Vous êtes ici : Accueil / Civilisation / Civilisation espagnole / Perception de l'Espagne et de l'espagnol / L’Espagne dans les articles d’Emilia Pardo Bazán pour la «Nouvelle Revue Internationale»

L’Espagne dans les articles d’Emilia Pardo Bazán pour la «Nouvelle Revue Internationale»

Par Emilia Pérez Romero : Docteure en études ibériques et latino-américaines - Université de Tours
Publié par Christine Bini le 02/02/2010

Activer le mode zen PDF

Entre 1883 et 1901, Emilia Pardo Bazán collabore dans la ((Nouvelle Revue Internationale)), publication dirigée par Marie Letizia de Rute. En langue française, elle y publie différents écrits sur les sujets les plus divers. L'examen qu'elle y fait de la conjoncture sociale, politique, et littéraire de l'Espagne, permet de constater que doña Emilia offre une vision un peu différente de celle qu'elle présente dans la presse espagnole. Certes, elle en donne une image pittoresque, stéréotypée, de ce pays, lorsqu'elle dépeint l'essence du caractère espagnol ou les coutumes populaires. Conditionnée par la nature de la revue, doña Emilia donne à ses lecteurs l'image qu'ils attendent de l'Espagne : celle des voyageurs français. Or, c'est avant tout son sincère et ardent patriotisme qui guide ses commentaires à l'égard de son pays. C'est ce sentiment qui la pousse à défendre son pays des visions agressives et standardisées de certains étrangers, mais qui l'incite également à dénoncer les maux de la patrie auprès des lecteurs espagnols.

Entre 1883 et 1901, Emilia Pardo Bazán collabore à la Nouvelle Revue Internationale, revue qui commence à être publiée le 1er janvier 1883 à Madrid et à Paris sous la direction de M. le baron Stock, pseudonyme choisi par Marie Letizia de Rute (Mme Rattazzi), identique à celui sous lequel elle écrivit longtemps dans la Neue Freie Presse, le grand journal viennois. Au début, cette publication s’appelle Les Matinées espagnoles, elle est sous-titrée Nouvelle Revue Internationale Européenne, avant de devenir Les Matinées espagnoles ; enfin, elle se transforme en La Nouvelle Revue Internationale Européenne, car comme le fait si justement remarquer Henry Carnoy « le cadre devenu plus large exigeait un titre plus approprié » ((Henry CARNOY, Dictionnaire biographique international des écrivains, Paris : Imprimerie de l’Armonial Français, [1902]-1909, t. 1, p. 240.)). Ainsi donc, jusqu’à sa disparition en 1908, le sous-titre varie.

La participation de doña Emilia à cette revue est assez irrégulière. En langue française ((Il convient de signaler qu’à partir de septembre 1900 apparaît explicitement le nom des traducteurs des contes de doña Emilia : G. Saint-Laurens et René Halphen ; mais pour les collaborations précédentes, nous ignorons si la version française est l’œuvre de l’écrivaine elle-même ou de ses traducteurs car l’analyse de l’activité de Pardo Bazán dans la presse française n’a pas encore été étudiée convenablement.)), elle y publie des contes, des tableaux de mœurs et quelques articles sur les sujets les plus divers. En 1883, elle écrit spécialement pour cette revue le conte « Le petit-fils  du Cid »; et en 1886 l’esquisse de mœurs « Sesion [sic] flamenca ». Entre 1887 et 1890 paraissent des articles dans lesquels elle manifeste son intérêt pour l’Histoire européenne, la condition de la femme espagnole ainsi que la critique littéraire, et un conte. Après un silence de sept ans, en 1897 réapparaît à nouveau la signature de Pardo Bazán avec le roman L’Oracle des sorcières ; jusqu’à 1901 elle publie ses impressions sur la conjoncture politique, le mouvement littéraire en Espagne et une douzaine des contes. La plupart de ses écrits, notamment à partir de 1888, sont des reproductions intégrales ou partielles d’autres textes parus dans la presse espagnole, nord-américaine et même dans la Nouvelle Revue Internationale. En effet, la contribution de l’insigne romancière galicienne au numéro spécial que Mme Rattazzi consacré à l’Espagne, en 1900, est une réplique des textes publiés auparavant dans cette même revue.

Dans ce travail, nous examinerons l’analyse que doña Emilia fait de la conjoncture sociale, politique, et littéraire de son pays, afin de cerner la vision de l’Espagne qu’elle propose aux lecteurs français et dans un sens plus large, aux lecteurs européens. Nous étudierons dans quelle mesure l’auteur procède à un travail de sélection des sujets afin d’offrir une image partielle –voire partiale– de l’Espagne, un peu différente de celle qu’elle présente dans la presse espagnole. Pour atteindre nos objectifs, dans un premier temps nous ferons une brève présentation de la revue et de ses particularités qui peuvent déterminer le choix de l’auteur; ensuite nous étudierons les thèmes choisis par doña Emilia pour dépeindre l'Espagne.

Nouvelle Revue Internationale

Il est indéniable que la personnalité de Marie de Rute ((Marie Letizia Bonaparte-Wyse (Waterford, le 25 avril 1833- Paris, le 6 février 1902) fut la fille de Thomas Wyse et de Letizia Bonaparte, petite-fille de Lucien Bonaparte. Elle se marie en 1849 avec Fréderic de Solms et en 1853, son cousin l’empereur Napoléon III, pour des raisons plus personnelles que politiques, l’expulse de France. Elle se retire en Italie et devenue veuve, elle épouse le comte Rattazzi. Après le rattachement de la Savoie, elle est autorisée à résider en France, mais en 1864 la publication de son roman Les Mariages d’une créole lui vaut une nouvelle expulsion. En 1877, Urbain Rattazzi étant mort, elle épouse Luis de Rute. Elle est dame de compagnie de Marie-Louise, Grand Cordon d’Espagne, grand Cordon de Saint Carlos et possède la plupart des décorations accordées aux dames d’Europe. Elle est l’auteur de nombreuses œuvres : poésies, romans, pièces de théâtre, articles de journaux et des revues, mais  on peut retenir L’Espagne moderne (1879),  Le Portugal à Vol d’oiseau (1880), Rattazzi et son temps (1881-1887), Castelar et son époque (1899), La fin d’une ambassadrice (1901).)) confère un grand prestige à la Nouvelle Revue Internationale dès sa parution. Même si elle a toujours été entourée d’une pléiade d’écrivains très connus en France et à l’étranger, elle est la collaboratrice la plus active et la plus dévouée de la Nouvelle Revue Internationale. A ses côtés, son rédacteur en chef, Emilio Castelar, a également contribué au prestige de cette revue.

