"El laberinto" de Jorge Luis Borges, une analyse
Le personnage, ses figures et ses avatars
L'imaginaire
El texto
Jorge Luis Borges (Argentina, 1899-1986)
los hombres que antes fui; sigo el odiado
camino de monótonas paredes
que es mi destino.Rectas galeríasque
se curvan en círculos secretos
al cabo de los años. Parapetos
que ha agrietado la usura de los días.
En el pálido polvo he descifrado
rastros que temo. El aire me ha traído
en las cóncavas tardes un bramido
o el eco de un bramido desolado.
Sé que en la sombra hay Otro, cuya suerte
es fatigar las largas soledades
que tejen y destejen este Hades
y ansiar mi sangre y devorar mi muerte.
Nos buscamos los dos. Ojalá fuera
éste el último día de la espera.
Première approche
Ce poème est d'abord difficile. Face à cette difficulté de compréhension immédiate, il convient dans un premier temps de privilégier l'observation formelle. Cet exercice permettra de faire le point sur la métrique.
On demandera aux élèves de compter les syllabes des vers. Ce sont des endécasyllabes, le vers privilégié dans la poésie espagnole pour les thèmes et les personnages nobles. Compter les syllabes permettra de faire le point sur les synalèphes : on constatera le grand nombre de synalèphes du poème, et on fera remarquer les deux hiatus (Otro et Hades) qui portent sur des mots commençant par des majuscules. On s'interrogera sur la signification de ces deux mots, et sur leur mise en relief.
On reviendra sur la notion d'assonance. Les élèves noteront que dans ce poème, il s'agit de rimes embrassées, et de quatrains. Puis on observera les enjambements, très nombreux.
On réfléchira ensuite sur les derniers mots des vers 1 et 4 des quatrains :
redes/paredes (piège, enfermement, prison)
Galerías/días (qui induit un chronotope, espace + temps)
Descifrado/desolado (énigme à résoudre, malheur de sa condition)
Suerte/muerte (destin)
Le « pareado » final insiste sur le souhait d'arriver à une « sortie », qui est la mort. La rime porte sur l'imparfait du subjonctif du verbe SER (=être) et sur l'attente qui devient synonyme d'espoir (« la espera »).
Ce recensement des derniers mots des quatrains permettra de s'interroger sur la nature de ce personnage qui dans le poème s'exprime à la première personne, qui est enfermé dans l'espace et dans le temps, entre des murs apparemment inexpugnables, qui souffre de sa condition d'être « unique » et attend « el Otro » et la mort. Le titre du poème « el laberinto » devrait conduire les élèves à identifier le Minotaure. On rappellera la légende, le fils hybride mi-homme mi-taureau né des amours de Pasiphaé, l'épouse du roi Minos, et d'un taureau. On racontera, ou laissera raconter par un élève, l'aventure de Dédale et d'Icare, les sept jeunes hommes et sept jeunes femmes que l'on servait en offrande chaque année au monstre, et on évoquera Thésée, le fil d'Ariane, en rappelant qu'Ariane était la soeur de Phèdre, ce qui permettra de citer le vers le plus célèbre de la littérature française : « La fille de Minos et de Pasiphaé ».
L'explication
À partir du déchiffrement formel (métrique, analyse des rimes) et de l'identification du personnage, l'analyse du texte découlera d'elle-même. On restera encore un instant sur la forme, en remarquant que les enjambements peuvent évoquer les tours et détours du Minotaure dans sa prison. Dès lors, l'architecture du poème rejoint l'architecture du labyrinthe. Les élèves analyseront les vers « Rectas galerías/que se curvan en círculos secretos/al cabo de los años ». Ils discerneront là encore la fusion de l'espace et du temps, qu'ils rapprocheront de « la usura de los días » et de « las cóncavas tardes ». Le beuglement (« bramido ») devra être assimilé à la nature animale du Minotaure, tandis que l'évocation de l'Autre (« Otro » avec majuscule) permettra de s'interroger sur la nature humaine du monstre. Cet « Autre », ce peut être Thésée, ou le souhait de rencontrer un autre pareil à soi. Dans le cas du Minotaure, cette rencontre est impossible. Le poème souligne la nature unique de cet hybride, mi-homme mi-taureau, et cette unicité conduit à la solitude. On fera donc remarquer l'expression « las largas soledades ».
Le premier mot du poème, « Zeus », place le thème directement dans le monde mythologique, et souligne la détresse et le caractère exceptionnel du Minotaure : le dieu des dieux lui-même est impuissant dans cette histoire. L'emploi de « ojalá », à la toute fin du texte, fait référence de façon subtile à un autre dieu, invoqué cette fois. On rapprochera les deux termes « Zeus » et « Ojalá », en insistant sur leur position dans le texte. Les élèves se réjouiront d'apprendre le mot mystérieux d' « épanadiplose »...
Prolongements
L'étude de ce poème de Borges, outre qu'il est l'un des plus fameux de l'écrivain argentin, présente de multiples « avantages ». Elle permet la réactivation de notions de Culture sur la mythologie, thème en général très apprécié des élèves. Elle permet aussi, dans l'approche métrique que nous privilégions ici, une réflexion sur l'écriture poétique, sur l'adéquation entre la forme et le fond (disons-le ainsi, très rapidement), et sur la spécificité de l'endécasyllabe castillan. C'est le vers noble, le vers de la noblesse, et il est employé dans ce texte pour donner la parole au fils monstrueux d'une reine, né d'un adultère (si l'on se place sur le plan bassement humain, et non symbolique). Du point de vue de la symbolique, le monstre doit être caché, car il est la « preuve vivante » de la faute de la reine, et c'est tout le pouvoir de Minos qui pourrait s'en trouver affaibli. Auprès d'élèves de Terminale Littéraire qui découvrent la philosophie, la discussion peut s'engager ensuite sur la notion de pouvoir.
En ce qui concerne la thématique, on pourra proposer ce texte pour un dossier « Le Personnage, ses figures et ses avatars » ou pour un dossier « L'imaginaire ». Ces deux dossiers pourraient être complétés par d'autres évocations mythologiques, ou bifurquer vers Cortázar et les axolotls, par exemple. En ce qui concerne les documents iconographiques ou filmiques, on aiguillera les élèves vers El laberinto del fauno (qui présente la double référence au labyrinthe et au monstre mythologique), vers les tableaux de Picasso traitant le thème du Minotaure, et plus prosaïquement vers des images de corrida, peut-être (civilisation méditerranéenne du taureau).
Compléments
La casa de Asterión (texto) :
http://www.literatura.us/borges/lacasa.html
Los dos reyes y los dos laberintos (texto) :
http://www.literatura.us/borges/losdosreyes.html
La biblioteca de Babel (video) :
http://www.youtube.com/watch?v=wmT3AHG4jQQ
Métrica española :
http://www.apoloybaco.com/Lapoesiafundamentosfoneticos.htm
Contributions à cette ressource :
Analyse du poème de Borges : d'après l'intervention de Philippe Merlo-Morat, professeur des universités, Université Lumière Lyon 2, le 24 novembre 2011, Instituto Cervantes de Lyon.
Conclusion et prolongements : Christine Bini
Pour citer cette ressource :
Philippe Merlo Morat, "El laberinto" de Jorge Luis Borges, une analyse, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), novembre 2011. Consulté le 26/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/litterature/litterature-latino-americaine/poesie/el-laberinto