Masterclass de Gael García Bernal
Ce texte est une retranscription en français de cette masterclass mais les éléments en espagnol ont été conservés; il a été, par endroits, modifié pour l'adapter au format écrit.
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Gael, nous allons commencer par le Mexique. J’ai lu dans une interview que vous donniez sur Amores Perros [Amours chiennes, 2000], qu’à l’époque où vous faisiez le film avec Alejandro Iñárritu, il n’y avait quasiment pas d’industrie cinématographique au Mexique. Huit films sont sortis cette année-là. Par contre, un petit peu moins de vingt ans plus tard, en 2018, au Mexique, il y a cinquante films mexicains, ou coproductions mexicaines, qui sont sortis. Est-ce que vous vous rendez compte, vous, Diego [Luna], Alejandro [Iñárritu], Guillermo [del Toro], Alfonso [Cuarón] – toute cette nouvelle génération de cinéastes et d’acteurs mexicains qui a éclos à la fin des années 1990 et au début des années 2000 – est-ce que vous vous rendez compte que vous avez tout changé ?
Il y avait déjà quelque chose en germe. Beaucoup de gens s’étaient mis à faire des films. Je pense que c’était lié à un réveil dans la société ; il y avait des manifestations politiques et sociales, au même moment, qui étaient en train de faire bouger les choses. Quand j’ai commencé à travailler dans l’industrie cinématographique, le PRI [Parti Révolutionnaire Institutionnel] était encore au pouvoir au Mexique. Nous n’avions jamais vu aucune transition politique d’un parti à un autre. La démocratie était encore complètement balbutiante. Nous avions l’impression que l’impunité et la corruption faisaient partie intégrante du système tel qu’il était à cette époque.
… Et peut-être que c’est ça aussi qui a poussé le cinéma à aller vers ce qu’il est devenu aujourd’hui.
Oui, parce que le cinéma est un art collectif. Même s'il reste très pyramidal – c’est la vision d’une personne que toute une équipe interprète ensuite – c'est une expression collective ; c’est une sublimation collective de ce réveil, ou de cette interrogation, ou de cette expression contestataire quasi anarchiste, qui permet d’ouvrir le débat sur certains thèmes et certains problèmes.
Et c’est pour cette raison qu’il faut continuer de faire des films. Il faut continuer de faire des films, continuer d’écrire des livres, des pièces de théâtre, il faut perpétuer ces rituels, parce que, comme nous pouvons le voir, c’est dans des périodes de crise qu’un cinéma fort émerge, un cinéma très libre. Et si, dans une période de crise, il n’y a pas de cinéma, s’il n’y a pas d’expression artistique qui soit complètement honnête mais aussi chargée de cette puissance [en français, ndt], s’il n’y a pas cette honnêteté et cette puissance, alors nous basculons du côté obscur de la crise… nous en voyons tellement d’exemples en ce moment dans le monde. Mais s’il y a du bon cinéma, cela veut dire qu’il y a une sorte de résistance symptomatique qui va transformer la colère en quelque chose de beaucoup plus intéressant, beaucoup plus complexe. Cela offre une ouverture.
Et en même temps, il ne faut pas accorder tant d’importance que cela au cinéma, comme si le cinéma allait sauver le monde à lui seul, ou comme si les films allaient transformer nos vies ou changer quoi que ce soit à ce qui se passe. Bien sûr, il y a des films qui ont eu un tel impact, mais ce n’est qu’une conséquence. Le cinéma est plutôt une tangente. C’est quelque chose qui accompagne le mouvement, c’est un catalyseur, il peut aussi jouer un rôle de facilitateur ; il accompagne ce qui est déjà en train de se produire. Si nous faisons peser toute la responsabilité sur le cinéma, alors tous les films qui ne sont pas à la hauteur de nos attentes, qui ne proposent pas de réponse, vont forcément nous décevoir. Alors que le travail du cinéma c’est de problématiser des sujets, plutôt que de répondre aux questions.
Il y a une belle ambiguïté ici dans la mesure où nous pouvons tous dire (en tout cas, pour moi c’est vrai qu’il y a des films qui, lorsqu’ils sont sortis, me l'ont fait dire) : « Ça a changé ma vie. » Je me rappelle de films qui m’ont poussé à tenter l’impossible, qui m’ont mis au défi d’aller chercher quelque chose qui me paraissait hors d’atteinte – ce qui me semblait inaccessible n’avait rien à voir avec le sujet du film en réalité, mais le film m’a donné l’élan qui me manquait. Et l’autre cas extrême, ce sont ces films qui m’ont fait perdre la peur de la mort, par exemple.
Pouvons-nous savoir de quels films il s’agissait ?
J’essayais simplement d’évoquer des cas extrêmes de films qui m’ont transformé. Le premier film qui me vient à l’esprit, qui m’aurait mis au défi de faire quelque chose que je n’osais pas faire avant, c’est Memorias del subdesarrollo, Mémoires du sous-développement de Tomás Gutiérrez Alea [Cuba, 1968, ndt]. Après l'avoir vu je me suis directement lancé. Et l’autre film… en réalité, il y en a beaucoup qui ont petit à petit remis en question ma peur de la mort – et je ne l’ai pas complètement perdue, parce que ça reste effrayant – c’était un documentaire : le documentaire de Martin Scorsese sur George Harrison [George Harrison: Living in the Material World, 2011, ndt]. Vous l’avez-vu ? C’est excellent. Tellement, tellement bien.