Il s’agit donc d’une publication générale de haut niveau, politique, financière, artistique, littéraire et elle s’adresse à un public cultivé. Les articles, tous en français, sont l’œuvre de collaborateurs espagnols, portugais et français. Les principales rubriques de cette publication sont : la Semaine européenne, par Andrés Borrego ; le Bulletin financier, par Colbert ; Bibliographie, par Pérégrine ; la Chronique de l’élégance par la vicomtesse de Bonneville ; Biographies, des articles divers traitant de la politique internationale, intérieure de la France, de l’Espagne et du Portugal, ou concernant la vie sociale, littéraire ou artistique ; des nouvelles, des récits… La liste des collaborateurs que Letizia de Rute parvient à réunir dans cette nouvelle entreprise est vaste et très hétérogène puisque l’on relève les noms de Antonio Cánovas del Castillo, Romero Robledo, Luis de Rute, Juan Valera, Victor Balaguer, Campoamor, Nuñez de Arce, José Echegaray, Eusebio Blasco Ibañez, José Luis Albareda, Victor Hugo, Alexandre Dumas, Armand Durantin, Tony Révillon, Sully Prudhomme, Eça de Queiroz… Les principales collaboratrices sont : Sarah Bernhardt, Guiomar Torrezão, Grazia Pierantoni Mancini, Emilia Pardo Bazán…

Le projet de cette revue est synthétisé dans le premier numéro par le Comte du Vornoux ((Comte du Vornoux, « Le banquet d’inauguration des Matinées espagnoles et le discours d’Emile Castelar », Les Matinées espagnoles, 1883, Vol. I, p. 99-103.)). Celui-ci reprend quelques paroles de la fondatrice qui traduisent le désir de réunir la vaste famille littéraire des pays latins autour d’une grande publication appelée à accomplir une mission culturelle au profit des intérêts généraux, comme cela s’était déjà fait dans d’autres grands centres européens, notamment en France. Son objectif est donc de créer une revue qui « emprunte toutes les voix » qui se fasse « l’écho du monde entier, éclate résonne, retenti[sse] sur tous les points à la fois, liant tous les peuples entr’eux [sic], embrassant toutes les questions, résolvant tous les problèmes » ; une revue éclectique enfin, caractéristique qui est constamment rappelée dans tous les numéros.

Somme toute, la Nouvelle Revue Internationale est un produit culturel très ambitieux, destiné à une minorité de lecteurs éclairés et cosmopolites, ce qui a sans aucun doute guidé Emilia Pardo Bazán dans le choix de ses sujets ((Les critiques de l’œuvre de doña Emilia ont souligné maintes fois la préoccupation de l’auteur pour son public. Consulter, à titre d’exemple, Harry L. KIRBY, « Introduction », Pardo Bazán, Obras Completas,T. III, Madrid : Aguilar, 1973, p. 533 ; Cristina PATIÑO EIRÍN, Poética de la novela en la obra crítica de Emilia Pardo Bazán, Santiago de Compostela: Universidad de Santiago, 1998, p.260-272; 329-340; Eduardo RUIZ-OCAÑA DUEÑAS, “El canon periodístico de Emilia Pardo Bazán”, in José Manuel GONZÁLEZ HERRÁN, Cristina PATIÑO EIRÍN, Ermitas PENAS (éds.), Emilia Pardo Bazán: el periodismo, La Corogne: Casa-Museo Emilia Pardo Bazán-Fundación Caixa Galicia, 2007, p.106.)).

L’Espagne

Avant d’étudier la vision de l’Espagne que doña Emilia offre aux lecteurs français, il faut rappeler la place que son pays occupait dans l’imagerie européenne et notamment française à cette époque. À partir du XVIIIème siècle, une image romantique de l’Espagne commence à se forger en Europe, et elle est codifiée au XIXème siècle. Dès lors, des voyageurs, notamment français et anglais, parcourent la Péninsule attirés par une représentation pittoresque, voire exotique, de ce pays dont les habitants possèdent un caractère différent de celui des autres Européens. D’une part, les enthousiastes, pris d’une admiration démesurée pour l’Espagne, en donnent la vision d’un pays beau et héroïque ; d’autre part, les détracteurs travestissent la réalité en présentant des toreros ardents, des cigarières, des voleurs, des gitans… Somme toute, des images conventionnelles, réductrices, stéréotypées de l’Espagne et des Espagnols, qui par ailleurs assimilent très vite l’Espagnol à l’Andalou. En réponse à ce regard étranger, il se produit une réaction de la part des autochtones qui tentent de corriger cette vision falsifiée afin de proposer une image plus conforme de l’Espagne, mais ces prétentions d’authenticité débouchent bien vite sur une des peinture de mœurs marquée par le recours au pittoresque.

C’est dans un tel contexte que nous analyserons l’image que l’écrivaine galicienne donne de son pays et nous l’étudierons particulièrement à travers les thèmes abordés : le passé légendaire et glorieux de l’Espagne, les mœurs populaires, la conjoncture sociale et politique et littéraire.

Les traces d’une légende : « Un petit-fils du Cid »*

* « Un petit-fils du Cid », Les Matinées espagnoles, 1883, Vol. II, p. 110-114.

