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Introduction à «Measure for Measure»

Par Estelle Rivier : Maître de conférences - Université du Maine, Isabelle Schwartz-Gastine : Maître de conférences - Université de Caen, Delphine Lemonnier-Texier : Maître de conférences - Université de Rennes II
Publié par Clifford Armion le 04/11/2013

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Mettre en scène une pièce, dit Jean-François Sivadier interrogé sur le processus de création, c’est poser une hypothèse, et la mettre à l’épreuve du plateau, poursuivre le rêve que l’on a sur la pièce, et franchir le pas de son adaptation, accepter d’être confronté à l’écart entre le rêve et le plateau, tout en réussissant à ne pas perdre son rêve. Mettre en scène une pièce de Shakespeare, comme toute autre pièce de répertoire, c’est aussi se confronter à ses fantômes : ceux, manifestes, de ses mises en scène antérieures, et ceux, implicites, que l’on porte en soi en tant qu’artiste, les traversées que l’on a faites, les créations, les rôles antérieurs, l’histoire d’un parcours esthétique où cette pièce vient s’inscrire dans un cheminement, y (d)écrire un moment, une étape, une boucle peut-être...

1. Measure for Measure et la fabrique du spectacle

Mettre en scène une pièce, dit Jean-François Sivadier interrogé sur le processus de création, c’est poser une hypothèse, et la mettre à l’épreuve du plateau, poursuivre le rêve que l’on a sur la pièce, et franchir le pas de son adaptation, accepter d’être confronté à l’écart entre le rêve et le plateau, tout en réussissant à ne pas perdre son rêve ((Dans le cadre du projet « Archiver le geste créateur dans les arts du spectacle », du laboratoire La Présence et l’Image, de l’EA APP (Rennes 2) sous la direction de Sophie Lucet.)). Mettre en scène une pièce de Shakespeare, comme toute autre pièce de répertoire, c’est aussi se confronter à ses fantômes : ceux, manifestes, de ses mises en scène antérieures, et ceux, implicites, que l’on porte en soi en tant qu’artiste, les traversées que l’on a faites, les créations, les rôles antérieurs, l’histoire d’un parcours esthétique où cette pièce vient s’inscrire dans un cheminement, y (d)écrire un moment, une étape, une boucle peut-être. Des premiers, Daniel Mesguich dit qu’ils constituent un « texte invisible, composé de la mémoire du texte visible, de son histoire, de sa poussière (gloses, commentaires, exégèses, souvenirs d’autres mises en scène ((Mesguich Daniel, préface à Hamlet, Paris, Albin Michel, 2012, p. 8.)) […]) ». Des seconds ne se dévoile que ce que chaque artiste, chaque équipe artistique accepte de révéler au chercheur. Sur un mode analogue, le texte shakespearien porte en lui à la fois les traces de son processus de création : écriture sous forme d’une recomposition de textes sources et de fragments, plus ou moins disparate ou disjointe pour signifier l’écart esthétique par rapport au modèle, ainsi que présence et l’immédiateté des rouages du jeu au plateau, où le soulignement de la théâtralité passe par l’exposition de la machinerie du rôle.

Il est de tradition dans les études shakespeariennes en France de s’attacher fortement à ce que Mesguich appelle le « texte visible ((Ibid.)) », c’est-à-dire le texte littéral, imprimé, et plus encore dans le cadre de l’exercice académique proposé par le programme de l’agrégation d’anglais. Pourtant, il est crucial pour mener ce dernier à bien dans cette optique que l’on dirait texto-centrée, de prendre en compte les résonances que suscite au plateau ce script en attente d’actualisation qu’est le texte de toute pièce shakespearienne, en particulier celui d’une pièce aussi « ouverte » au sens sémiologique du terme que peut l’être Measure for Measure, où sont mis en jeu autant de structures non closes, de silences du texte sur lesquels il est nécessaire au plateau d’effectuer un choix interprétatif, ces « open silences » analysés par Philip McGuire ((McGuire Philip C, Speechless Dialect. Shakespeare’s Open Silences, University of California Press, 1985.)), bien sûr, mais aussi structuration des répliques et mécanique des rôles et des dialogues.

