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Au Pays des Merveilles : Science et contes de fées

Par Laurence Talairach-Vielmas : Professeur - Université Toulouse2 - Le Mirail
Publié par Clifford Armion le 08/07/2009

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Un article sur les ouvrages de vulgarisation scientifique victoriens pour enfants.

"Convenez qu'il n'y a pas de contes de fées qui soient plus merveilleux que l'histoire de cette tartine de confiture qui devient petite fille, de cette pâtée qui devient chat, de cette herbe qui devient bœuf."
(Macé, 1867, 8) 

"La science et l'imagination, la science et les fées, ne sont donc pas incompatibles."
(Hetzel, 1865, in Raichvarg, Lagros, 1989, 90)

1. Fées et science à l'époque victorienne

Lorsqu'en 1851 la Reine Victoria - surnommée 'The Faery' par son ministre Disraeli (Lambourne, 1997, 53) - fit quelques pas sous la cloche de verre du Crystal Palace, le bâtiment aux armatures d'acier presque invisibles, inspirées par les feuilles de nénuphar (Darby, 2002, 271), lui semble un véritable 'Pays des Merveilles' [had quite the effect of fairyland', in Gere, 1997, 64]. Faisant fusionner nature et technologie, le Palais de fer et de verre accueille d'ailleurs le visiteur avec un gigantesque tableau animé par des fées, qui illustre avec fierté les thèmes du progrès et la richesse de la nation (Lambourne, 1997, 51-2). Ce monde féerique, loin des fumées toxiques et du bruit assourdissant des usines de la capitale, fait donc étrangement l'éloge de la science, exhibant les dernières inventions technologiques et les objets issus de la reproduction industrielle. L'Exposition Universelle marque, en effet, dès 1851, une ère nouvelle où la science s'expose, se commercialise et fait sensation. Car dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, la révolution industrielle se double d'une révolution scientifique. La magie du merveilleux et du conte de fées servent alors à mettre en scène cette science 'commerciale' ou 'sensationnelle' [Bernard Lightman parle de 'sensational science' (2007, viii) ; Commercial science' est un terme de James Secord qui cherche à montrer à quel point la science de la période se met en scène en utilisant les procédés d'exposition en vogue (2000, 437)] qui attire tous les regards. A l'heure où la science se professionnalise, on la vulgarise à tout va, la transformant en nouveau produit de consommation qui promet de révéler les secrets du monde. Le merveilleux exposé à Hyde Park en 1851 est donc trouble et troublant ; derrière ses vitrines qui brillent de mille feux, le temple de l'industrie et du savoir fait fusionner diverses formes du merveilleux, antinomiques mais pourtant complémentaires, que l'on retrouve tout au long du siècle : le merveilleux de la science se confronte à celui du conte de fées.

Dans leur ouvrage sur la vulgarisation des sciences, Savants et Ignorants : Une histoire de la vulgarisation des sciences, Daniel Raichvarg et Jean Jacques, soulignant l'hésitation de la science 'entre la communication et le secret' (1991, 8), expliquent la naissance de la vulgarisation au moment où les publications scientifiques, notamment au dix-septième siècle, se complexifient, creusant le fossé entre peuple et savants. La montée en puissance du monde technologique et scientifique au dix-neuvième siècle va de pair avec une professionnalisation et une spécialisation grandissante du monde scientifique. Ainsi, la science se fait de plus en plus absconse pour ceux et celles qui ne savent pas la décoder. La vulgarisation, en s'opposant en partie à l'enseignement, attire alors les foules. Les formes de vulgarisation scientifique se multiplient, passant de la leçon à la parabole, du conte à la pièce de théâtre à la fin du siècle, allant toujours plus loin pour attirer l'attention des lecteurs et faire rimer éducation avec divertissement. Pourtant, l'histoire de la vulgarisation est loin d'être le récit d'une simplification - ou distorsion - de phénomènes scientifiques. Au contraire, la vulgarisation retrace et rassemble nombre de formes alternatives de médiation du savoir scientifique qu'il est parfois difficile de distinguer clairement de la science telle que les professionnels la conçoivent et la définissent.

Le conte de fées scientifique est un exemple particulièrement significatif des nouvelles formes de vulgarisation scientifique dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, et ce, particulièrement en Angleterre. Il semblerait, en effet, que les débats concernant le mariage de la science et du merveilleux aient été différents en France et en Angleterre. Contrairement à l'Angleterre, où le merveilleux, comme nous le verrons, fait partie du discours scientifique, supplantant les failles de ce dernier, tout en attirant les lecteurs vers des mondes sensationnels, en France le débat bat son plein entre sciences et merveilles tout au long de la deuxième moitié du siècle. Deux merveilleux s'opposent, 'le merveilleux des fées et le merveilleux de la science, le merveilleux de Macé contre celui de Figuier' (Raichvarg, Jacques, 1991, 169). Pour Jules Hetzel, qui lance avec Jean Macé en 1864 la revue pour les jeunes, Le Magasin d'éducation et de récréation, il faut 'donner droit de science à la féerie et droit de féerie à la science' ; Figuier, quant à lui opterait plutôt pour 'jeter les contes de Perrault au feu' (in Raichvarg, Jacques, 1991, 33). Si l'on retrouve des procédés de mise en récit identiques dans les contes scientifiques français et anglais, le sens et les fonctions du merveilleux sont cependant le plus souvent distincts. Des ouvrages, tels que les Aventures des os d'un géant, histoire familière du globe terrestre avant les hommes, de Samuel-Henry Berthoud (1863), l'Histoire d'une bouchée de pain (1861) de Jean Macé, Les Métamorphoses d'une goutte d'eau (1865) de Zulma Carraud, Les Mémoires d'un chêne (1886) d'Arthur Mangin, ou plus tard les Excursions du Petit Poucet dans le corps humain et dans les animaux : physiologie, hygiène, médecine et chirurgie usuelles (1928) d'Augustin Galopin, se servent du merveilleux pour camoufler la leçon de science, comparant le corps à une 'machine enchantée' ou une 'habitation magique' (Macé, 1867, 9, 89) et les fossiles à des os de géant. Or, comme le notent Daniel Raichvarg et Denis Lagros, ['l]a puissance fictionnelle de la science proposée dans ces récits, une science figée sur de simples objets, reste insuffisante pour rapprocher la fiction et le discours scientifique [...]' (Raichvarg, Lagros, 1989, 89 ; Raichvarg et Lagros analysent les trois contes scientifiques suivants : les Aventures des os d'un géant, histoire familière du globe terrestre avant les hommes, de Samuel-Henry Berthoud (Paris : Librairie Parisienne, 1863), Les Métamorphoses d'une goutte d'eau (Paris : Hachette, 1865) de Zulma Carraud, et Les Mémoires d'un chêne (Paris : Delagrave, 1886) d'Arthur Mangin.]. En France, la 'conception de la science comme féerie et merveille' (Le Men, 1989, 77) semble vite limitée à deux modes qui coexistent dans le texte sans jamais véritablement interagir l'un avec l'autre : même si les phénomènes naturels sont comparés au merveilleux, le conte s'efface vite ou reste à la marge du récit scientifique. La science se veut, bien sûr, divertissante, le conte représentant cette nouvelle conception de la pédagogie amusante ; mais l'appel au conte est loin d'avoir les fonctions que certains vulgarisateurs victoriens lui attribuent. Les fées, tout particulièrement, qui viennent habiter les contes scientifiques, proposent un nouveau regard sur le monde, tel que la science le découpe dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle.

