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Invitation à la lecture de «Se questo è un uomo»

Par Damien Prévost : Professeur agrégé d'italien
Publié par Damien Prévost le 30/09/2011

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((Se questo è un uomo)) est sûrement l'oeuvre la plus connue de Primo Levi. Cette "invitation à la lecture" a pour but d'offrir une analyse rapide des thèmes porteurs d'une oeuvre. S'ensuivront des "commentaires" de textes tirés de cette oeuvre et qui viendront compléter cette "introduction". Pour ceux qui veulent découvrir ou relire une oeuvre incontournable de la littérature italienne.

Se questo è un uomo est sûrement l'oeuvre la plus connue de Primo Levi. Cet article qui s'inscrit dans une nouvelle section "enseignement de la littérature en langue étrangère" est le premier d'une série que nous espérons longue ! Cette "invitation à la lecture" a pour but d'offrir une analyse rapide des thèmes porteurs d'une oeuvre. S'ensuivront des "commentaires" de textes tirés de cette oeuvre et qui viendront compléter cette "introduction". Pour ceux qui veulent découvrir ou relire une oeuvre incontournable de la littérature italienne.

« Horresco referens »((« Je frémis en le racontant », Énéide, II, 204.))

Virgile

INTRODUCTION

Appliqués à l'œuvre de Primo Levi, ces mots de Virgile ont une résonance toute particulière : l'horreur est là et le sentiment de Primo Levi de voyager à travers l'Enfer dantesque l'est également. L'horreur, Primo Levi la relate calmement, efficacement avec une facilité et une distanciation presque déconcertantes. Si Primo Levi pense à ces mots de Virgile, rien ne semble transparaître dans son écriture : comme nous le verrons, il doit témoigner et il le fait. Mais ce devoir ne fait pas seulement de Levi le « mémorialiste » des deux lignes que Michel David lui consacre dans l'anthologie de littérature italienne publiée sous la direction de Christian Bec((« Les camps de concentration ont eu leurs mémorialistes, avec Primo Levi (un ingénieur chimiste) (J'étais un homme, 1947 ; La trêve, 1963) [...] ». Christian BEC, Précis de littérature italienne, PUF, 1995, p. 392. À noter : Primo Levi tentera vainement de faire retirer de la vente la traduction citée - J'étais un homme, (traduction de M. CAUSSE, Paris, Buchet-Chastel, 1961) - considérant que «Se questo è un uomo, tradotto in francese in fretta e furia (e a mia insaputa) dal primo venuto, è risultato letteralmente illeggibile, e a tratti degno di la réalité dépasse la fiction». Lettre à la maison d'édition Einaudi du 4 novembre 1966.)). Sa formation de chimiste et son activité d'écrivain dilettante en marge de sa profession d'ingénieur ne sont d'ailleurs peut-être pas étrangères à une attention relative de la critique sur son œuvre pendant de nombreuses années.

PRIMO LEVI ET SA « JUDÉITÉ »

Primo Levi n'est pas non plus un simple « juif italien » : sa judéité, il n'en prend pleinement conscience que dans le camp (même si les lois raciales de 1938 avaient déjà eu leur lot de conséquences pénibles). De fait, Se questo è un uomo n'est pas une œuvre sur l'extermination du peuple juif dans les camps nazis, il s'agit au contraire d'un témoignage sur l'homme et l'offense faite à l'humanité à cette occasion. Dans la préface à Se questo è un uomo, Primo Levi dit vouloir « fornire documenti per uno studio pacato di alcuni aspetti dell'animo umano »((Primo LEVI, Se questo è un uomo, Einaudi, 1989, Prefazione, p. 9. "Pour fournir  des documents à une étude dépassionnée de certains aspects de l'âme humaine", p. 7. Toutes les traductions de Se questo è un uomo sont tirées de la traduction de Martine Schruoffeneger, l'édition considérée est Primo Levi, Si c'est un homme, Julliard, Pocket, 2003.)).

