Paolo Volponi, «Il pianeta irritabile» (1978)
L'auteur
Paolo Volponi est considéré par de nombreux critiques comme un auteur majeur du vingtième siècle italien. Il a surtout été l’un des représentants les plus notables de la « littérature industrielle », au sens où il a exploré, dans des œuvres aux qualités expressives indéniables et d’une grande originalité, l’aliénation de l’homme par le travail et les conséquences sociologiques et psychologiques de la société industrielle au sens large. Sa vision devient au fil des années de plus en plus sombre, en dépit de ses débuts optimistes et de sa participation au projet d’Adriano Olivetti de construire une vie d’entreprise communautaire et participative.
Il est essentiellement connu pour les romans Memoriale (1962), La macchina mondiale (1965), Corporale (1974) et Le mosche del capitale (1989).
Le roman
Il pianeta irritabile, tout en présentant d’évidentes continuités thématiques et stylistiques avec les œuvres précédentes de Volponi, et en particulier avec Corporale, se détache par son appartenance à un genre littéraire inattendu, celui de l’anticipation. Dès les premières pages, le lecteur est en effet propulsé dans un monde dévasté par une série de guerres nucléaires et parcouru par de très rares survivants. L’histoire s’attache à suivre les pas de quatre personnages liés par le fait d’avoir longtemps travaillé dans le même cirque : un éléphant féru de littérature et de philosophie, un babouin colérique qui prend la direction du groupe, une oie savante, et enfin le nain Mamerte, représentant difforme de l’espèce humaine presque disparue. Le récit alterne entre des analepses plus ou moins longues décrivant l’univers dystopique qui a précédé l’ultime catastrophe nucléaire et la narration de leur voyage vers un lieu utopique imprécis. Le voyage est scandé par une succession d’affrontements avec les différents êtres vivants qu’ils rencontrent, censés préparer la lutte finale contre l’ennemi ultime, nécessaire à l’avènement du « règne » du singe Epistola.
Le roman est caractérisé avant tout par une profonde hybridation générique – un mélange de science-fiction, de conte allégorique ou encore de voyage picaresque – et linguistique, un certain lyrisme côtoyant constamment des langages techniques et bureaucratiques mis au service de la parodie, mais aussi des baisses de registre confinant régulièrement à l’ordurier. L’élément scatologique, en particulier, est omniprésent et acquiert des connotations symboliques aussi inattendues que variées :
[…] divagò nella similitudine tra il modo in cui la sua testa continuava a emettere e triturare pensieri e quello in cui il culo dell’oca continuava a emettere sterco. Erano uguali, entrambi misteriosi, incontentabili. E così vide cadere una delle ultime differenze tra sé e quegli altri animali. (p. 49)
La rupture constante des codes, narratifs comme stylistiques, va de pair avec une sorte d’expressivité explosive, et avec une « hilarité » immense et primordiale relevée par de nombreux critiques. C’est précisément dans l’association entre la puissance de vie qui se dégage du roman et la violence anti-humaniste de son contenu que réside la force dérangeante de Il pianeta irritabile. Car non seulement les quatre personnages se montrent impitoyables envers les rares êtres humains qu’ils rencontrent, mais le parcours du nain se révèle peu à peu consister en une évolution nécessaire vers la pureté de la vie animale, nécessitant l’abandon complet de toutes les caractéristiques spécifiques à l’humanité. Les facultés qui permettent à Mamerte de sauver ses compagnons à plusieurs reprises, en particulier sa maîtrise du feu, sont en effet indissociablement liées au rappel constant des dangers qu’elles impliquent, ainsi que de la responsabilité de l’humanité dans la destruction de la planète et de ses habitants.
C’est en ce sens que le nain est régulièrement rapproché de la figure mythique de Prométhée :
E bravo il nostro Prometeo! – esultò Roboamo. – Bravo. Sempre con il fuoco te la cavi, eh! Sei proprio un discendente dell’orgoglioso Prometeo… Ma guarda che ci sono ancora montagne! Guarda quella nera! Ti andrebbe bene stare legato lì sopra? (p. 98)
Il serait vain de vouloir réduire à un quelconque « message » la portée de ce roman déconcertant, mais l’on peut difficilement contester le pessimisme et la violence qui s’en dégagent. On n’en ressort pourtant pas désespéré, peut-être parce que Volponi réussit à démonter la plupart des préjugés anthropocentriques qui filtrent notre rapport au monde, pour nous faire adopter implicitement le point de vue de cette planète irritable qui serait en fin de compte la véritable protagoniste du roman.
Une figure éminemment positive, sinon idéaliste, se détache (bien qu’on ne la rencontre jamais en chair et en os) sur le fond de l’univers dystopique qui n’est en grande partie qu’une impitoyable parodie de la société contemporaine à l’auteur : celle d’Idelcditu, « l’Imitateur du Chant de Tous les Oiseaux ». Ce jeune homme, ami des quatre voyageurs, se fait le porteur d’une dimension d’espoir, confiée à la puissance et la beauté de la poésie, restituant pour les habitants de ce monde désormais privé de nature les chants des oiseaux, depuis longtemps disparus et tombés dans l’oubli.
Une lecture moins déprimante que perturbante, et semée de morceaux de bravoure stylistiques.
Pour citer cette ressource :
Amélie Aubert-Noël, Paolo Volponi, Il pianeta irritabile (1978), La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), novembre 2016. Consulté le 24/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/italien/litterature/bibliotheque/il-pianeta-irritabile-paolo-volponi