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Chapitre II : L'évolution du mariage dans "Le passage des miracles" de Naguib Mahfouz

Par Cielo Janet Suarez Severino : Élève normalienne en Master 1 en langues, littératures et civilisations régionales et étrangères - Études Arabes. - ENS de Lyon
Publié par Suarez Severino Cielo Janet le 06/06/2022

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Cet article traitera le chapitre II du livre "Le passage des miracles" de Naguib Mahfouz. Nous analyserons comment l'auteur décrit l'évolution du mariage dans la société égyptienne des années 40'. Le mariage sera le miroir à travers lequel nous pourrons voir la transition d'une société traditionnelle à une société moderne. En même temps, il nous permettra de faire connaissance de deux personnages féminins parmi les plus importants de son œuvre.

Cet article a été rédigé dans le cadre d'un stage à l'ENS de Lyon.

L'auteur 

Naguib Mahfouz est l’un des auteurs les plus connus du monde arabe contemporain. Né en Egypte en 1911 et mort en 2006, il était le premier écrivain de langue arabe à avoir obtenu le prix Nobel de littérature en 1988. Naguib Mahfouz avait produit une œuvre riche et complexe  notamment la trilogie "L'impasse des deux palais", "Le Palais du désir" et "Le Jardin du passé". En plus de son style littéraire singulier, il a le mérite d'être l'un des "pères" du roman arabe moderne. Mahfouz a commencé à écrire sur des thèmes historiques, dans lesquels il critiquait la situation sociale et politique du pays. Plus tard, à partir de 1945, il situe ses romans réalistes dans l'Égypte contemporaine entre tradition et modernité, et plus précisément dans le Caire sous domination britannique, c’est-à-dire avant 1950. Ses œuvres ont donné lieu à de nombreuses adaptations au cinéma et à la télévision.

Le passage des miracles : l'œuvre littéraire et sa dimension

L’action de son œuvre se déroule pendant les années de colonisation britannique, durant la Seconde Guerre mondiale. Ce contexte historique se reflète dans la vie des habitants de quartier « midaqq », une rue portant le même nom que le roman.

L'intrigue du roman est à la fois linéaire et alternée, c'est-à-dire que l'action est centrée tour à tour sur un personnage, sur un lieu (par exemple le bar de Kirsha), ou sur différents aspects de la personnalité d'un personnage. L'auteur nous donne les différentes perspectives sur la vie, la morale, l'amour, l'argent à travers les personnages qui forment le microcosme du passage.

Le style littéraire dans cette œuvre est le réalisme. Lorsque on parle de réalisme on pense directement à de grands écrivains comme Honoré de Balzac dans la littérature française. Ce  courant littéraire a eu son apogée après la révolution bourgeoise de 1848, mais dans le monde arabe, il apparaîtra presque un siècle plus tard ((D. Tresilian, « Tendencias en la literatura árabe contemporánea | culturas », s. d. (en ligne : http://revistaculturas.org/tendencias-en-la-literatura-arabe-contemporanea/ ; consulté le 19 mai 2022))).

Le réalisme se caractérise par une image détaillée de la société décrite, chaque petit détail est montré, l'objectif étant qu'en lisant, le lecteur ait l'impression de vivre l'expérience avec les personnages. Dans le réalisme, le narrateur est un observateur, c'est-à-dire que l'auteur raconte les événements à la troisième personne ; bien qu'il connaisse tous les détails de l'action, le but est de présenter ces actions de manière objective, sans que l'auteur n'intervienne directement ou ne juge les faits.

Le roman a été adapté au cinéma : El callejón de los milagros, film mexicain réalisé par Jorge Fons, Vicente Leñero (scénariste) et Alfredo Ripstein (producteur) en 1995. Le film mettait en scène Salma Hayek, Ernesto Gómez Cruz, María Rojo et Bruno Bichir. Contrairement au roman, qui se déroule au Caire, le film se déroule à Mexico. Le film a reçu plusieurs prix, dont le Goya Award du meilleur film ibéro-américain en 1996 ((Pour plus d'informations, veuillez consulter:  « El callejón de los milagros », sur Dictionnaires et Encyclopédies sur « Academic », s. d. (en ligne : https://fr-academic.com/dic.nsf/frwiki/571043 ; consulté le 19 mai 2022))).

Le mariage comme transition de la tradition à la modernité

Comment la représentation d'une conception particulière du mariage - qui est ici le remariage d'une veuve - permet-elle à Naguib Mahfouz de réfléchir à l'état d'une société en mutation, confrontant représentations traditionnelles et modernes ?

Cet article cherche à se concentrer sur le thème du mariage, une brève analyse sera faite à travers le chapitre II du livre de Naguib Mahfouz, L'impasse, qui est consacré à deux des personnages principaux du roman, Oum Hamida et Madame Saniyya Afifi. A travers ces deux figures féminines, nous pouvons découvrir l'évolution du mariage dans la société égyptienne des années 40 où l'auteur propose une réflexion claire à travers les dialogues et la description de ces deux personnages, de l'importance du mariage dans une dimension sociale et religieuse. De manière plus spécifique, l'intrigue se concentre sur ces deux femmes :

 - Mme Saniyya Afifi est la propriétaire du bâtiment où vivent Hamida, sa mère adoptive Oum Hamida et le Dr Bushy, en plus d'elle-même, qui occupe significativement le dernier étage de sa maison et possède deux magasins dans un autre quartier. C'est une femme veuve d'une cinquantaine d'années qui veut se remarier et qui sacrifie ses économies pour épouser un homme plus jeune qu'elle.

