De la haute-cuisine au prêt-à-porter : la révolution culinaire de Ferran Adrià
Ce texte a été présenté lors du Colloque de la Mode : "Se nourrir, se vêtir… question(s) de mode(s)… " organisé par l'Université Lumière Lyon 2 et l'Université de la Mode à Lyon les 25 et 26 février 2014. Il n’y a pas eu de publication des Actes de ce Colloque.
Introduction
« La nouvelle cuisine parle espagnol. Des plats exquis et innovateurs, portant la signature de chefs de renommée internationale. Des produits d'une qualité incomparable, à garantie d'origine. Des recettes qui associent la tradition populaire à la création artistique, pour offrir de nouvelles saveurs. La révolution culinaire, guidée par des maîtres tels que Ferran Adrià, Arzak ou Berasategui, transforme le plaisir de la cuisine en un véritable délice pour les sens, qui atteint sa plus haute expression si on la savoure en Espagne […] Le chef de cuisine est devenu un professionnel imaginatif, à la manière d'un grand créateur de mode. Pour cette raison, les plats de la nouvelle gastronomie espagnole possèdent une signature, à l'instar des créations du monde de la mode […] L'Espagne, berceau d'artistes universels, produit également de grands restaurateurs… ».
Ces quelques phrases tirées du site Spain.info de Turespaña (Secrétariat d'État au Tourisme) montrent bien la tendance actuelle à considérer les créations des grands chefs comme des réalisations artistiques, bien que l’art culinaire soit un art éphémère. Cette révolution culinaire qui fait de la haute-cuisine une partie de la culture contemporaine a été initiée en Espagne, sans aucun doute, par Ferran Adrià.
Depuis sa première étoile Michelin comme chef de « El Bulli » (Gérone-Espagne) en 1990, Ferran Adrià (1962-) a poursuivi une carrière couronnée de succès, devenant ainsi la figure de proue de la nouvelle cuisine et de la gastronomie espagnoles. Adrià est aujourd’hui un personnage populaire et médiatique, non seulement en Espagne mais aussi à l’étranger.
Ses créations gastronomiques sont devenues populaires à travers la télévision, les catalogues, les livres, les documentaires et autres moyens de diffusion. De ce fait, la philosophie de Ferran Adrià sur les aliments, leur élaboration en cuisine, la gastronomie, l’art de la table etc., a eu un grand impact culturel et social.
Au sommet de sa popularité comme chef de « El Bulli », restaurant emblématique de la gastronomie d’avant-garde, Ferran Adrià s’est tourné également vers le grand public en diffusant le « Fast-Good » et « La cuisine facile », rendant accessible à tous les secrets de sa cuisine, à travers des entretiens télévisés, des documentaires et des articles de presse. Après l’annonce de la fermeture de El Bulli, Adrià s’est consacré à ce qu’on pourrait considérer comme le « prêt-à-porter » de la gastronomie, même s’il s’agit d’un prêt-à-porter de luxe : les tapas et les cocktails ou encore le « low cost » de la gastronomie qu’est la « cuisine familiale ».
Nous allons présenter brièvement sa carrière fulgurante, qui l’a porté jusqu’au sommet de la gastronomie mondiale, ainsi que sa récente orientation vers le grand public à travers la cuisine familiale et les tapas de sa création.
1- Vers la célébrité
Nous commencerons ce parcours à partir de son premier contact avec El Bulli, restaurant situé sur le golfe de Roses dans la province de Gérone en Espagne (les informations sur Ferran Adrià et El Bulli proviennent du site web du restaurant). Au début des années 60, ce n’était qu’une buvette près de la plage, devenue par la suite un resto-grill, propriété d’un couple allemand. À partir de 1970, les propriétaires ont voulu introduire la cuisine française, et en 1976, El Bulli obtint sa première étoile Michelin, grâce au chef français Jean-Louis Neichel. En 1983, le jeune Adrià qui faisait alors son service militaire, arriva pendant ses vacances d’été pour faire un stage en cuisine dans ce restaurant. Le service militaire terminé, il réintégra El Bulli et fut nommé, quelque temps après, second chef, aux côtés de Christian Lutaud. À cette époque, le restaurant fermait pendant les mois d’hiver, et les deux chefs profitaient de ce congé pour approfondir leur connaissance de la nouvelle cuisine française dans les restaurants les plus réputés.
En 1987, après le départ de Luteaud, Adrià resta seul chef d’El Bulli. C’est donc à partir de ce moment qu’il développa un style personnel et créatif dans la cuisine. En 1990, Ferran Adrià et Juli Soler, Directeur de salle depuis 1981, devinrent propriétaires du restaurant, ce qui marqua un tournant dans l’histoire de El Bulli. Outre la réfection de la cuisine, d’importants travaux de rénovation et de modernisation furent entrepris dans le restaurant : salles, parking, terrasses, jardins, etc.
