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«La vie quotidienne en Espagne au temps de Carmen» de Jean Descola

Par Caroline Bojarski : Titulaire d'un Master 2 Pro (Traduction littéraire et édition critique) - Université Lumière Lyon 2
Publié par Christine Bini le 18/02/2013

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En lisant le livre de Jean Descola qui fait une étude approfondie des conditions de vie des Espagnols au XIXème siècle, il nous est proposé de découvrir les décors dans lequel Don José et Carmen, les personnages de Mérimée, évoluent tout au long de la nouvelle qui leur est consacrée.

 

La vie quotidienne en Espagne au temps de Carmen, Jean Descola, Hachette, Paris, 1971.

vq-carmen_1361204458509-jpgEn lisant le livre de Jean Descola qui fait une étude approfondie des conditions de vie des Espagnols au XIXème siècle, il nous est proposé de découvrir les décors dans lequel Don José et Carmen, les personnages de Mérimée, évoluent tout au long de la nouvelle qui leur est consacrée. Nous apprenons tout d'abord que le personnage de l'architecte, premier narrateur dans le court récit de Mérimée, ressemble étrangement à Mérimée lui-même, qui avait entrepris le 27 juin 1830 un voyage en Espagne. S'il se rend en là-bas, c'est pour voir le pays de ses propres yeux. Il y fréquente beaucoup de gens, du peuple et de l'aristocratie, mais y méprise la bourgeoisie. Il se passionne également pour la corrida et fait, dit-on, la rencontre à Grenade d'une bohémienne. Selon J. Descola, « son Espagne est sinistre et sombrement romantique ».

Un romantisme à l'espagnole

À cette époque, le romantisme avait éclos en France, en Allemagne, en Italie, et bien évidemment en Espagne où il suivit plusieurs étapes pour se transformer en un état d'esprit. Des auteurs ont marqué cette évolution à travers leurs écrits : Marino José de Larra (1809-1837) et Francisco Martínez de la Rosa (1787-1862) qui s’inscrivirent dans la transition entre l'ancien et le nouveau style, José Zorrilla y Moral (1817-1893) qui symbolisa la nationalisation du romantisme et l'assimilation des influences étrangères, et enfin Gustavo Adolfo Becquer, qui marqua un prolongement lyrique du romantisme dans la seconde moitié du siècle. Les  écrivains les plus connus à l'époque étaient et restent Victor Hugo, Chateaubriand, Walter Scott ou Byron.

Le romantisme est dans un premier temps identifié comme un mouvement littéraire, qui se caractérise surtout par l'abandon des thèmes mythologiques et du style formaliste pour une revalorisation du Moyen Âge. Cependant, il correspond également à une époque historique marquée par les invasions étrangères, le combat pour l'indépendance, le despotisme d'un roi indigne, la perte de l'empire colonial et les déchirements dynastiques. Le romantisme apparaît comme une source de lumière dans un horizon orageux. De 1833 (date de la mort du roi Ferdinand VII) à 1868 (fin du règne d'Isabelle II d'Espagne), les Espagnols verront trente-deux gouvernements se succéder, environ tous les sept mois. « Des émeutes, des fusillades, la guerre civile et la révolution, l'aube de la République... Un vrai décor romantique. » Mais le romantisme était également un état d'âme, qui était fortement lié à la mort, l'angoisse métaphysique, le culte du moi comme à l'amour de l'humanité et l'héroïsme dont les figures de proue étaient les hommes qui occupaient la scène politique : Don Carlos, Zumala Carregui, Espantero, Narvaez.

Si le romantisme s'est introduit en Espagne dans les années 1830-1840, c'est en raison de la fin de l’État absolutiste qui permit aux écrivains exilés de revenir, imprégnés du romantisme anglais et français. Il s'est caractérisé comme étant un produit de la littérature et de la politique ainsi qu'un retour aux idéaux du Moyen Âge chrétien, gothique et islamique.

