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La danse populaire : la Dabké

Par Antoine Roumanos : Professeur - Université Saint-Joseph de Beyrouth
Publié par Salam Diab Duranton le 17/03/2009

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Extrait du tome II de la Pentalogie antiochienne du Père Youakim Moubarac, le texte présente la danse populaire du Liban (la Dabké) ainsi que ses différentes variantes.

LA DANSE POPULAIRE : LA DABKÉ

PAR ANTOINE ROUMANOS*

* Extrait d'un mémoire présenté comme rapport préliminaire à une thèse de IIIe cycle, Paris, 1975.

Il n'y a pas un village à Batroun qui ne continue à pratiquer la Dabké libanaise. Dans n'importe quelle circonstance festive, on peut s'attendre à voir jeunes et vieux se tenir fermement par la main et se balancer au rythme des instruments d'accompagnement en battant la mesure avec leurs coups de pieds.

Commençons par noter les caractéristiques générales de la dabké telles que nous avons pu les voir dans la pratique de la région de Batroun :

1. Les danseurs sont alignés les uns à côté des autres en se tenant par la main. Le bras peut être plié, comme il peut être étendu le long du corps, suivant chaque danse.

2. Le râs (ou chef de file) tient par la main gauche la main de son second tenue plus haut que la tête, la main droite du râs restant libre et haute ou bien tenant un mouchoir bouclé de telle sorte qu'il puisse tournoyer dans la main du danseur. Ce mouchoir s'appelle meqraya.

3. Le déplacement s'effectue toujours de gauche à droite, uniformément, ou bien de l'avant à l'arrière et de l'arrière à l'avant ; jamais de droite à gauche.

4. Les tapes (dabké proprement dite) sont toujours l'apanage du pied gauche. Nous verrons néanmoins qu'il y a une certaine modernisation dans les danses où l'on voit taper du pied droit.

5. Le mouvement de la dabké est répétitif dans ce sens que, quand il arrive à sa fin, le danseur est dans une position qui lui permet de reprendre intégralement le même mouvement.

6. Le râs est la seule personne à qui il est permis d'évoluer seul en lâchant la main du second et en faisant les mouvements qu'il veut, sans pour autant se soustraire à la musique qui le guide.

***

Aucune des personnes rencontrées n'a pu nous dire combien de dabkés on pratique au Liban. En ce qui nous concerne, nous pouvons certifier que dans la région de Batroun, il se danse 13 genres de dabké pratiquement différentes.

Empressonsnous de dire qu'il y a deux schémas fondamentaux et que toutes les danses de dabké pratiquées à Batroun en dérivent. Compte tenu du nom de la dabké, de la chanson ou de la musique qui l'accompagne et des différents mouvements, nous avons pu dénombrer 13 danses. Pour les pratiquants, elles sont toutes différentes les unes des autres. Mais pour celui qui y regarde de plus près, elles se relient en deux groupes que nous allons essayer de décrire.

I. LE SCHÉMA TERNAIRE

Le schéma ternaire est ainsi appelé à cause du rythme de la musique qui l'accompagne. Il y a six mouvements différents :

a) Gzayyel. La musique est ternaire et le mouvement est double. Les bras sont pliés ; les déplacements s'effectuent de gauche à droite ; la ligne des danseurs forme presque une ronde ; il y a une seule tape qui débute le mouvement et celuici se déroule ainsi :

1. Tape du pied gauche

2. Retour du pied gauche à côté du pied droit

3. Le pied droit s'élève

4. Le pied droit descend

5. Le pied gauche s'approche du pied droit

6. Le pied droit s'éloigne, pied gauche et pied droit ayant effectué un pas de côté. La tape du pied gauche finit le mouvement et débute le second.

b) Houwwara. Ce mouvement ne diffère du premier que par la chanson qui l'accompagne et sur deux points. Au lieu des temps cinq et six on trouve :

5. Les deux pieds se plient vers le bas

6. Les deux pieds reprennent la forme initiale et la tape du pied suit.

c) Haykalo. Ildiffère également du premier mouvement par la chanson et une légère variante dans la phase 3 : Le pied droit s'élève plus haut.

d) Dalouna. Avec une musique et une chanson spécifiques, de rythme ternaire, le mouvement diffère néanmoins dans sa structure du Gzayyel :

1. Le pied gauche tape une seule fois par terre

2. Il fait un pas en avant

3. Le pied droit le suit sans le rejoindre

4. Le pied gauche refait un pas en avant

5. Le pied droit le suit

Le pied se lève pendant un temps, puis redescend et tape

e) Youmma. Avec une musique et une chanson appropriées, ce mouve­ment ne diffère de Dalouna que sur deux points :

1. Dans le Dalouna, les danseurs se déplacent de gauche à droite, tandis que dans le Youmma le déplacement s'effectue de l'arrière à l'avant et de l'avant à l'arrière ; un mouvement vers l'avant, un autre vers l'arrière.