Nous allons revenir sur deux films qui sont à la base de votre carrière : Amores Perros d'Iñárritu et Y Tu Mamá También de Cuarón. Vous avez souvent dit en interview que, sur Amores Perros, vous ne saviez pas du tout ce qui se passait sur le plateau, vous ne compreniez absolument rien de ce qui arrivait, et que sur le film d’Alfonso Cuarón, c’était tout à fait le contraire. Cuarón vous avait intégré à tout ce qui se passait, il vous expliquait tout point par point, à vous et à Diego Luna… Est-ce que vous pourriez comparer un peu vos souvenirs de ces deux tournages ?
Je me rappelle qu’avant de tourner une scène pour Amores Perros, il y avait une atmosphère de silence, de respect absolu. Parce que même si, au Mexique, nous avions perdu la tradition de faire des films, il y a d’autres choses que nous n’avons jamais perdues, à savoir un professionnalisme très fort et un très grand sérieux lorsque nous faisons un film. En plus, à l’époque, pour plus de la moitié des gens qui travaillaient sur Amores Perros, c’était notre premier film. Donc tout comptait, tout était important, je ne sais pas comment expliquer… C’était un jeu que nous prenions très au sérieux. Nous répétions énormément chaque scène. En fait, il y avait une raison bien spécifique à cela : nous n’avions droit qu’à une seule prise.
Donc je m’apprêtais à jouer ma scène. Tout d’un coup on dit : « OK ! Tout le monde en place… Tout le monde est prêt ? OK… On va tourner… "¡Sonido! Corriendo! Nanana… Está listo, Rodrigo – Rodrigo Prieto était le chef opérateur – Listo Rodrigo, sí, listo, listo, listo. [PAUSE] ¡No! ¡Corte! ¡Corte! ¡Corte! OK, Stop ! Stop ! » — « Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qui se passe ? » — Et c’est là qu’on nous dit que l’assistant réalisateur approche et dit : — « Gael, on va s’arrêter là pour aujourd’hui, on reprendra demain. » — « Pourquoi ? » — « Parce qu’on n’a plus de pellicule. »
Je me rappelle que sur Amores Perros, je crois que la moitié des jours de tournage où j’étais présent, nous nous arrêtions vers 15h parce que nous étions à court de pellicule. Du coup nous répétions ce que nous allions tourner le lendemain.
C’était une expérience pancréatique, les « entrañas » [en espagnol dans la réponse d’origine], les tripes complètement sur la table pour une expérience des contraintes, des contraintes magnifiques comme « on n’a droit qu’à une seule prise ». J’aimerais tellement que certains réalisateurs n’aient droit qu’à une seule prise… [Il rit].
Depuis le temps que je fais des films, je n’ai jamais revu un tel respect du travail – c’est peut-être parce que j’étais jeune et innocent d’une certaine manière à l’époque – un tel niveau de respect et de concentration qu’à l’époque où nous tournions Amores Perros, sur pellicule, avec des chutes de Titanic, de Roméo et Juliette… Les chutes dont je parle, ce sont les morceaux de pellicule vierge qui restent en fin de tournage ; on les gardait et on les stockait quelque part, et comme il s’agissait d’Hollywood, ils auraient pu les jeter, mais en fait ils en faisaient don aux films étudiants ou aux films comme Amores Perros.
Du coup, je comprenais ce que nous faisions d’un point de vue dramatique (j’étais en première année d’école de théâtre) mais je n’y comprenais rien en ce qui concernait l’expérience de faire un film et ce que cela allait donner à l’écran.
Sur Y Tu Mamá También, au contraire, un jour, alors que j’étais en deuxième année de théâtre – je reçois un coup de téléphone d’Alfonso Cuarón, après un échange de lettres – c’était à une époque où on s’écrivait des lettres – donc je reçois un coup de téléphone d’Alfonso Cuarón, qui me dit : « Gael, je t’ai vu dans Amores Perros » – dans la salle de montage [Iñárritu, Cuarón et del Toro étaient très proches et se faisaient déjà des retours sur leurs films respectifs, ajoute Didier Allouch, renvoyant à la trilogie documentaire de 2018 à ce sujet, The Three Amigos, également programmé au festival] – et il me dit : « J’adorerais te voir jouer dans Y Tu Mamá También, ce serait super ! Est-ce que tu pourrais te filmer en train de jouer un passage pour que je puisse te voir, voir ce que ça donne quand tu dis ces répliques… alors donne-moi ton adresse et je t’envoie le scénario … » Et c’est là que tout a commencé.
Mais ce qu’il m’a dit de plus important, c’était : « Si le scénario te plaît – lis-le d’abord et dis-moi ce que tu penses – et qu’il y a des choses qui te viennent à l’esprit que tu aimerais faire, filme-toi en train de les faire. » Il était en train de me dire quelque chose que je n’avais jamais entendu jusqu’ici ! On ne m’avait jamais demandé mon point de vue, jamais dit : « Si le projet te plaît, si tu en as envie, si ça te fait plaisir, alors enregistre-toi et ce serait super parce que j’adorerais faire le film avec toi. »
On peut dire que c’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à comprendre le cinéma, parce que c’est comme ça qu’Alfonso abordait le travail – c’était sa manière d’aborder la conception d’un film et de travailler avec nous. Il avait besoin de nous comme collègues, il voulait que nous nous impliquions dès le début. Entre le moment où j’ai lu le scénario, où j’ai eu envie de faire ce projet, et le début du tournage, il s’est passé environ six mois. Donc nous avons contribué au développement du début à la fin. Il nous confiait certaines choses, certains doutes qu’il avait. Nous avons fait le casting ensemble aussi.