De plus, à partir de cette année-là, El Bulli resta fermé pendant six mois de l’année, d’octobre à mars, pour consacrer ce temps à la recherche et à la création. Dix ans plus tard, le souci de l’innovation et de la créativité amèna à n’ouvrir le restaurant que le soir. Le reste du temps, la cuisine devint un « atelier de création » et un « laboratoire de recherche ». Cet investissement porta ses fruits car à partir de 1990, prix et récompenses se succédèrent (Voir annexe 1).
El Bulli fut considéré comme le « Meilleur restaurant du monde » par The Restaurant Magazine à cinq reprises et pendant quatre années consécutives : 2002, 2006, 2007, 2008 et 2009. En 2010, le célèbre restaurant se retrouva en deuxième position.
En 2004, La Fondation Alicia (Alimentation et Science), centre de recherche sur l’innovation technologique en alimentation (créé en 2004 sous le patronage de la Generalitat de Catalogne et de la Fondation Catalunya-La Pedrera, il est destiné à promouvoir les bonnes habitudes alimentaires et la mise en valeur du patrimoine agroalimentaire et gastronomique), invita Ferran Adrià à collaborer comme Président du Conseil assesseur.
En 2005, l’Université Camilo José Cela (Madrid) créa la « Chaire Ferran Adrià » consacrée à la culture gastronomique et aux sciences de l’alimentation.
La consécration de son travail de créateur et de chercheur fut confirmée par le doctorat Honoris Causa décerné par plusieurs universités. En 2007, la Faculté de Chimie de l’Université de Barcelone fut la première à accorder cette distinction à un Chef. En 2008, c’est l’Université d’Aberdeen en Écosse, sur la proposition de Christopher Fynsk, du Centre de la pensée moderne, qui reconnut le travail de l’Espagnol. Dans son discours de présentation, Fynsk compara Adrià à Picasso et à Miró, en soulignant son génie créateur qui révéla un penseur destiné à renouveler le lien entre « alimentation intellectuelle » et « alimentation sensorielle », de manière à changer pour toujours notre compréhension de la relation entre cuisiner et manger [1]. En 2010, le Département de Technologie des Aliments de l’Université Polytechnique de Valence lui octroya également cette distinction.
Non seulement les institutions universitaires reconnaissent son travail, mais plusieurs prix et bourses portent aujourd’hui son nom : Bourse Internationale Ferran Adrià, de la Mairie de Gérone et de la Generalitat de Catalogne ou le Prix Ferran Adrià de l’Université de Barcelone.
En quinze ans, Adrià est arrivé au sommet de la nouvelle cuisine espagnole. Il est considéré également comme une référence de la gastronomie mondiale. Ainsi, il n’est pas étonnant que le dîner de gala offert la veille des noces entre le prince des Asturies, Philippe de Bourbon, et Doña Letizia lui ait été confié à côté d’autres grands chefs espagnols.
2- Ferran Adrià et les médias
Sans doute, tous ces prix et ces reconnaissances dans le domaine spécifique de la gastronomie seraient passés inaperçus du grand public sans le concours des médias. La présence constante de Ferran Adrià dans des journaux et magazines a contribué à faire de lui une figure de premier plan de la nouvelle cuisine espagnole.
« El País semanal » (supplément du dimanche) fut le premier magazine à attirer l’attention sur lui en 1999. Dans l’édition du 20 juin 1999, Adrià apparaît en couverture, qualifié de meilleur cuisinier du monde.
Dans ce reportage, le journaliste présente les clés de la cuisine du chef espagnol à partir de trois interviews différentes. Adrià raconte avec beaucoup de simplicité son parcours professionnel jusqu’à son arrivée à El Bulli, et surtout le moment où il a compris qu’il devait développer un style personnel, créatif dans la cuisine. Il met en exergue certaines de ses réalisations, telles que la « déconstruction de l’omelette de pommes de terre », les espumas et les airs, le mélange de températures et de textures, dont nous parlerons un peu plus loin. Nous pouvons considérer cet article comme le début d’un véritable engouement envers le chef espagnol, qui fera l’objet de plusieurs reportages dans la presse internationale.
En novembre 2000, la revue Time publiait un bref article mettant bien en évidence l’originalité de El Bulli et de son chef dans les différentes combinaisons de textures, températures et saveurs. L’auteur mentionne quelques célèbres réalisations comme les « raviolis » liquides, les œufs de caille pochés et caramélisés ou encore la crème glacée aux amandes accompagnée d’un soupçon d’huile à l’ail et de vinaigre balsamique. El Bulli est qualifié de « lieu de pèlerinage » pour les amateurs de repas non conventionnels, faisant ainsi référence à son menu « dégustation » composé de nombreux petits plats. L’article se termine en soulignant la « recette » d’Adrià, qui consiste à être « froid et méthodique », à voyager, à tester et à énormément lire, afin de se renouveler sans cesse et de sortir des sentiers battus.
