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Hogarth et la théâtralité des 'progresses' : «A Harlot's Progress»

Par Nicole Henry
Publié par Clifford Armion le 26/06/2013

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L'enjeu de cette étude est la découverte des gravures de Hogarth, peintre anglais du XVIIIè siècle et la possibilité de réutiliser ces images dans des cours d'anglais de classe de collège et de lycée.

Contexte social

Au milieu du XVIIIè siècle, Londres est une ville de 750000 habitants, en pleine expansion grâce au développement économique ; mais le progrès ne touche pas la population de la même façon. Deux mondes se côtoient : les pauvres qui ont quitté la campagne à la recherche de travail et qui se noient dans l'alcool et la prostitution (voir Gin Lane et Beer Street) et la classe bourgeoise émergente enrichie par le commerce, qui devient plus raffinée et qui veut montrer son nouveau statut social en faisant peindre leur portrait. C'est cette hétérogénéité qui est décrite dans les dessins de Hogarth.

Dans les portraits, Hogarth analyse les comportements humains et les physionomies. Il va réutiliser cette technique dans les progresses et surtout, il va se concentrer sur la partie la plus sordide de la société londonienne. Alcool et prostitution sont les deux fléaux qui gangrènent Londres et le juge Gonson qu'on retrouve dans le Harlot, va s'attaquer à ces deux problèmes avec une grande sévérité.

Une nouvelle approche de la peinture dont Hogarth est l'initiateur

Hogarth obtient la reconnaissance du statut de peintre et la protection des œuvres qui interdit la reproduction de tableaux sans l'accord de l'auteur. D'autre part, il abandonne les grands sujets académiques religieux, mythologiques ou historiques pour des scènes de genres. Il récuse la suprématie française en matière de peinture et veut former le goût des nouveaux acheteurs ; il crée ainsi une peinture nationale fondée sur l'observation des mœurs ; les portraits sont donc parlants. Enfin, il veut édifier le peuple en rendant l'art accessible à tous : c'est l'enjeu de ces progresses.

En même temps, le roman se développe. Les romans et les progresses empruntent la même structure en chapitres ou planches et les mêmes sujets : la population misérable à Londres qui vit dans la décadence morale .Hogarth se fait ainsi le reporter de la vie londonienne.

Le 'progress'

Le point de départ des séries des gravures est la production de toiles peintes ; mais comme ces tableaux sont inaccessibles au grand public, Hogarth va produire des gravures. La diffusion de ces planches est rapide et peu onéreuse d'autant plus que le peintre utilise du papier de qualité médiocre. Hogarth propose des séries de 6 à 8 planches dont le but est de raconter en images une histoire édifiante. Pour le peintre Töpffler ce sont « des romans en estampes ». Les principales séries sont A Harlot's Progress, A Rake's Progress, Marriage à-la-mode, Industry and Idleness : autant de scènes de genres moralisantes.

Les séries utilisent les mêmes principes que la bande dessinée ou les fresques des églises romanes ; les dessins racontent une histoire sans texte, destinée au peuple qui ne sait pas lire. Il s'agit d'un langage : illustrer c'est dessiner ce qui est dit pour une lecture rapide et globalisante, doublée d'une instantanéité qui demande une lecture attentive, un déchiffrage. La lisibilité doit être aisée, amusante et moralisante. Cette volonté répond à la règle de la dramaturgie classique : plaire et instruire. Les images qui se suivent correspondent aux actes d'une pièce de théâtre.

La théâtralité dans les gravures

Hogarth se dit écrivain dramatique : « mon tableau me sert de scène ; hommes et femmes sont mes acteurs qui au moyen de certains gestes et certaines actions doivent jouer une pantomime ». Il va donc copier les caractères et les passions des hommes, faire une satire générale des vices de la société contemporaine. La composition des séries suit le même cheminement qu'un drame avec une scène d'exposition, le nœud de l'action et un dénouement. Chaque planche qui se lit de gauche à droite comprend différentes scènes ; cette superposition d'actions à la fois successives et instantanées donnent à l'image une impression de surcharge que le lecteur doit déchiffrer.

Comme dans la dramaturgie classique, Hogarth va plaire avec des dessins amusants, suggestifs, et qui font référence à des événements contemporains et instruire avec un sujet moralisant. Hogarth mélange le comique et le sérieux. Cependant il ne tombe pas dans la caricature car il n'y a pas de déformation outrancière qui ferait perdre aux gravures leur intérêt pédagogique.