Pour le casting, il m’a dit : « Bon, il faut qu’on trouve l’autre mec. Il faut qu’on trouve Tenoch. À ton avis, qui ferait un bon Tenoch ? » Et j’ai répondu : « Oh là là… il y a quelques acteurs que je connais, mais il y en a un avec qui je répète depuis vingt ans quasiment… » J’avais vingt-et-un ans quand on a fait Y Tu Mamá También. Dix-neuf ans pour Amores Perros. Donc je lui suggère Diego Luna, qui, à ce moment-là, travaillait beaucoup à Mexico, au théâtre et dans des soaps. Et Alfonso n’était pas très convaincu : « Ah oui ? Tu crois ? ». Je lui ai répondu : « Sí, Sí … je pense que ça peut marcher – il faut que tu voies ce que ça donne – mais je pense que ça peut marcher. » Et bien sûr, dès que Diego est arrivé et que nous avons commencé à faire le casting, qui nous a pris toute une journée, ça a fonctionné du tonnerre. Nous avons joué une scène du film où ils se disputent, nous répétions dans un hôtel à Mexico, et il y a même des gens dans les autres chambres qui nous disaient : « Eh !! Arrêtez-ça tout de suite ! Si vous continuez à vous battre comme ça, je vais venir vous casser la gueule ! Vous êtes censés être frères, vous n’êtes pas censés vous battre comme ça ! Il faut que vous vous pardonniez ! »
C’était très drôle parce que tout le monde croyait que nous nous disputions vraiment. C’était très bon signe ! Et puis la dynamique de travail, d’amour, d’amitié, de fraternité que nous partageons, Diego et moi, c’était évident, ça se voyait. Nous travaillons ensemble depuis ce jour, dans beaucoup de domaines, et nous sommes toujours d’excellents collègues. C’est l’une des personnes avec qui je travaille le mieux.
À ce propos, justement : vous avez fondé ensemble une société de production, Canana Films, et à travers elle, vous avez fait plus que produire des films de vos copains, ou des films que vous vouliez faire, vous avez poussé une certaine jeunesse mexicaine dans l’industrie. C’était le but de la société ?
Pour finir sur cette expérience de tournage… Donc Diego et moi, nous transportions des objectifs pour aider l’équipe technique. Emmanuel Lubezki, le directeur photo, nous expliquait comment la scène allait être filmée. Alfonso nous faisait contribuer au placement de la caméra et à la manière de tout installer, il nous expliquait ce qu’il allait faire. Tout ça m’a permis de commencer à vraiment apprendre à faire du cinéma. Et un jour, en arrivant au tournage, avec Diego, on se dit : « Il faudrait qu’on monte une société de production. Il faudrait qu’on se mette à faire des films. Est-ce qu’on est vraiment sûr qu’on va faire carrière en tant qu’acteurs maintenant ? » Parce qu’on ne savait pas encore si on allait être acteurs ou non, donc on s’est dit : « Bon, on va continuer à faire les acteurs, mais on va aussi monter une boîte de production. »
Et donc [en 2005, ndt] nous avons monté cette société, qui n’existe plus aujourd’hui, qui s’appelait Canana. Elle n’existe plus parce que nous en avons créé une autre [en 2018] qui s’appelle La Corriente del Golfo. Et durant ses quelques années d’existence, nous avons dû faire une vingtaine de films et d’autres activités. Notre projet le plus important, c’est la création d’Ambulante, un festival de films documentaires qui existe toujours au Mexique. Ça fait quinze ans maintenant. C’est un super festival de films documentaires.
Est-ce qu’il y avait besoin de ça ? Est-ce que vous avez senti le besoin de cette société qui allait vers la nouvelle génération d’artistes ?
Oui ! L’argument que nous avons avancé, c’était : « Bon, il y a beaucoup d’énergie autour de nous. Nous avons beaucoup d’amis qui font du cinéma. Nous avons beaucoup d’idées aussi. Il y a plusieurs personnes qui ont besoin d’aide. Et si nous formalisions tout cela et concentrions toute cette énergie dans quelque chose qui pourra la faire se concrétiser, lui construire une maison ? » Nous aurions très bien pu ne pas le faire, mais nous avons décidé de tout rassembler en une structure pour finalement aider des artistes émergents, mais aussi des gens plus expérimentés qui avaient besoin d’un coup de pouce pour faire leurs films et pour tenter des projets plus ambitieux.
Le plus gros succès c’était Rudo y Cursi ?
Oui… Je crois que c’était un mélange de plusieurs choses, mais l’un des films que nous avons faits à l’époque que j’aime le plus, c’est Miss Bala [2011] de Gerardo Naranjo. C’est un super film !
Après le succès de Y Tu Mamá También, vous continuez de faire des films au Mexique, mais vous décidez aussi de voyager. Vous allez faire quelques films aux États-Unis, et puis surtout vous partez en Amérique du Sud et allez travailler avec Walter Salles sur Carnets de Voyage [Diarios de motocicleta, 2004]. Vous êtes un acteur unique. Pourquoi ? Parce que vous êtes le seul acteur au monde à avoir joué le Che deux fois : dans une mini-série mexicaine qui s’appelait Fidel [David Attwood, 2002] et dans Carnets de voyage. Comment diriez-vous qu’avoir joué le Che, avoir étudié son parcours, surtout à cet âge-là, a changé votre perception politique du monde ?