Ce phénomène s'explique sans doute si l'on retrace l'histoire des fées en Grande-Bretagne, restées enfermées dans leurs grottes et leurs forêts au cours de longs siècles de puritanisme. Or, dès le début de l'époque romantique, les fées sortent de leurs cachettes (même si les fées habitent depuis plusieurs siècles les œuvres de William Shakespeare, Herbert Spenser ou Geoffrey Chaucer), pour s'imposer, d'une façon bien plus marquée qu'en France, dans les domaines artistiques et littéraires - de même que dans les domaines scientifiques. Si elles servent fréquemment à panser les plaies d'une société par trop matérialiste, en proposant des voyages au cœur de mondes où la nature règne en maîtresse, les fées ont également bien d'autres fonctions. Dans l'art victorien, notamment entre 1840 et 1870, les fées de John Anster Fizgerald (1832-1906), qui jouent avec (ou torturent parfois) les animaux, s'abritant sous des feuilles ou des champignons, comme celles de Richard Doyle (1824-1883), à dos de papillons, crapauds ou sauterelles, celles d'Arthur Rackham (1867-1939), créatures frêles et éthérées souvent associées aux fleurs et aux oiseaux, de Richard Dadd (1819-1866), Robert Huskinsson (1819-1861), Joseph Noel Paton (1821-1901), ou encore de Daniel Maclise (1806-1870) témoignent de l'engouement pour les mondes imaginaires que les fées représentent (Wood, 2000). On les retrouve d'ailleurs aussi sur les tapisseries dans les chambres d'enfants ou sur les publicités, vantant les mérites d'un dentifrice, telle la fée qui prépare le dentifrice Floriline dans un chaudron perdu en pleine nature (Loeb, 1994). Dans la littérature, elles foisonnent, le conte de fées renaissant après de longs siècles d'un sommeil profond et venant métamorphoser la littérature de jeunesse en remplaçant les récits didactiques et moralisateurs.

Mais il semblerait, en outre, que la résurgence des fées dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle soit surtout liée à l'avènement des théories darwiniennes. La crise religieuse qui marque l'Angleterre victorienne après la publication de l'Origine des espèces en 1859 pousse les Victoriens vers d'autres mondes imaginaires ou spirituels - les tableaux de Fitzgerald, qui explorent tout un univers onirique, s'imposant comme des exemples caractéristiques de ce phénomène. Les fées permettent de contrer le rationalisme de l'époque, où la science cherche à tout comprendre et tout expliquer. Cependant, les créatures qui échappent à l'œil de l'homme se retrouvent vite prises dans les griffes des scientifiques. Les phénomènes naturels que l'on pense prouver l'existence des fées, tels les 'fairy rings', cercles que l'on repère et observe dans la nature, sont analysés par les scientifiques, qui les attribuent à des champignons, tout comme les flèches et tessons en silex ou les pipes, autant d'outils que l'on pense appartenir au petit peuple et qui ne sont, finalement, rien de plus que des restes fabriqués par la main de l'homme, retrouvés près des sites préhistoriques. De même, les enfants des fées, ou 'changelings' (des individus atteints de progéria), tombent sous la juridiction des professionnels de la médecine, qui voient en eux des malades mentaux ; les gnomes, des exemples de nanisme (Silver, 1999, 36).