En 2003, The New York Times Magazine (le 10 août 2003) consacrait un long reportage à la nouvelle cuisine espagnole, intitulé A Laboratory of Taste. Arthur Lubow y dévoilait que, selon Marc Veyrat, chef étoilé de la cuisine française, la gastronomie d’avant-garde n’était plus française mais espagnole. Le journaliste, piqué sans doute par la curiosité, en avait fait l’expérience lui-même. Après un voyage en Europe, il constatait que depuis vingt ans, rien n’avait changé dans la cuisine française. Ce qui en 1970 était révolutionnaire, ne l’était plus. En Espagne en revanche, tant en Catalogne qu’au Pays Basque, une nouvelle conception de la gastronomie voyait le jour. Et d’ajouter le nom de celui qui était sur toutes les lèvres : Ferran Adrià.
El Bulli est présenté par Lubow comme la « Mecque des gourmets » et Adrià comme le plus imaginatif des chefs de toute l’histoire. De son passage à El Bulli et de son menu dégustation surprenant, le journaliste se souvient en particulier d’un plat qu’il considère être le plus sublime : un tableau constitué de sept blocs de gélatine chaude ayant l’apparence d’une aquarelle car tout en nuances. En somme, une « nouvelle cuisine » grâce à de nouvelles techniques et de nouveaux concepts. Il décrit ses trouvailles innovantes et osées, en faisant remarquer l’alliance entre cuisine et création artistique. Des commentaires de Lubow, il ressort que l’on entre dans El Bulli comme dans un musée, une galerie d’art, ou une salle de cinéma d’art et d’essai. Aussi l’on n’y va pas pour s’y restaurer mais pour faire une expérience esthétique. L’ouïe est le seul sens qui n’est pas sollicité par la cuisine d’Adrià car comme il le dit lui-même « les asperges ne chantent pas ». D’autre part, cette impression du journaliste confirme les propos d’Adrià lui-même, quand, dans les années 1990, il déclarait concevoir le menu dégustation comme un film qui relate une histoire, ce qui explique qu’il se renouvelait chaque année car il est impossible de raconter tous les ans une même histoire, ni projeter le même film [2]. Le reportage eut un grand écho et déchaîna de nombreuses réactions dans la presse internationale, notamment en France [3]. Ainsi, « Le Monde 2 », (supplément dominical du Monde) publiait en 2004 un reportage : « Ferran Adrià, le plus grand chef ? », avec sa photo en couverture [4].
De nouveau, certaines de ses créations étaient mentionnées – raviolis de seiche, œufs de caille caramélisés –, reconnaissant le caractère révolutionnaire de son art culinaire ainsi que sa première place dans la gastronomie mondiale. El Bulli est qualifié de « Saint Jacques de Compostelle des pèlerins gourmands ». Le reportage transmet également les commentaires de certains chefs français tels que Joël Robuchon et Pierre Gagnaire, sans doute le plus critique à l’égard de l’article de Lubow.
Enfin, en 2004, la revue Time inscrivait Ferran Adrià sur la liste des 100 personnalités les plus influentes de l’année sous la rubrique « Artists & Entertainers ». Ce magazine considérait Ferran Adrià comme le chef le plus innovant du moment. Sa cuisine y est décrite comme une « alchimie » où se retrouvent unis « le sucré et le salé, le froid et le chaud, le familier et les cuisines du monde ». L’article se termine par une comparaison entre la découverte de l’Amérique par l’Espagne et l’esprit de Ferran Adrià pour conquérir de nouveaux espaces culinaires.
Depuis ce jour, les articles des journaux espagnols et étrangers, qui présentent la figure et la cuisine de Ferran Adrià, tant en version papier que on line, sont innombrables.
3- La révolution culinaire d’Adrià
Comment expliquer cette popularité rarement atteinte par un grand cuisinier ? Dans quelle mesure peut-on considérer les innovations culinaires d’Adrià comme une révolution dans le monde de la gastronomie ?
La réponse à ces questions se trouve probablement dans la démarche adoptée par le cuisinier. Si pendant les premières années, Adrià continue de pratiquer la cuisine française, c’est lors d’un congrès à Nice, en 1986, qu’il découvre le point de départ d’une cuisine personnelle et créative. Lors d’un entretien avec Jacques Maximin, le chef français répond à l'une de ses questions par une simple phrase : « créer c’est ne pas copier » [5]. À partir de ce moment, Adrià chercha sans cesse à se renouveler et à se perfectionner sans copier, en s’inspirant du monde qui l’entoure. Ainsi, il établit des alliances heureuses entre Cuisine et Art, Cuisine et Science, Cuisine et Technique, dont le but est de renforcer le lien étroit entre Cuisine et Bonheur.