C’est – et on peut avoir la tentation de l’oublier, tant sa poétique est foisonnante – que le texte shakespearien n’est ni conçu structurellement, ni écrit comme texte-monument, destiné à la publication et à la lecture, mais qu’il consigne un éventail d’indications de jeu permettant à des acteurs n’ayant pas disposé de temps de répétition comparable à ce que le théâtre moderne connaît, de jouer leur rôle sans faillir. La matière même du texte shakespearien, sa structuration en répliques, ses rythmes et sa ponctuation répondent d’abord à une nécessité matérielle de jeu dans des circonstances de représentation théâtrale bien spécifiques. Les recherches de ces dix dernières années sur ces questions, en partie initiées par l’impulsion expérimentale d’un metteur en scène britannique, Patrick Tucker, et de sa compagnie, The Original Shakespeare Company ((Tucker Patrick, Secrets of Acting Shakespeare. The Original Approach, Routledge, 2001. Weingust Don, Acting Shakespeare’s First Folio. Theory, Text and Performance, Routledge, 2006.)), ont amené à mettre en évidence l’absence de temps de répétition à l’époque de Shakespeare ((Stern Tiffany, Rehearsal from Shakespeare to Sheridan, Oxford, OUP, 2000.)), puis à restituer au personnage shakespearien sa dimension de rôle, plutôt que de personnage au sens où on entend ce terme dans le théâtre bourgeois ((Palfrey Simon and Stern Tiffany, Shakespeare in Parts, OUP, 2010.)). Il ne s’agit pas de rejeter le texte au nom d’un refus du texto-centrisme, mais de montrer comment le texte est donné à entendre autrement, pour en faire surgir l’inépuisable richesse. Il n’est pas question d’opposition dans les approches, mais de complémentarité, tant les outils de l’analyse textuelle et de la prosodie sont complémentaires des processus de mise en bouche, de recherche de l’articulation, du rythme et des intonations, rendant manifestes les « possibles » du texte, et, de là, ceux de la mise en scène ((Rokison Abigail, Shakespearean Verse Speaking. Text and Theatre Practice, Cambridge, CUP, 2010.)).

C’est la synthèse de ces pratiques et la synergie qui s’en dégage qu’une rencontre autour de la question du jeu et de la mise en scène souhaite mettre en lumière à propos de Measure for Measure, en retraçant l’histoire de la création à l’époque shakespearienne, aussi bien qu’en montrant comment la pratique du plateau permet de reconstituer la fonctionnalité du vers shakespearien concernant le jeu d’acteur, et, enfin, en retraçant les jalons d’une histoire de la mise en scène de Measure for Measure, chaque adaptation étant une proposition sur l’éventail des possibles qu’offre une pièce que les critiques textuels peinent à classifier, faute, peut-être, de voir que sa richesse découle probablement de ce refus de se laisser circonscrire sous une appellation générique univoque, aspect que le passage par le plateau met en évidence de manière éloquente.

2. Mettre en scène une pièce « problématique »

On ne se lassera jamais de dire qu’il est nécessaire de s’interroger sur les enjeux de la mise en scène d’une pièce de théâtre quelle qu’elle soit puisque celle-ci fut écrite dans le dessein d’être incarnée par le corps de l’acteur, d’être mise en mouvement dans un espace scénique, de se confronter au public et à son temps. Les conditions de jeu qui virent naître Measure for Measure diffèrent grandement de celles que nous connaissons aujourd’hui : les espaces fermés, les effets de lumière, le recours aux technologies du son et de l’image, le passage par la réécriture, l’adaptation, la traduction sont autant de paramètres modelant l’œuvre et modifiant sa réception. Les lectures critiques philosophiques, psychanalytiques, littéraires et poétiques, pour ne citer que quelques exemples, en refondent les enjeux et ouvrent d’autres perspectives d’interprétation. De même, le public évolue : son innocence envers un texte inédit a disparu au profit d’une exigence tant sur le plan de l’interprétation des acteurs qu’au sujet du décodage sémantique proposé par le metteur en scène et son traducteur. Si le spectateur assiste en silence à la représentation, ne l’interrompant ni ne la commentant — avec désinvolture parfois — comme dans l’espace ouvert de certains théâtres londoniens des XVIe et XVIIe siècles, il n’en demeure pas moins critique à son égard. Du point de vue du metteur en scène, tout est une question de « mesure » car opter pour le parti pris excessif du tout montrer, tout expliquer, tout éclairer, le sous-texte autant que l’évidence, est un écueil facile.

Quels sont donc les aspects de Measure for Measure les plus fréquemment illustrés sur les scènes de notre époque ? Comment répondent les metteurs en scène aux « problématiques » soulevées dans la pièce, à savoir la question du rapport au pouvoir que l’on soit gouverneur ou gouverné, la place de la femme dans la société et la question du mariage au dénouement de la pièce, la tension entre tragédie et comédie, la morale et la religion, l’ambiguïté des rapports entre individus et, plus particulièrement, entre homme et femme ? Si l’on se tourne vers l’histoire de la pièce à la télévision, on s’accorde à dire avec Henry Fenwick (radio Times) que « [Measure for Measure] a été une pièce particulièrement sujette au caprice du metteur en scène » (Henry Fenwick: ‘[The play] has been particularly subject to directorial whim’). Confrontés à la complexité de la pièce, de nombreux metteurs en scène cherchent en effet à imposer un certain contrôle sur sa nature insaisissable. Soit ils laissent, de façon superficielle, parler l’œuvre d’elle-même. Ce qui est une solution facile car il est particulièrement délicat de l’aborder de manière dogmatique, elle qui ne l’est pas. Mais en n’affirmant aucun point de vue directif, ce même metteur en scène risque de ne pas faire résonner la pièce dans l’entendement populaire et le spectateur ne verra qu’une succession de comportements incohérents ou de quiproquos incongrus là où l’épaisseur dramatique est pourtant présente. Un éclairage est nécessaire pour en saisir la teneur. C’est la raison pour laquelle, il semble que les mises en scène les plus efficaces soient celles qui proposent une lecture en partant d’une image centrale de la pièce.