Dans le même temps, les théories de l'évolution sont appliquées au folklore. La création de la Folklore Society en 1878 témoigne de l'intérêt pour ces créatures invisibles qu'anthropologues et folkloristes, parmi lesquels Sabine Baring-Gould, Andrew Lang, Joseph Jacobs, et Sir John Rhys, cherchent à définir. Le petit peuple se voit alors placé tout en bas de l'échelle de l'évolution, une société primitive que la découverte des pygmées africains dans les années 1870 paraît venir confirmer. Sir Edward Burnet Tylor, dans Primitive Culture (1871), lit les fées comme des créatures moins évoluées que l'homme, Canon J. A. MacCulloch, dans The Childhood of Fiction (1905), réévalue les rois et princesses endormies des contes de fées à la lumière des organisations tribales et des rites en vigueur, tandis que George Laurence Gomme, dans English Traditional Lore (1885), et David MacRitchie, dans The Testimony of Tradition (1890) et Fians, Fairies and Picts (1895) développent les parallèles entre fées et pygmées (Silver, 1999, 45-8). Les compilations de contes de fées d'Andrew Lang (The Blue Fairy Book, The Green Fairy Book, The Red Fairy Book, The Yellow Fairy Book et autres recueils publiés entre 1889 et 1910) alignent fées, femmes et enfants au bout de la chaîne de l'évolution (Silver, 1999, 5). Les fées reflètent alors les peurs qui touchent aux questions de race ou de classe sociale, le mystère des origines hantant nombre de Victoriens. Plus tard, à la fin du siècle, Darwin est réinterprété pour redéfinir les fées comme des formes de vie invisibles qui se seraient développées sur une branche de l'arbre de l'évolution différente de celle de l'homme, ayant évolué à partir de végétaux. Elles sont alors perçues comme des organismes naturels qui échappent au spectre chromatique de la vision humaine, comme le pense Sir Arthur Conan Doyle, qui défend les photographies des fées de Cottingley en 1917 (Silver, 1999, 54). C'est alors que les fées s'invitent aux séances de spiritisme, dès la fondation de la Society for Psychical Research en 1882. Seuls les êtres humains les plus sensibles - les clairvoyants et les médiums - sont capables d'apercevoir ces esprits d'un autre monde dont la science, croient-ils, percera un jour les mystères. Les phénomènes surnaturels et paranormaux se servent ainsi des théories de l'évolution pour justifier la présence de créatures invisibles à l'homme - le surnaturel n'étant qu'une part de la nature non encore élucidée par la science. Ainsi, science et merveilleux ne font qu'un.

2. John Cargill Brough et The Fairy Tales of Science (1859)

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DOC. 1. Charles H. Bennett, 'The Age of Monsters'. In John Cargill Brough, The Fairy Tales of Science: A Book for Youth. London: Griffith and Farran, 1859.

Il est bien évident que, comme pour les contes scientifiques publiés en France dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, les contes de fées scientifiques britanniques emploient le merveilleux et les créatures féeriques afin d''habiller' les phénomènes scientifiques de parures attrayantes. Dans la préface de ses Fairy Tales of Science (1859), John Cargill Brough explique comment le conte de fées permet de remplacer les termes trop techniques, rendant ainsi la leçon bien plus divertissante : 'To adapt the work to the capacity of all, I have endeavoured to divest the different subjects treated in it of hard and dry technicalities, and to clothe them in the more attractive garb of fairy talesa task by no means easy' (1859, iii). Si la tâche paraît difficile, dans son premier chapitre, sur les dinosaures, Brough transforme ces derniers en dragons et griffons affamés qui terrorisent le pays, rois, princesses et preux chevaliers des contes de fées et des romances médiévales servant de victimes ou d'adversaires à ces terribles créatures :

Once upon a timeif we are to believe our Fairybooksa terrible race of monsters devastated this fair earth. Dragons and Griffins roamed at large, and a passing visit from one of these rapacious creatures was held the greatest calamity that could befall a nation. All the King's horses and all the King's men were powerless in the presence of such a foe, and the bravest monarch stooped to purchase his own safety with the most humiliating concessions. The dragon was allowed to run riot over the face of the country; to devour the flocks and herds at his pleasure; and when sheep and oxen ceased to gratify him, scores of beautiful damsels were sacrificed to allay the cravings of his ravenous appetite.
Sometimes the fastidious monster would go so far as to order a princess for dinner, but he generally had to pay dearly for his audacity. When the monarch had exhausted his stock of prayers, and the poor little maiden had almost cried out her eyes, some valiant knight-errant was certain to come forward and challenge the dragon to meet him in the field. A terrific encounter then took place, and strange to say, the knight invariably proved himself to be more than a match for the destroyer who had hitherto kept whole armies at bay. (1859, 1-2)

Très vite, Brough replace les monstres fabuleux dans un contexte historique. Mais la pirouette ne sert qu'à mieux inscrire les créatures dans un présent où la science rivalise avec et dépasse le merveilleux, proposant de faire la lumière sur des dragons tout autant redoutables, si ce n'est plus, que les créatures mythologiques qui habitent contes et romances :

We have said that these monsters belonged to that mythical age known as 'once upon a time'; unfortunately we can find no trace of them in authentic history, and we are compelled to admit that they had their origin in the fanciful brains of those old story-tellers whose wondrous legends we delight to linger over.
In more credulous times, however, these monsters of enchantment were religiously believed in, and no one doubted that they had their lairs in the dark and impenetrable forests, in the desolate mountain passes, and in those vast and gloomy caverns which are even now regarded with superstitious dread by the ignorant.
At length the lamp of science was kindled, and its beneficent rays penetrated the darkest recesses of the earth; roads were cut through the tangled woods, busy factories sprang up the lonely glens, and curious man even ventured to pry into the secrets of those terrible caves. The monsters of romance were nowhere to be found. Triumphant science had banished them from the realms of fact, with the same pitiless severity that the uncompromising St. Patrick had previously displayed towards the poisonous reptiles of Ireland. ...
Fortunately truth is stranger than fiction; the revelations of modern science transcend the wildest dreams of the old poets, and in exchange for a few shadowy griffins and dragons, we are presented with a whole host of monsters, real and tangible monsters too, which in the early days of the world's history were the monarchs of all they surveyed ... (1859, 2-4)

Brough souligne ici l'impact de la révolution industrielle sur l'essor de la paléontologie dès les premières décennies du dix-neuvième siècle. Les travaux liés au développement du chemin de fer, tout comme à ceux de l'industrie minière, permettent de révéler de nouveaux mondes perdus. Nombre d'ossements surgissent de terre, faisant remonter des profondeurs terrestres tout un passé disparu. Les géologues et paléontologues de l'époque, William Buckland (1784-1856), connu notamment pour ses recherches dans les grottes auxquelles il est ici fait allusion, William Conybeare (1787-1857) et Henry De La Beche (1796-1855), qui travaillèrent ensemble sur le Plésiosaure, le médecin Gideon Mantell (1790-1852), qui trouva la première dent d'Iguanodon en 1821, ou le célèbre anatomiste Sir Richard Owen, qui analysa et reconstitua nombre de fossiles, redonnent forme à ces créatures de cauchemar de taille gigantesque qui seront bientôt exposées dans les muséums d'histoire naturelle. Ayant attiré l'attention de ses lecteurs au moyen du conte, Brough opte alors pour le voyage imaginaire, entraînant ses lecteurs avec lui sur les traces des dinosaures. Il s'agit d'écouter ces cris étranges, d'observer la silhouette monstrueuse qui se découpe des buissons, d'imaginer la créature au corps de poisson, au cou de serpent et à la queue de lézard :