A) Cuisine et Art : « créer, c’est ne pas copier »
À partir de ce principe très simple, Adrià a développé un style personnel dans le monde de la gastronomie. Le défi était de s’affranchir de la cuisine espagnole traditionnelle et de la nouvelle cuisine française, sans les abandonner, en intégrant également des éléments des cuisines du monde, et en particulier des cuisines chinoise et japonaise.
Ce contact direct avec le monde de l’Art lui a permis d’introduire de nouvelles tendances d’avant-garde comme celle de la déconstruction. Appliquée à la gastronomie, la déconstruction présente les ingrédients d’un plat de façon inhabituelle, créant la surprise du convive qui ne reconnaît pas à sa vue le plat traditionnel mais en retrouve toute la saveur, l’arôme et la couleur. Dans la déconstruction, les ingrédients sont conservés, mais en transformant leur texture et parfois également leur température. L’exemple le plus célèbre est celui de la déconstruction de l’omelette de pommes de terre, plat traditionnel espagnol et apprécié par une vaste majorité de la population. C’est ainsi que la cuisine est devenue « l’atelier de l’artiste » : El Bulli-Taller. À partir de 1994, Adrià forma une équipe créative qui travaillait pendant la moitié de l’année à élaborer de nouvelles réalisations culinaires[6].
B) Cuisine et Science : nouveaux concepts et nouvelles techniques
Si sa première démarche pour renouveler le monde de la gastronomie a été artistique, Adrià a rapidement compris que la transformation des aliments passait par la connaissance de leurs propriétés physiques et chimiques. En 2003, l’équipe créative s’est donc enrichie de plusieurs scientifiques et l’atelier de l’artiste est devenu également un laboratoire d’expérimentations grâce au département scientifique de El Bulli-Taller [7]. Dans un esprit de véritable chercheur, Adrià a relevé le défi en dépassant les connaissances acquises pour élaborer de nouveaux concepts et appliquer de nouvelles techniques, qui étaient irréalisables jusqu’alors.
Cette recherche scientifique a introduit des composants naturels – gélifiants, émulsifiants et autres – pour altérer les propriétés physiques des ingrédients. Parmi les additifs utilisés dans la cuisine de Ferran Adrià nous pouvons mentionner la lécithine de soja, le calcium, les alginates, des gélifiants à base d’algues, des produits épaississants, des fruits lyophilisés, le nitrogène liquide et autres produits selon le résultat recherche de différentes textures : sphérification, gélatines, émulsions, etc. Cette technique a été très critiquée par un autre Chef espagnol, Santi Santamaría, créant la polémique dans les médias. Toutefois, la renommée et la popularité de Ferran Adrià l’ont emporté sur ses détracteurs. Elle a été accompagnée également d’une recherche technique et technologique de design industriel pour créer de nouveaux outils (sniffs, pipettes, cuillères), ou récupérer pour la cuisine des instruments utilisés ailleurs, tels que le siphon Isi. Actuellement en vente chez tous les commerçants en électroménager.
Grâce à ces recherches, l’offre gastronomique de El Bulli s’est diversifiée en espumas (écumes), airs, nuages, sphérifications, nouvelles textures, gélatines chaudes, etc. La espuma a la texture de la mousse du bain ou de l’écume des vagues, non celle de la mousse au chocolat. Pour obtenir la mousse traditionnelle, il est nécessaire d’ajouter les blancs d’œuf battus en neige et ou de la crème fraîche, tandis que pour l’espuma, on introduit le jus de fruit gélifié dans le siphon Isi auquel on ajoute de l’air. Le résultat est une nouvelle texture aérienne. La procédure pour obtenir de l’air, est très simple. Dans un récipient contenant du jus de légume ou de fruit, on introduit un mixeur électrique et on obtient de l’air aux différents parfums. Nous pouvons citer les « sucettes aux légumes », les « croquettes et les raviolis liquides », « l’air de carotte à la mandarine », le « caviar de thé vert », de pomme, de melon, les « olives liquides », etc. Toutes les photos des créations de Ferran Adrià se trouvent sur la page web du Catalogue de El Bulli.
C) Le menu dégustation
Cette rupture avec la cuisine et le repas traditionnel donnera lieu à une nouvelle façon de présenter les menus là où les frontières entre le salé et le sucré, le chaud et le froid s’estompent. À partir de l’année 2002, Adrià propose à ses clients uniquement un « menu dégustation » composé de 35 plats, qui ne font chacune qu’une bouchée, en s’inspirant de la cuisine minimaliste japonaise, mais aussi des traditionnelles tapas espagnoles. Chaque plat est servi avec ses propres instructions afin de le déguster de la meilleure façon. Ce menu sera renouvelé chaque année jusqu’à la fermeture du restaurant en 2011.