Alors là… Mon Dieu… C’était l'une des plus belles expériences de ma vie. Pendant que nous faisions le film, nous nous disions déjà : « Ça va être l'un des meilleurs films de notre carrière. Nous ne revivrons jamais ça. » C’est aussi parce que nous le faisions à une époque de l’histoire du cinéma où les téléphones avec caméras intégrées n’existaient pas encore. Ça a tout changé. Ça a complètement transformé la dynamique de plateau, l’expérience collective. À l’époque nous avions encore le sentiment de pouvoir faire des choses en dehors du film sans que personne n’en sache rien. Nous pouvions encore répéter. Nous pouvions tenter des choses et nous dire que cela ne sortirait pas de la pièce.
Donc il fallait se plonger dans un voyage et dans une enquête. Il fallait avant tout que nous interprétions l’histoire d’Ernesto Guevara et d’Alberto Granado et du périple qu’ils ont entrepris. Il fallait que nous apprenions à connaître leurs familles, que nous lisions, que nous sachions ce qu’ils écoutaient ou lisaient à l’époque ; il fallait que j’apprenne à faire un accent argentin, Rodrigo de la Serna devait apprendre à faire l’accent de Córdoba. Nous avions tous des choses à apprendre et nous avions beaucoup de temps pour le faire. C’était une époque où on nous laissait ce temps de préparation. On ne peut plus se payer ce luxe pour ce genre de film aujourd’hui, mais dans le temps les acteurs avaient dix semaines de préparation.
Dix semaines !
Oui ! Et donc, la partie la plus intéressante du travail a été de rencontrer la famille d’Ernesto Guevara et de rencontrer Alberto Granado. Cela nous a permis d’apprendre à connaître les vraies personnes qui ont entrepris ce voyage.
Alberto Granado était quelqu’un de tellement adorable, tellement généreux avec nous, très drôle, très intelligent. Il était très fier que nous fassions ce film. Et un jour, alors que nous étions sortis danser à La Havane, dans un bar, avec sa famille et avec la famille d’Ernesto, nous, nous étions avec un groupe un peu plus loin, lui il avait un peu bu, et il nous a dit : « Venez voir, venez voir. » Donc Rodrigo et moi, nous arrivons. Et il nous dit : « N’essayez pas d’imiter nos voix dans le film. Ne nous jouez pas nous. Vous, vous connaissez la réalité de l’Amérique latine bien mieux que nous quand nous avions votre âge. » J’avais vingt-trois ans, c’est-à-dire l’âge exact auquel Ernesto Guevara a fait ce voyage. « Ne jouez pas ça : jouez vos propres rôles, en y mêlant peut-être un soupçon de ce que nous étions à l’époque, mais votre voyage à vous est bien plus intéressant que celui que nous avons fait, nous. »
Ces propos ont été libérateurs. Ils nous ont permis de comprendre ce que nous étions en train de faire. Nous étions en train de réinterpréter leur voyage, mais nous étions aussi en train de capter, d’une manière véritablement documentaire, ce qui s’était passé cinquante ans après les faits, où nous en étions cinquante ans plus tard, grâce à leur voyage, et en passant par les mêmes lieux que ceux qu’ils ont traversés.
Ils nous permettent de comprendre, bien sûr, des choses nous concernant, mais, de manière plus cruciale, de comprendre ce qui s’était passé à ce moment-là. Cette expérience nous permet vraiment de nous rendre compte qu’ils vivaient à une époque où les États-Unis ne cessaient d’orchestrer des coups d’état en Amérique latine. Il y avait des expressions de démocratie, mais elles étaient réprimées, complètement écrasées, et [Ernesto et Alberto] avaient compris qu’ils en étaient arrivés à un point où la lutte armée était la seule issue qui leur restait. C’était la seule manière de libérer ces pays et d’obtenir une forme d’indépendance et d’auto-détermination.
La conclusion de notre réflexion, en ce qui nous concernait, a été que nous vivions au contraire une époque de notre Histoire où la lutte armée n’était absolument pas la solution.
Ce qui est intéressant, c’est que cela a permis de commencer un dialogue avec ces personnages qui existent ici et maintenant. Ils sont ici, ce sont comme nos cousins. J’ai vraiment l’impression, même si cela va paraître un peu métaphysique, qu’Ernesto est là, avec moi, parfois. Il m’arrive de me demander : « Qu’est-ce qu’il ferait dans cette situation ? » et lui il prend une décision complètement radicale et moi, je l’arrête : « Hou là ! Hou là… Ernesto, d’accord, toi tu fais ça si tu veux, mais moi je vais faire autre chose. » Ça m’aide, de l’avoir à mes côtés comme un cousin. Et tous les personnages du film, d’une certaine manière, ce sont des cousins.
C’était la plus belle période de ma vie, je pense… Rodrigo de la Serna raconte que ce film lui a donné le sentiment que sa maison s’était agrandie. J’ai beaucoup voyagé en Amérique latine avec ce film, et j’ai eu le sentiment que, où que j’aille, je me sentirais chez moi. Et ce n’est pas peu dire, parce que j’ai l’impression d’avoir un immense continent comme maison. [Applaudissements approbateurs du public.]