2. Le pied droit rejoint le pied gauche et le devance dans les phases 3 et 5, accomplissant une sorte de marche militaire, si bien que cette danse est appelée « La Militaire » dans d'autres régions comme celles de Baalbeck, ou bien « L'Attaque » comme à Batroun même. Parfois les danseurs forment deux lignes l'une en face de l'autre et ils avancent et reculent en même temps, tout en accomplissant les deux mouvements de la danse.

f) Mhaira. Ce mouvement n'a pas une chanson qui l'accompagne mais une musique spécifique. C'est le double de Gzayyel :

1. Le pied gauche tape par terre.

2. Il se rétracte et reprend sa position initiale.

3. Le pied droit se balance vers le pied gauche sans le toucher ni toucher la terre.

4. Il revient à sa position.

5. Le pied gauche accomplit le même mouvement que le pied droit.

6. Il revient à sa position.

7. Les genoux se plient vers la gauche.

8. Ils reviennent.

9. Ils se plient vers la droite.

10. Ils reviennent.

11. Le danseur saute sur le pied droit; le pied gauche s'élève.

12. Retour du pied droit sur terre. Le gauche tape une seule fois. Le danseur est prêt pour le mouvement suivant.

Comme on l'a peutêtre remarqué, cette danse tient à la fois de toutes celles décrites auparavant. Dans la région de Batroun quelques vieux danseurs se rappellent l'avoir importée de la région de Koura.

II. LE SCHEMA QUATERNAIRE

Il est ainsi appelé à cause de la musique de type quaternaire qui l'accompagne. Le groupe comporte sept variantes.

a) Mitniyyé. Ce mouvement n'a pas de chanson particulière, mais une musique spécifique. Les mains se tiennent fortement et les bras sont étendus le long du corps. Les danseurs se tiennent ainsi fermement en se penchant légèrement les uns sur les autres. Le mouvement s'accomplit par sautille­ments continuels, en avant et en arrière, avec un très léger déplacement vers la droite. La structure du mouvement est ainsi conçue :

1. Le danseur saute du pied gauche en avant.

2. Il atterrit sur le pied gauche et accomplit un petit saut sur le même pied, le pied droit restant relevé et à l'arrière. Le buste est droit et la tête haute.

34. Le danseur refait le même mouvement vers l'arrière sur le pied droit.

5678. Le même mouvement est repris une autre fois.

9. Le pied gauche tape par terre.

10. Temps mort.

11. Le pied gauche tape une deuxième fois.

12. Temps mort.

L'on comprend pourquoi cette danse est appelée Mitniyyé, i.e. redou­blée ; tous les mouvements le sont: 4 + 4 + 2 + 2

b) Baalbakiyyé. Même musique que la Mitniyyé et comme elle, sans chanson particulière ; la structure de ce mouvement est presque la même, sauf pour quelques variantes :

1. Le mouvement est plus accentué vers la droite

2. Le buste se penche profondément à l'avant, lors du déplacement

3. Les temps 9 et 10 sont morts dans la Baalbakiyyé et il n'y a qu'une seule tape sur le 11, suivie du temps mort final.

Ce mouvement tient beaucoup de la danse arabe ou bédouine, comme on peut facilement le noter quand on voit les danseurs évoluer sur scène.

c) Arga. Pas de chanson ; une musique semblable aux deux premières structures de ce mouvement quaternaire; mais il y a une variante principale dans la pratique. Les phases sont remplacées par un mouvement particulier et original :

12. Les danseurs s'agenouillent sur le seul genou droit

 34. Ils se relèvent

56. Ils s'agenouillent de nouveau

 78. Ils se relèvent.

Le mouvement se continue avec les tapes et les deux temps morts de la Mitniyyé.

d) Nada. Avec une chanson et une musique spécifiques, le mouvement Nada forme une variante principale du mouvement Mitniyyé. Au lieu de 4 + 4 + 2 + 2 de la Mitniyyé, on trouve 4 + 2 + 2

e) Mtallaté. Sur un rythme quaternaire, sans chanson particulière ; mais une variante musicale y est accompagnée par une activation bien notée des tapes qui arrivent au point culminant de 9 tapes.