Pour conclure, ce qui fait l’originalité de Ferran Adrià est que le savoir technique est employé en vue du résultat final : susciter l’émotion chez les convives, non seulement par le goût mais aussi par la vue, l’odorat, le toucher, en faisant appel également aux facultés intellectuelles pour créer la surprise, éveiller un souvenir d’enfance, provoquer l’ironie… et surtout créer la magie. Comme il le déclare lui-même : « La cuisine est un langage à travers lequel on peut exprimer l’harmonie, la créativité, le bonheur, la beauté, la poésie, la complexité, la magie, l’humour, la provocation, la culture » (site web de El Bulli). Ce principe synthétise la philosophie de Ferran Adrià et de son équipe, présentée pour la première fois en 2006 au Congrès « Madrid Fusion », le principal évènement gastronomique de la capitale espagnole qui réunit les plus grands cuisiniers. Ce Congrès a pour but de présenter les dernières tendances gastronomiques et rassemble des journalistes du monde entier qui établissent la liste de chefs les plus influents de l’année. En 2006, le premier nom de la liste était celui de Ferran Adrià suivi d’Alain Ducasse et de Juan Mari Arzak.
4- Du haut de la montagne, je descends vers la vallée : le low cost et le prêt-à-porter
Mais tout cela ne serait qu’une cuisine de luxe pour une élite privilégiée sans la personnalité de Ferran Adrià et de son équipe. Outre sa présence dans les médias, les prix et les distinctions, ce qui a fait d’Adrià un chef populaire et aimé des Espagnols est le fait d’avoir rendu accessibles les secrets de son savoir-faire et d'introduire sa créativité et son imagination dans la cuisine au quotidien. En effet, depuis 2004, il s’est rapproché de ce qu’on pourrait appeler « la cuisine facile », c'est-à-dire la cuisine à la maison et les repas quotidiens pris à l’extérieur au milieu de la journée de travail. C’est ainsi que sont nés le Fast-Good, La cuisine facile et Le repas de la famille.
Le Fast-Good naît en 2004 dans le but de rendre les repas rapides bons, sains, équilibrés et pas trop chers. Ce nouveau concept proposait une réponse à la question suivante : est-il possible d’offrir un repas rapide, sain et de qualité, à un prix raisonnable ? Ce projet montre bien l’intérêt d’Adrià pour la restauration rapide, loin de la haute-cuisine de luxe élaborée dans El Bulli et destinée à une clientèle fortunée [8].
Quant à la cuisine à la maison, la série de 11 DVD, La cocina fácil de Ferran Adrià, montre également sa volonté de mettre son expérience au service de la cuisine familiale. Le nombre de sites, vidéos sur youtube et blogs qui montrent la déconstruction de l’omelette de pommes de terre est un échantillon de la popularité de la cuisine de Ferran Adrià. En ce sens, Adrià parle d’une « nouvelle cuisine familiale » qui introduirait à la maison non les techniques de El Bulli, mais sa philosophie :
« Ce n’est pas vrai que la haute cuisine n’a pas percé dans la société. Le menu dégustation de El Bulli requiert une technologie qui n’existe pas à la maison, mais nous avons publié un livre pour l’adapter à la logistique du foyer. Cela veut dire que la technologie est uniquement un outil ; l’important est d’avoir de l’imagination » [9].
Les recettes proposées par Adrià dans cette série documentaire parue en 2004, sont simples et rapides, car il est conscient qu’on n’a pas beaucoup de temps à la maison pour cuisiner. En même temps, il s’agit d’une cuisine innovante et imaginative, avec une présentation agréable et soignée. De plus, Adrià donne des conseils et partage les principes qui ont inspiré sa révolution culinaire.
Son dernier ouvrage, La comida de la familia (Barcelona, RBA Libros 2011), propose les recettes de repas cuisinés pour « la famille de El Bulli », c'est-à-dire l’équipe qui travaillait dans le célèbre restaurant et qui mangeait un repas très différent de ce qu’ils préparaient pendant toute la journée pour les clients qui arrivaient le soir. C’était un repas bon, simple et bien préparé. Il s'agit donc d'un livre de cuisine facile : 31 menus pratiques à préparer à la maison, avec des produits simples que l’on trouve au supermarché et accessibles à un petit budget (autour de 4 euros)[10]. Dans ce dernier ouvrage, Adriá propose une cuisine créative à la portée de tous, même en temps de crise. Les menus et les recettes peuvent s'adapter également à des collectivités de plus de 20 convives. En plus des recettes, le chef livre des conseils sur la manière d’organiser la réserve alimentaire, planifier ses courses et sur la gestion d'une cuisine familiale ou professionnelle dont l’un des points essentiels est celui de l’organisation. Un signe de l'aura médiatique d’Adrià et de son impact dans les foyers espagnols est le fait que le livre a été lancé également sous forme d'application pour Ipad et Tablettes, créée par Telefónica sous le titre : Adrià en casa (Adrià à la maison). La présentation de la nouvelle application a été diffusée par internet via terra.es le 30 novembre 2012.