Primo Levi se déclare juif (et non partisan) après son arrestation par la milice fasciste croyant ainsi sauver sa vie et ne pas être fusillé : ce choix sera bien évidemment déterminant car, en affirmant cette identité, il se retrouve à en assumer involontairement les conséquences que l'on sait. Il part vers Auschwitz avec ses co-damnés qui ne le reconnaîtront pas, l'écrasante majorité des juifs présents à Auschwitz parlant Yiddish, lui, non. Il se retrouve alors seul et isolé dans cet Enfer, privé des siens pour la plupart gazés à leur arrivée ou morts dès les premiers jours (les Italiens ne parlaient souvent ni allemand, ni yiddish et ne comprenaient pas les ordres). Ignoré par ses pairs, puni par les nazis pour une judéité qu'il ne connaît pas vraiment lui-même mais qu'il a cru bon de revendiquer, il entre en Enfer. Pour finir sur ce point, Auschwitz n'est ni le lieu de la révélation de sa foi ni celui de la rupture définitive avec Dieu : les derniers mots qu'il écrit à Ferdinando Camon peu avant son suicide semblent l'attester : si Conversazione con Primo Levi se termine par « C'è Auschwitz, quindi non può esserci Dio »((Ferdinando CAMON, Conversazione con Primo Levi, Garzanti, 1991, « L'uomo e la chimica », p. 72. "Auschwitz existe donc Dieu ne peut pas exister"; traduction de Damien Prévost.)), Primo Levi ajoute tout de même à la relecture des épreuves « Non trovo una soluzione al dilemma. La cerco ma non la trovo ». Évidemment, ces mots soulèvent bien plus d'interrogations qu'ils n'apportent de réponses et, comme le dit Ferdinando Camon : « mi piacerebbe riparlarne con lui ma lui non c'è più. »((William KAREL, Primo LEVI ... et mon tout est un homme, in Un siècle d'écrivains, n° 210. "J'aimerais en reparler avec lui. Mais, lui, il n'est plus là." ; traduction de Damien Prévost.))

MÉMOIRE ET TÉMOIGNAGE

L'intuition de devoir témoigner est très précoce et la force et l'énergie consacrées à la mémoire sont considérables pour les déportés au moment même où se déroulait l'inimaginable, l'impossible à croire au sein du camp. Devoir raconter ce qui ne peut être cru est une obsession déjà présente à l'intérieur du camp. Par ailleurs, pour bien appréhender l'énergie du souvenir qui fut la sienne, il faut considérer l'état de fatigue extrême et permanente des déportés : beaucoup de témoignages vont en ce sens((Pour ne citer qu'un exemple, je prendrai le cas de René LETHENET, résistant déporté à Buchenwald et Dachau en 1944: « Etait-ce un effort « surhumain », selon vous, de pouvoir être attentif au temps qui s'écoulait, de pouvoir enregistrer, et même d'analyser ? - Oui, clairement car on ne pensait qu'à la faim, rien d'autre n'existait, on ne pensait qu'à sa faim, c'était un monde nombriliste, on n'avait pas le temps de s'occuper des autres. » Entretien du 20/12/1999 réalisé par Damien Prévost.)). À la lecture de Se questo è un uomo - et même de La tregua - le nombre de personnages décrits à travers leur origine, leur profession, leurs particularités, leur nom est pour le moins impressionnant. Porter témoignage est une idée affirmée dans la préface bien évidemment mais aussi à travers le texte même de Se questo è un uomo « si deve voler sopravvivere per raccontare, per portare testimonianza »((Primo LEVI, Op. Cit., « Iniziazione », p. 35. " Nous devons vouloir survivre, pour raconter, pour témoigner", p. 57.)). Par là, l'auteur renvoie à la nécessité de la survie, du devoir de survie. L'épigraphe, quant à elle, insiste davantage sur l'obligation faite au lecteur de se souvenir((« Vi comando queste parole. / Scolpitele nel vostro cuore / Stando in casa andando per via, / coricandovi alzandovi ; / Ripetetele ai vostri figli. / O vi si sfaccia la casa, / La malattia vi impedisca, / I vostri nati torcano il viso da voi », Primo LEVI, Op. Cit., p. 7. "Gravez ces mots dans votre coeur. / Pensez-y chez vous, dans la rue, / En vous couchant, en vous levant; / Répétez-les à vos enfants. / Ou que votre maison s'écroule; / Que la maladie vous accable, / Que vos enfants se détournent de vous.", p. 9.)) plutôt que sur la notion de témoignage à proprement parler. En somme, Primo Levi exprime une triple obligation : survivre, témoigner et se souvenir.

