«Mud» / «Sur les rives du Mississippi» (Jeff Nichols - 2012)
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Peut-on, doit-on être fidèle? À ce que l'on est, à ceux que l'on hait, à ceux que l'on aime? À l'enfant que l'on est, que l'on a été? Vivre, est-ce renoncer? Par lâcheté, par manque de foi? Que se passe-t-il quand le cristal de l'enfance rencontre la boue des fleuves?
Comme le Mississippi, fleuve-mère et fleuve-père, ces questions irriguent le troisième long-métrage de Jeff Nichols, jeune et talentueux metteur en scène du Sud, né en Arkansas.
Le film s'ouvre sur Ellis, s'éclipsant dans la nuit pour rejoindre son ami Neckbone. Ils ont 14 ans. En canot, ils remontent et le fleuve et la nuit. Deux enfants sur une barque, cela évoque immédiatement la littérature de l'enfance, et l'enfance de la littérature américaine, Mark Twain en l'occurence. Remonter un fleuve n'est pas non plus anodin. Certains en firent des romans (pas fleuves pour autant).
Sur une île, vision onirique, un bateau est perché dans un arbre.Tout est réuni: l'île mystérieuse, la cabane/bateau. Mais tout Robinson devrait savoir que les îles désertes ne le sont jamais.
Surgit Mud (Matthew McConaughey), loser échoué, en cavale suite au meurtre d'un homme qui maltraitait Juniper, son unique amour depuis l'enfance. Mud est l'archétype de l'aventurier. Ellis n'aura de cesse de l'aider. Il le fascine car il cristallise ses espoirs et incarne un idéal de fidélité, à un moment où sa vie bascule (ses parents divorcent, il découvre l'amour, grandit, se cherche). Mud est recherché par la police, mais aussi par la famille de la victime. Film noir au bord du fleuve, dénouement violent.
Mais avant ce dénouement, il y a ce nœud, ce qui se joue au cœur du film, au cœur d'Ellis. Il s'agit de croire, mais encore plus d'aimer, d'être sauvé. Comme Mud l'a été au sens propre par Juniper, comme le sera Ellis.
Quelle est donc cette boue qui constitue Mud? Celle du mensonge qui salit? Celle qui relaxe et guérit? Celle qui façonne des figures, ou garde la trace de nos pas, de nos passés? Celle sans doute où poussent les racines des genévriers/Juniper. Quant à Ellis, trouver une île/island/I-land où se réfugier, semble une évidence.
Le film est taiseux, les accents sont enracinés dans la terre gorgée d'eau. Les paroles mentent, la langue trahit le cœur. Seuls comptent les actes, les gestes, y compris ces petits gestes de la main qui viennent ponctuer deux moments-clés du film.
Il y a des traces de croix sur le sable, des coups, des pleurs et du sang. Il y a des tatouages d'oiseaux sur ses mains à elle, un tatouage de serpent sur son bras à lui. Il y a des vrais serpents qui bercent de leur morsure les enfants tombés. Il y a la mort pour ceux qui veulent la mort. Des lumières au fond du fleuve. Des courses à moto au petit matin. Le rythme du fleuve et les maisons qui s'y perdent. Il y a Sam Shephard, patriarche des orphelins, traînant sa longue dégaine dans ce western aquatique. Il y a l'ombre de la nuit et l'ombre des chasseurs. Il y a comme épilogue, l'émerveillement toujours intact de l'eau et l'évasement du ciel.
Un grand film aux pistes multiples. Un film grand aussi par sa modestie. Les grands fleuves enseignent beaucoup.
Il vous donnera peut-être envie de découvrir les deux très bons films précédents de Jeff Nichols: Shotgun Stories et Take Shelter. Il y dessine les contours d'une autre Amérique.
Pour citer cette ressource :
Lionel Gerin, "«Mud» / «Sur les rives du Mississippi» (Jeff Nichols - 2012)", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mars 2016. Consulté le 02/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/arts/cinema/mud-sur-les-rives-du-mississippi-jeff-nichols-2012-