- Umm Hamida est la mère adoptive de Hamida et la marieuse du quartier. Elle est une caricature (un type grossier) de la femme du quartier populaire : elle est décrite de manière très péjorative et comique. Elle est masculine et autoritaire : " voix forte et épaisse et intonation forte " ..... Elle est "marquée" par son statut social : joues marquées par la variole.

L'auteur nous présente deux milieux sociaux complètement différents, Oum Hamida représentera le quartier pauvre et populaire, tandis que Madame Afifi sera présentée comme une femme qui fait partie de la petite bourgeoisie réduite du quartier.

Dans la première partie, l'auteur nous présente une description symbolique de l'immeuble dans lequel vivent Oum Hamida et Mme Afifi, où nous avons également un aperçu des intentions secrètes de la visite de cette dernière à Oum Hamida. On peut constater qu'il existe une relation uniquement composée de convenance financière et sociale.

Oum Hamida, en tant que marieuse est dotée d'un sixième sens "développé", elle sait que les visites de Saniyya ont un arrière-plan matrimonial. Au cours de la lecture, nous apprenons que la vie de Madame Afifi n'a pas été facile et qu'elle a dû faire face à un mariage dans lequel elle a subi des violences et où son mari lui aurait volé une grande partie de son argent. Après cette déception amoureuse, elle décide de ne plus croire en l'amour et devient une femme pleine d'avidité qui ne se soucie que de "l'argent, des cigarettes et du café". Cependant, au fil des années, elle se rend compte qu'il lui manque la compagnie d'un partenaire et décide de se rendre à Oum Hamida pour trouver son futur mari.

A travers la lecture de ce chapitre, il y a deux choses que l'auteur nous fait comprendre, comme nous le savons à l'époque traditionnelle, c'est-à-dire avant l'arrivée de la modernité, il n'est pas normal qu’une femme soit indépendante économiquement, Afifi sera l'exemple parfait de la femme qui marquera le début de la modernité dans la société cairote.

Mais la partie qui nous intéresse le plus est le traitement du thème du mariage, comme il a été mentionné, nous pouvons voir que dans sa jeunesse Afifi s'est mariée par amour et qu'elle a même mis son économie en jeu avec son défunt mari. Des années plus tard, elle décide de se marier à nouveau, mais elle sait que le jeune homme qui veut l'épouser sera un homme qui l'épousera avant tout pour l'argent qu'elle possède. À cette époque, il n'était pas "normal" d'être une veuve quinquagénaire, avec le désir de se remarier, et encore moins d'être la femme qui cherche un mari. C'est un exemple clair de la transition vers la société moderne, une femme veuve, indépendante et autosuffisante qui décide de se marier parce que sa stabilité économique lui permet de le faire. 

C'est ainsi que nous verrons que la problématique féminine sera liée aux personnages masculins, et qu'il y a une dissociation entre le mariage et l'amour. Nous verrons également l'évolution de l'image traditionnelle de la femme à cette époque, c'est-à-dire l'image de la femme qui se marie par amour et celle de la femme qui se marie pour un intérêt plus profond que l'amour lui-même, et que même le mariage commencera à être considéré comme une marchandise qui peut être acquise par l'argent, peu importe qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme, comme c'était le cas à l'époque traditionnelle, où seul un homme pouvait acquérir une femme grâce à l'argent.

Tout au long de son œuvre, Naguib Mahfouz mène une réflexion profonde sur les changements économiques et sociaux qui vont se développer dans le quartier, notamment le changement du rôle social des femmes. Elle nous permet de faire une analyse profonde d'un point de vue sociologique et nous permet de vivre la transformation d'une société conservatrice en une société moderne.

Bibliographie 

Mahfouz Naguib, Passage des miracles, Antoine Cottin (trad.), Arles Montréal, ACTES SUD, 2007.

Tresilian David, « Tendencias en la literatura árabe contemporánea | culturas », sans date (en ligne : http://revistaculturas.org/tendencias-en-la-literatura-arabe-contemporanea/ ; consulté le 19 mai 2022).

« El callejón de los milagros », sur Dictionnaires et Encyclopédies sur « Academic », sans date (en ligne : https://fr-academic.com/dic.nsf/frwiki/571043 ; consulté le 19 mai 2022).

Notes

Pour citer cette ressource :

Cielo Janet Suarez Severino, "Chapitre II : L'évolution du mariage dans "Le passage des miracles" de Naguib Mahfouz", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), juin 2022. Consulté le 24/04/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/arabe/litterature/contemporaine/chapitre-ii-levolution-du-mariage-dans-le-passage-des-miracles-de-naguib-mahfouz