Exemple 1: Mass für Mass. Thomas Ostermeier. 2012.

Mass für Mass. Thomas Ostermeier. Odéon. 2012.

Dans sa mise en scène à L’Odéon (et en tournée) en 2012, Thomas Ostermeier a placé le contexte de la pièce dans des bains publics où l’eau purifiante est aspergée par un Karcher. Les murs aux dorures passées sont recouverts de tags afin d’afficher un temps révolu où le luxe érotique et la liberté sexuelle autrefois s’affirmaient. Les acteurs en costumes modernes rapprochent l’œuvre de notre siècle où la bienséance de façade est un vernis recouvrant superficiellement le délabrement intérieur (qui est aussi extérieur dans le décor d’Ostermeier). Si le Duc est en complet-veston lorsqu’il n’est pas moine, il n’en reste pas moins homme animé de pulsions animales et observateur-voyeur de scènes dont il se souhaiterait secrètement l’acteur premier. Afin de faire la part des choses entre le mauvais et le bon, Ostermeier intègre une carcasse de porc dans la balance fictive de sa mise en scène. Le porc est réellement découpé en scène. En contrepoint, Ostermeier opte pour une mise en exergue de la duplicité des êtres en faisant interpréter Claudio et Angelo par le même comédien (Bernardo Arias Porras). Par le corps unique de l’acteur et sa réincarnation animale dans celui du porc décharné, l’idée située au cœur de la pièce est ici explicitement exposée : l’homme est capable de servir les plus nobles causes tout en étant le plus méprisable en son sein. Cette image terrifiante de deux corps en un, bientôt dépecé symboliquement à la vue de tous, souligne aussi la faute condamnant les deux personnages qui ont suivi leur instinct et trompé la loi. Un même sort leur est alors réservé : la mise à mort. À travers Measure for Measure, Shakespeare s’interrogeait sur le bien-fondé de la condamnation de l’amour extra-conjugal, largement pratiqué à son époque, il en était l’exemple. Ostermeier montre qu’un comportement extrême, qu’il provienne de la justice ou pas, mène toujours au drame. L’homme n’est qu’une bête ou « Qui fait l’ange fait la bête ((« L'homme n'est ni ange, ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête. » Pensées, Blaise Pascal, éd. Gallimard (édition de Michel Le Guern), coll. Folio classique, 1977, p. 370.)) » (Pascal).

Video : Mass für Mass Ostermeier. (http://www.youtube.com/watch?v=s-11RARFVqA)

https://www.youtube.com/embed/s-11RARFVqA

 

Exemple 2: Mesure pour Mesure. Adel Hakim. 2007.

Angelo Frédéric Cherboeuf et Isabella Julie-Anne Roth. Photo: © Bellamny

Dans la mise en scène d’Adel Hakim qui sera décrite précisément dans l’entretien qui suit, la pièce s’inscrit dans un dispositif unique façonné par les jeux de lumière et les effets sonores. Le demi-cercle blanc à deux niveaux peut à la fois servir d’estrade où le pouvoir des grands s’exprime et, en contrebas, illustrer les bas-fonds (les maisons closes, les rues sordides ou la prison). Dans cet entre-deux monde, une Isabelle moderne, blonde platine, cheveux coupés ras, est victime de viol et soumise à un chantage choquant. Par ses choix, le metteur en scène adresse plusieurs questions à l’auditoire : l’homme est-il capable d’user du pouvoir raisonnablement ? Comment peut-on demander aux autres de faire ce que l’on ne parvient pas soi-même à réaliser ? Si ce spectacle initié lors du festival d’été de Grignan, à ciel ouvert, devant une foule de spectateurs en vacances, commence telle une tragédie et entraîne d’emblée des questionnements déconcertants, il invite bientôt à apprécier la dimension comique de la pièce, respectant de fait le double parti pris de Shakespeare. Tous les défauts des personnages sont accentués, que ce soit leur grossièreté, leur austérité, leur despotisme, leurs intentions sournoises ou bien encore leur foi. Les personnages comiques sont vêtus de façon hétéroclite, en référence à notre siècle. Le duc (Malik Faraoum), par exemple, est une figure énergique et autoritaire, sans pathos ni mélancolie ; Isabella (Julie-Anne Roth) ne ressemble pas franchement à une novice (si ce n’est à l’acte I, scène 4) et la fin rend explicite et consenti son mariage avec Vincentio. Ces caricatures semblent légitimes afin de créer une complicité entre le vers et le sens : Adel Hakim a voulu accorder la pièce avec l’oreille et l’esprit du spectateur contemporain tout comme Shakespeare souhaitait qu’elle raisonne à ceux du public de son temps. Il n’a pas cherché à intellectualiser le mythe, mais à le rendre intelligible et divertissant.