Cette expérience m’a comblé de bonheur. Je me suis fait des amis merveilleux avec lesquels je suis toujours ami, et j’ai rencontré une des personnes les plus gentilles et intelligentes que j’aie jamais rencontrées : Walter Salles, le réalisateur, un Brésilien extraordinaire.
L’Espagne maintenant. Vous faites La mala educación avec Pedro Almodóvar (2004). Bon, on sait que ça s’est pas super bien passé entre vous deux et ça vous regarde, je ne vais pas vous poser de questions là-dessus. Mais moi je trouve ce film fantastique et je vous trouve absolument génial dedans. Est-ce que vous pensez que le film aurait été aussi bien si ça s’était bien passé entre Pedro et vous ?
C’est marrant parce que vous commencez par dire que ça me regarde, et ensuite vous avez carrément l’air de dire que c’était mon problème.
Bon. C’était intéressant parce que je sortais tout juste de l’expérience de Carnets de Voyage et je me suis retrouvé face à une manière de travailler complètement différente. C’était le jour et la nuit. Si je devais le résumer en peu de mots, je dirais que je revenais à une manière très classique de faire des films. Nous tournions en studio. Nous tournions selon une mécanique bien huilée qui est celle de Pedro, avec son groupe. J’ai passé un casting pour ce film…
Ah oui ?
Bien sûr ! Il m’a choisi ! [Rires et applaudissements.] Oui, oui. C’est là que ça a commencé à me paraître très bizarre, parce que j'ai été surpris d’arriver sur un film, pour lequel on m’avait choisi, et en même temps de m’entendre dire que je ne faisais que de la merde. Les acteurs qui ont une plus longue expérience que moi en ont l’habitude. C’était monnaie courante, dans le temps. On acceptait l’idée que… c’est dans la douleur qu’on obtient la gloire.
Belle référence à Dolor y Gloria (2019) qu’Almodóvar vient de sortir.
Il y a quelque chose de très catholique dans cette idée, mais oui. Et il en parle, d’ailleurs. Il a fait un film qui s’appelle Douleur et gloire ! Je reconnais que c’est un très bon film. Mais moi j’ai un tout autre point de vue sur la question. Je ne crois pas à cela. Je crois en d’autres formes de sacrifice. Je crois au sacrifice de… Zidane qui donne un coup de boule…
… à Materazzi. [Rires et applaudissements du public.]
Voilà. Je crois au sacrifice des gens qui consacrent leur vie à aider les autres. Je ne crois pas du tout en ce principe qu’on n’obtient rien sans souffrir.
Quand les choses coulent toutes seules, quand tout est fluide, nous nous disons qu’il n’en sortira rien de bien. Même dans les relations. Chercher absolument la difficulté, ou créer un problème pour pouvoir trouver une solution, on comprend ce mécanisme, mais en même temps, on aurait très bien pu se passer de problème au départ.
Du coup, de mon point de vue, personnel – parce que j’admire Pedro et j’ai beaucoup de respect pour lui – j’ai très peu de certitudes dans la vie, mais j’en ai une en particulier qui est que si j’ai plaisir à faire quelque chose, si je m’amuse en le faisant, si cela me procure de la joie, c’est là que je peux éventuellement commencer à me dire que je fais du bon travail. Peut-être que je me trompe et que ce n’est pas si bien, mais au moins c’est ce que je ressens. Alors que si je souffre, au contraire, si j’ai peur, si je passe toute mon énergie à essayer de convaincre quelqu’un – quelqu’un qui, en plus, m’a choisi ! – qu’il faut croire en ce que je fais… Je n’arrive même pas à comprendre cette façon de penser… parce que si on n’arrête pas de me dire que je suis en train de me planter, je vais me planter, c’est sûr, on ne va pas s’en sortir ! Si on me met dans cette situation, je me mets à avoir l’impression de faire un boulot complètement merdique. Et même si le résultat final est bon, je m’en fiche.
C’est une manière de penser et de fonctionner qui, pour une raison qui m’échappe, s’est enracinée dans les esprits et les pratiques, à un moment donné de l’histoire du cinéma, mais heureusement, aujourd’hui, c’est en train de changer.
Et donc, pour répondre à votre question : Oui, le film aurait été différent. Il aurait été plus réussi. [Applaudissements approbateurs.]
Nous allons passer à un film que j’aime beaucoup dans votre filmographie. C’est probablement l’un des films les plus poétiques, les plus oniriques qui ait jamais été fait. L’un des plus particuliers. C’est un film unique. Je parle de La science des rêves de Michel Gondry [2005]. Est-ce que vous aviez autant l’impression de rêver en le faisant que nous en le regardant ?
Heureusement la plupart des tournages que j’ai faits ont été de très belles expériences. Et même La mauvaise éducation m’a construit. C’était une expérience intéressante…
Pour La science des rêves, ce qui est intéressant c’est que… ça [il désigne un verre d’eau] et ça [il désigne la nappe en papier] et… tout, le moindre élément est important. On ne peut pas rêver mieux, en tant qu’acteur. Parce que si on fait ça [il fait un geste au hasard], cela fait partie de la scène, et cela devient important, et cela fait partie de l’histoire qu’on raconte et c’est exactement ce que Michel voulait. Il voulait qu’on joue, qu’on fasse comme des enfants avec de la pâte à modeler, qu’on fabrique des choses tout en faisant le film. Il voulait qu’on crée quelque chose pendant le processus de création du film.