Les collaborations d’Emilia Pardo Bazán à la revue Les Matinées espagnoles commencent, comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, avec ce conte écrit spécialement pour cette publication en 1883 ((La version espagnole paraît cette même année dans le n° 12 de la Revista Ibérica. Vid., Juan PAREDES NÚÑEZ (ed.), Emilia Pardo Bazán, Cuentos completos, La Corogne : Fundación Pedro Barrié de la Maza, Conde de Fenosa, 1990, II, p. 436. Plus tard, l’écrivaine galicienne le reprendra dans plusieurs recueils de ces contes : La dama joven y otros cuentos, Barcelone : Biblioteca “Arte y Letras”, Daniel Cortezo y Cia., 1885; Cuentos escogidos, Valence : Pascual Aguilar, 1891; Historias y cuentos de Galicia, Obras Completas, XX, 1900; Arco Iris, Madrid : Col. Diamante, s. a.)).

Dès le titre, si suggestif, l’auteur évoque l’une des figures les plus emblématiques de l’Histoire de l’Espagne, qui par ailleurs devient une référence constante à la fin du XIX siècle ((Le Cid est pour les régénérationnistes le symbole par excellence de l’espagnolité éternelle. À ce propos, Joaquin Costa dit: « […] El Cid, el patrocinador de la honda patria, el poeta estandarte de la independencia, fuerte castillo de nacionalidad […] La musa justiciera y patriotica ha encontrado su símbolo », Boletín de la Institución Libre de Enseñanza, le 15 novembre 1878.)). Ce personnage, qui non seulement fait partie de l’imaginaire espagnol mais aussi de celui des grands auteurs français, (par exemple Corneille ou Victor Hugo), incarne les valeurs qui ont toujours inspiré une grande fierté aux Espagnols : le courage, l’honnêteté, la prudence, l’harmonie… A cette occasion, la célèbre écrivaine galicienne démontre combien ces valeurs sont encore en vigueur à travers le personnage principal de ce conte. En effet, un humble curé de village meurt héroïquement pour sauver l’argent de sa paroisse (le sanctuaire de Saint- Clément de Boan, en Galice ((Il convient de rappeler, que ce même personnage apparaît dans les romans Le château d’ Ulloa (Los pazos de Ulloa) et Mère nature (La madre naturaleza).))) des attaques d’une bande de voleurs qui sévissait depuis quelque temps dans la région. Influencée par l’esthétique et les idées naturalistes, Pardo Bazán prouve que dans les veines des Espagnols, même des plus humbles, coule du sang noble.

A l’opposé, un autre type de personnage traverse ce récit : c’est le voleur, le bandit, qui malheureusement, n’était pas une figure conventionnelle, imaginée par les voyageurs européens. Dans la préface de La dama joven l’auteur, en se référant à ce conte, avoue que « son apuntes de paisajes, tipos y costumbres de una comarca donde pasé floridos días de juventud ».

Sans offrir une image romantique de son pays, dans cet écrit, dominé par un dramatisme et une violence d’inspiration naturaliste, Pardo Bazán met en lumière le courage du peuple espagnol qui, par ailleurs, a donné lieu à la légende dorée de l’Espagne, légende à laquelle elle fera souvent référence, aussi bien pour l’accuser des malheurs de son pays que pour la considérer avec nostalgie ((Le 18 avril 1899, l’écrivaine donne une conférence à Paris, intitulée « L’Espagne  d’hier  et  celle d’aujourd’hui », dans laquelle elle tâche de démolir cette légendaire vision traditionnelle de l’Espagne et dévoile la véritable face de son pays. Pour elle cette légende est la principale cause des malheurs que traverse l’Espagne à la charnière du XXème siècle. À ce propos, elle evoque une « funesta legenda que ha desorganizado nuestro cerebro, ha manipulado nuestros desastres y humillaciones». En nette contradiction avec cette idée, elle se demande dans une de ses chroniques: « ¿Cómo podríamos resistir la España actual, si no nos refugiásemos en la España antigua? » (« La vida contemporánea. De viaje», La Ilustración Artística, 14 septembre, 1896, p. 626). Vid. José Manuel GONZÁLEZ HERRÁN, « Emilia Pardo Bazán entre dos siglos », Siglo diecinueve (Literatura hispánica), n° 4, 1998. 223-233.)).

Un spectacle espagnol : « Sesion flamenca [sic] »*

* « Sesion flamenca » Les Matinées espagnoles, n° 4 et 5, 15 et 22 février, 1886, p. 81-85. Sous le titre de « Flamenca », une version plus réduite, centré sur le cuadro flamenco apparaîtra dans un n° spécial de la même revue  « Pâques  fleuries »,  1898,  p.  82-83 ;  et  dans  le  n°  spécial  dédié  à  l’Espagne,  1900,  « Les  danses  " Flamenca" [sic]», p. 217-218. La version espagnole est publiée le même année dans El Museo Popular, Barcelone, T. I, n° 2, p. 2-4 et T. II, n° 3, p. 1-3.

Dans ce tableau Pardo Bazán dépeint le spectacle, qui, par antonomase fait partie de l’image pittoresque et hypertrophiée diffusée par les récits des voyageurs étrangers et qui, par ailleurs, vit sa période faste : le flamenco. De fait, c’est à la fin du XIXème siècle, que le flamenco entre dans son époque dorée sous l’impulsion des Cafés cantantes ((Sandra ÁLVAREZ MOLINA, Tauromachie et flamenco : Polémiques et clichés. Espagne, fin XIX, début XX, Paris : L’Harmattan, 2007, p. 36.)), et que s’institutionnalise le cuadro flamenco, composé d’artistes (chant, danse et guitare) qui se professionnalisent et prennent place de façon permanente sur l’estrade (el tablao). Au même moment, Paris devient le mécène de la danse espagnole ((S. ÁLVAREZ MOLINA, «París: “mecenas” del flamenco finisecular», AA VV, La cultura del otro: español en Francia, francés en España/La culture de l’autre:espagnol en France, français en Espagne, Sevilla: Departamento de Filología Francesa de la Universidad de Sevilla, APFUE, SHF, 2006, p. 300-307.)) ; la capitale française, qui a toujours été « le foyer de l’art universel », accueille cette manifestation artistique et ses artistes. En dépit de cet essor du flamenco des deux côtés des Pyrénées, une attitude « antiflamenco » surgit parmi un groupe d’intellectuels en cette fin de siècle. Farouches défenseurs de la pureté classique, ils discréditent le flamenco pour le considérer barbare et le rendre responsable de ce que l’on a appelé « La España de charanga y pandereta » ((Parmi les intellectuels opposés au flamenco citons par exemple : Gaspar Núñez de Arce (1834-1903), Pío Baroja (1872-1956), Miguel de Unamuno (1864-1936), Eugenio Noel (1885-1936). Vid. S. ÁLVAREZ MOLINA, Tauromachie et flamenco …, p.60-64.)).