La structure complète du mouvement devient :

Un mouvement complet de Baalbakiyyé avec une seule tape ;

- Un mouvement complet de Mitniyyé avec 2 tapes ;

- Un mouvement complet de Mitniyyé avec 3 tapes, le temps mort entre les deux tapes est noté ici par une troisième ;

- Tout le corps se retourne en arrière et le pied droit accomplit 3 tapes comme le pied gauche ;

- Le corps refait le mouvement contraire vers l'avant, les 3 tapes du pied gauche suivent et le mouvement recommence dès le début.

On compte ainsi 36 temps divisés comme suit: 12 + 12 + 12; d'où le nom Mtallaté ou reprise 3 fois de 4 x 3.

f) Laymouna. Avec une variante sur un rythme quaternaire, une musique et une chanson appropriées, ce mouvement débute par la structure même de la Mitniyyé en 12 temps. Puis :

13. Le pied gauche accomplit un pas en avant.

14. Un petit saut sur le même pied.

15. Le pied droit rejoint et devance le pied gauche.

161718. Il frappe deux fois par terre avec un temps mort entre les deux.

19. Le pied droit retourne vers sa position initiale derrière le pied gauche.

20. Il accomplit un petit saut

2122. Tape du pied gauche et temps mort 23. Le corps se retourne en arrière

24252627. Trois coups de la droite et un temps mort

28. Retournement du corps vers l'avant

29303132. 2 tapes et 2 temps morts de la Mitniyyé

Comme on peut aisément le remarquer, cette danse tient de la Mitniyyé sa structure quaternaire initiale et de la Mtallaté le retournement et les 3 tapes de l'arrière.

g)  Mashal. Avec chanson et musique du rythme quaternaire, la pratique de ce mouvement tient à la fois de la Mitniyyé et de la Laymouna. Il débute par tout le mouvement Mitniyyé. Les deux tapes de la Mitniyyé avec leurs temps morts terminés, le pied gauche accomplit en deux temps un mouvement vers l'avant comme dans la Laymouna, mais le pied droit tape une seule fois, revient vers sa position initiale et le pied gauche accomplit une seule tape avec son temps mort. Le mouvement se répète intégralement. II fait donc 5 X 4, soit 5 fois le mouvement quaternaire.

***

Bien entendu les 13 genres de Dabké ne sont pas pratiqués avec la même fréquence à travers toute la région de Batroun. On peut trouver des danses qui sont pratiquées sans exception dans tous les villages et d'autres qui ne le sont que dans des endroits bien précis. D'autres enfin ne sont pratiquées que dans quelques rares villages.

Tous les villages de Batroun pratiquent la Gzayyel et la Mitniyyé, même si les mouvements changent de noms d'un endroit à un autre. Nous avons pu noter en effet, une grande confusion dans les noms donnés aux danses. On nomme une danse et on en pratique réellement une autre. Cette confusion ne se limite pas à l'intérieur de chaque schéma, mais elle peut le dépasser vers l'autre, dans ce sens que l'on peut nommer une danse du schéma ternaire et en pratiquer une autre du schéma quaternaire.

Quelle conclusion peut-on normalement tirer de cet état de choses ?

Notre enquête indique clairement la disparition progressive de certaines manifestations folkloriques. A côté d'un appauvrissement du répertoire folklorique dansé, nous assistons à une coalition, si l'on peut dire, autour de deux schèmes et de deux mouvements qui se maintiennent et se renforcent dans la pratique.

Si l'on considère la dabké dans sa pratique sur le plan confessionnel, on ne peut noter aucune spécificité musulmane ou chrétienne dans la région de Batroun. Les deux communautés dansent strictement de la même façon. Dans les villages musulmans que nous avons pu contacter comme dans les minorités musulmanes à l'intérieur des villages chrétiens, on danse exacte­ment pareil. Plus encore, chrétiens et musulmans participent ensemble aux manifestations de joie comme de deuil.

La dabké du Liban
Pour citer cette ressource :

Antoine Roumanos, La danse populaire : la Dabké, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mars 2009. Consulté le 21/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/arabe/arts/theatre/dance/la-danse-populaire-la-dabke