C’était un tel régal de faire ce film. J’en parlais hier avec Alain Chabat. On se le remémore toujours avec beaucoup de plaisir, parce que Michel arrivait sur le plateau de tournage et il nous disait un truc du genre : [il imite Gondry parlant anglais avec l’accent français] « Alors là on va faire la scène où vous tombez amoureux, mais je ne sais pas trop comment faire, parce qu’il n’est pas complètement amoureux, mais juste un tout petit peu, vous voyez ce que je veux dire ? Du coup je ne sais pas comment on va faire ça… » Et Alain Chabat, Charlotte [Gainsbourg] et moi, nous répondions : « Bon, ouais, d’accord, on va faire ça comme ça » et on se débrouillait pour trouver comment faire ce qu’il avait plus ou moins en tête. Et lors du dernier jour de tournage, quand nous avons entendu « Coupez ! » après la dernière scène, nous avons tous eu envie de dire : « Ohhhh, il faut qu’on recommence ! Il faut qu’on reprenne tout depuis le début ! Parce que, ça y est, on vient de comprendre comment le jouer ! »
C’est vraiment l’un des plus beaux liens, l'un des plus essentiels entre les acteurs et le réalisateur dans le processus de création, quand le réalisateur a confiance en ses acteurs et les aime, pour qu’ils puissent l’aider à être les interprètes de ce qu’il veut faire. Et [Michel] voulait faire BEAUCOUP de choses. Et nous, nous étions là pour l’aider, pour résoudre les problèmes. Nous étions des acteurs-ingénieurs, des acteurs-ouvriers-du-bâtiment, des acteurs-footballeurs. Nous fabriquions ce qu’il avait envie de réaliser.
J’adore le produit fini. C’est le premier de mes films que mes enfants ont vu. Ma fille m’a dit en le voyant : « Ouah ! Les effets spéciaux sont trop bien ! Comment vous avez fait ça ? » Je ne sais pas si vous vous souvenez des effets spéciaux, mais l’eau, c’est de la cellophane. Ma fille a vu Le Seigneur des Anneaux et a dit « Mouais… », mais par contre, devant La science des rêves, elle a dit : « OUAHOU ! Vous avez fait comment ? » C’est fou ! Donc oui, c’est un super, super film. Je suis très nostalgique. Le tournage, le personnage, tout me manque.
En 2008, vous faites Babel. C’est la deuxième fois que vous travaillez avec Iñárritu. C’est la première fois que vous parlez du problème des migrants. Vous le referez plus tard dans des films comme Desierto [de Jonás Cuarón, 2015], des documentaires comme Qui est Dayani Cristal? [co-réalisé par Mark Silver et Gael García Bernal, 2013], ou un court-métrage Los Invisibles [2010] que vous avez réalisé. Et aux Oscars en 2017, alors que vous remettiez un Oscar, vous avez dit : « En tant que Mexicain, en tant que Latino-américain, en tant que travailleur immigré moi-même, en tant qu’être humain, je suis contre toute forme de mur dont le but est de nous séparer. » ((Voir le discours de Gael García Bernal lors de la cérémonie des Oscars de 2017 : [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=lDng_B00hC4))
Malheureusement, nous sommes au-delà du mur aujourd’hui. Où en êtes-vous à ce sujet ?
C’est de la folie… Il faut faire un peu d’archéologie avant de parler de cela pour bien comprendre que la migration est un phénomène naturel. C’est la migration qui a permis à l’humanité de survivre. Rien d’autre. C’est ce qui nous a sauvés. C’est la même chose que pour toutes les autres espèces animales et que pour les insectes. La migration, c’est quelque chose qui nous a donné la vie. Plus la migration est agile, plus les choses ont circulé à droite et à gauche, plus les idées ont circulé, plus il y a eu d’échanges, plus les endroits où ces échanges ont eu lieu se sont développés et épanouis.
Et la moitié des migrations dans le monde, depuis toujours, sont des migrations forcées. Mais même cette migration forcée a généré de la vie. Il est bien sûr difficile de concevoir qu’il existe encore des migrations forcées aujourd’hui, mais l’une des raisons principales qui poussent les gens à émigrer c'est qu'ils doivent fuir ; il faut qu’ils partent ailleurs, parce que tout le monde a le droit de chercher à améliorer ses conditions de vie. Et eux sont obligés d’aller vivre ailleurs, parce que pour une multitude de raisons différentes, ils ne peuvent pas rester à l’endroit d’où ils viennent.
Moi, j’ai la chance de pouvoir migrer parce que j’aime bouger. Vous aussi, puisque vous vivez aux États-Unis. Nous avons la possibilité de choisir d’émigrer et nous sommes tous les deux des migrants. Alors condamner la migration… dans un discours ou une tribune politique qui donne une vision réductrice des choses (à savoir, les migrants, c’est mal, les non-immigrés, c’est bien), c’est la première carte que sortent les politiques, mêmes les plus progressistes. Pas tous bien sûr, mais la plupart des politiques dans le monde, c’est le premier sujet qu’ils évacuent. Parce que c’est un phénomène très ambigu qui crée de la vie et qui ne peut pas servir d’argument dans un discours politique.