Doña Emilia, qui fait partie de ce groupe d’intellectuels ((Dans plusieurs écrits, doña Emilia se révolte contre « las españoladas » et à titre d’exemple, un personnage de son roman Insolación déclare: « (…) y entre patriotismo y flamenquería, guitarreo y cante jondo, panderetas con madroños colorados y amarillos, y abanicos con las hazañas y los retratos de Frascuelo y Mazzantini, hemos hecho una Españita bufa, de tapiz de Goya o sainete de don Ramón de la Cruz », Insolación, Madrid: Espasa Calpe, 1991, p. 55.)), décrit spécialement pour les lecteurs des Matinées espagnoles en 1886 une session de danse de flamenco lors d’une soirée de femmes du grand monde. Il est fort possible que l’écrivaine galicienne ait assisté pendant ses séjours dans la capitale française à l’une de ces soirées privées qu’elle dépeint dans ce texte : lors d’une réunion d’élégantes femmes étrangères, le maître de maison engage des artistes pour qu’ils représentent un spectacle de flamenco. Cette scène est présentée du point de vue d’un Espagnol appartenant à la haute société, comme le reste des invités. Ce narrateur exprime et partage le regard des spectateurs étrangers, (qui pourraient bien être les lecteurs des Matinées espagnoles), ce que reflète son commentaire à propos du spectacle : «un spectacle étranger à leurs coutumes, quelque peu suspect ». Ensuite ce narrateur s’attache à peindre les artistes, qui sont présentés sous forme de clichés :  « tipos  de  raza  característicos ». Une de chanteuses est une chula madrilène des faubourgs, l’autre  une gitana de Sevilla :

Ce qui est brun chez la chula, est citrin et cuivré chez la gitana ; les yeux de la chula brillent, ceux de la gitana brûlent ; les dents de celle-ci sont de nacre mignonne, chez celle-la ce sont des morceaux de marbre ; la chevelure de la chula est noire, celle de la gitana est bleutée comme l’aîle [sic]du corbeau ; elle se crêpe, elle se révolte à la manière du crin d’un cheval sauvage, sans que le peigne de corne fiché nonchalamment dans la masse des cheveux suffise à l’assujettir.

Quant au jaleador, il est caractérisé par son faciès :

Sa tête elle-même, si elle dénonçait la basse extraction sociale de son maître, intéressait par le côté typique de sa laideur éminemment Espagnole [sic] et narquoise, une face de Lazarillo de Tormes.

Si les personnages sont stéréotypés, il en est de même pour le flamenco, qui est présenté comme le marqueur d’une identité populaire espagnole ou andalouse, et qui reste le produit d’un groupe marginalisé ((Force est de constater que les Cafés Chantants avaient une mauvaise réputation, à cause de leur ambiance.)), « la plainte lasse, rauque, endolorie comme le rugissement d’une bête amoureuse ; du sentimentalisme plébéien » (c’est nous qui soulignons). Partageant toujours la même perception que le public, le narrateur fait des commentaires par rapport au spectacle; ainsi établit-il une corrélation entre la couleur rouge « et certaine poétique et pittoresque barbarie de nos coutumes », ou un « mélange abominable du sacré et du profane ». Une fois fini le spectacle de flamenco, le salon paraît « se transformer et les femmes respirent également, exemptes de toute crainte et assurées de souper délicatement ».

Enfin, Pardo Bazán propose une image standardisée des divertissements espagnols et adopte une attitude hautaine par rapport aux coutumes populaires. Or, paradoxalement, cette vision, que nous venons de voir, est précisément celle que Pardo Bazán reproche aux Français dans son œuvre Al pie de la Torre Eiffel, destinée à un public hispanophone. Dans le livre espagnol, elle condamne l’image que les Français ont des Espagnols lorsqu’ils les  considèrent « feroces, salvajes, bárbaros, bandidos, haraganes, brutos, y por último (…) raspacueros » ((Al pie de la Torre Eiffel (Crónicas de la Exposición), Madrid: La España Editorial, 1889, p. 291.)), en raison de leurs coutumes.

La condition de la femme : « Autour des femmes espagnoles. L’aristocratie »*

* « Autour des femmes espagnoles. L’aristocratie », La nouvelle Revue Internationale, 1er semestre, 1890, p. 437-443, et dans le n° spécial dédié à l’Espagne, 1900 « La dynastie espagnole, la reine régente et les femmes de l’aristocratie », p. 120-130.