Look at the terrible form which has just emerged from the thicket. It rushes towards us, trampling down the tall shrubs that impede its progress as though they were but so many blades of grass. Now it stops as if exhausted, and turns its huge head in the direction of the forest.
How shall I describe this monster of the old world, which is so unlike any modern inhabitant of the woods? Its body, which is at least twenty feet long, is upheld by legs of proportional size, and a massive tail, which drags upon the ground and forms a fifth pillar of support. Its head is hideously ugly, its immense jaws and flat forehead recalling the features of those grim monsters which figure in our story-books. Its dragon-like appearance is still further increased by a ridge of large triangular bones or spines which extends along its back. We should not be at all surprised were we to see streams of fire issuing from the mouth of this creature, and we look towards the palm-forest half expecting a St. George to ride forth on his milk-white charger. (1859, 7-8)

L'utilisation de l'impératif transforme le lecteur en un observateur actif plongé avec le narrateur au cœur de la nature. Le dinosaure, dont le nom scientifique n'est donné qu'en note de bas de page, est visualisé par le truchement des comparaisons mythiques, puis décrit et détaillé par le narrateur. La leçon de choses procède ainsi par images qui supplantent le discours scientifique pour rendre ce dernier récréatif. L'accent est mis sur le sensationnel : le regard se tourne vers les dents pointues du Cétiosaure, dont la queue frappe violemment la surface de l'eau, la cruauté de Plésiosaure, qui avale ses victimes et leur broie les os (et qui inspirera les représentations du monstre du Loch Ness), l'Hylæsaurus qui, ici, tel un dragon, semble pouvoir cracher du feu, le Mégalosaure, aux griffes acérées. Et toutes ces créatures disparues de se battre entre elles dans paysage sauvage. Replacées dans un environnement tropical où palmiers et fougères prolifèrent, les créatures monstrueuses mettent en scène tout un écosystème disparu :

The general aspect of the country is utterly unlike that of any modern land, and we gaze on the savage panorama before us with mingled feelings of admiration and awe. We are surrounded by wonders. The vegetation which fringes the banks of the river is strangely unfamiliar. Some of the trees remind us of the palms and arborescent ferns of the Tropics, and others seem to be allied to the cypress and juniper, but they all belong to unknown species. (1859, 6)

Des clins d'œil aux principes de l'anatomie comparée définis par George Cuvier (1769-1832) émaillent le texte, et l'on apprend que la denture sert à différencier les dinosaures herbivores, tel l'Iguanodon, des carnivores. Au 'pays des merveilles' [Of all the inhabitants of this country of marvels, the Flying reptile is by far the strangest; and as we gaze upon its weird form, we cannot help comparing it with one of those horrible and grotesque imps which are described so minutely in monkish legends' ; (Brough, 1859, 12-13)], le Ptérodactyle semble le plus merveilleux, ressemblant aux lutins qui peuplent les contes et légendes. Puis l'ouvrage se tourne vers d'autres créatures insolites, les merveilles de l'électricité - un esprit' capable d'accomplir des miracles -, celles de la chimie, offrant autant de révélations que dans les vieux livres de contes de fées, ou celles du stéréoscope - instrument, lui aussi, 'magique' (1859, 108). Les atomes et les comètes se mettent à parler pour raconter leur histoire, de même que les insectes, anthropomorphisés à leur tour, qui discutent entre eux pour comparer leurs métamorphoses, se retrouvant, comme par magie' ('by one of those wonderful coincidences peculiar to fairy tales' [1859, 142]), tous ensemble juste avant leur ultime transformation.

Il est vrai que de nombreux ouvrages de vulgarisation scientifique du début du dix-neuvième siècle soulignaient déjà les aspects magiques du monde naturel. Samuel Clark, dans Peter Parley's Wonders of Earth, Sea, and Sky (1837), Annie Carey, dans The Wonders of Common Things (n.d.), J. G. Wood, dans Common Objects of the Country (1858), et dont les illustrations, tout particulièrement dans Insects at Home (1872) ressemblent étrangement aux tableaux de Richard Doyle, comme plus tard Mary et Elizabeth Kirby, dans The Sea and Its Wonders (1871), Agnes Giberne, dans The Starry Skies; or, First Lessons on the Sun, Moon and Skies (1894), ou H. N. Hutchinson, The Autobiography of the Earth: A Popular Account of Geological History (1890) ou Extinct Monsters: A Popular Account of Some of the Larger Forms of Ancient Animal Life (1892), dans lequel les dragons semblent sortis des contes des frères Grimm ou de ceux de Lewis Carroll, tous utilisent le conte de fées pour renouer avec une conception romantique de la nature - une nature miraculeuse, capable d'émerveiller (Lightman, 2007). Mais il semblerait qu'au fil du siècle la littérature ne soit plus tant un mode de médiation de la science qu'un révélateur. En effet, ce que les références au merveilleux permettent de mettre en scène est avant tout une nouvelle réalité scientifique. Lorsque Brough regrette de ne pouvoir présenter la sirène à ses lecteurs, il suggère que sa disparition, avec celle des dragons et griffons mythiques, n'est peut-être simplement due qu'au fait qu'aucun scientifique ne l'ait encore nommée :

Would that we could introduce the reader to the mermaid herself, but we sadly fear that she will never figure in the fairy tales of science. We are rather inclined to think that she ceased to exist with the dragons and griffins of that marvellous age known as 'once upon a time.' But perhaps she does exist after all, and only keeps out of the way of the naturalist, for fear he should bestow upon her some hard Latin name. (1859, 126-7)

