son évanouissement grâce à de "l'eau de Cologne" (Hoffmann, 2001, p. 41). Le roi dit qu'il faut mettre des annonces dans les journaux pour trouver l'homme capable d'ouvrir la noix Krakatuk (Hoffmann, 2001, p. 36). On apprend que Droßelmeier éprouve une nostalgie irrépressible de sa ville natale : Nuremberg. Son compagnon, l'astronome, lui rétorque alors : "Aber wertgeschätzter Kollege, warum sitzen wir hier und heulen? warum gehen wir nicht nach Nürnberg, ist's denn nicht gänzlich egal, wo und wie wir die fatale Nuß Krakatuk suchen?" (Hoffmann, 2001, p. 37). Par le recours à des expressions et termes familiers comme "heulen", "gänzlich egal" ou "fatal", la trivialité fait irruption dans le mythe et le discrédite. Hoffmann procède à des glissements de perspective, et détruit le climat féerique. Selon Dominique Iehl, "le grotesque est avant tout mélange, amalgame, hétérogénéité, hybridité." (Iehl, 1992, p. 117). Il est évident que l'appellation ampoulée "très estimable collègue", qui renvoie à la cuistrerie des fonctionnaires du XIXe siècle constitue une note discordante dans un conte censé se dérouler dans la nuit des temps. Hoffmann utilise des effets de contraste pour créer cette hétérogénéité propre au grotesque. Il pervertit le modèle populaire, dont il souligne les invraisemblances en ridiculisant l'absence de distances et la réduction de l'espace aux dimensions d'un jardin. L'horloger Droßelmeier et son compagnon passent de l'Asie à Nuremberg avec une facilité déconcertante : "Beide standen alsbald auf, klopften die Pfeifen aus und gingen schnurgerade in einem Strich fort, aus dem Walde mitten in Asien nach Nürnberg." (Hoffmann, 2001, p. 37). L'écrivain insiste malignement sur la rapidité et la facilité du voyage ("schnurgerade", "in einem Strich"), sur l'absence de préparatifs : ils se lèvent, nettoient leur pipe et s'en vont. Il obtient un résultat bouffon par la technique de l'amalgame entre un détail de la vie courante (nettoyage de la pipe) et le déplacement entre l'Asie et l'Allemagne qu'il met sur le même plan, ce qui entraîne une banalisation de ce thème romantique par excellence qu'est le voyage.

De même, il remet en cause la notion d'épreuve puisque les pérégrinations de quinze ans des deux hommes n'ont servi à rien, et qu'ils trouvent tout bonnement la noix Krakatuk chez le cousin de Droßelmeier, un fabriquant de poupées :

Droßelmeier erzählte weiter von den Abenteuern seiner weiten Reise, wie er zwei Jahre bei dem Dattelkönig zubrachte, wie er vom Mandelfürsten schnöde abgewiesen, wie er bei der naturforschenden Gesellschaft in Eichhornshausen vergebens angefragt, kurz, wie es ihm überall mißlungen sei, auch nur eine Spur von der Nuß Krakatuk zu erhalten. (Hoffmann, 2001, p. 38)

Cette accumulation de dénominations fantaisistes, roi des dattes, prince des amandes, société de sciences naturelles au pays des écureuils, décrédibilise titres et dignités. A l'arrière-plan de cette évocation bouffonne se profile un pessimisme existentiel. Hoffmann se livre à une démonstration par l'absurde de l'inanité du voyage de formation. Le motif de la quête que l'on rencontre dans les contes populaires ou dans certaines chansons de gestes se trouve ici tourné en dérision. Son récit, tout en décrivant un parcours initiatique, fait la satire de cette notion.

C'est ainsi qu'à travers le personnage du jeune Droßelmeier, Hoffmann procède à une démythification de la figure du sauveur, du "fol au coeur pur", à la manière de Parzifal ou encore du jeune héros romantique : "Des Vetters Sohn war in der Tat ein netter, wohlgewachsener Junge, der noch nie rasiert worden und niemals Stiefel getragen. In früher Jugend war er zwar ein Hampelmann gewesen, das merkte man ihm aber nicht im mindesten an." (Hoffmann, 2001, p. 39). Hoffmann pousse l'invraisemblable jusqu'au non-sens. Il va jusqu'au bout de l'irrationalité, pour mieux la disqualifier, en ajoutant, comme pour rassurer son auditeur, qu'on ne voyait pas que ce jeune homme avait été autrefois un pantin. Il applique une technique du décalage entre un monde en folie et une apparente logique petite-bourgeoise. Implicitement, il attaque le conte populaire et en dénonce l'irréalité.