Entretien avec A. Hakim : https://cle.ens-lyon.fr/anglais/litterature/litterature-britannique/Shakespeare/entretien-avec-adel-hakim-mesure-pour-mesure-de-william-shakespeare-une-ecriture-du-present

3. Côté anglo-saxon, l’œil de la caméra ou comment populariser le mythe

Dès les années soixante-dix en Angleterre, une même volonté de rendre la pièce accessible à une majorité du public est encouragée, que ce soit dans les versions télévisuelles ou sur la scène. La BBC crée le Shakespeare en série et Measure for Measure est l’une des premières pièces à être adaptée au petit écran. Il est alors nécessaire de permettre aux téléspectateurs d’aborder le répertoire avec aisance et le choix des accessoires, des costumes ainsi que la direction d’acteurs vont dans ce sens : le texte n’est presque pas modifié (il y a peu de coupures), les costumes sont traditionnels, l’interprétation classique. Une approche révérencielle et des décors ringards sont évités : la pièce fait l’objet de critiques favorables. La costumière (Odette Barrow) choisit des costumes d’inspiration italienne, arguant que la Vienne du XVIIe siècle était probablement influencée par la Venise de la même époque, mais aussi parce que les noms des personnages font davantage penser à ce pays qu’à l’Autriche. Et de fait, Measure for Measure sera la seule production télévisuelle à sous-entendre que le contexte géographique imaginé par Shakespeare n’était pas Londres.

Si cette production présente un univers très noir (la plupart des séquences ont lieu de nuit ou dans des espaces faiblement éclairés), les scènes les plus efficaces sont celles filmées simplement, notamment lorsque Angelo, un bureaucrate imposant, protégé par la barrière physique de son bureau, est tout-à-coup filmé en gros plan laissant apparaître son émotion devant la fragile Isabelle (Kate Nellingam). La sphère publique glisse vers celle du privé ; la télévision permet de marquer les changements d’humeur de façon plus sensible et subtile même si le risque de tomber dans une lecture psychologique de la pièce est latent.

Exemple 3 : RSC Shakespeare

Dès lors que l’on navigue Outre-Manche, on ne saurait omettre de mentionner ce que cette même pièce offre à l’entendement du public de la Royal Shakespeare Company.
“Sex, lies and conjuring tricks: Jodie McNee and Raymond Coulthard in Measure for Measure at the Swan, Stratford-upon-Avon.” Photograph © Tristram Kenton for the Guardian.

En 2011, Roxana Silbert offre une version très contemporaine de la pièce dans laquelle le Duc (Raymond Coulthard) tout d’abord vêtu d’un simple apparat noir et or, réapparaît, acte II, scène 3, dans un cercueil comme pour symboliser sa renaissance sous d’autres atours et plus encore, tuer symboliquement l’ex-Duc souverain. Le symbole est morbide, le politiquement correct mis à mal, mais Silbert veut affirmer la critique profonde que la pièce adresse à l’encontre de la religion et de l’establishment. Si Measure for Measure ne remet pas en question la foi des hommes, elle montre la fragilité de l’ordre religieux, que l’on soit Protestant ou Catholique, et le chaos social qui en résulte. C’est pourquoi, les individus du casting finissent par se confondre. Par exemple, Lucio et Vincentio portent de semblables costumes au terme de la représentation, ce qui souligne leur esprit pervers et corrompu. Silbert entend afficher le parallèle entre la Cour et le peuple et contredire l’idée arrêtée que le mal vient systématiquement d’en bas.

Pourtant le comportement des petites gens revêt un caractère sado-masochiste dans cette mise en scène selon la critique qui en outre relève :

“What’s so pathetic is that a drama that depicts a vice-ridden Vienna where corruption boils and bubbles “till it o’er run the stew” here seems merely jejune and ridiculous. Many members of the cast appear deeply embarrassed about sporting kinky leather corsets and nipple clamps, as well they might, and the sight of two mute, scantily dressed models wearing what look like wastepaper bins studded with nails over their heads produces titters rather than the required frisson of decadence.”(Charles Spencer, The Telegraph (24 November 2011)

Mais tout comme Adel Hakim ou Jean-Yves Ruf (ci-dessous), Roxana Silbert, a elle-aussi cherché à faire résonner la pièce dans notre espace-temps. Une prostituée en robe élisabéthaine ne nous paraîtrait pas immorale aujourd’hui. C’est pourquoi il faut actualiser cette image, ce que son pendant, replacé dans un contexte glauque de club branché où la violence sexuelle est rendue explicite, parvient à faire. L’adaptation des pièces dites « classiques » à l’époque où nous vivons est-elle néanmoins une nécessité  pour que le sens soit entier ? Si nous sommes toujours enclins à demander au metteur en scène la raison pour laquelle il ou elle a choisi de monter cette pièce, peut-être devrions-nous accueillir le spectacle avec innocence, du moins dépourvus d’a priori et ce, afin de saisir l’instantanéité de l’œuvre mise en jeu car c’est d’abord ainsi qu’elle s’exprime.