D'une façon intéressante, le clin d'œil au naturaliste met en exergue la façon dont la science, dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, rend visible la réalité en la nommant. Ainsi, l'étude des modes de vulgarisation de l'histoire naturelle, qui se développent à vive allure tout au long du siècle, invitant tout un chacun à ouvrir les yeux - comme le fait ici Brough, suggérant à ses lecteurs de regarder les images qu'il leur propose - montre la façon dont l'observation et la classification de la nature deviennent nécessaire à l'appréhension et à la compréhension du monde. Si ce qui se joue, selon Michel Foucault, est une nouvelle façon de nouer les choses à la fois au regard et au discours [...] L'histoire naturelle, ce n'est rien d'autre que la nomination du visible' (1966, 143-4), la nomination de l'invisible en fait également partie. Car l'invisible n'est pas seulement ce qui échappe à l'œil mais également ce qui échappe au langage. Le passage par le conte de fées permet donc de mettre en images et en mots les phénomènes invisibles ou créatures disparues. Dans le même temps, si la réalité devient magique sous la loupe du naturaliste, les 'contes de fées de la science' deviennent aussi un reflet de la transformation du réel en un Pays des Merveilles. Comme le note Brough, la lampe magique de la science, telle celle d'Aladin, permet de faire surgir de nouvelles créatures :

Genii, afrits, and ghouls, have long since lost their terrors, but the wonderful stories told about them will continue to charm the youthful mind for centuries to come. Chief among these stories is that of Aladdin, the poor boy, who became the fortunate possessor of a wonderful lamp, which gave him control over a powerful race of genii. By merely rubbing a lamp he summoned these superhuman servants, who waited on him hand and foot, brought him untold wealth, transported him from place to place, and fulfilled his wildest desires. Upon this beautiful Arabian romance we ground our concluding fairy tale of science.
Our wonderful lamp is merely a poetical image of Science. The lamp of science dispels intellectual darkness, and floods the world with its all-penetrating light. The night-prowling ghouls, Ignorance and Superstition, dare not encounter its glancing rays, and descend shrieking into the abyss, while Industry toils in the glare, and seems to acquire new vigour whenever the flame increases in brilliancy.
The attendant genii of this wonderful lamp are those powers of the material world which have been subjugated by manthe Aladdin of our story. (1859, 309-10)

Ce Pays des Merveilles, fait de transformations, de métamorphoses, de phénomènes invisibles qui échappent au spectre chromatique de la vision humaine correspond, en fait, au nouveau découpage de la réalité qui découle de l'avènement des théories darwiniennes. C'est pourquoi, la vulgarisation scientifique par le conte de fées ne paraît en aucune manière en conflit avec une science plus officielle. Le conte de fées, s'il se veut divertissant, n'est pas tant un basculement dans la littérature qu'un filtre au travers duquel se découpent les nouveaux modes de conception et de définition de la réalité.

3. Arabella Buckley et The Fairy-Land of Science (1879)

Quelques années plus tard, Arabella Buckley (1840-1929) propose d'autres contes de fées scientifiques, où les fées et le merveilleux lui servent également à mettre en mots ce qui échappe au regard. Buckley, secrétaire de Charles Lyell de 1864 à 1875, est un des exemples les plus frappants de la montée des femmes dans l'univers de la vulgarisation scientifique dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle. Les femmes ont, tout au long du dix-huitième et dix-neuvième siècles, participé à l'éducation, notamment scientifique, des enfants. Mais dès lors la science devient l'un des maître mots de l'éducation, la professionnalisation de la science à l'époque victorienne impose plus que jamais l'hégémonie masculine, plaçant la femme tout en bas de l'échelle de l'évolution : Darwin donne à l'homme les facultés intellectuelles, tandis que la femme se cantonne à l'intuition (Richards, 1997, 119). Pourtant, si les femmes sont de plus en plus exclues du monde scientifique (des universités aux sociétés savantes), elles continuent d'écrire la science, participant activement à la vulgarisation du discours scientifique. La vulgarisation apparaît alors comme un moyen ultime, pour elles, d'accéder à la sphère scientifique, et peut-être, également, à une autonomie financière : ainsi, si la plupart des vulgarisatrices étaient conservatrices, au moins deux d'entre elles - Phebe Lankester et Lydia Becker - furent particulièrement liées aux mouvements féministes de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle (Lightman, 2007, 158). Parmi les plus célèbres vulgarisatrices figurent Sarah Bowdich (Elements of Natural History (1844)), Mary Roberts (1788-1864) (A Popular History of the Mollusca (1851), Voices from the Woodlands; or History of Forest Trees, Ferns, Mosses, and Lichens (1850)), Agnes Catlow (The Conchologists's Nomemclator (1845)), qui publia également Popular Geography of Plants (1855) et Popular British Entomology (1848) avec sa sœur Maria. On note aussi les livres de botanique de Jane Loudon (1807-1858) (The First Book of Botany (1841), Botany for Ladies (1842), republié sous le titre Modern Botany en 1851) ou encore ceux de Phebe Lankester (1825-1900), d'Elizabeth Twining (1805-1889) (Illustrations of the Natural Orders of Plants (1849-55), Short Lectures on Plants, for Schools and Adult Classes (1858), destiné aux classes populaires), ou de Lydia Becker (1827-1890) (Botany for Novices (1864), un ouvrage résultant probablement de ses propres cours de botanique dans des écoles pour filles [Shteir, 1996, 250]). Dans le domaine de la géologie, nous pourrions rajouter Rosina Zornlin (1795-1859), ou encore The Vegetable Kingdom (1856), de Sarah Tomlinson, ou les ouvrages d'Elizabeth Kirby (1823-1873) et sa sœur Mary (1817-1893) dans celui de l'histoire naturelle (Shteir, 1997, 2445).