L'EXPRESSION DE L'INDICIBLE

La problématique de l'indicible, Primo Levi va l'affronter grâce à sa formation scientifique : en effet, le discours scientifique est précis, clair ; les mots utilisés correspondent à une réalité qui ne laisse pas de place à l'approximation. Cependant, des mots simples comme « froid », « faim », « soif », « douleur », « affliction » ne couvrent pas le même spectre de sens hors le camp et dans le camp. Primo Levi ne fera pas le choix des superlatifs mais celui de la simplicité : la « faim » demeure la faim ; il ne faut pas dénaturer les mots, au contraire, il faut revenir à leur sens premier. La réalité du camp n'a pas son pareil hors le camp mais ces deux réalités ont tout de même des éléments communs : le pire de la vie hors le camp est le quotidien du camp. Ainsi Primo Levi ne parlera que peu de la souffrance de tous les jours comme d'une souffrance, il ne dira « souffrir » que lorsque celle-ci se démarquera de la souffrance quotidienne au sein du camp (cette souffrance quotidienne et banale qui briserait rapidement tout individu hors le camp). On assiste donc à un décalage d'intensité : l'expérience sensible de la souffrance est commune à tous les individus, l'auteur s'appuie sur cette expérience mais en décale l'intensité. On entrevoit ainsi son aspect « hors normes ».

Le chapitre « nos nuits » en est un bon exemple : le pluriel renvoie à l'expérience du quotidien (il s'agit bien « des » nuits et non d'« une » nuit) et la description de Primo Levi fait ainsi l'économie de l'hyperbole car rien ne la justifie. Mais ces nuits sont abominables : après une journée de travail et de souffrance, le seul moment de repos concédé aux détenus n'en n'est pas un, loin s'en faut. Il s'agit d'une lutte pour trouver sa place, d'un inconfort extrême, de cauchemars angoissants, de réveils nocturnes pour se soulager des litres de « soupe » (qui s'avère être plus du bouillon de cuisson que de la soupe). Une seule de ces nuits serait synonyme de grande souffrance dans la vie hors le camp alors qu'elle revêt pour Primo Levi un caractère banal et quotidien.

Il est à noter que Primo Levi ne choisit donc pas de décrire l'horreur à travers le vocabulaire de l'horrible. Il décrit patiemment le quotidien du camp, ses règles, l'absurde et suggère l'horreur des sévices rendus possibles par la nature même du camp : la scène de la sélection en octobre 1944 en témoigne. C'est une des scènes les plus insoutenables et elle est décrite sans effusion : il est aisé d'imaginer ce qui peut être possible dans un lieu où d'un regard, un homme choisira parmi le « matériel humain » qui lui est soumis ce qu'il utilisera encore et ce qu'il mettra au rebus par l'entremise du gazage collectif. On ne se trouve pas devant une narration volontairement choquante, Primo Levi sert l'événement en le narrant mais ne se sert pas de l'événement pour pousser le lecteur dans les retranchements de l'insoutenable((« avevo visto che era meglio lasciare che le cose raccontassero se stesse. Cioè un costante timore di andare nel rettorico mi pareva che fosse del tutto superfluo anzi negativo forse nocivo fare della rettorica [...] Non c'era bisogno sottolinerare l'orrore, l'orrore c'era, c'era nelle cose che raccontavo, non occorreva scrivere « questo è orribile. » ». LA SEPT / ARTE, Primo LEVI : un écrivain contre l'oubli. Dont documentaires et interviews RAI 1974 -1983. "J'avais vu qu'il valait mieux laisser les choses se raconter elles-mêmes. J'avais une crainte permanente d'aller vers le rhétorique : il me semblait qu'il était tout à fait superflu voire négatif de faire de la rhétorique [...] Nul était besoin de souligner l'horreur : l'horreur était là, elle était dans les choses que je racontais, il n'était pas nécessaire d'écrire "cela est horrible."" ; traduction de Damien Prévost.)). Au fond, Se questo è un uomo n'a pas pour objectif de pousser le lecteur dans ses retranchements, il est d'abord là pour « informer ».