Les tapas
L’autre tendance développée par Adrià que l’on pourrait qualifier de « prêt-à-porter » de la gastronomie sont les tapas. Ces en-cas traditionnels ont connu une évolution dans la gastronomie espagnole, du simple apéritif au repas informel, en famille ou le plus souvent entre amis. C'est non seulement une façon de manger, mais aussi un style de vie marqué par la convivialité. Ce qui caractérise la tapa est le fait de pouvoir la manger souvent avec les doigts, en une ou deux bouchées et de ce fait, on peut en déguster plusieurs au cours d’un repas. Elles se sont même exportées à l’étranger, non seulement dans les bistrots et les tavernes touristiques mais aussi dans les restaurants. On pourrait même se demander si nous n’assistons pas à une nouvelle phase de cette évolution, du repas informel au repas tout court. Une manifestation de l’importance croissante des tapas dans la gastronomie mondiale est l’exposition itinérante « Tapas. Spanish Design for Food ». L’exposition de plus de 200 pièces, organisée par Acción Cultural Española (AC/E) et Spain, Arts & Culture, avec la collaboration de designers, architectes et cuisiniers a déjà été présentée à Tokio (26 octobre-4 novembre 2013 et 15 novembre 2013-10 janvier 2014) à Miami (7 novembre-15 décembre 2013) et à Boston à partir du 15 février 2014.
Adrià s'est intéressé très tôt au monde des tapas, comme le montre son livre Las 50 nuevas tapas de Ferran Adrià, publié en 1998. Ensuite, il les a introduites dans la haute gastronomie à travers les snacks de son menu dégustation, en appliquant la même philosophie d’imagination et de créativité.
Après l’annonce de la fermeture de El Bulli en tant que restaurant, Ferran Adrià s’est associé à son frère cadet Albert pour s’investir dans le monde des tapas et des cocktails [11]. Albert Adrià, qui avait rejoint l’équipe en 1985 dans la section de pâtisserie, avait ouvert en 2008 son propre établissement à Barcelone, Inopia Classic Bar, consacré aux tapas traditionnelles mais aussi d’avant-garde, en essayant de concilier tradition et modernité. Il a fermé l'établissement en juillet 2010. Cette nouvelle tendance de la cuisine d'avant-garde appliquée aux tapas a donné lieu à ce qu'on appelle les « gastrobars ». En 2011, les frères Adrià en association avec les frères Iglesias ont ouvert, également à Barcelone, 41°, un bar dédié initialement aux cocktails et aux snacks, mais qui très vite est devenu un petit restaurant de 16 places, le « Mini-Bulli », avec un menu de snacks accompagnés de cocktails. Pour avoir une place, il faut réserver au moins trois mois à l'avance, uniquement par internet. Quelques mois plus tard, ils ont ouvert Tickets, un nouvel espace à côté de 41° consacré au monde des tapas (Il s'agit du même local avec deux entrées différentes), baptisé le « Bulli du quartier »[12]. Dans cet espace, nous retrouvons l'aspect ludique des réalisations de El Bulli : la déco, les uniformes des serveurs et la carte des tapas évoquent le spectacle du Cirque [13].
Avec l'évolution des tapas vers la haute gastronomie, nous pourrions nous demander si Adrià est en train de révolutionner aussi le monde des tapas ou simplement de créer un « prêt-à porter » de luxe. Cette nouvelle tendance n'est pas l’exclusivité des frères Adrià. D'autres grands cuisiniers comme Carles Abellan, Quique Dacosta, Dani García, Pedro Larumbe, Francis Paniego ont ouvert aussi des gastrobars. Elle représente également une part importante de la nouvelle cuisine basque. Mais l’émulation de Ferran Adrià y est sans doute pour quelque chose.
Conclusion
Ferran Adrià a introduit un avant et un après dans le monde de la gastronomie. Non seulement par ses réalisations d’avant-garde, alliant art et science dans l’élaboration culinaire, mais également et surtout par sa façon de concevoir le travail du chef en cuisine, non comme une tâche purement manuelle, mais comme une activité humaine où toutes les facultés sont mises à contribution. Il est reconnu par ses pairs comme le chef le plus imaginatif et le plus créatif de la cuisine moderne. Entre 1987 et 2011, il a créé 1846 plats. En ce sens, il est un exemple constant de dépassement de soi.