Défendant les thèses évolutionnistes, Arabella Buckley utilise les codes et les motifs du merveilleux pour mettre en image l'invisible. Cependant, la démarche diffère d'une façon marquée de celle de Brough, soulignant l'évolution de ce mode de vulgarisation scientifique. Les fées servent, certes, à rendre la leçon moins terne, mais l'appel au conte de fées a également pour fonction de supprimer radicalement la disjonction entre science et imaginaire :

I have promised to introduce you to-day to the fairy-land of sciencea somewhat bold promise, seeing that most of you probably look upon science as a bundle of dry facts, while fairy-land is all that is beautiful, and full of poetry and imagination. But I thoroughly believe myself, and hope to prove to you, that science is full of beautiful pictures, of real poety, and of wonder-working fairies; and what is more, I promise you that they shall be true fairies, whom you will love just as much when you are old and grayheaded as when you are young; for you will be able to call them up whenever you wander by land or by sea, through meadow or through wood, through water of through air; and though they themselves will always remain invisible, yet you will see their wonderful poet at work everywhere around you. (Buckley, 2006, 1)

Buckley met alors en parallèle 'La Belle au Bois Dormant', lorsque le château et ses habitants s'endorment pendant un siècle, à de l'eau gelée, les gouttes d'eau semblant dormir dans les feuillages, comme ensorcelées par le gel - géant à la poigne de fer ('By the enchantments of the frost-giant who holds it fast in his grip and will not let it go' [2006, 3]). Les trois robes de Peau d'Âne contenues dans des noisettes font pâle figure à côté des coquilles qui logent les créatures marines. La magie du merveilleux découle bien des métamorphoses soudaines et mystérieuses dont la nature possède le secret. Bien plus qu'un appât narratif, le conte sert donc à Buckley à ouvrir les yeux de ses lecteurs sur une nouvelle réalité scientifique qui inclut l'imaginaire dans ses hypothèses et déductions. De même qu'il faut croire aux contes de fées pour apercevoir les fées, l'on ne peut voir les phénomènes invisibles de la nature que si l'on croit à la magie du monde :

The peasant falls asleep some evening in a wood, and his eyes are opened by a fairy wand, so that he sees the little goblins and imps dancing round him on the green sward, sitting on mushrooms, or in the heads of the flowers, drinking out of acorn-cups, fighting with blades of grass, and riding on grasshoppers.
So, too, the gallant knight, riding to save some poor oppressed maiden, dashes across the foaming torrent; and just in the middle, as he is being swept away, his eyes are opened, and he sees fairy water-nymphs soothing his terrified horse and guiding him gently to the opposite shore. They are close at hand, these sprites, to the simple peasant or the gallant knight, or to anyone who has the gift of the fairies and can see them. But the man who scoffs at them, and does not believe in them or care for them, he never sees them. ...
Now, exactly, all this which is true of the fairies of our childhood is true too of the fairies of science. There are forces around us, and among us, which I shall ask you to allow me to call fairies, and these are ten thousand times more wonderful, more magical, and more beautiful in their work, than those of the old fairy tales. They, too, are invisible, and many people live and die without ever seeing them or caring to see them. These people go about with their eyes shut, either because they will not open them, or because no one has taught them how to see. They fret and worry over their own little work and their own petty troubles, and do not know how to rest and refresh themselves, by letting the fairies open their eyes and show them the calm sweet pictures of nature. (Buckley, 2006, 5-6)

En fait, si l'imaginaire victorien se nourrit de mythes et légendes, Buckley montre ici comment la science, tout comme l'art, puise dans le merveilleux ses sources d'inspiration - le rationalisme scientifique se doublant souvent de cette pensée mythique afin de négocier les bouleversements du temps. Comme Gillian Beer l'a montré, le langage de Darwin renoue avec les mythes et les légendes pour rendre au réel sa part d'étrange, estampiller le monde de la réalité au sceau de la transformation, les figures de style, comme dans les ouvrages de vulgarisation scientifique, servant de points d'ancrage au rationalisme scientifique pour véhiculer la 'magie' de l'évolution (Beer, 2000, 74). L'énergie métamorphique de la nature trouve ainsi dans certains archétypes narratifs, notamment ceux du merveilleux et du conte de fées, un mode de représentation idéal.

Comme suggéré précédemment, les transformations du récit scientifique dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle et le recours au conte de fées ne sont donc pas uniquement des variations narratives liées aux nouvelles stratégies commerciales visant à attirer le lecteur et le divertir (les récits de vulgarisation scientifique du début du siècle ayant plutôt recours aux dialogues, conversations ou lettres, donnant souvent à un personnage féminin ancré dans un milieu domestique le rôle de narrateur principal) [Lightman définit ce type de vulgarisation comme the maternal tradition' (2007, 21). La tradition du dialogue remonte au dix-septième siècle, comme dans le Discours concernant deux sciences nouvelles (1638) de Galilée ou Sceptical Chymist (1661) de Robert Boyle. Au milieu du dix-neuvième siècle, la tradition disparaît (on la retrouve seulement dans certains ouvrages, comme dans Madame How and Lady Why (1869) de Charles Kingsley, ou Ethics of the Dust (1865) de John Ruskin)]. Si les fées servent à visualiser des phénomènes naturels ou physiques invisibles, cette mise en image révèle également les transformations de la science après la publication de la théorie de Darwin. En effet, la théorie de l'évolution bouleverse non seulement la conception du monde et la place de l'homme dans l'univers, mais redéfinit également la méthode scientifique. Car il est impossible de mettre en images la théorie de l'évolution, et la période souligne à l'envi combien tout ce qui touche à l'évolution, touche aussi à la représentation et aux modes de représentation. Loin de l'empirisme, les hypothèses ne sont plus vérifiables, et l'imaginaire entre alors dans l'analyse scientifique, devenant un nouveau moyen d'accéder à la connaissance. La place de choix faite par Darwin à l'imaginaire impose alors un mariage étrange entre science et littérature.