C’est pourquoi, à chaque fois que c’est possible, nous les migrants, nous les gens qui avons la conviction que la migration est un phénomène naturel… Si la migration des personnes est interdite, alors il faut aussi interdire le commerce, il faut interdire beaucoup de choses qui circulent. Mais bien évidemment, on n’ira jamais jusque-là. Mais quiconque veut accepter ce phénomène comme quelque chose qui fait partie intégrante de nos vies, doit se manifester contre toute personne qui veut faire cesser la migration sous toutes ses formes.
C’est pour cette raison que je me suis impliqué dans beaucoup de films qui traitent de ce phénomène, certains d’une manière plus profonde que d’autres. J’ai fait un court-métrage intitulé Los Invisibles, j’ai aussi fait un documentaire, Who is Dayani Cristal? Et encore une fois, le voyage, la migration, c’est une des structures cruciales, fondatrices, de toute histoire racontée dans la culture occidentale. Il n’y a qu’à voir l’un des premiers grands récits de notre culture, c’est l’histoire d’une personne qui veut rentrer chez elle. [L’Odyssée d’Homère]
Je préfère ne pas parler des États-Unis, tout d’abord parce que nous avons déjà beaucoup à faire au Mexique à ce sujet, et parce que c’est un tout autre monde. Au Mexique, si nous voulons être en droit d’exiger le respect et des droits minimums pour nos migrants, alors il faut que nous traitions nos migrants, ceux qui traversent le Mexique, ceux qui veulent s’installer au Mexique, de la même manière que nous voudrions être traités.
Le Mexique a une énorme dette, qui s’accumule depuis de très longues années, envers les Mexicains qui sont partis aux États-Unis. Nous considèrons qu’ils sont partis à tout jamais. Rien n’est fait pour les inciter à revenir. Même s’ils sont Mexicains de troisième ou quatrième génération, ils devraient avoir le droit de revenir, il faudrait leur préparer un pays favorable à leur retour.
J’ai entendu une chicana – les chicanos sont les Mexicains nés aux États-Unis – une immigrée mexicaine de troisième génération aux États-Unis, qui voulait aller faire ses études à l’UNAM à Mexico, pour faire des études d’espagnol et de littérature, et qui a dit : « Le souci c’est que j’ai l’impression que le Mexique est la mère que je n’ai jamais connue, et que les États-Unis sont le père qui ne veut pas me reconnaître. »
Ce sont des problèmes qu’il faut prendre en considération. Il faut prendre acte de ces questions, il faut en parler, plutôt que de parler d’un mur, parce que c’est un sujet trop débile, un mur. C’est comme répondre à des déclarations du genre… Comment voulez-vous avoir une discussion argumentée avec quelqu’un qui dit : « Les Mexicains sont des migrants, des violeurs, des délinquants, des trafiquants de drogue, et oui, il y a quelques personnes décentes dans le tas… » C’est impossible de raisonner, parce que le point de départ de la discussion est complètement fasciste. Qu’est-ce qu’on répond à ça ? Dis donc, non, je ne suis pas un violeur, et je vais t’expliquer pourquoi ? C’est ridicule. Comment voulez-vous convaincre quelqu’un que vous n’êtes pas un violeur ? [Rire incrédule.] Je n’ai même pas envie d’entrer dans cette discussion, et j’aimerais qu’on puisse ne plus jamais prononcer son nom.
Parlons de Chicuarotes (2019), votre deuxième film en tant que réalisateur. D’où est venue l’idée ? Est-ce que vous diriez que le film, c’est un petit peu entre le Buñuel de Los Olvidados (1950) et Y Tu Mamá También ?
C’est vrai ! Ça y ressemble, mais… Est-ce qu’il y en a dans la salle qui ont vu Chicuarotes ? [Acclamations] OK ! Super ! Je pense que Chicuarotes a beaucoup d’éléments en commun avec Los Olvidados et Y Tu Mamá También, en effet. Mais j’ai aussi envie de vous imposer deux autres façons de voir le film. Je sais que c’est de la triche, qu’on n’est pas censé faire ça quand on est réalisateur, mais tant pis. Je pense qu’il y a une part de western dans le film qui concerne le thème d’une figure agonisante qui rend son dernier souffle, en l’occurrence la figure ô combien toxique du macho. Les gens comme le président des États-Unis. Non, ne parlons pas de lui. Ce personnage vit ses derniers instants, et c’est quelque chose qu’on retrouve dans les westerns crépusculaires d’une certaine manière : les derniers jours d’un cowboy qui voit le monde évoluer autour de lui, qui a soudain sous les yeux un avenir meilleur mais qui ne veut pas l’accepter.
Mais contrairement aux westerns, dans mon film, on n’a plus de pitié pour ce personnage. On ne voit plus aucun intérêt à l’encourager dans ses excuses, ses « C’était comme ça, c’est ça qu’il fallait que je fasse, je n’avais pas le choix, je ne pouvais faire que ce qui était en mon pouvoir, blablablablabla… » Parce que cet état d’esprit, qui crée naturellement de la violence à la maison, si on l’intègre à un cocktail de manque de justice sociale, on crée le nouveau peuple, une nouvelle génération, qui finira elle-même par générer une criminalité inimaginable et une énorme disparition et une horreur de société et nous les Mexicains, nous savons de quoi nous parlons, quand nous évoquons cela.