2.2.2 Satire politique

Il se sert également du conte pour pratiquer une satire de la monarchie. Le roi, père de Pirlipat, est présenté de manière irrévérencieuse. Fervent amateur de saucisses, met éminemment populaire, il est dépeint sous les traits d'un glouton doublé d'un tyran domestique, obligeant la reine à préparer elle-même ce plat, interrompant un conseil des ministres pour se précipiter à la cuisine surveiller les préparatifs culinaires, et transformant un boudin raté en affaire d'état. Hoffmann introduit un comique de farce, visant à discréditer les détenteurs de pouvoir.

La guerre également fait l'objet d'un morceau de bravoure comique. Réduite au combat entre l'armée des soldats de plomb contre celle des souris, elle prend un tour nettement bouffon. Le vacarme des actions guerrières se trouve rendu à grand renfort d'onomatopées : "Prr - Prr - Puff, Piff - Schnetterdeng - Schnetterdeng - Schnetterdeng - Bum, Burum, Bum - Burum - Bum - durcheinander." (Hoffmann, 2001, p. 21). L'écrivain évoque une mêlée hétéroclite, issue du placard à jouets des enfants, où des Scaramouches voisinent avec des ramoneurs, des joueurs de cithare, un tambour (Hoffmann, 2001, p. 18), où les troupes sont formées de "tyroliens, de tartares, d'arlequins, de cupidons, de lions, de tigres et de singes" (Hoffmann, 2001, p. 22), armée à laquelle il décerne le nom pompeux et insolite de "Nußknackerische Armee". Le néologisme, cet adjectif formé sur Nußknacker, possède une indéniable drôlerie. L'art militaire, auquel il est fait allusion à travers quelques termes du métier comme les expressions françaises "carré plein" ou encore "terrain", se trouve lui aussi réduit à un jeu dérisoire de marionnettes. Hoffmann, s'inspirant des guerres napoléoniennes et les pastichant allègrement, esquisse une bataille avec diverses manoeuvres, (mouvement rétrograde de l'aile droite, combat acharné de l'aile gauche, et faille en résultant au centre) (Hoffmann, 2001, p. 21). La miniaturisation change les perspectives et met en évidence l'absurdité d'une telle agitation. Le burlesque se trouve encore renforcé par l'emploi de verbes d'origine française en "-ieren": "postieren", "herausdebouschieren", "passieren", "formieren", etc. Hoffmann puise à la même veine que Voltaire, qui, dans son Candide, décrit de façon faussement naïve les déplacements des armées pour souligner le comique de ces mouvements automatiques. Comme Voltaire qu'il admirait beaucoup, il exploite cette source de rire qu'est, selon Bergson, "du mécanique dans du vivant" (1997, p. 59), sauf qu'ici précisément, il va jusqu'au bout de la logique et élimine le vivant, pour donner le premier rôle à des poupées. Paradoxalement, celles-ci rejoignent les petits personnages mus par une mécanique dans la maquette de Droßelmeier.

Hoffmann se met au niveau d'une mentalité enfantine, en utilisant un rythme haletant, en entretenant le suspense. Il ne peut cependant pas empêcher son esprit corrosif de prendre le dessus. Il se dédouble et se voit en train de composer un conte pour enfants ; de là ses exagérations. Il adopte une attitude de bouffon et force les effets. C'est pourquoi, à la fin de l'évocation du combat, dans la foulée, il se laisse aller à reprendre une tirade du drame de Shakespeare Richard III : "Ein Pferd - ein Pferd - ein Königreich für ein Pferd!" (Hoffmann, 2001, p. 23),  exclamation insolite, si l'on pense qu'elle est prononcée par un casse-noisettes. Ainsi, le conte tourne-t-il également à la parodie littéraire, à la satire d'un théâtre guerrier.

Hoffmann a, en quelque sorte, perdu l'innocence du conteur populaire. La dérision fait partie d'une stratégie de la prise de distance, et témoigne d'un esprit critique toujours en éveil. Lui-même reconnaît dans ses commentaires qu'une "certaine impertinence impardonnable" ("ein gewisser unverzeihlicher Übermut") règne dans son récit, et qu'il a trop pensé "aux adultes et à leurs actes" (Hoffmann, 1957, p. 301). Il promet à l'avenir "de moins s'adonner à sa fantaisie exubérante et d'être plus pieux et plus enfantin" ("weniger in phantastischem Übermut zu luxurieren, frömmer, kindlicher zu sein"). Sa tentative démontre que ne peut être conteur populaire qui veut.