Video 3 : Roxana Silbert: “Falling in love with Measure for Measure - Director interview - Royal Shakespeare Company” http://www.youtube.com/watch?v=EflNPgjQHNc

https://www.youtube.com/embed/EflNPgjQHNc

Exemple 4: Mesure pour Mesure. Jean-Yves Ruf. 2008.

Eric Ruf (Angelo) et Laetitia Dosch (Isabella). Photo © Mario Del Curto

C’est ce que Jean-Yves Ruf confiait récemment : « ne pas lire ou relire la pièce avant de la voir jouée pour mieux se laisser saisir par sa force, celle de ses interprètes et le souffle qu’elle nous inspire ((Conférence « Shakespeare, du texte à la scène », 5 décembre 2012, Le Mans.)). » Jean-Yves Ruf qui a présenté la pièce au théâtre de Bobigny (MC93-2008) dans un décor neutre et austère qui mettait en relief les corps, a notamment cherché à dresser un parallèle entre l’intégrisme du vingt-et-unième siècle et les préoccupations shakespeariennes à l’égard de la foi et des ambitions loyales ou religieuses. Peut-on en effet imposer la vertu de force ? N’est-ce pas vain que de chercher à se préserver du péché de la chair ? Et quand bien même nous y parviendrions, la résultante inverse, celle où l’on se sentirait frustré et victime de souffrances traumatisantes, n’est-elle pas pire? En concevant sa mise en scène autour de deux scènes clés de la pièce, les deux échanges entre Angelo (Eric Ruf) et Isabella (Laetitia Dosch) à l’acte II (scènes 2 et 4), il a voulu mettre en lumière l’extrémisme de l’homme en quête d’une vertu infaillible mais illusoire. À travers ces deux figures opposées, Shakespeare a développé de nombreux thèmes allant du désir animal au désir de Dieu, en passant par le désir de mort. L’écart entre justice humaine et justice divine se trouve aussi emblématiquement représenté par ces deux visages tragiques. Mesure pour Mesure est une comédie noire, selon Ruf, car la mort hante même les scènes les plus sensuelles.

Le vase de Rubin ou « mon image mentale » de Measure for Measure. Dessin pour l’Affiche de la journée d’étude. Estelle RivierQuant à nous, quel serait le paysage scénographique que nous pourrions nous représenter à la lecture de la pièce? Et si nous ne pouvions façonner un décor entier, quel symbole pourrait illustrer l’impression mentale qu’elle nous laisse ? Se prêter à cet exercice, de même qu’à celui qui consiste à lire à voix haute chaque rôle que la pièce contient, permettent non seulement de montrer combien l’œuvre est un matériau vivant et malléable, mais aussi que la pratique ou la « performance » éclairent notre compréhension à son égard. La multiplicité des mises en scène pour une œuvre donnée est bien la preuve que nos images mentales sont intarissables. Les exercices de lecture, de diction, de mise en voix en sont une autre. Pour conclure, laissons donc parler notre imagination et le dessin en signer l’expression.

4. La « fin » de Measure for Measure

Si Mesure pour mesure a été considérée comme une pièce problématique, bien avant même la formule de Frederick Boas en 1896 ((Boas Frederick, Shakespeare and his Predecessors, Londres, Murray, 1896)), il est probable que cette comédie jacobéenne n’ait pas été perçue comme telle lors de sa première représentation officielle à la Cour du roi Jacques 1er par la troupe de Shakespeare fraîchement promue « King’s Men » le 26 décembre 1604, durant sa première saison de festivités de Noël dans la grande salle de banquet du Palais de Whitehall ((Bennett Josephine, Measure for Measure as Royal Entertainment, New-York, 1966)). Bien qu’aucun compte-rendu ne soit parvenu jusqu’à nous, on peut néanmoins se permettre de supposer que, suivant la pratique alors en vigueur, cette comédie fut jouée dans un théâtre public, très certainement The Globe, afin d’être mise à l’épreuve d’un auditoire diversifié et payant, avant d’être transférée devant le nouveau roi et sa cour. Andrew Gurr démontre qu’en toute vraisemblance, la représentation devait se terminer par un défilé se dirigeant vers la double porte centrale, avec à sa tête, le Duc et Isabella main dans la main, suivis des autres personnages enfin réunis, par ordre de rang social et selon leur valeur morale, Angelo et Mariana, Claudio et Juliet et enfin, Lucio et Kate Keepdown ou tout autre acteur alors en scène, annonçant les quatre mariages déjà conclus ou à venir ((Gurr Andrew, «Measure for Measure’s Hoods and Masks : the Duke, Isabella, and Liberty », in English Literary Renaissance, vol. 27, n°1, 1997, p. 89-105.)). Lorsqu’à la Restauration la pièce fut adaptée par William Davenant, Samuel Pepys consigne dans son Journal que la représentation à laquelle il venait d’assister, le 18 février 1662, se concluait par des danses et des chants, dans le même esprit festif ((Latham Robert et Matthews William (éd.), The Diary of Samuel Pepys, in Rosalind Miles, The Problem of Measure for Measure, A Historical Investigation, Londres, Vision, 1976, p. 302.)). Au milieu du XVIIIe siècle, Charlotte Lennox se plaint que cette pièce ait été détournée par Shakespeare lui-même de la veine tragique qui parcourt les deux premiers actes pour se terminer, après une suite d’incidents improbables et d’intrigues absurdes, par trois ou quatre mariages plutôt qu’en une bonne décapitation ((Lennox Charlotte, citée par Edward L. Rocklin in « Measured Endings : How Productions from 1720 to 1929 Close Shakespeare’s Open Silences in Measure for Measure », in Shakespeare Survey, 53, 2000, p. 213-214.)). Une critique similaire a été exprimée au début du XXe siècle par l’un des premiers historiens de la scène shakespearienne anglaise, George Odell, qui, dans son célèbre ouvrage Shakespeare from Betterton to Irving condamne en une même phrase l’intrigue principale et l’intrigue secondaire et conclue en ces termes quelque peu péremptoires : « both comedies [Measure for Measure and Much Ado about Nothing] really deserve the stage oblivion into which they have fallen » ((Odell George, Shakespeare from Betterton to Irving, 1920, in Rockling, p. 231.)). Avec le recul du temps, on est en droit de sourire de cette affirmation étant donné le grand nombre de mises en scène actuelles qui, justement, interrogent le dénouement de par son caractère elliptique et ainsi, offrent des conclusions plausibles quoique totalement contradictoires, montrant le foisonnement de lectures scéniques possibles suivant les sensibilités de l’époque et les parti-pris des metteurs en scène. On s’en tiendra ici à quelques exemples significatifs qui, même si certains ne sont pas le fait de metteurs en scène français, ont été joués dans des théâtres de l’hexagone.