L'ENVIRONNEMENT LITTÉRAIRE

Son expérience concentrationnaire, Primo Levi la vit à travers son environnement littéraire, celui auquel il été confronté au lycée classique Massimo D'Azeglio de Turin, mais c'est le voyage infernal de Dante qui apparaît d'abord au lecteur. Les références à l'Enfer parsèment tout le texte par le biais de mots propres à Dante comme « bolgia »((Primo Levi, Op. Cit., « I fatti dell'estate », p. 105.)), « i diavoli di Malebolge »((Ibid., « Esame di chimica », p. 96. "les démons de Malebolge", p. 166.)), « guai a voi anime prave »((Ibid., « Il viaggio », p.18. "gare à vous âmes noire", p. 25. Martine Schruoffeneger emprunte cette traduction à Henri Longnon, Classiques Garnier.)) par exemple mais aussi à travers la thématique de la descente, le « viaggio all'ingiù verso il fondo »((Ibid. « Il viaggio », p. 14. "En route [...] pour la chute, le fond.", p. 18.)). Le chapitre « Le chant d'Ulysse » renvoie lui très clairement à une des cantiche de la Divine Comédie. L'enfer dantesque assume ici une forme de valeur archétypale qui structure l'expérience vécue. Presque tous les personnages croisés dans le camp avec qui Primo Levi échange sont rapidement décrits à travers des détails biographiques (origine, métier, surnom...) un peu à la manière des personnages rencontrés par Dante tout au long de la Divine Comédie. Cependant, la Divine Comédie n'est pas la seule œuvre à influencer le regard porté par Primo Levi sur ce qu'il est en train de vivre, on se limitera à la description de la petite Emilia((Ibid., « Il viaggio », p. 17.)) où les accents manzoniens semblent affleurer((« Come non ricordare l'« insolito rispetto » e l'esitazione del « turpe monatto » davanti al caso singolo, davanti alla bambina Cecilia morta di peste che nei Promessi Sposi, la madre rifiuta di lasciar buttare sul carro confusa fra gli altri morti ? Fatti come questi stupiscono, perché contrastano con l'immagine che alberghiamo in noi, dell'uomo concorde con se stesso, coerente, monolitico ; e non dovrebbero stupire, perché tale l'uomo non è. Pietà e brutalità possono coesitere, nello stesso individuo e nello stesso momento, contro ogni logica [...] », Primo Levi, I sommersi e i salvati, Einaudi, 1991,« La zona grigia », pp. 41-42.)). La littérature influence donc, en quelque sorte, le ressenti de son vécu.

ABSURDE ET « MONDO ALLA ROVESCIA »

Les notions d'absurde, de « monde à l'envers », d'« anti-monde » sont, elles aussi, une constante de l'œuvre : l'homme d'Auschwitz est face à un anti-système. Un système qui, pourtant, a ses règles (qu'elles soient instituées par l'administration allemande ou par les déportés eux-mêmes). Ce qui caractérise le système concentrationnaire, c'est l'imprévisible et l'absence de garde-fous((« Trattengo Pikolo, è assolutamente necessario e urgente che ascolti, che comprenda questo « come altrui piacque », prima che sia troppo tardi, domani lui o io possiamo essere morti o non vederci mai più [...] » Primo Levi, Se questo è un uomo, « Il canto di Ulisse ». "Je retiens Pikolo : il est absolument nécessaire et urgent qu'il écoute, qu'il comprenne ce "come altrui piacque" avant qu'il ne soit trop tard ; demain lui ou moi nous pouvons être morts, ou ne plus jamais nous revoir [...]", pp. 178-179.)) : tout est possible à chaque instant et rien ne vient empêcher la descente inexorable vers la perdition et la mort tout autant que l'ascension de personnes dépourvues de tout scrupule((« Chi non sa diventare un Organisator, Kombinator, Prominent (truce eloquenza dei termini !) finisce in breve mussulmano. Una terza via esiste nella vita, dove è anzi la norma ; non esiste in campo di concentramento », Primo Levi, Op. Cit., « I sommersi e i salvati », p. 81."Ainsi, celui qui ne sait pas devenir Organisator, Kombinator, Prominent (farouche éloquence des mots !) devient inéluctablement  un "musulman". Dans la vie, il existe une troisième voie, c'est même la plus courante ; au camp de concentration, il n'existe pas de troisième voie.", p. 138.)). Il n'y a pas de règles sociales visant à réguler ces « injustices » tout simplement parce que la notion de justice n'a pas voix au chapitre. « Al di qua del bene e del male » regorge d'exemples illustrant ce phénomène, ces quelques mots suffiront à en donner une illustration : « [...] il furto in Buna, punito dalla Direzione civile, è autorizzato e incoraggiato dalle SS ; il furto in campo, represso severamente dalle SS, è considerato dai civili una normale operazione di scambio ; il furto fra Häftlinge viene generalmente punito ma punizione colpisce con uguale gravità il ladro e il derubato »((Primo Levi, Op. Cit., « Al di qua del bene e del male », p. 77. "Conclusion : le vol à la Buna, pûni par la Direction civile, est autorisé par les SS ; le vol au camp, sévèrement sanctionné par les SS, est considéré par les civiles comme une simple modalité déchange. Le vol entre Häftlinge est généralement puni, mais la punition frappe aussi durement le voleur que le volé." , p. 132.)).