A Harlot's Progress

Le sujet traité par Hogarth arrive juste après une répression officielle organisée par le juge Gonson qui voulait nettoyer les rues de Londres de la prostitution. Les maisons closes et leurs tenancières étaient responsables de la corruption morale et surtout de la propagation de la syphillis. Les journalistes de l'époque atténuent cependant le blâme jeté sur les prostituées en montrant que ces filles de le campagne sont plutôt des victimes, qu'elles sont poussées à la prostitution pour des raisons économiques et surtout qu'elles sont entourées d'hommes qui les utilisent. Les gravures de Hogarth reprennent ces mêmes idées. C'est le sujet du Harlot's Progress. Hogarth fait référence à des personnages  connus : Elisabeth Needham dite « the mother », tenancière d'une maison célèbre et qui est morte lynchée par la foule alors qu'elle était condamnée au pilori. L'autre personnage célèbre est le juge Gonson qui viendra arrêter Moll dans la troisième planche ; le dernier est le colonel Francis Charteris de triste réputation, « le maître violeur de la Grande-Bretagne » qui a été condamné à mort pour le viol de sa servante.

Première planche - Acte I

C'est l'arrivée de Moll Hackabout à Londres : La gravure est composée comme le premier acte d'une pièce de théâtre. Les scènes se superposent, ce qui donne une impression de fouillis. A gauche, la première scène est l'arrivée d'un groupe de filles de la campagne. Elles sont sagement assises dans une charrette et attendent passivement qu'on les prenne en charge.

Harlot 1

La deuxième scène est représentée par l'ecclésiastique qui  symbolise la fausse protection de la religion. L'homme sait ce qui attend les filles et se sauve à cheval ; mais au passage il renverse des pots, symbole de la chute prochaine de Moll. Dans les règles de la dramaturgie, c'est la scène de préparation au dénouement car la fin du drame doit être progressive être annoncée pour ne pas paraître artificielle. Dans cette scène, Hogarth donne deux indices : l'indifférence de l'église et la mort qui attend Moll.

La troisième scène est celle de la rencontre de Moll et d'Elisabeth Needham ; c'est le centre de l'image et le début de l'action ; on voit quatre personnages. D'abord Moll qui se tient sagement devant celle qu'elle pense être une bonne conseillère. Elle a les yeux baissés de timidité ; elle est naïvement confiante. L'oie qu'elle a apportée montre qu'elle est elle-même une oie blanche et qu'elle  finira morte comme l'animal. Moll est couturière, on voit à sa ceinture des ciseaux ; elle est normalement attendue par sa cousine qui n'est pas là ; le paquet à coté d'elle comprend une inscription « à ma cousine » .

Ensuite, Needham essaie de la séduire ; sa main lui caresse le visage et commence à enlever le ruban de son chapeau - premier déshabillage - elle lui sourit aimablement mais elle a déjà des taches de syphillis sur la figure. La rose encore fraîche qu'elle tend à Moll, symbole de sa beauté, va vite se faner.

Quatrième scène : sur la droite les hommes attendent leur tour ; il s'agit du colonel Chateris et de son compère. Tous les deux dévisagent et même envisagent Moll comme leur prochaine victime.

Le dessin relève d'une composition significative. Les lignes verticales sont dominantes : elles symbolisent  l'immobilisme de l'action. Tout le monde attend : les filles dans la charrette qu'on s'occupe d'elles ; Moll, son cousin, Needham que Moll tombe dans ses filets et les hommes de pouvoir profiter de l'oie blanche. C'est l'ancrage dans l'intrigue. Le dessin est divisé en deux parties égales ; à droite, les personnages purs dans une zone claire qui souligne leur candeur, et à gauche une zone sombre où se tiennent les corrupteurs. Au centre, les deux femmes dont les robes forment une cloche qui rappelle le nom de l'auberge. Le bâtiment est d'ailleurs fissuré pour annoncer la chute de Moll.

Trois critiques dans ce dessin : la prostitution organisée, l'indifférence de l'Eglise voire même sa caution (ce qui n'est pas sans rappeler les idées de Voltaire) et la naïveté voire la stupidité de Moll.