Jean Dasté

Lorsqu’il a monté Mesure pour mesure au Théâtre de Poche-Montparnasse à Paris en 1950, dans le cadre d’un concours visant à favoriser l’émergence de jeunes troupes, Jean Dasté est alors un très jeune animateur qui sillonne les routes pour aller planter sa tente de cirque dans de petits villages de la France profonde à la rencontre de publics populaires ((Voir entre autres, Guinle Michel, Le temps de Jean Dasté. Le théâtre de ceux qui voient, vus pas Ito Josué, Robert Jacquet, 1994.)). Au final, le Duc (interprété par Jean Dasté lui-même) apparaissait en grand appareil sur l’estrade centrale entourée de quatre oriflammes. Son imposante silhouette vêtue d’une longue robe de velours noir et chapeau médiéval assorti, la lourde chaîne dorée lui barrant la poitrine, tout en lui, inspirait le respect et l’obéissance. Isabella était à sa droite, portant toujours la cape noire et le corsage blanc de novice, son regard souriant tourné vers deux religieuses situées en contre-bas. Cette connivence pouvait indiquer qu’elles ratifiaient la proposition du Duc, en tant qu’autorité morale et religieuse mais aussi quasiment parentale, d’élever Isabella à la place d’honneur dans ce monde duquel la jeune fille avait voulu se soustraire en demandant son entrée au couvent. Il faut avoir en mémoire que dans ces années-là, juste après la deuxième guerre mondiale, de nombreux jeunes devaient avoir recours à des autorités de substitution, ayant perdu leurs parents pendant le conflit et que les femmes venaient tout juste d’avoir obtenu un statut juridique individuel dont la majorité était à 21 ans. Dans cette perspective, le mariage ducal était présenté comme un heureux dénouement qui mettait fin à une période de trouble et de terreur : les errements des uns et des autres étaient pardonnés, la tragédie oubliée, les temps étaient au bonheur et à la paix sociale retrouvée.

Stéphane Braunschweig

Measure for Measure - Braunschweig

Presqu’un demi-siècle plus tard, l’interprétation est complètement transformée, la double question du Duc restant sans réponse, Isabella est montrée comme refusant la proposition qui lui est faite. En 1997 Stéphane Braunschweig a monté cette pièce en anglais avec des acteurs du Théâtre de Nottingham, d’abord au Festival d’Edimbourg, puis en tournée en France et en Angleterre ((Voir Schwartz-Gastine Isabelle, « Mesure pour mesure selon Stéphane Braunschweig » in Cahiers Elisabéthains, Octobre 2000, n°58, p. 49-58.)). D’après le metteur en scène, aucune force rédemptrice ne peut effacer les tragédies subies au cours de la pièce. Isabella ne peut oublier que ce Frère en qui elle avait mis toute sa confiance lui ait menti par deux fois en lui affirmant la mort de son frère. Refusant les prémisses de la comédie, Braunschweig a insisté sur le fait que le texte shakespearien est parcouru de doute et d’hypothèse introduits par « if », mais on ne peut pas effacer d’un geste les mensonges, tortures mentales, angoisses physiques et ontologiques qui ont été infligés à dessein. Aussi la scène finale offrait un tableau plein de désolation : Juliet n’était pas sur scène (en train d’accoucher selon le metteur en scène), Mariana (exultante) et Angelo étaient les deux seuls qui étaient réunis, mais restaient en deçà de la limite du praticable scénique comme s’ils n’étaient pas autorisés à être dans l’assemblée. Isabella restait interdite, seule au centre de la scène, sourde à la demande réitérée du Duc, tournant le dos aux spectateurs, comme hypnotisée par la présence de son frère qu’elle voyait sur un praticable situé au-dessus de l’espace scénique, isolé des autres personnages, revenant d’un autre monde, le regard perdu dans un ailleurs douloureux.

