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Michelangelo Antonioni, «Identificazione di una donna»

Par Lionel Gerin : Professeur d'anglais et cinéphile - Lycée Ampère de Lyon
Publié par Damien Prévost le 06/09/2013

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Cette page propose une critique du film ((Identificazione di una donna)), réalisé par Michelangelo Antonioni.

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Avant de parler du film, il faut peut-être rappeler qu'Antonioni a presque toujours suscité la polémique. Génie pour les uns, charlatan hermétique pour les autres. Il semblait difficile, depuis L'avventura de voir ses films en toute sérennité. On "s'attendait" à quelque chose. Il me semble qu'Antonioni a été victime d'un malentendu, d'un "mal-vu", et d'une réputation qui a très certainement effrayé nombre de spectateurs.

Comment ces films ont-ils pu être considérés comme profondément ennuyeux, alors que chaque plan, chaque scène recèle un mystère en soi? Ceci est un mystère encore plus grand, qui relève sans doute de la même logique que les visiteurs d'un musée qui devant un tableau de Tapiès, de Miró ou Pollock disent ne rien comprendre. Ils sont "rassurés" par l'Angélus de Millet, la Joconde ou Impression soleil levant. Mais il ne font que reconnaître là où ils croient comprendre. Repérer le bateau, le sourire, reconnaître le lieu, est-ce comprendre un tableau? Il en est de même pour les films, dans une certaine mesure. Et Antonioni est à l'évidence un peintre en cinéma.

Quand le film est présenté au festival de Cannes, Antonioni a 70 ans. Il n'a plus tourné pour le cinéma depuis 7 ans et Professione: reporter (Profession reporter). L'histoire tient en peu de mots: un réalisateur d'une quarantaine d'années récemment divorcé est à la recherche d'un personnage qui lui inspirerait un sujet de film. Il rencontre successivement deux femmes avec lesquelles il a une aventure.

Il est donc question de création, d'inspiration, de sentiments. Mais aucune psychologie chez Antonioni, que certains critiques ont qualifié de cinéaste météorologique. Sur la météo de l'amour, nous avons des données qu'il n'est pas aisé d'interpréter. Il faut en effet sentir le climat de ces images, et avoir avec elles ce que Nicco rêve d'avoir avec les femmes: un échange fructueux mais presque muet. "Comme avec la nature" dit-il. Il faut chercher le pouls de ces instants de cinéma.

Chercher est d'ailleurs un mot-clé, tant pour Nicco que pour Antonioni dont il est sans doute le porte-parole, j'allais dire le porte-silence. Car pour lui, l'artiste, mais aussi l'homme amoureux, doit être un chercheur, et l'amour, le rapport amoureux, est à la fois un "objet" de laboratoire, mais aussi un "work in progress". Et c'est bien le "progress" qui est important, la quête/enquête souvent présente dans les films d'Antonioni. Que l'on se souvienne de L'avventura, Blow-up, Profession reporter. Et peu importe que l'enquête n'aboutisse pas.

Ainsi Nicco ne saura pas qui est l'instigateur des menaces et filatures. L'enquête est oubliée, négligée. De même, la recherche éperdue de Mavi. La femme tant désirée, enfin retrouvée, est laissée dans le cadre d'une fenêtre, qu'a désertée Nicco. À notre grande surprise (incompréhension, diront certains) rien ne se passe comme d'habitude chez Antonioni. Seule la quête est fertile, fébrile, fébrale. Le résultat immédiat, la ré/solution, importe peu. Comme déja dans L'avventura, c'est la disparition qui finit par disparaître. Ici, tout cela débouche malgré tout sur une création, une identification de la femme, muse cherchée.

De ces moments de disparition (nombreux dans le film), retenons cette scène magique et presque abstraite dans le brouillard. Plus de repères. Le mystère, enfin!

Quitter ou être quitté(e), les amours sont rarement heureuses chez Antonioni, mais il y a cette intensité, instantanéité, charnelle et émotionnelle. L'instant est peut-être justement ce qui compte, en cela qu'il porte non pas l'avenir mais le devenir. Quant au pourquoi l'on se quitte, il nous faut le deviner, l'inventer.

Le film semble, sinon inépuisable, du moins d'une telle richesse que l'on ne sait quel "fil" il faut dérouler. On y trouve pêle-mêle :

  • un vrai regard sur la société italienne de l'époque, notamment sur la bourgeoisie; au temps pour ceux qui reprochaient à Antonioni son absence de sens politique.
  • des références récurrentes à la paternité, sujette à problèmes, et surtout à questions.
  • une recherche visuelle constante: références picturales dans les cadrages et les couleurs. Un vrai jeu de piste, de signes?
  • un jeu sur regards: Qui regarde qui? Comment? Quand? Pourquoi? Quand Mavi jouit, par exemple, c'est vers le miroir qu'elle se tourne et non vers son amant.
  • un labyrinthe de transparences, reflets, plans de portes, fenêtres qui tous placent notre regard à l'endroit d'une "incandescence froide". Il y a un vrai mystère dans le plan chez Antonioni, une secrète et vibrante inquiétude. Quelque chose d'essentiel se joue.
  • et bien sûr deux portraits magnifiques de femmes dissemblables et également désirables.

Enfin, si l'on peut dire, il n'y a pas de temps-mort chez Antonioni, au propre comme au figuré. Le passé (les ruines romaines sous la maison) est creux. L'avenir, lui, c'est peut-être cette lagune Vénitienne (une scène d'une grande beauté), ouverte justement, ouverte jusqu'à l'absence d'horizon. Entre les deux, nous n'avons que le choix du vide, et avec lui celui du vertige. Antonioni, lui, est comme l'enfant dont l'idée de film se réalise à la fin: il a confiance en l'avenir vers lequel il est tourné, sans hâte.

Un film à regarder, à voir et à revoir, et avec lui les autres films d'Antonioni, tous disponibles en France à une exception près, pour découvrir un des très grands cinéastes de la modernité.

J'allais oublier, il y a chez Antonioni quelque chose d'infiniment agréable. En voyant ses films, on a l'impression qu'il a confiance, confiance en notre curiosité, en notre intelligence. Il nous demande moins de trouver que de chercher avec lui.

 

Pour citer cette ressource :

Lionel Gerin, Michelangelo Antonioni, Identificazione di una donna, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), septembre 2013. Consulté le 05/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/italien/arts/cinema/michelangelo-antonioni-identificazione-di-una-donna