FONCTION L'ÉCRITURE ET DU TÉMOIGNAGE

Pour Primo Levi, écrire est synonyme de libération((« Il libro è stato scritto [...] a scopo di liberazione interiore » , Primo Levi, Op. Cit., Prefazione, p. 9. "J'ai écrit mon livre [...] en vue d'une libération intérieure.", p. 8.)) mais il convient d'avoir à l'esprit que cet acte de libération n'est pas une évidence : nombre de déportés ont refusé de témoigner car témoigner c'est revivre. Parmi ceux-ci, Jorge Semprùn est peut-être le plus célèbre : « Si l'écriture arrachait Primo LEVI au passé, si elle apaisait sa mémoire (« paradoxalement, a-t-il écrit, mon bagage de souvenirs atroces devenait une richesse, une semence : il me semblait, en écrivant, croître comme une plante »), elle me replongeait moi-même dans la mort, m'y submergeait »((Jorge SEMPRÙN, L'écriture ou la vie, Follio Gallimard, 1994 p. 322.)). L'origine de ce besoin d'écrire demeure assez confuse chez Primo Levi : le devoir lié à la survie((Charles, un des personnages de l'histoire des dix jours évoque cette possibilité (William KAREL, Primo LEVI ... et mon tout est un homme, in Un siècle d'écrivains, n° 210))) ? Le besoin de réorganiser la confusion psychique générée par Auschwitz((« Son intense besoin d'écrire correspond à la menace de désorganisation psychique qu'il a subie à Auschwitz. Il y répond en mettant de l'ordre en lui-même, avec ses propres armes : la clarté, la précision de l'écriture que lui a apportées la chimie. » Myriam ANISSIMOV, Primo LEVI ou la tragédie d'un optimiste, Jean Claude Lattès - Le livre de poche, 1996, p. 493.)) ? À la fin de sa vie Primo Levi lui-même ne tranche pas : « Ho scritto perché sentivo il bisogno di scrivere. Se lei mi chiede di andare più in là, e di trovare da dove nasca questo bisogno, io non so rispondere. »((Ferdinando CAMON, Op. Cit., p. 49.)).

Cependant, il convient de distinguer « écrire » et « témoigner »(([...] mentre scrivevo Se questo è un uomo io non ero convinto che sarebbe stato pubblicato. Volevo farne quattro o cinque copie e darle alla mia fidanzata e ai miei amici. Il mio scrivere era dunque un modo di raccontare a loro. L'intenzione di « lasciare una testimonianza » è venuta dopo, il bisogno primario era quello di scrivere a scopo di liberazione. » Ferdinando CAMON, Conversazione con Primo Levi, Garzanti, 1991, « La Germania allora, e ora », p. 51. "[...] tandis que j'écrivais Si c'est un homme, je n'étais pas convaincu qu'il serait publié. Je voulais en faire faire quatre ou cinq copies et les donner à ma fiancée e à mes amis. Écrire était donc une façon de leur raconter. L'intention de "laisser un témoignage est venue ensuite; le besoin premier était d'écrire pour me libérer."; traduction de Damien Prévost.)). Ecrire pour soi et témoigner pour les autres. Quoi qu'il en soit, la fonction de témoignage de Se questo è un uomo est évidente et Primo Levi ne la nie aucunement ; ses innombrables interventions dans les écoles italiennes autour de Se questo è un uomo et de son expérience concentrationnaire en constituent l'expression la plus évidente. Nous pouvons ainsi finir sur la première citation que nous avons faite de Primo Levi pour cette « invitation à la lecture de Se questo è un uomo » : « fornire documenti per uno studio pacato di alcuni aspetti dell'animo umano »((Primo LEVI, Se questo è un uomo, Einaudi, 1989, Prefazione, p. 9. "fournir  des documents à une étude dépassionnée de certains aspects de l'âme humaine", p. 7.)).

Notes

Pour citer cette ressource :

Damien Prévost, Invitation à la lecture de Se questo è un uomo, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), septembre 2011. Consulté le 21/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/italien/litterature/periode-contemporaine/invitation-a-la-lecture-de-se-questo-e-un-uomo