Cette interprétation pessimiste venait du fait que Braunschweig refusait de considérer cette pièce comme une comédie, mais « comme si » le ton tragique en était l’expression dominante.

Claude Yersin

L’année suivante, en 1998, Claude Yersin, ancien acteur de la Comédie de Saint-Etienne, a présenté sa version au Nouveau Théâtre d’Angers dont il était le directeur.

Farce grossière et comédie burlesque étaient de rigueur dans cette mise en scène joyeuse et enlevée. Au dénouement, les guirlandes de lumières multicolores et les ballons de baudruche évoquaient les flonflons des mariages provinciaux ou les bals musette du 14 Juillet, en tous cas, la fête populaire était généralisée. Le Duc avait passé l’écharpe tricolore de Maire sur sa chaîne dorée et faisait ses discours au microphone : ses paroles distancées par l’intermédiaire de la technologie moderne ne semblaient plus venir de lui, mais du représentant officiel de l’autorité qui a tout pouvoir sous couvert de la loi. Dans cette atmosphère festive, dépourvue de connotations religieuses, il distribuait un bouquet à chacune des mariées tour à tour, comme gage de leur union. Mariana la première, surprise et souriante, puis Juliet, tenant son bouquet devant son ventre arrondi, se rapprochait timidement de Claudio. Lorsque vint le tour d’Isabella, sans aucune réaction expressive, elle tombait à genou, comme elle l’avait fait précédemment pour plaider la cause d’Angelo en réponse à la supplique de Mariana. Complètement étrangère à l’esprit festif et à la musique entrainante qui régnaient autour d’elle, elle regardait la salle, les yeux perdus dans ses propres pensés. Alors, le Duc restait là, interdit, le microphone d’une main, le bouquet de l’autre, dérisoire marque d’union nuptiale manquée. Ce refus inattendu n’en représentait qu’un plus grand choc pour le Duc et pour les spectateurs, il se posait en complète contradiction avec l’atmosphère festive de la mise en scène : la comédie virait alors à la tragédie.

Dans ces mêmes années, plusieurs interprétations ont clôturé la pièce par une série de mariages en chaîne, ceci, en accord avec le texte shakespearien, mais dont la tonalité pouvait en être très bousculée, suivant les options de mise en scène choisies.

André Steiger

Bien que n’ayant pas été montée en France mais de l’autre côté de la frontière belge, près de Bruxelles, la version franco-belge d’André Steiger vaut un commentaire. Le metteur en scène, connu pour ses sympathies marxistes et iconoclastes a posé le décor de la Vienne shakespearienne dans le milieu du XIXe siècle, avec ses messieurs en frac et haut-de-forme beige et ses dames en robe mousseline et voilette blanches, évoluant en une harmonie apparente au son de valses rythmées.

La dernière séquence représentait un pastiche de cérémonie, les quatre mariées courant désespérément après leur partenaire sur la longue table noire qui barrait l’espace scénique cataloguée d’espace de « pouvoir » ((Voir Copfermann Emile, « Shakespeare Labiche », in Travail Théâtral, n°11, Printemps 1973, p. 112-113.)). Sur cette aire en surplomb réservée aux classes dirigeantes, les manigances de ces personnages « blancs » étaient révélées, le mariage étant la pire institution bourgeoise que Steiger voulait dénoncer. Les personnages finissaient par glisser ou tomber, sous le regard froid et manipulateur du Duc, le personnage le plus dévoyé de tous, Isabella étant ostensiblement la plus mal traitée.

Steiger usait d’un processus de subversion pour dénoncer les traditions bourgeoises et les alliances douteuses, cette subversion étant renforcée par un déni des traditions théâtrales occidentales. Le ton général n’était pas celui de la comédie, mais d’une double satire morale et esthétique.