Darwin ne fut, bien entendu, pas le premier chercheur à laisser une place à l'imaginaire dans la méthode scientifique. Il fut largement influencé par l'ouvrage de Charles Lyell, Principles of Geology (1830-33), dans lequel sont définis les nouveaux principes de la géologie moderne. L'actualisme (ou uniformitarisme), impliquant une évolution lente et uniforme de l'univers - par paliers successifs et logiques - permet, en effet, d'ouvrir la recherche scientifique aux forces de l'imaginaire (alors que le catastrophisme, par exemple, découpant l'évolution du monde en une suite chaotique de bouleversements, ne peut le concevoir [Smith, 1994, 9]). Ainsi, Darwin s'inscrit dans une lignée de scientifiques et grands vulgarisateurs victoriens qui appartiennent à ce que Gillian Beer appelle la 'tradition of re-imagined science' (1996, 176), qu'il s'agisse de John Tyndall, T. H. Huxley (Block, 1986, 365), James Clerc Maxwell, Richard Proctor ou W. K. Clifford, brouillant les frontières entre science et littérature afin de dépasser les limites de la vision humaine. L'impossibilité de vérifier ce qui échappe à la vision humaine et l'importance de la représentation mentale expliquent pourquoi la science a constamment recours à l'imaginaire pendant cette période où les certitudes se trouvent mises en péril par les théories de l'évolution. John Tyndall, dans ses conférences de 1868 et 1870, 'Scientific Limit of the Imagination' et 'Scientific Uses of the Imagination', donne même à la recherche scientifique une dimension 'spirituelle' ('spiritual insight'), invitant le chercheur à laisser parler ses intuitions profondes : His experiments constitute a body, of which his purified intuitions are, as it were, the soul' (Tyndall, 1870, 54, in Smith, 1994, 34). Cette vision de la science vue à travers le prisme de la subjectivité et de l'imagination est fondamentale dans les ouvrages de vulgarisation scientifique, notamment ceux destinés aux enfants. Buckley définit l'imagination comme un mode de représentation mentale nécessaire à la compréhension des phénomènes physiques : 

There is only one gift we must have before we can learn to know themwe must have imagination. I do not mean mere fancy, which creates unreal images and impossible monsters, but imagination, the power of making pictures or images in our mind, of that which is, though it is invisible to us. (2006, 7)

La fée Chaleur, la fée Lumière, la fée Gravitation, la fée Attraction chimique, la fée Cristallisation, la fée Electricité, de même que l'éther, aussi invisible que les habits de l'Empereur dans le conte d'Andersen (Buckley, 2006, 34) sont des forces qui ne peuvent être représentées que mentalement : 

Now, do you believe in, and care for, my fairy-land? Can you see in your imagination fairy Cohesion ever ready to lock atoms together when they draw very near to each other: or fairy Gravitation dragging rain-drops down to the earth: or the fairy of Crystallization building up the snow-flakes in the clouds? Can you picture tiny sunbeam-waves of light and heat traveling from the sun to the earth? Do you care to know how another strange fairy, Electricity', flings the lightning across the sky and causes the rumbling thunder? ... 
How are you to enter the fairy-land of science? 
There is but one way. Like the knight or peasant in the fairy tales, you must open your eyes. There is no lack of objects: everything around you will tell some history if touched with the fairy wand of imagination. (Buckley, 2006, 12-13)

Le nouveau regard sur le monde que Buckley propose à ses lecteurs dépasse ainsi de loin la simple leçon de choses. Sa présentation d'une réalité invisible mais réelle ('though invisible, is something very real' [2006, 124]) s'ancre pleinement dans la recherche scientifique du temps. En outre, si pour Buckley, Darwinisme et religion ne sont pas inconciliables (Buckley, 1871) - une union sans doute inspirée par les travaux de Lyell (Lightman, 2007, 242) -, sa vision de l'évolution, clairement empreinte de spiritualité (Lightman parle de 'spiritual evolutionism' [Lightman, 2007, 238]), donne à ses fées une dimension bien particulière. Remplaçant les merveilles de la Création divine que nombre de vulgarisateurs scientifiques prêchant la théologie naturelle avaient coutume de mettre en scène dans leurs ouvrages, les fées de Buckley transforment la vision sécularisée de l'environnement qui prédomine dans les écrits des professionnels de la science. En fait, la position intermédiaire de Buckley s'explique en partie par son adhésion au spiritisme, à l'instar d'Alfred Russel Wallace, seul scientifique avec lequel elle partageait sa passion et sa croyance en ses pouvoirs médiumniques (Lightman, 2007, 239). Les forces invisibles qui peuplent ses contes de fées scientifiques rappellent alors toutes les tentatives des spiritualistes pour donner une réalité scientifique aux apparitions de fées ou ectoplasmes de la fin du siècle. Les fées de Buckley, ces habitants de mondes minuscules ou lointains, comme les fantômes que l'on cherche à expliquer ou photographier dans les dernières décennies du dix-neuvième siècle, oscillant entre phénomènes naturels et surnaturels, viennent métaphoriser les tensions d'un matérialisme excessif à un moment où l'intervention divine ne parvient plus à expliquer le monde. Les parallèles entre l'œil du clairvoyant, qui dépasse les limites de la vision humaine, et celui du scientifique qui voit ce que l'on ne peut représenter, semblent évidents dès lors que l'on conçoit les fées de Buckley sous cet angle double. Dans son article, 'The Soul, and the Theory of Evolution' (1879), Buckley refuse d'ailleurs une vision de la conscience humaine comme simple masse organique, définissant l'âme comme une force invisible qui, si elle évolue, offre néanmoins à l'homme un espoir d'immortalité. Les fées au double visage de Buckley, tout en illustrant avec fierté les merveilles d'une science marquée au sceau des théories darwiniennes, laissent donc percer les transformations des discours de l'époque et leur construction de l'homme et de la nature humaine.

L'évolution des récits de vulgarisation scientifique victoriens, de John Cargill Brough à Arabella Buckley, montre ainsi à l'envi combien la littérature pour enfants sert de repère aux nouvelles conceptions de l'environnement et aux nouvelles méthodes scientifiques. Les modes de représentation de la science dans ces ouvrages de vulgarisation offrent, en outre, un aperçu de la 'mise en culture du progrès scientifique' au cœur d'une culture visuelle - une mise en culture toujours d'actualité (Raichvarg, Jean Jacques, 1991, 23).