De plus, Adrià a réussi à introduire sa cuisine non seulement dans les médias, mais aussi à l’Université, dans les musées et galleries d’Art, dans les hôpitaux, dans les bistrots et dans les foyers. Et cela non seulement en raison de la perfection ou de la qualité de ses recettes, mais aussi parce qu’il a su montrer l’importance du temps que nous consacrons au repas, qui peut être bon, attrayant, amusant, détendant, sans être forcément très cher. D’une grande souplesse, il a su s’investir dans la haute-cuisine d’avant-garde, comme dans la cuisine familiale et traditionnelle des tapas, pour les renouveler. L'engouement en Espagne pour la cuisine créative et d'avant garde qui s'introduit dans les foyers et dans les bars, doit sans doute beaucoup à son rayonnement.
Depuis la fermeture de El Bulli en 2011, Adrià a multiplié les interviews dans les chaînes de télévision et dans la presse spécialisée, les conférences sur la créativité et l'innovation dans le monde éducatif et de l'entreprise, notamment à Harvard en décembre 2011. En Juillet 2013 a eu lieu l'exposition sur El Bulli dans le cadre de « Art of Food at Somerset House » à Londres.
Dans une interview pour The Guardian, Adrià définissait sa philosophie par une série de concepts tels que l’éthique, l’honnêteté, la liberté, le risque, le partage, la mémoire... Il considère sa façon de travailler en cuisine comme un nouveau langage, développé pendant plus de 30 ans, qui s'est répandu partout dans le monde. Ce que Ferran Adrià veut transmettre aujourd’hui n'est pas seulement la partie technique de l'élaboration des aliments, mais les valeurs humaines qui sont transmises par la cuisine et pendant les repas [14].
À l’heure actuelle, Adrià n’est plus derrière les fourneaux, mais il est devenu l’ambassadeur de sa philosophie, qui a révolutionné le monde de la gastronomie. Ce qui est encore plus révolutionnaire c’est l’application de sa méthode d’innovation et de créativité à la pédagogie à travers le projet Escuelas Creativas (Les écoles créatives)[15]. Actuellement il se consacre à son nouveau projet : le laboratoire de recherche culinaire « El Bulli 1846 ».
Notes
[1] http://www.elbulli.com/historia/version_imprimible/1961-2011_es.pdf. Consulté le 30 septembre 2013.
[2] El País semanal, 20-6-1999, p. 24.
[3] Deux jours plus tard, le 10-8-2003, le quotidien El Mundo publiait un compte rendu de l’article de The New York Times. http://www.elmundo.es/elmundo/2003/08/10/sociedad/1060501524.html. The Daily Telegraph, 5-9-2003. The Canadian Press, 19-01-2004, etc. Pierre Gagnaire réagissait aux critiques du journal nord-américain à la cuisine française.
[4] Le Monde 2, 24-1-2004.
[5] Agustí Fancelli, “El mejor cocinero del mundo” in El País: http://cultura.elpais.com/cultura/2011/11/24/actualidad/1322089226_850215.html. Consulté le 9 octobre 2013. L’entretien a eu lieu à Cannes. La phrase est la traduction de ce qui a été rapporté par Adrià lui-même et traduit par nos soins.
[6] http://www.elbulli.com/historia/index.php?lang=es&seccion=3&subseccion=8. Consulté le 30 septembre 2013.
[7] http://www.elbulli.com/historia/index.php?lang=es&seccion=6&subseccion=2. Consulté le 30 septembre 2013.
[8] Ce projet lancé par Adrià et géré par NH Hôtels a fonctionné jusqu’à 2011 date à laquelle les restaurants de cette marque ont fermé, en raison de la crise. http://www.eleconomista.es/empresas-finanzas/noticias/3147394/06/11/NH-y-Ferran-Adri-cierran-Fast-Good-y-buscan-vender-la-marca-.html, consulté le 3 février 2014.
[9] Interview avec Lara Muñoz pour El País http://sociedad.elpais.com/sociedad/2011/12/08/actualidad/1323369047_641179.html. Consulté le 25 janvier 2019.
[10] Le livre a été publié en anglais sous le titre The family meal. Home cooking with Ferran Adria, Phaidon Press, 2011.
[11] El Bulli a fermé ses portes en 2011. Adrià avait le projet de créer une Fondation consacrée à la recherche culinaire, à la formation de futurs Chefs et à la diffusion de nouvelles créations gastronomiques. Finalement, le nouveau laboratoire de recherche culinaire rouvrira ses portes à l’été 2019 sous le nom de El Bulli 1846. https://www.midilibre.fr/2018/05/23/espagne-ferran-adria-va-rouvrir-le-mythique-elboulli-comme-laboratoire-gastronomique,1675689.php. Consulté le 23 janvier 2019.