Seconde planche - Acte II

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On peut voir entre cette gravure et la précédente, une longue ellipse pendant laquelle Moll s'est complètement transformée. Un implicite important est à reconstituer mentalement ; Moll est emmenée par la tenancière de maison close. La transformation porte sur la perte de la candeur : la naïveté a tourné à la roublardise ; Moll a abandonné sa réserve et son métier de couturière. Mais le lecteur n'a pas besoin de la narration de cette ellipse parce que la planche 2 résume parfaitement la nouvelle situation. Moll est installée chez un riche marchand et est devenue sa maitresse ; la contrepartie est évidemment financière. EIle a donc changé de statut social ; elle est richement vêtue et a des domestiques à son service.

La première scène à gauche, c'est la sortie discrète du jeune amant de Moll ; il s'éclipse sur la pointe des pieds en se rhabillant et part avec la complicité de la servante. Le lien entre maitre et valet est une constante des pièces de Molière, de Marivaux ou de Beaumarchais. Le jeune homme est un aristocrate puisqu'il porte une épée. Le comique de cette scène est souligné par le geste de l'amant qui mesure avec ses doigts la taille du sexe du marchand ; Celui-ci ne semble pas satisfaire Moll si ce n'est que financièrement. Moll est donc prisonnière malgré le confort offert.

La deuxième scène, au centre, c'est la colère du marchand trompé. Celui-ci lance un regard furieux sa maitresse. On imagine un dialogue de réprobation. Une table rococo a la mode est renversée par Moll pour détourner l'attention : cette chute symbolise celle que Moll connaitra très prochainement. Sur la coiffeuse se trouve un masque, celui de l'hypocrisie mais aussi un cache misère : l'ensemble forme un petit tableau de vanité.

La troisième scène, à droite dans la lumière, montre la nouvelle fonction de Moll. Le mouvement de la scène contraste avec le statisme de l'acte I. L'attitude de Moll, le corsage ouvert, la jambe soulevée et une première tache de syphilis montrent sa transformation ; les deux planches répondent au souci esthétique de Hogarth : la courbe et la variété.

Dans cet acte, des signes montrent la décadence de Moll : le comique de la fuite de l'amant se mélange au drame qui se profile. Cette gravure symbolise le mouvement des personnages : l'amant, le page, le singe et Moll. Ce tourbillonnement est souligné par les plis de la robe et les gestes des protagonistes. Le décor luxueux qui entoure Moll est aussi significatif : le page tient une bouilloire en argent, le lit a de belles tentures. Mais ce confort va disparaitre avec la chute annoncée. L'un des tableaux accroché au mur illustre un épisode de l'ancien testament : Ouzza est frappé dans le dos alors qu'il veut empêcher l'arche d'alliance de tomber.

La composition de la gravure met en avant les éléments essentiels : le marchand qui est l'acteur principal de la vie de Moll : c'est  grâce à ses largesses que Moll vit luxueusement. La composition de la planche se fait par la lumière : l'amant dans l'ombre disparait et la querelle de Moll et du marchand est mise en lumière parce qu'elle est le début de la décadence de Moll.

Troisième planche - Acte III

Changement de lieux : Moll a été renvoyée par son protecteur. Elle a perdu son statut social et son confort matériel. Elle est devenue une simple prostituée à Covent Garden, quartier des maisons closes de l'époque. Ici on voit le second lever de Moll mais dans un autre contexte.

La planche se divise en trois scènes ; à droite Moll se lève tard. C'est d'ailleurs le point de départ de le série. Hogarth a peint un tableau représentant le lever d'une prostituée. Il a eu l'idée de raconter ce qui s'est passé avant et après cette scène. Moll à gauche a gardé son attitude provocante, le corsage ouvert, elle fait de l'œil au spectateur et même son chat à ses pieds a une posture suggestive : il remplace le petit singe de la planche précédente. Cependant le beau fauteuil de la seconde planche est devenu une chaise rustique ; au mur, un chapeau et un fouet qui représentent la magie noire satanique mais aussi les services que propose Moll à ses clients. Deux portraits de héros d'opéra, Macheath et William Sacheverell, deux condamnés à mort, semblent annoncer le sort de Moll et la vitre cassée montre l'état de délabrement qui guette la jeune prostituée.

La scène suivante est centrée sur la servante ; c'est une vieille femme rongée par la syphilis puisqu'elle a perdu son nez ; le pot qu'elle tient est en terre et non plus en argent comme dans la planche précédente et la jolie table rococo est devenu un tabouret minuscule. Le lit est au centre de la pièce puisque c'est l'instrument de travail de Moll ; il a perdu son luxe, les rideaux sont déchirés et sur le sommet du lit on peut voir une valise au nom de James Dalton, amant de Moll et célèbre voleur ; les maisons closes sont donc des repères de bandits. Sur la droite des drogues destinées à guérir la syphilis sont au premier plan pour insister sur les ravages des maladies vénériennes mais l'on voit aussi une bouteille d'alcool, autre fléau de la société pauvre en Angleterre.