Une royauté déchirée

Le 4 octobre 1833, le roi Ferdinand VII est enterré et laisse la régence à sa femme, Marie-Christine, en attendant la majorité de leur fille Isabelle II. Le roi Ferdinand VII était celui qui avait été chassé par Napoléon et fait prisonnier pendant toute la guerre d'indépendance, de 1808 à 1814. Il avait épousé en quatrième noce Marie-Christine, qui lui avait enfin donné une héritière : Isabelle. Dès 1832, année où il tombe malade, se profilent de fortes rivalités entre les partisans de Don Carlos, le frère de Ferdinand, et Marie-Christine, qui veut garantir le trône à sa fille. Don Carlos voulait non seulement s'emparer du trône mais surtout instaurer un régime absolutiste, soutenu par les « modérés » et les « apostoliques » ou « ultras », comme l'évêque Léon. De l'autre côté, Marie-Christine était plus libérale et pouvait compter sur le soutien de la bourgeoisie naissante, des bureaucrates, de l'armée et du peuple. « La longue maladie de Ferdinand VII et les intrigues qui s'étaient nouées autour du lit royal avaient fait de la Cour un champ clos où s'affrontaient les convoitises dans une atmosphère insoutenable d'hypocrisie calculée et de feint respect ». Cet épisode est connu sous le nom de « guerre de sept ans », qui opposa les carlistes et les christinistes.

Marie-Christine restera connue pour son attachement au despotisme éclairé, qui se voulait une conciliation entre l'absolutisme et une volonté de progrès social, conforme à l'esprit des Lumières. En 1834, avec l'arrivée au gouvernement de Martínez de la Rosa, un poète et auteur dramatique, s'installe un régime constitutionnel mais non parlementaire : le gouvernement conservera tous les pouvoirs face aux Cortès. La nouvelle constitution, rédigée par Martínez de la Rosa, ne fait pas  l'unanimité car les propositions révolutionnaires et les institutions démocratiques sont laissées de côté. Tous veulent le retour à la Constitution de 1812, qui établissait l'égalité des citoyens, quelle que soit leur origine. Elle avait été promulguée par les Cortès de Cadix et grâce à la Junte insurrectionnelle. Mais suite à un soulèvement du peuple (émeute de la Granja), Marie-Christine consent à modifier la Constitution établie par Martínez de la Rosa en 1837, même si celle-ci reste profondément injuste. C'est à partir de cette époque que la noblesse est devenue impopulaire, et qu'une nouvelle classe moyenne constituée de hauts fonctionnaires, commerçants, petits propriétaires et intellectuels naît.

Ces perpétuels changements d'orientation des politiciens et la multiplication des partis ont eu une influence directe sur la vie quotidienne des Espagnols, qui s'exprimaient dans la rue en s'unissant parfois avec l'armée. Depuis 1820, les idées républicaines étaient diffusées dans des journaux régionaux, dont ceux de la Catalogne, mais il faudra attendre 1873 pour voir la première république se former (et ne durer qu'un an). C'est également à cette époque que se sont créées les notions de droite et de gauche en politique, la droite étant représentée par le carlisme, le clergé, la noblesse et les riches, et la gauche par les libéraux, les socialistes, les francs-maçons et les masses populaires. Au XVIIIème siècle, l'Espagne comptait 10 500 000 Espagnols. En 1826, ils étaient 13 311 291, dont 8 113 460 agriculteurs et 1 179 585 bourgeois. Entre 1723 et 1834, la population espagnole doubla, en raison de la hausse de la natalité, la baisse de la mortalité et la réduction de l'émigration vers les colonies. On observe aussi une conscientisation des prolétaires via la propagande marxiste, la première grève générale ayant lieu en 1855.

Chronologie


1808-1813 : Guerre d'indépendance.
1813-1823 : Guerres civiles opposant les libéraux et les absolutistes.
1823-1833 : « L'ignoble décade », la « terreur blanche » combat le libéralisme.
1833-1839 : Mort de Ferdinand VII, première guerre carliste.
1846-1849 : Seconde guerre carliste.
1872-1876 : Troisième guerre carliste.

 

Pour citer cette ressource :

Caroline BOJARSKI, La vie quotidienne en Espagne au temps de Carmen de Jean Descola, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), février 2013. Consulté le 24/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/civilisation/histoire-espagnole/les-grandes-figures/la-vie-quotidienne-en-espagne-au-temps-de-carmen