Peter Zadek

Lorsqu’en 1991, Peter Zadek présenta sa quatrième mise en scène de la pièce en version française au Théâtre de l’Odéon à Paris, puis en tournée en France et enfin au Théâtre Vidy de Lausanne en Suisse, presque vingt ans s’étaient écoulés ((Voir Schwartz-Gastine Isabelle « Peter Zadek au Théâtre National de l’Odéon : Mesure pour mesure entre excès et provocation » in Prospero-European Review, n°1, Automne 2010 (http://www.prospero-theatre.com))). Sa distribution mettait en valeur Isabelle Huppert dans le rôle d’Isabella qui apparaissait au début de la pièce en superbe robe de soirée rouge qu’elle quittait négligemment pour revêtir l’habit austère noir et blanc de religieuse, mais conservant son miroir de poche, vestige d’une vie élégante et futile. Et lorsque vint la proposition de mariage, elle l’accepta sans hésitation avec un rire entendu en tendant au Duc une main parfaitement manucurée. Elle illustrait une Isabella mondaine et superficielle pour qui le mariage n’était qu’une alliance sans grande importance ; elle semblait s’accommoder sans peine des compromissions de la société de son temps.

Carlo Cecchi

Invité pour la première fois au Festival d’Automne de Paris en 1999, le metteur en scène italien Carlo Cecchi monta une trilogie shakespearienne incluant une version de Mesure pour mesure créée l’année précédente au Théâtre Garibaldi à Palerme ((Voir le Dossier de Presse du Festival d’Automne à Paris, 21 septembre-30 décembre 1999.)).

Rien d’étonnant que cette mise en scène ait été localisée clairement en plein milieu mafieux sicilien, le Duc s’apparentant au Parrain de la région. Tous les hommes étaient vêtus de costume noir qui ne les distinguait guère les uns des autres et portaient des lunettes de soleil à large monture noire pour se dissimuler, non des rayons du soleil, mais des regards indiscrets.

Lors du final, les mariages étaient célébrés en grande pompe dans la joie bruyante de la tradition du sud de l’Italie mais donnaient l’impression de n’être qu’une façade artificielle. Personne ne semblait être dupe de l’issue finale : les promesses seraient sûrement de bien courte durée et la violence aveugle pourrait s’enflammer à tout instant.

Adel Hakim

Measure for Measure - Adel Hakim - Photo © Hervé BellamyD’une facture nettement plus paisible, le final composé par Adel Hakim s’inscrivait résolument dans l’ère moderne avec un messager dont la combinaison et le casque gris métallisé évoquaient 2001, Odyssée de l’espace. Ayant été découvert par Lucio (il portait un long vêtement rouge rappelant la soutane des cardinaux ou de Saint Jérôme), le Duc se retrouvait en costume cravate pour demander la main d’Isabella. Celle-ci, toujours vêtue de sa tenue blanche de novice, une énorme croix autour du cou, pouvait très bien alors passer pour une mariée au style très sobre. En signe d’acceptation elle prenait en souriant la rose rouge que lui offrait le Duc, symbole de vie, de bonheur et de sexualité, mais qui cependant rappelait le vêtement religieux posé à terre et la robe de Mariana. Ils se tenaient au centre du praticable qui barrait le fond de scène, en position dominante. Devant eux, mais au niveau du plateau, Juliet, au ventre rebondi, se trouvait à côté de Claudio et, en contrepoint, Mariana et Angelo, de l’autre côté. Derrière eux, même Bernardine souriait aussi. Ils semblaient tous prêts pour une photo commémorative, le sourire forcé et figé, la pose fixée pour la postérité.

Le mot de la fin…

En bon dramaturge et acteur averti, Shakespeare a terminé sa comédie par un silence, peut-être dicté par des obligations techniques ou matérielles (un apprenti-acteur) ou de compréhension évidente, que plusieurs siècles de représentations théâtrales ont cherché à combler avec une éloquence à chaque fois renouvelée. Il semble qu’après une longue période de refus de mariage, les mises en scène les plus récentes retrouvent la voie de l’union, même si l’on peut s’interroger sur les motivations qui la sous-tendent.

Alors que la lecture textuelle permet de maintenir une ambiguïté ou un vide sémantique, la représentation théâtrale ne peut s’arrêter là : elle doit s’accomplir dans une continuité dynamique qui ne peut manquer d’être lue ou commentée différemment suivant les spectateurs. Ces divergences interprétatives, loin de s’exclure mutuellement ou d’établir une sorte de hiérarchie formelle, peuvent toujours se revisiter par une analyse renouvelée ((Voir Aebischer Pascale, « Silence, Rape and Politics in Measure for Measure : Close Reading in Theatre History », Shakespeare Bulletin, vol. 26, n°4, 2008, p. 9-19.)).

Contrairement à ce qu’affirmait George Odell il y a presqu’un siècle, cette comédie a été très souvent montée et selon des perspectives fort différentes, prouvant que les problématiques impliquées ne sont pas près de s’étioler.

 

Cette ressource a été écrite à partir du texte de l'intervention d'Estelle Rivier, Isabelle Schwartz-Gastine et Delphine Lemonnier-Texier, lors de la journée d'étude "Measure for Measure in performance" organisée à l'Université de Caen Normandie le 18 janvier 2013.

 

Pour citer cette ressource :

Estelle Rivier, Isabelle Schwartz-Gastine, Delphine Lemonnier-Texier, Introduction à Measure for Measure, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), novembre 2013. Consulté le 22/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/litterature/litterature-britannique/Shakespeare/introduction-a-measure-for-measure