La troisième scène est l'arrestation de Moll par le juge Gonson. L'arrivée des huissiers se fait par la droite et par derrière comme pour surprendre Moll ; la scène est dans l'ombre pour marquer le sombre destin de Moll. On pourrait penser aussi que Hogarth considère les prostituées comme des victimes des hommes ; c'est Chasteris, puis le marchand, le juge Gonson, et enfin, dans la planche suivante, le geôlier, qui entourent Moll, profitant d'elle ou la punissant. La théâtralité de la planche est soulignée par le cadre du lit et du  rideau .

Quatrième planche - Acte IV

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Moll est en prison ; Bridwell est une maison de correction pour prostituées et voleurs. La chute dans l'échelle sociale s'est accentuée : les lieux sont misérables. Ses compagnons d'infortune sont rangés de gauche à droite selon leur décadence et leur richesse.

La première scène montre l'arrivée de Moll en prison. Elle se fait voler ses beaux vêtements par la femme du geôlier : encore un déshabillage. L'ironie est de se faire voler par ceux qui sont sensés réhabiliter les prisonniers par le travail comme le montre l'écriteau sur le pilori "mieux vaut travailler que d'être ici". Le gardien menace Moll du fouet, comme elle avec ses amants. Les vêtements de Moll sont incongrus en prison, c'est ce qui amuse la prostituée de droite. Moll attire les regards par l'éclairage, la proportion de sa représentation et surtout par son nouveau travail : battre le chanvre pour faire des cordes pour les bourreaux.

La deuxième scène est centrale : c'est le billot sur lequel va s'abattre le marteau de Moll ; c'est presque une exécution, l'annonce d'une mise à mort. A côté de Moll se trouve un condamné pour dettes de jeu ; la carte à jouer à ses pieds le trahit. Encore plus à droite, une enfant qui travaille avec ardeur,  même elle n'est pas épargnée par la prison ; plus loin et au fond et faisant le lien avec la scène suivante, une femme noire enceinte ; aucune indulgence pour ces femmes de mauvaise vie.

La dernière scène  montre une femme qui soulève ses jupes pour remettre ses bas éraillés ; elle regarde Moll d'un air moqueur car elle sait  qu'elles auront la même fin de vie : les taches de syphilis sur sa figure sont significatives. Au fond, sur la potence, se trouvent les initiales du juge Gonson, J.G. avec la mention « salaire de la paresse ». Les lignes de composition de l'image convergent vers cette potence et les couleurs s'assombrissent dans cette direction .

Planche cinq et six - Acte V

Les planches cinq et six correspondent au dernier acte, la dernière planche représentant la dernière scène, la conclusion moralisante.
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La cinquième planche représente une scène dramatique : Moll est sortie de prison pour mourir chez elle. Les lieux sont encore plus misérables. Le seau à charbon est renversé, le plâtre tombe du plafond.

A gauche, c'est la première scène : une femme fouille dans la malle de Moll pour la voler. Elle a fait ses choix ; elle a pris les accessoires de travail de Moll : une jolie robe, les chaussures élégantes, le chapeau de sorcière, le fouet et le masque. La relève est malheureusement assurée et l'agonie de Moll ne sert en rien d'exemple .

La deuxième scène est tout à fait digne des comédies de Molière. Deux médecins se disputent l'efficacité de leurs remèdes pendant que la patiente meurt seule. On peut reconnaître le docteur Richard Rock (son nom est sur l'ordonnance), célèbre charlatan, et un français, Jean Misaubin. Ils sont habillés respectablement, perruque, redingote et dentelles ; mais ils sont plus préoccupés d'avoir raisons quant à  leur dispute que de  guérir la malade. D'ailleurs la table renversée avec des fioles symbolise l'échec de leur médecine. Leur agitation contraste avec l'immobilité de Moll.

La troisième scène est l'agonie de Moll qui est presque allongée, le visage blanc comme la mort qui arrive. Elle est enveloppée d'une couverture près du feu parce qu'on pensait guérir la syphilis en faisant transpirer les malades. Sa couverture préfigure son linceul. Derrière Moll la vie continue : le linge sèche et son fils qui ne comprend pas ce qui se passe se gratte la tête à la recherche de poux. Seule une femme s'inquiète pour Moll ; elle tente d'éloigner les médecins et entoure Moll d'un bras protecteur. La table renversée est le retour au point de départ. Au fond le lit est fermé ; il ne sert plus.