L’une des préoccupations bien connue et étudiée par les spécialistes de doña Emilia est la question de la femme. L’étude sur la femme espagnole que Pardo Bazán rédige à la demande de la Fortnightly Review ((Sans avoir l’intention d’être exhaustive, précisons que doña Emilia  prépare cette étude pour The Fortnightly Review de Londres ; peu après elle est publiée par Littell’s Living Age de Boston, qui avoue l’avoir pris de la revue anglaise. Cet essai apparaît aussi en Espagne entre mai et août 1890 dans La España Moderna et des extraits seront également publiés dans La Época. En France, nous trouvons une version complète de l’étude dans Le Correspondant, le 10 octobre 1894, p. 172-173, mais signée par le traducteur Norbert Lallié. Ana M. Freire cite encore une traduction en allemand en 1896 dans Revue des Revues, vid. Ana M. FREIRE, « Las  traducciones de la obra de Emilia Pardo Bazán en vida de la escritora », La Tribuna, Cadernos de Estudos da Casa Museo Emilia Pardo Bazán, n°3, La Corogne: Casa-Museo Emilia Pardo Bazán-Fundación Caixa Galicia 2005, p.25.)) et qui est ensuite publiée dans son pays, est à ce sujet très significative. Un extrait de cet essai est réédité dans la revue de Mme Rattazzi. Dans l’étude complète, divisée en quatre chapitres, doña Emilia présente les traits qui à son avis caractérisent la femme espagnole. Après avoir présenté une vision générale de la condition féminine dans son pays au XIXème siècle, Pardo Bazán fait un portrait de ses compatriotes par rapport aux différentes sphères du monde social ; à savoir, l’aristocratie, les classes moyennes et le peuple. De tous ses commentaires, les plus négatifs sont adressés aux femmes des classes moyennes tandis que les mieux traitées par l’écrivaine sont, sans aucun doute, les aristocrates. Or, ce chapitre est le seul de cette série qu’elle publie dans La Nouvelle Revue Internationale. L’auteur commence par présenter la famille royale. Si toutes les femmes de la dynastie espagnole suscitent son intérêt, sa préférence pour la reine Isabelle II est évidente et elle la propose comme modèle de la femme espagnole :

La reine douanière, plus connue sous le nom d’Isabelle II, a un cachet espagnol incontestable. Gaie et spirituelle, compatissante et railleuse, semant en prodigue les bons mots, affable avec tout le monde, suppléant aux lacunes de sa culture et de son instruction par la vivacité de son esprit, la reine Isabelle (…) est un exemple parfait de l’espagnolisme. Si elle n’est pas la femme Espagnole, par antonomase, elle est ce que Taine appellerait un type représentatif de beaucoup d’Espagnoles [sic] de la génération passée.

Doña Emilia en vient ensuite à défendre la réputation des aristocrates, qui sont considérées comme frivoles, oisives, dépensières et même comme des femmes aux mœurs légères par les membres des autres classes sociales. Elle essaie de prouver que la plupart de ces nobles vivent éloignées du monde et modestement, se consacrant à leur foyer, à l’éducation de leurs enfants et même à des œuvres de charité ; elle n’oublie pas non plus celles qui s’intéressent aux questions littéraires, artistiques ou scientifiques. Pardo Bazán impute aux hommes les mœurs légères de ces femmes, et par ce biais l’écrivaine aborde un des thèmes de son engagement féministe :

En étant frivole, en vivant entre sa couturière et sa coiffeuse, la femme ne fait que demeurer sur le terrain où l’a placée l’homme, et joue son rôle de meuble de luxe. […]
Néanmoins, les femmes de l’aristocratie ne sont pas, aussi généralement qu’on le croit, adonnées au luxe et à la mollesse.

L’éducation que reçoivent les filles de la noblesse est aussi mise en accusation par Pardo Bazán car elle conditionne le comportement des femmes :

L’éducation […] est sans consistance et éclectique. Sans consistance, parce qu’elle ne se base sur aucune étude solide et sincère et ne va pas au-delà de la superficie ; elle est éclectique parceque [sic] les collèges, les institutrices, les professeurs, les bonnes d’enfants, les gouvernantes doivent, d’après les règles de l’élégance, venir d’Allemagne, de France ou d’Angleterre. C’est ainsi que la femme perd chaque jour son caractère national et sa physionomie.

Enfin, leur physique ne correspond plus au type national, à cause de divers changements intervenus dans la vie sociale, notamment la mode. Plus européennes, leur « système nerveux s’affine, de telle sorte qu’elle ne peu[ven]t plus supporter les drames tristes, [qu’elles] ne peu[ven]t plus résister aux émotions tauromachiques (…)».

Bien que cet article aborde la place de la femme dans la société espagnole, en présentant uniquement la femme de l’aristocratie, dont les habitudes ressemblent à celles des lectrices de la Nouvelle Revue Internationale, Pardo Bazán restreint la valeur documentaire que comporte son étude complète, où elle retrace la physionomie de la femme espagnole sous ses aspects les plus curieux, les plus originaux, mais elle exprime surtout la partialité de ses jugements.

Conjoncture politique : « La guerre »*, « La dynastie espagnole et la Reine Régente »**

* « La guerre », Nouvelle Revue Internationale, n°2, 1er. août 1898, p. 81-84

** « La dynastie espagnole et la Reine régente », Nouvelle Revue Internationale, n°3 et 4, 15 août -1er. septembre 1898, p. 161-164 ; et dans le n° spécial dédié à l’Espagne, 1900 « La dynastie espagnole, la reine régente et les femmes de l’aristocratie », p. 120-130.

Pour transmettre au lectorat européen ses réflexions sur la conjoncture politique de l’Espagne à la fin du siècle, Pardo Bazán choisit deux thèmes très significatifs : la guerre coloniale de 1898, et le rôle que joue la Reine Régente.

En ce qui concerne la « guerre », elle n’écrit pas spécialement un article pour La Nouvelle Revue Internationale, mais elle en publie un qui est destiné à la presse américaine. Ce qui explique la « courtoisie » et la modération dans ses jugements, par rapport aux idées exprimées dans les chroniques parues dans la presse espagnole. Bien qu’elle exprime grosso modo les mêmes idées dans les pages de la presse étrangère et espagnole, dans cette dernière, les appréciations envers les États Unis, le gouvernement et le peuple espagnol s’avèrent plus sévères. La seule opinion qui reste inchangée est le fait que les Espagnols ont combattu pour l’idée abstraite de l’honneur et pour rendre hommage au drapeau « jaune et rouge ». Plus intéressantes pour nous sont ses réflexions sur la conduite tenue par les deux parties belligérantes.

Pour ce qui est des Nord-américains, doña Emilia affirme dans La Nouvelle Revue Internationale qu’ils ont agi « par intérêt et cupidité à peine déguisés [sic] »; tandis que dans la presse espagnole, elle les traite de bandits, de voleurs :

Los Estados Unidos proceden en esta ocasión como el bandido que despoja al viajero indefenso, cosa que nadie ignora, y se me figura que nadie seriamente discute (...) Proceden como ladrones y ladrones cobardes, que no gustan de exponer el pellejo sino sobre seguro ((« La vida contemporánea. Las Cortes », La Ilustración artística, Barcelone, 2, mai 1898, p. 282.)).

