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«Invitation à un assassinat» de Carmen Posadas

Par Caroline Bojarski : Titulaire d'un Master 2 Pro (Traduction littéraire et édition critique) - Université Lumière Lyon 2
Publié par Christine Bini le 20/11/2012

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Présentation du roman de Carmen Posadas.

Carmen Posadas, Invitation à un assassinat, Seuil, 2012, traduit de l'espagnol par Isabelle Gugnon.

Olivia Uriarte a toujours été la plus belle. Dès l'enfance, c'est elle que les autres regardaient, pas sa sœur, Ágata, dont les blagues ne faisaient rire personne et que personne ne trouvait jolie. Mais aujourd'hui, c'est bien Olivia qui veut mourir. Son cinquième mari lui demande le divorce et va la laisser sur la paille. Heureusement, et dans sa grande bonté, celui-ci veut bien laisser à Olivia le yacht appelé Sparkling Cyanide pour un mois de plus, lui donnant l'occasion d'inviter tous ses ennemis pour une dernière escapade en mer des Baléares. Ágata Uriarte, Cary Faithful, Miranda Faithful, Pedro Fuguet, Sonia San Cristóbal, Doña Cristina et Kardam Kovatchev, sans oublier le commandant de bord, Vlad Romesco, sont cordialement invités à venir fêter en toute intimité le divorce d'Olivia. En réunissant toutes ces personnes, qu'elle a un jour côtoyé de façon plus ou moins intime, Olivia se dit que l'une d'entre elles aurait toutes les raisons de sauter sur l'occasion et de réaliser son souhait le plus cher : mourir. Mais même si certains sont jaloux, si Olivia détient des secrets que pour rien au monde ils ne voudraient voir éclater, même si elle leur causa de grandes souffrances, les rabaissa, les humilia, les força à faire des choses atroces, pour autant, oseront-ils l'assassiner ? Au delà de la haine qu'ils éprouvent pour elle, envisagent-ils une seule seconde d'en finir avec elle ? Et pourtant, Olivia va bien mourir...

Les lecteurs attentifs auront sans doute remarqué les nombreuses allusions à Agatha Christie, à commencer par le nom du yacht où Olivia décide de réunir ses invités, pour le meilleur et surtout pour le pire. Sparkling Cyanide, traduit en français par Meurtre au champagne, est un roman d'Agatha Christie publié pour la première fois aux États-Unis en 1945 sous le titre de Remembered Death et qui met en scène le célèbre détective Hercule Poirot qui enquêtera sur la mort d'une femme, Rosemary, par absorption de cyanure. Georges,  son mari, doute de son suicide, ce qui pousse Poirot à  reconstituer la fête, sachant que tous les invités avaient une raison de vouloir tuer Olivia, ou plutôt Rosemary.

La mort d'Olivia éveille elle aussi les soupçons, ce qui incite sa sœur, Ágata (Christie ?), à mener l'enquête et à se remémorer l'escapade en mer, et surtout les derniers instants d'Olivia qu'elle n'a pas pu partager, cloîtrée dans sa cabine (pour une raison que vous découvrirez dans le livre...).  Pour notre part, pas d'Hercule Poirot, mais une Miss Marple tout aussi efficace qui s'emploie à l'aide d'indices laissés par sa sœur, à découvrir comment Olivia s'est retrouvée la nuque brisée à quelques mètres de ses invités, sans que personne n'ai rien vu ni rien entendu.

Mais Agatha Christie n'est pas la seule femme de lettres citées dans le roman car d'autres écrivains ou artistes apparaissent, comme Orson Welses, Doris Day, Jacinto Benavente ou des personnages de fiction comme Mary Poppins, Raiponce ou Mycroft, le frère de Sherlock Holmes.

Pourtant, Agatha Christie est bien celle qui paraît avoir le plus influencé Carmen Posadas, qui dresse des portraits psychologiques de ses personnages à la manière de la reine du roman policier. Comme dans Pequeñas infamias, les premiers chapitres du roman sont consacrés aux différents personnages présents le jour où la mort est venue s'inviter, attristant les uns et arrangeant les autres.  D'ailleurs, il est amusant de se rendre compte que les personnages des deux romans ont des traits communs : jeune fille riche et très jolie aimant un jeune athlète aux origines slaves et au passé douloureux, homme au métier respectable mais qui cache des penchants inavouables, ou femme qui dans sa jeunesse fut d'une grande beauté et que le crime n'effraie pas. Ce parallèle n'est pas le seul que l'on pourrait souligner. Ces deux romans ont pour point de départ un endroit fermé où la mort va frapper et où tous les personnages auraient une raison d'en vouloir à la victime. Les romans sont découpés en de nombreux chapitres qui portent tous des noms évocateurs et sont pourvus de références à Agatha Christie (œuvres ou personnages). Il y a une ressemblance formelle entre ces deux livres qui se déroulent de façon similaire : annonce de la mort du personnage principal, portraits psychologiques, flash-back au côté d'un ami du mort, dénouement. D'autres éléments, qu'il est difficile de classer de manière linéaire, sont également présents : croisement entre les vies des personnages, réunion dans un même lieu, opposition entre l'extrême richesse et l'extrême pauvreté, satire de la société et mise en abyme.

Ce dernier point est central car il opère à différents niveaux de lecture. Dans Pequeñas infamias, nous découvrons que le livre ayant pour titre  Pequeñas infamias est en réalité le livre qu'était en train d'écrire Néstor Chafino, le personnage principal, jusqu'à ce qu'il trouve la mort. Cependant, nous apprenons également à la fin du livre que c'est le titre qu'a choisi un autre personnage, Chloé Trías, pour raconter l'histoire de Néstor Chafino, ayant subtilisé son ébauche du livre de secrets culinaires. D'ailleurs, l'auteure (Carmen ou Chloé ?) nous en offre un extrait : il correspond aux premières lignes du livre que nous sommes nous-même en train de lire... De même, Invitación a un asesinato n'est pas seulement le livre que nous sommes en train de lire, mais également celui qu'est en train d'écrire Ágata Uriarte pour essayer de trouver la cause réelle de la mort de sa sœur.

Cette petite gymnastique intellectuelle s'adresse bien au « lector cómplice » dont Carmen Posadas parle dans sa « méthode Dickens » (voir article sur Pequeñas infamias). Rien n'est finalement si simple dans les livres de Carmen Posadas, qui préfère proposer une littérature facile d'accès plutôt qu'une littérature « que même ta mère ne comprendrait pas ». Les choses les plus profondes ne se trouvent-elles finalement pas dans ce qu'il y a de plus simple ?

 

Pour citer cette ressource :

Caroline Bojarski, "«Invitation à un assassinat» de Carmen Posadas", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), novembre 2012. Consulté le 19/04/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/litterature/litterature-latino-americaine/bibliotheque/invitation-a-un-assassinat