Une autre lecture que je propose, au contraire, c’est qu’il y a des gens dans le film, et c’est l’immense majorité – parce que nous sommes bien l’immense majorité – qui pensent qu’il y a une autre issue possible. Et il y a un personnage qui représente l'une des voix que nous n’avons pas beaucoup entendues dans l’Histoire, et que nous entendons beaucoup aujourd’hui, ce qui est très intéressant et symptomatique : c’est la voix des filles. Elles nous parlent de responsabilité, elles nous parlent de l’avenir, elles nous proposent des améliorations, et nous expliquent qu’elles ne laisseront tomber personne en chemin, elles vont faire tout leur possible pour aider tout le monde sans exception. La fille dans mon film, c’est la seule qui s’occupe des petits animaux, les axolotls ; c’est elle qui s’en occupe, c’est elle qui va reconstruire la ville suite à l’énorme tremblement de terre qui s’est produit. C’est elle qui aura le premier rôle dans Chicuarotas, quand on le réalisera !
Le film soulève une question qui va de pair avec celle-ci. Le Mexique, ce devrait être le paradis. C’est la rencontre de l’eau et de la terre. C’est un des endroits du monde les mieux lotis d’un point de vue écologique et géographique. C’est tropical mais, en même temps, c’est en altitude, donc l’air est bon, il ne fait pas trop chaud. La température est très agréable. Et pourtant tous les enfants qui y naissent ont ce discours ancré dans leurs têtes – comme nous l’avons tous aussi – une voix impérieuse qui dit : « Fuis. Ce n’est pas viable comme endroit. Il faut que tu t’en ailles. »
C’est pourquoi, quand je présente ce film, je le dédie toujours aux enfants, aux filles, aux garçons, qui vivent dans ces villes et qui font évoluer ce discours et qui décident de rendre leur lieu de vie meilleur.
Questions du public
Has estado en muchos festivales muy importantes alrededor del mundo pero si tuvieras que compartir alguna experiencia de un festival algo particular como el festival de cine zapatista ¿qué podrías contar? ¿Cómo fue esa experiencia tuya? ¿Cómo fue ese encuentro con el sur y qué te inspira?
Je me suis rendu dans de très nombreux festivals, mais il y en a un qui était particulièrement intéressant et fascinant : le festival du film zapatiste.
L’année dernière, c’était sa première édition. Ce qui s’y passe est très intéressant. Il y a beaucoup à dire. C’est un festival dans lequel on regarde un film avec 5 000 personnes, dont la plupart portent des masques. Ils regardent le film et nous n’avons pas le droit de dire quoi que ce soit. Ce n’est qu’après coup, deux ou trois semaines plus tard, qu’ils vont parler du film entre eux. J’adore ! Ce n'est pas bête du tout. Nous ne devrions pas expliquer nos films.
Et ce qui est merveilleux aussi dans ce festival – si je ne dois raconter qu’une chose parmi la multitude d’autres qui me viennent en tête – c’est de faire l’expérience de ce qu’ils cherchaient depuis le début. Ils ont créé un espace où nous avons vraiment le sentiment que plusieurs mondes peuvent exister au sein d’un seul. C’est un effet que créent les films, d’une certaine manière ; les films construisent des univers, mais ce ne sont que des films. Mais dans ce festival, nous avons l’impression que ces films appartiennent véritablement à des mondes différents qui se sont rassemblés, et nous nous retrouvons là à en profiter, à discuter, et on nous donne à manger, on nous bichonne, les enfants en particulier… Les chaperons de ce festival, les gens qui vous guident sur les lieux, ce sont des enfants tout jeunes. Ils vous réceptionnent, ils vous emmènent partout et ils vous disent : « Ici, c’est là qu’on mange, ici, c’est là qu’on dort, ici, c’est là qu’on fait ci ou ça, là, c’est le cinéma… Bon, à plus tard ! »
Esta película cambió mi perspectiva sobre estas personas de escasos recursos porque la haces de una manera que te hace ser empático, que te hace apreciar tu país. Es una película magnífica y la recomiendo a todos. Yo te veo como representante de México a nivel mundial. ¿Por qué decidiste hacer Chicuarotes?
Gracias por este comentario. ¡Qué lindo que te haya llegado de esta manera porque para nosotros los temas de la película fueron muy importantes! Creo que en cierto momento pudimos haber decidido hacer un final completamente convencional y tradicional en que el héroe se escape y triunfe y no tenga que volver al pueblo. Eso sería la aventura clásica, pero no. Yo, la verdad, es que me siento agotado de este tipo de narrativas en la vida y en las películas porque la salida no es el escape. La salida es lo que hace Sugheili, el personaje de la niña, es actuar con una responsabilidad de querer cambiar las cosas y de alguna manera no dejar a nadie abandonado.
Y siento que eso ha hecho que la película haya tenido cierta dificultad también en entrar dentro del canon convencional de lo que es una película. A mucha gente le molesta la película por esta razón aunque no lo sepan. Es un personaje que no se redime porque al final te das cuenta de que a este personaje tiene un futuro que se le ha acabado: al día siguiente alguien le va a contratar para que mate a otra persona. Y allí es donde nacen estas personas.
Desgraciadamente es una derrota de la sociedad y somos responsables todos nosotros pero es donde nacen los fututos sicarios del mundo. Gente que por querer sobrevivir ha generado una especie de sociopatía, de falta de empatía, de falta de sentimiento, para poder sobrevivir, para poder aguantar tantos fardos en el lomo.
Note
Pour citer cette ressource :
Gael García Bernal, Didier Allouch, Nathalie De Biasi, "Masterclass de Gael García Bernal", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mai 2020. Consulté le 08/10/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/arts/cinema/masterclass-de-gael-garcia-bernal