Pour garantir leurs intérêts, les Nord-américains se sont servis d’un type de presse qu’elle nomme « la presse jaune » et qu’elle accuse d’avoir mis le feu aux poudres et d’être la cause indirecte de la guerre. Or, si pour ses lecteurs étrangers elle a qualifié cette même presse « d’atroce et ignoble », pour les Espagnols, elle la traite d’ « energúmena » et l’accuse d’avoir diffusé intentionnellement une image faussée de l’Espagne en réveillant le fantôme de l’Inquisition :

de traidor, atormentador, follón y malandrín, opresor de andantes doncelas, dinamitero y verdugo (…) ya no fue la España gitana o flamenca que se hace rajas bailando y meneando las castañetas (...) sino que volvió a ser el tétrico inquisidor ((« La vida contemporánea. La novela amarilla », La Ilustración artística, Barcelone, 8, août 1898, p.506.)).

Ses observations en ce qui concerne le gouvernement espagnol sont de la même teneur. Dans la publication française, doña  Emilia ne met  en avant que sa faiblesse, laquelle « ne saurait être égalée  que par  son ineptie »;  en revanche,  dans la presse de  son  pays,  elle l’accuse d’agir pour satisfaire uniquement ses ambitions personnelles et faire de l’Espagne une victime de sa convoitise en dénonçant :

la ciega imprevisión y concupiscencia de unos gobernantes que, desde hace muchísimo tiempo, sólo vienen preocupándose de ganar las elecciones, colocar a sus paniagrados, de la política interior (…) ((« La vida contemporánea. Elegía », La Ilustración artística, Barcelone, 16, mai 1898, p.314.))

Pour ce qui est de l’attitude du peuple espagnol, ses remarques parues dans la presse nationale et dans la presse étrangère sont diamétralement opposées. De fait, dans l’article commenté, doña Emilia fait l’éloge du comportement du peuple, en soulignant qu’il a été « très digne, très noble et très honorable » ; pourtant, dans les pages écrites pour l’Espagne, elle dénonce continuellement, tout au long de sa longue carrière d’écrivaine, l’indifférence populaire, son insensibilité face à la débâcle. Elle se souvient fréquemment de ses propres souffrances au moment de ces événements et raconte en maintes occasions une anecdote survenue le jour de la perte des colonies d’Outremer. Un invité, remarquant sa douleur, lui avait demandé si quelqu’un de sa famille était mort et lorsqu’elle lui répondit que sa perte était celle de tous, elle se rendit compte que personne n’avait compris sa réponse ((« Rompamos una lanza », ABC, Madrid, 4, décembre 1919.)).

En réalité, ce sont cette douleur face à la situation de son pays, son sincère patriotisme et un sentiment profond de dignité qui l’incitent à écrire avec modération dans la presse étrangère et plus âprement dans la presse de son pays, qui la poussent à dénoncer ce qu’elle a appelé los errores comunes. Des erreurs qui, quand elle s’adresse à son lectorat espagnol, concernent d’autres questions comme l’éducation et la culture, l’oligarchie et le caciquisme, l’industrie et le commerce, la délinquance et la mendicité, le séparatisme et le régionalisme… Et ces mêmes sentiments l’amènent également à jeter un regard sur le passé épique – héroïque– de l’Espagne à travers les personnages du Cid et de Charles Quint.

Par ailleurs, un des aspects qui structurent la pensée politique de Pardo Bazán est la mission de la monarchie. Si, dans l’article traitant de la femme espagnole, elle mettait l’accent sur les qualités de la reine Isabelle II, elle fait maintenant l’éloge de la Reine Régente Marie- Christine de Habsbourg. Face à l’amoindrissement du prestige de la couronne à cause de la défaite de la guerre coloniale de 1898, doña Emilia évoque la popularité dont jouissait la dynastie espagnole une décennie auparavant :

La date d’inauguration de la première Exposition universelle espagnole (1888),  à Barcelone, marque l’apogée de la popularité de la dynastie représentée par la Reine régente et le petit Roi. La Reine gardera de cette époque des riants souvenirs. Sa santé s’était rétablie, et l’atmosphère sympathique qui l’entourait faisait ressortir sa beauté. Elle allait, son enfant dans ses bras, au milieu d’un chœur de louanges et de bénédictions. Attendris par le malheur, peins de respect devant le chaste veuvage et la beauté de la Reine, ses sujets s’étaient mis à l’aimer. On l’acclamait dans la rue, et j’ai vu des femmes attendre des heures entières, bravant la pluie et le soleil, pour la voir passer, entourée de sa jeune famille, de charmantes petites princesses Mercedès et Maria Téresa [sic], et s’extasier sur leur gentillesse ((« La dynastie espagnole et la Reine régente », Nouvelle Revue Internationale, n°3 et 4, 15 août -1er septembre 1898, p. 162.)).

L’écrivaine met en lumière les difficultés que la souveraine a dû surmonter après la mort de son époux, le roi Alphonse XII : « Remarquons qu’elle ne pouvait pas connaître à fond ni l’Espagne, ni la politique ; qu’elle n’avait été qu’épouse et mère, et peut-être elle ignorait jusqu’aux finesses de la langue espagnole (qu’elle parle à présent très correctement et avec beaucoup d’esprit) ». En ce sens, elle souligne la capacité de Marie-Christine de Habsbourg à s’adapter au rôle que la Constitution lui avait assigné et au « turno » des partis conservateur et libéral. C’est pourquoi elle accuse le gouvernement de se décharger de ses erreurs sur la monarchie et « trouve injuste d’attribuer à une reine constitutionnelle, qui règne sans gouverner, la pente fatale des affaires publiques » ((Pardo Bazán avait déjà dénoncé en 1893 les conséquences négatives que subissait la monarchie à cause des erreurs du gouvernement : « Cargas, sobrado pesadas para que nadie las acepte íntegras, (...) que acaban por recaer sobre lo más alto, donde más dañan, donde nunca recaer debieran », « Despedida », Nuevo Teatro Crítico, n° 30, Decembre, 1893, p. 307.)). Elle reproche également aux Espagnols leur manque d’équité vis-à-vis de la reine : « Autrefois, les qualités de personnelles de la Reine, ou plutôt ses vertus, semblaient forts efficaces pour la prospérité nationale, ce qui était enfantin ; aujourd’hui nous chargerions la Reine du poids de nos fautes, de nos négligences, de nos erreurs. Ni l’un ni l’autre! » ((« La dynastie espagnole et la Reine régente », Nouvelle Revue Internationale, n°3 et 4, 15 août -1er septembre 1898, p. 163.))