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Extraits pour la classe : Through Magic Glasses

Présentation

Buckley donnera une suite à ce premier conte de fées scientifique. Through Magic Glasses (1890), tourné vers les merveilles de l'optique, qui permettent d'accéder à l'infiniment petit comme à l'infiniment grand, nous mène dans le laboratoire d'un magicien. L'ouverture du premier chapitre, reproduite ci-dessous, illustre à l'envi l'évolution du style de Buckley, qui ne se contente plus de simples métaphores pour faire surgir le merveilleux. On peut regarder comment le début de chapitre nous propose une aventure mise en scène, un voyage dans un monde magique où scientifique et magicien se confondent. A l'aide des deux illustrations, on peut également noter comment récit et informations scientifiques se télescopent : aux illustrations techniques font écho des gravures féeriques, scellant l'union du naturel et du surnaturel, du merveilleux et de la science.

Extrait

CHAPTER 1

THE MAGICIAN'S CHAMBER BY MOONLIGHT

THE full moon was shining in all its splendour one lovely August night, as the magician sat in his turret chamber bathed in her pure white beams, which streamed upon him through the open shutter in the wooden dome above. It is true a faint gleam of warmer light shone from below through the open door, for this room was but an offshoot at the top of the building, and on looking down the turret stairs a lecture-room might be seen below where a bright light was burning. Very little, however, of this warm glow reached the magician, and the implements of his art around him looked like weird gaunt skeletons as they cast their long shadows across the floor in the moonlight.

The small observatory, for such it was, was a circular building with four windows in the walls, and roofed with a wooden dome, so made that it could be shifted round and round by pulling certain cords. One section of this dome was a shutter, which now stood open, and the strip, thus laid bare to the night, was so turned as to face that part of the sky along which the moon was moving. In the centre of the room, with its long tube directed towards the opening, stood the largest magic glass, the TELESCOPE, and in the dead stillness of the night, could be heard distinctly the tick-tick of the clockwork, which kept the instrument pointing to the face of the moon, while the room, and all in it, was being carried slowly and steadily onwards by the earth's rotation on its axis. It was only a moderate-sized instrument, about six feet long, mounted on a solid iron pillar firmly fixed to the floor and fitted with the clockwork, the sound of which we have mentioned; yet it looked like a giant as the pale moonlight threw its huge shadow on the wall behind and the roof above.

Far away from this instrument in one of the windows, all of which were now closed with shutters, another instrument was dimly visible. This was a round iron table with clawed feet, and upon it, fastened by screws, were three tubes, so arranged that they all pointed towards the centre of the table, where six glass prisms were arranged in a semicircle, each one fixed on a small brass tripod. A strange uncanny-looking instrument this, especially as the prisms caught the edge of the glow streaming up the turret stair, and shot forth faint beams of coloured light on the table below them. Yet the magician's pupils thought it still more uncanny and mysterious when their master used it to read the alphabet of light, and to discover by vivid lines even the faintest trace of a metal otherwise invisible to mortal eye.

For this instrument was the SPECTROSCOPE, by which he could break up rays of light and make them tell him from what substances they came. Lying around it were other curious prisms mounted in metal rims and fitted with tubes and many strange devices, not to be understood by the uninitiated, but magical in their effect when fixed on the telescope and used to break up the light of distant stars and nebulæ.

Compared with these mysterious glasses the PHOTOGRAPHIC CAMERA, standing in the background, with its tall black covering cloth, like a hooded monk, looked comparatively natural and familiar, yet it, too, had puzzling plates and apparatus on the table near it, which could be fitted on to the telescope, so that by their means pictures might be taken even in the dark night, and stars, invisible with the strongest lens, might be forced to write their own story, and leave their image on the place for after study.

All these instruments told of the magician's power in unveiling the secrets of distant space and exploring realms unknown, but in another window, now almost hidden in the shadow, stood a fourth and highly-prized helpmate, which belonged in one sense more to our earth, since everything examined by it had to be brought near, and lie close under its magnifying-glass. Yet the MICROSCOPE too could carry its master into an unseen world, hidden to mortal eye by minuteness instead of by distance. If in the stillness of the night the telescope was his most cherished servant and familiar friend, the microscope by day opened out to him the fairyland of nature.

As he sat on his high pedestal stool on his summer night with the moonlight full upon him, his whole attention was centred on the telescope, and his mind was far away from that turret-room, wandering into the distant space brought so near to him; for he was waiting to watch an event which brought some new interest every time it took placea total eclipse of the moon. To-night he looked forward to it eagerly, for it happened that, just as the moon would pass into the shadow of our earth, it would also cross directly in front of a star, causing what is known as an occultation' of the star, which could disappear suddenly behind the rim of the dark moon, and after a short time flash out on the other side as the satellite went on its way.

How he wished as he sat there that he could have shown this sight to all the eager lads whom he was teaching to handle and love his magic glasses. For this magician was not only a student himself, he was a rich man and the Founder and Principal of a large public school for boys of the artisan class. He had erected a well-planned and handsome building in the midst of the open country, and received there, on terms within the means of their parents, working-lads from all parts of England, who, besides the usual book-learning, received a good technical education in all its branches. And, while he left to other masters the regular school lessons, he kept for himself the intense pleasure of opening the minds of these lads to the wonders of God's universe around them. (Arabella Buckley, Through Magic Glasses and Other Lectures [London: Edward Stanford, 1890], 1-5.)

Illustrations

In Arabella Buckley, Through Magic Glasses and Other Lectures, London, Edward Stanford, 1890.

In Arabella Buckley, Through Magic Glasses and Other Lectures, London, Edward Stanford, 1890.

 

Pour citer cette ressource :

Laurence Talairach-Vielmas, "Au Pays des Merveilles : Science et contes de fées", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), juillet 2009. Consulté le 23/04/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/litterature/litterature-britannique/litterature-jeunesse/au-pays-des-merveilles-science-et-contes-de-fees