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La planche suivante est la dernière ; elle correspond à la scène finale d'une pièce de théâtre. Tous les personnages sont réunis pour l'enterrement de Moll. La pièce est plus confortable et les amies de Moll entourent le cercueil. A gauche, une prostituée racole le pasteur et jette un regard doux au lecteur-spectateur ; elle est collée à l'ecclésiastique et sa  main gauche a disparu, Dieu sait où, tandis que sa main droite caresse le bras du pauvre pasteur tout retourné. Celui-ci a le regard gêné et baissé et le verre qu'il tient dressé et qui se renverse sous l'émotion ressemble à un phallus en érection et en action. Au centre le cercueil de Moll est ouvert ; trois femmes semblent pleurer à droite tandis que trois autres mangent et boivent indifférentes à Moll. Sur le couvercle on put lire l'inscription M Hackabout, décédée à 23 ans. Sur la droite de la gravure, au fond, une prostituée se regarde dans un miroir. Au premier plan, l'employé des pompes funèbres enlève un gant à une fille tachée par la syphilis qui lui vole son mouchoir : il lance un regard très intéressé à la voleuse ; tout devant, la mère maquerelle pleure la perte financière que provoque la mort de Moll. Enfin, au centre et par terre se trouve le fils de Moll, victime collatérale de la prostitution ; il joue inconscient du triste sort qui lui est réservé.

L'indifférence des personnages à la mort de Moll est accrue par le souci des prostituées à continuer leur travail : pas de trève  pour les ravages de la prostitution. La morale de cette scène c'est évidemment la mort à venir des prostituées par la propagation de la syphilis, mais aussi la perte de tout sens moral et de compassion dans les mœurs de la société anglaise.

Cette préoccupation de Hogarth à vouloir donner une leçon de morale au  peuple, l'éduquer par une série d'images, comme la bande dessinée, est une idée très en avance sur son siècle. En France, il faut attendre Zola, un siècle plus tard, pour voir les écrivains analyser le comportement humain, croquer des situations populaires, dénoncer la misère du peuple et critiquer les abus des autorités, surtout religieuses.

Mais Hogarth est un homme des Lumières par sa verve critique et derrière l'ironie traditionnelle de ce siècle, il poursuit un but social : il s'intéresse à la modernité urbaine et populaire et aux bouleversements sociaux dus au développement commercial. Son don de l'observation qu'on retrouve dans les progresses et son intérêt pour les basses classes sociales sont étroitement liés à la littérature anglaise qui se développe en même temps ; c'est une autre Moll, Flanders cette fois-ci, de D. Defoe, ou une Pamela de Richardson, héroïnes de roman divisé en chapitres comme la série des gravures.

Conclusion

Les gravures d'Hogarth peuvent être considérées comme des bandes dessinées ; elle sont destinées au peuple qui ne sait pas forcément lire ; une autre lecture est proposée, celle des images parlantes qui racontent une histoire.

Le but de la publication de ces gravures est l'éducation du peuple englué, à Londres, dans la prostitution, l'alcool et le jeu. De nombreux personnages de ces gravures sont reconnaissables par le public, tel le juge Gonson. Pour construire sa narration, Hogarth est fortement influencé par la dramaturgie théâtrale : Molière et Marivaux sont connus en Grande Bretagne, d'autant plus que ces histoires ont une fin dramatique, voire tragique parce que les héros sont incapables de lutter contre leurs vices, ce qui les mène à la mort.

Mais les progress sont aussi influencés par le roman qui émerge en Angleterre, un roman divisé en chapitres et qui surtout s'intéresse au sort du peuple misérable qui vit en ville. C'est Moll Flanders de Daniel Defoë, Tom Jones de Henry Fielding - les mêmes prénoms que les héros de Hogarth. Un siècle avant Zola, il raconte les ravages de l'alcool .Hogarth est un homme des Lumières, plus préoccupé de morale et du bien être du peuple que de l'infortune des rois.

 

Pour citer cette ressource :

Nicole Henry, "Hogarth et la théâtralité des 'progresses' : «A Harlot's Progress»", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), juin 2013. Consulté le 04/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/arts/peinture/hogarth-et-la-theatralite-des-progresses-a-harlot-s-progress