Pour Pardo Bazán donc, le poids de la crise que traverse l’Espagne ne doit pas retomber sur la Reine Régente, mais sur tous; c’est pour cette raison qu’elle termine son article par un message d’espoir :

Il faut attendre, sans beaucoup d’illusions, et souhaiter que le règne effectif d’Alphonse XIII, à sa majorité, s’ouvre sur des perspectives moins sombres, avec des lueurs d’espoir… Et que tout Espagnol se le répète : le relèvement de la patrie est l’œuvre de tous.

Dans la presse espagnole, Pardo Bazán ne fait pas un éloge aussi appuyé de la reine régente que dans la presse française. En effet, pour les lecteurs espagnols, ses appréciations sur la souveraine sont plutôt succinctes ((Il convient de noter que dans la presse latino-américaine, notamment dans La Nación de Buenos Aires, les commentaires de doña Emilia sur la reine régente sont plus prolixes. Ainsi, à titre d’exemple, on peut citer la description des activités charitables de la souveraine (« Crónica. Los bailes de beneficencia. Las iniciativas de la Reina Regente », La Nación, 14 mars 1909, in La obra periodística completa en La Nación de Buenos Aires (1879-1921) éd. Juliana Sinovas Maté, La Corogne, Diputación Provincial, 1999, vol.I, p. 232-237 ). Lorsqu’elle informe les lecteurs argentins sur le monument que la ville de San Sebastián dédie à cette reine en 1913, elle insiste sur la modestie et simplicité de celle-ci ainsi que sur sa vie de recueillement, retirée des fêtes mondaines (« Crónicas de España. El monumento a la reina María Cristina », La Nación, 3 novembre 1913, in La obra periodística completa en La Nación de Buenos Aires (1879-1921) ... vol.II, p. 835-840 ).)). Elle ne remarque que sa présence dans des actes charitables ou son discours au parlement lors de la déclaration de la guerre « con voz débil y dolorida » ((« La vida contemporánea. Las cortes », La Ilustración Artística, n° 853, 2 mai 1898, p. 282.)). En 1915, elle dépeint brièvement le caractère de cette souveraine dans une chronique où elle nie les hypothétiques dissensions entre celle-ci et sa belle fille, la reine Victoria Eugenia de Battenberg à cause de la Guerre mondiale : « Habría que no conocer a la dulce reina joven, a la prudente Reina madre para suponer que existiesen esas rencillas y esas violentas predilecciones hacia un país u otro. Novela, y novela tosca, a lo Fernández y González. » ((« La vida contemporánea », La Ilustración Artística, n° 1738, 19 avril 1915, p. 270.)).

Grâce à ses propres témoignages, on sait qu’Emilia Pardo Bazán est reçue par la reine dans son palais un ou deux fois par an ((« Mi relación con las Reales personas se ha limitado a respetuosas peticiones de audiencia, una o dos veces  al año por lo mismo que no tengo nada de palatina (...) » (Ibidem). Dans ces mêmes termes, mais un peu plus explicite, informe les lecteurs argentins: «Nunca fui elemento palatino, y mi relación con los reyes se ha limitado siempre a una respetuosa petición de audiencia, para saludarles una vez al año o para agradecerles las bondades que conmigo tenían. »(« Crónica de Madrid », La Nación, 27 mai 1915, in La obra periodística completa en La Nación de Buenos Aires (1879-1921) ... vol.II, p. 1006-1007).)). À ce sujet, María del Carmen Simon Palmer a publié une lettre privée de Pardo Bazán à la souveraine ((Vid. María del Carmen SIMÓN PALMER, « Carta inédita de Emilia Pardo Bazán a María Cristina de Habsburgo (1894) », Grial. Revista Galega de Cultura, n° 137, 1998, p. 133-136.)), dans laquelle l’écrivaine s’explique à propos d’un malentendu né dans l’antichambre du palais lors d’une de ses audiences et qui pouvait affecter les relations entre ces deux femmes. Accusée d’avoir prononcé des paroles irrespectueuses envers la Régente, elle éclaircit la situation, faisant un parallélisme entre celle-ci et la reine Victoria d’Angleterre. La note dominante de cette lettre est un vif éloge de la souveraine espagnole, semblable à celui qu’elle fera quelques années plus tard dans la presse française et elle déclare : « Este convencimiento nos inducía a estimar más aún los resultados por V. M. y á ensalzar el pulso de esa mano tan delicada, blanca y pequeña, que llevaba las duras riendas del Estado. » ((Ibidem., p. 136.))

Bilan du mouvement littéraire en Espagne : « L’Espagne nouvelle. Le mouvement littéraire »*

* « L’Espagne nouvelle. Le mouvement littéraire », Nouvelle Revue Internationale, juillet, 1900, p. 32-42.

L’une des activités qui retient l’attention de Pardo Bazán est la critique littéraire. Ainsi en 1900, pour les lecteurs de La Nouvelle Revue Internationale elle porte un jugement d’ensemble sur le climat littéraire de l’Espagne de fin de siècle où elle reprend les mêmes idées qu’elle avait déjà exprimées en 1895 dans La Revue de Paris. Dès les premières lignes, elle rend compte de la situation que vivent les trois genres littéraires : à savoir, la décadence du roman, la reprise du théâtre et un pénible maintien de la poésie lyrique. Dans cette étude, doña Emilia, analyse également les nouvelles tendances et les générations d’écrivains en même temps qu’elle évoque avec nostalgie la littérature de sa jeunesse.