Conclusion

En choisissant de renouer avec la tradition du conte populaire, Hoffmann rend hommage à la fraîcheur d'inspiration des anciens, à une littérature qui cultive le merveilleux et la poésie. Lui-même s'affranchit des règles et des normes. Il repousse les limites de la vraisemblance et de la réalité. Tout devient possible : des poupées qui parlent et s'animent, une petite fille qui tombe amoureuse d'un casse-noisettes, un casse-noisettes qui est un petit garçon, une royauté sur un pays de Cocagne. Hoffmann crée une utopie destinée aux enfants, visant à nourrir leur imagination de chimères et à la dégager ainsi du carcan de la logique adulte. Il esquisse pour eux un univers idéal, hors du temps et du monde, ce qui est une façon de refuser la dureté de la condition humaine.

En même temps, auteur profondément divisé et caustique, il introduit une dimension parodique qui relativise son entreprise et incite à une distanciation critique. Dans ce conte, il affirme sa veine humoriste, son goût de l'auto-parodie, sa maîtrise du genre grotesque, dont il utilise avec dextérité les techniques les plus subtiles, comme celles de l'inadéquation, du mélange du trivial et du sublime, du décalage, de l'amalgame et du plagiat. Il caricature la quête romantique en montrant que l'horloger et l'astrologue vont, dans Das Märchen von der harten Nuß, chercher bien loin ce qui est à portée de leur main, et, en choisissant des symboles ambigus, il donne même la possibilité d'une lecture licencieuse de son récit, il fait basculer le conte pour enfants en son inverse, le conte libertin. A cet égard, il s'inscrit dans la tradition de la farce populaire assez grossière qui ne dédaigne pasle sous-entendu lascif.

Ainsi donne-t-il libre cours à son esprit frondeur et sarcastique, son goût du canular, de la plaisanterie et de l'absurde. Il démythifie les clichés, les lieux communs, en particulier ceux de la sentimentalité. Il discrédite les vocabulaires héroïque, guerrier, pathétique, précieux, bref toutes les enflures et les exagérations inspirées précisément par l'imagination et l'irrationalité.

Il met finalement l'illusion au service de la désillusion. Il joue de ce paradoxe pervers et utilise un sujet intemporel et mythique pour se livrer à une satire mordante des petits monarques absolus et de l'idéalisation sentimentale conventionnelle. Le mythe lui permet, par un retournement subtil, de mieux dépeindre la réalité, et d'exprimer une philosophie de l'absurde. Il exploite la liberté que lui octroie le genre féerique pour se livrer à une satire audacieuse. La parodie et le grotesque lui permettent d'aller beaucoup plus loin dans ce sens que les auteurs de contes populaires.

Il apparaît, d'une certaine façon, comme un successeur de Voltaire, dont il retrouve la veine narquoise et la fausse naïveté. Il dénonce les poncifs, le parlé conventionnel et lénifiant, les superlatifs, bref un langage, reflet du conformisme bourgeois. Mais sa critique est plus fondamentale. En tant que romantique, il est conscient de l'incapacité des mots à épouser et à extérioriser les sentiments profonds. Cette incapacité en quelque sorte structurelle, il l'exagère encore par le burlesque, pour mieux la dévoiler. C'est au lecteur qu'il incombe finalement de comprendre ce qui se cache derrière les mots.

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Pour citer cette ressource :

Aline Le Berre, "«Nußknacker und Mausekönig», conte de Hoffmann, entre réhabilitation et démythification du conte populaire", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mai 2009. Consulté le 20/04/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/allemand/litterature/mouvements-et-genres-litteraires/jeunesse-et-contes/nu-knacker-und-mausekonig-conte-de-hoffmann

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Didactique

Comment aborder Der Nußknacker en classe par le biais de l'image :
Jahn, Leonore: Bildwelten zu E.T.A. Hoffmann " Nußknacker und Mausekönig": Modelle und Materialien für den Literaturunterricht. Klasse 3 bis Klasse 6, Schneider Verlag GmbH, 2006. 

Traduction

Texte traduit par La Bédollière et illustré par Foulquier (1872) disponible en lecture et écoute sur http://gallica.bnf.fr

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