[12] Sur les nouveaux concepts de 41° et Tickets on peut lire les articles de Marta Fernandez Guadaño, « 41º… ¿Se consolida la coctelería-snackería? », et « Tickets o el Bulli de barrio » http://www.gastroeconomy.com/2011/07/el-caso-41%C2%BA-%C2%Bfllega-la-cocteleria-snackeria/ http://www.gastroeconomy.com/2011/07/tickets-o%E2%80%A6-elbulli-de-barrio/. Consultés le 25 janvier 2019.
[13] À l’heure actuelle Albert Adrià et les frères Iglesias ont ouvert six restaurants à Barcelone qui développent de nouveaux concepts culinaires sous la marque ElBarri : https://elbarri.com/. Consulté le 25 janvier 2019.
[14] Pour une vision plus détaillée de la philosophie de Ferran Adrià on peut consulter Paloma Otaola, « Cuisine et bonheur : la philosophie de Ferran Adrià », Transtextes, Transculture, Journal of Global Cultural Studies, Manger, représenter : approches transculturelles de pratiques alimentaires, 10/2015 [en ligne]. http://transtexts.revues.org/627
[15] Le projet Escuelas Creativas est soutenu par la Fundación Telefónica. En 2016, ils ont organisé une série de cours et de conférences destinés aux directeurs et aux enseignants afin d’encourager et de donner les outils pour introduire la créativité et l’innovation dans le milieu éducatif. Cette application éducative de la méthodologie de Ferran Adrià a donné lieu à une publication : Escuelas creativas. Un viaje hacia el cambio educativo, Madrid, Fundación Telefónica, 2017. https://www.fundaciontelefonica.com/arte_cultura/publicaciones-listado/pagina-item-publicaciones/itempubli/612/ consulté le 18 janvier 2019.
Références bibliographiques
Interviews et articles
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ADRIÀ, Ferran et MUÑOZ, Lara. 2011. Interview pour El País http://sociedad.elpais.com/sociedad/2011/12/08/actualidad/1323369047_641179.html. Consulté le 25 janvier 2019.
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FANCELLI, Agustí. 2011. “El mejor cocinero del mundo” in El País en ligne : http://cultura.elpais.com/cultura/2011/11/24/actualidad/1322089226_850215.html. Consulté le 9 octobre 2013.
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« Pour aller plus loin »
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WEBER-LAMBERDIÈRE, Manfred. 2010. El mago de elBulli, traduction espagnole, Madrid, Aguilar.
ANDREWS, Colman. 2010. Ferran, The Inside Story of El Bulli and the Man Who Reinvented Food. Gotham Books.
Annexes
1- Prix et distinctions
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2- Livres et DVD de Ferran & Albert Adrià-El Bulli
ADRIÀ, Ferran. 1993. El Bulli. El sabor del Mediterráneo, Barcelona, Editorial Antártida. [1998 en pdf]
ADRIÀ, Ferran. 1998. Los secretos de El Bulli, recetas, técnicas y reflexiones, Barcelona, Ediciones Altaya.
ADRIÀ, Ferran. 1998. Cocinar en 10 minutos con Ferran Adrià, El Corte Inglés.
ADRIÀ, Albert. 1998. Los postres de El Bulli, Madrid, Ediciones Península [en pdf]
ADRIÀ, Ferran. 1998. Espumas de Ferran Adrià, Barcelona, DCI.
ADRIÀ, Ferran. 1998. Las 50 nuevas tapas de Ferran Adrià, Barcelona, Editorial Formentera.
ADRIÀ, Ferran. 2004. La cocina fácil de Ferran Adrià, série de 11 DVD,
ADRIÀ, Ferran, SOLER, Juli y ADRIÀ, Albert. 2007. Un día en elBulli, Barcelona, elBullibooks.
ADRIÀ, Albert. 2008. Natura, Libro de postres, Barcelona, elBullibooks.
ElBulli, Historia de un sueño - Catálogo General audiovisual. 2009. Série de 10 DVD.
ADRIÀ, Ferran, FUSTER, Valentí y CORBELLA, Josep. 2010. La cocina de la salud, Barcelona, Planeta
ADRIÀ, Ferran. 2011. La comida de la familia, Barcelona, RBA Libros.
ADRIÀ, Albert. 2013. Tapas. La cocina del Tickets, Barcelona, RBA Libros.
ADRIÀ, Ferran. 2018. Cócteles, coctelería y bartenders. fundamentos, Elbullifoundation.
Pour citer cette ressource :
Paloma Otaola, De la haute-cuisine au prêt-à-porter : la révolution culinaire de Ferran Adrià, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mai 2019. Consulté le 26/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/civilisation/histoire-espagnole/societe-contemporaine/de-la-haute-cuisine-au-pret-a-porter-la-revolution-culinaire-de-ferran-adria