Dans un premier temps, l’écrivaine galicienne s’occupe de la poésie lyrique, de ses auteurs et de ses tendances. Elle commence par regarder le passé le plus récent en s’attachant à José Zorrilla. Admiratrice du poète romantique, Pardo Bazán remarque le déclin du genre après sa mort. En le comparant à Victor Hugo, elle le considère comme le paradigme « de l’âme espagnole ». Ensuite elle fait de brefs commentaires sur ses contemporains, ses successeurs et la renaissance de la poésie régionale. Quant aux tendances qui prédominent dans la poésie de fin de siècle, doña Emilia observe un retour à la tradition espagnole et met en relief l’absence d’auteurs décadents et symbolistes en Espagne. Peu favorable à la nouvelle orientation poétique française, l’écrivaine naturaliste synthétise ainsi ses réticences face aux nouveaux courants : « Chez nous un Baudelaire serait un objet d’épouvante et de dégoût ; chez nous, dans la patrie de (…) saint Jean de la Croix, le mysticisme d’un Verlaine paraîtrait suspect ».

Dans un deuxième temps, c’est le roman qui retient son attention. En suivant le même schéma que pour la poésie, doña Emilia évoque le passé immédiat à travers les romanciers les plus connus d’Espagne. Néanmoins, le plus fourni de ses commentaires concerne la décadence du genre qui touche aussi bien l’Espagne que le reste de l’Europe. Dominée par un sentiment de mélancolie, elle regrette le manque d’intérêt des Espagnols pour la lecture de chefs-d’œuvre. Ainsi, sans défendre le roman à thèse, l’écrivaine galicienne reconnaît le rôle important qu’aurait pu jouer la prose espagnole après la crise de la fin du siècle, si ses compatriotes avaient lu.

La conséquence immédiate de la crise que traverse le roman est la renaissance du théâtre. Doña Emilia remarque la tendance chez les romanciers « à se tourner vers le théâtre », en offrant comme exemple Galdós. Ensuite, Pardo Bazán commente l’œuvre des principaux dramaturges. Le succès de ce genre littéraire en Espagne est dû, pour l’écrivaine, au caractère social inhérent au spectacle : « L‘Espagnol se décide difficilement à lire un livre, mais il ne cache pas sa prédilection pour le théâtre, où il s’amuse, et en  même temps voit du monde  (…) »

Finalement, dans cet article où Pardo Bazán dépeint le climat littéraire de l’Espagne de fin de siècle, sont perceptibles les mêmes préoccupations et la même orientation que dans la critique destinée à la presse espagnole ; mais dans cette dernière, nous retrouvons ses idées fragmentées à travers les études individuelles des auteurs ou des tendances littéraires.

En conclusion, dans la Nouvelle Revue Internationale, Pardo Bazán aborde un large éventail de thèmes autour de l’Espagne, de la légende dorée jusqu’aux mouvements littéraires, sans oublier les mœurs, les problèmes politiques ou sociaux, ce qui nous permet de cerner l’image qu’elle veut donner de son pays aux lecteurs de cette revue.

A la lumière des textes que nous venons de commenter, on peut conclure dans un premier temps que doña Emilia offre une vision stéréotypée de son pays lorsqu’elle dépeint l’essence du caractère espagnol ou les coutumes populaires, comme nous l’avons vu dans le conte « Un petit-fils du Cid », ou dans le tableau du spectacle de flamenco. En même temps, par la sélection qu’elle opère, elle s’attache à donner avant tout une image de l’aristocratie et à fuir et repousser ce qui est populaire ou vulgaire. Par ailleurs, l’absence de la classe moyenne, difficile à expliquer pour un auteur qui défend le réalisme, me semble très significative, dans la mesure où cela implique une affirmation du pittoresque. Enfin, conditionnée par la nature de la revue, doña Emilia donne à ses lecteurs l’image qu’ils attendent de l’Espagne : celle des voyageurs français.

Or, force est de constater que, c’est avant tout son sincère et ardent patriotisme qui guide ses commentaires à l’égard de son pays. C’est ce sentiment qui la pousse à défendre l’Espagne des visions agressives et standardisées de certains étrangers, mais qui l’incite également à dénoncer les maux de la patrie auprès des lecteurs espagnols ((Ce patriotisme transparaît également dans cette déclaration: «Obligada estoy a decir la verdad, y conozco que  al decirla tal vez no logre sino crearme enemigos. El concepto vulgar pero general del patriotismo es que lo español debe alabarse incondicionalmente y que no necesitamos ni estudiar, ni aprender, ni variar, ni dar un paso hacia adelante. ». (Cuarenta días en la Exposición, Madrid : Sociedad Editora Anónima, [1901], p.68).)). Il s’agit d’une critique constructive dans le cadre d’un projet de régénération de la culture espagnole. D’ailleurs, quelques années plus tard Pardo Bazán écrira dans la presse espagnole:

(...) España es como las sirenas : el que las oye y se les aproxima, no puede ya romper la fascinación. Necesitamos todo lo que se ha producido en el vasto jardín del mundo : nos seduce hasta lo exótico; pero nuestra médula propia es la más fortificante (...) ((« Medio libro », ABC, le 30 novembre 1919 ; également in Marisa SOTELO VÁZQUEZ, (éd.) Emilia Pardo Bazán, « Un poco de crítica ». Artículos en el ABC de Madrid (1918-1921), Alicante: Publicaciones de la Universidad de Alicante, p.129.)).

Notes

 

Pour citer cette ressource :

Emilia Pérez Romero, L’Espagne dans les articles d’Emilia Pardo Bazán pour la Nouvelle Revue Internationale, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), février 2010. Consulté le 03/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/civilisation/histoire-espagnole/perception-de-lespagne-et-de-lespagnol/l-espagne-dans-les-articles-d-emilia-pardo-bazan-pour-la-nouvelle-revue-internationale