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Introduction à « The God of Small Things » d'Arundhati Roy

Par Florence Labaune-Demeule : Maître de conférences - Université Jean Moulin – Lyon 3
Publié par Clifford Armion le 31/05/2011

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((The God of Small Things)), roman publié en 1997, permit à son auteur, la romancière indienne Arundhati Roy, de recevoir le Booker Prize la même année. Publié dans de nombreux pays et traduit en plus de quarante langues, ce roman a été applaudi à maintes reprises par la critique, notamment en raison de l'analyse subtile des relations humaines qui y est abordée. Comme le dit A. Roy elle-même, « The book really delves, very deep I think, into human nature. The story tells of the brutality we're capable of, but also that aching, intimate love [shared by twins]. »
The God of Small Things, roman publié en 1997, permit à son auteur, la romancière indienne Arundhati Roy, de recevoir le Booker Prize la même année. Publié dans de nombreux pays et traduit en plus de quarante langues, ce roman a été applaudi à maintes reprises par la critique, notamment en raison de l'analyse subtile des relations humaines qui y est abordée. Comme le dit A. Roy elle-même, « The book really delves, very deep I think, into human nature. The story tells of the brutality we're capable of, but also that aching, intimate love [shared by twins]. » (A. Roy, http://www.postcolonialweb.org/india/roy/nishant1.html).

Ce roman décrit la vie des membres de la famille Ipe, riche famille anglophile vivant dans la ville d'Ayemenem, dans l'état du Kérala, situé le long de la côte ouest dans le sud de l'Inde.

Le roman suit un ancrage temporel double : une première série d'événements - les plus tragiques, qui marqueront à jamais la vie des personnages principaux - se déroulent en 1969, sur une durée assez resserrée d'environ deux semaines. On y retrouve par exemple l'expédition à Cochin qui conduit Estha à rencontrer l'homme Orangeade-Citronnade du cinéma Abhilash, l'arrivée de Sophie Mol et de sa mère Margaret, venues d'Angleterre pour tenter de se remettre du décès de Joe, le second mari de Margaret, ou encore les jeux des enfants dans la plantation et l'usine de leur grand-mère. Les événement s'accélèrent soudain avec la disparition des enfants, le décès de Sophie Mol, et surtout la Terreur qui frappe les amants maudits Ammu (la mère des jumeaux Esthappen et Rahel) et Velutha, le jeune menuisier intouchable.

A cette temporalité première s'ajoute celle, plus récente, située vingt-trois ans plus tard, où Rahel, la jumelle d'Esthappen devenue adulte, revient à Ayemenem, sur les lieux des drames de leur enfance, pour retrouver ce frère inséparable qui avait été « Retourné à l'Envoyeur » après les circonstances tragiques de 1969. Les jumeaux réunis, meurtris à jamais, demeurent incapables d'oublier la Terreur passée et ne peuvent trouver un éventuel réconfort que dans leur complémentarité, voire la fusion désespérée des corps et des esprits.

 Ce récit, dont la structure est particulièrement soignée, puisqu'il offre une savante déconstruction de l'intrigue en répétant des scènes et des motifs que le lecteur doit remettre en place comme les pièces d'un puzzle, rappelle en cela, sans nul doute, l'intérêt et le talent de l'auteur dans le domaine de l'architecture. Il s'inscrit dans la tradition littéraire indienne autant que dans la mouvance postcoloniale de la littérature indienne anglophone, et le choix d'une langue comme l'anglais - s'il a longtemps fait débat en Inde (Renouard : 19-29 ; Baneth-Nouailhetas : 13 ; Rushdie & West : x, par exemple) - n'éclipse pas l'importance des langues et de la culture indiennes : de nombreux termes en malayalam sont d'ailleurs souvent cités, comme le sont certaines chansons, ou comme l'est encore l'art dramatique du kathakali représentatif du Kérala.

Si plusieurs concepts permettent d'inscrire The God of Small Things dans la tradition postcoloniale (les concepts d'allégorie, d'appropriation, d'hybridité et d'imitation - Durix : 7-22) et dans l'écriture postmoderne (Dvorak : 41-61), ils ne font que mettre un peu plus en lumière l'inventivité langagière d'A. Roy, qui se manifeste tant dans la création lexicale que dans une structuration très personnelle de la syntaxe et une utilisation particulière des figures de style. L'utilisation de métaphores et d'images récurrentes ainsi que les nombreuses références intertextuelles créent une forme de sous-courants narratifs qui structurent l'œuvre.

On peut ainsi percevoir dans l'écriture d'Arundhati Roy une transgression des normes au niveau textuel, dont on ne saurait ici faire un inventaire exhaustif : découpage en chapitres par exemple remis en cause dès la page 34 par la présence d'une phrase dans l'espace entre deux chapitres, nombreuses transgressions de la linéarité du texte par une présentation plus « verticale » de certains passages, comme lorsque sont cités chansons et poèmes, ou lorsque l'auteur déconstruit des mots comme c'est le cas de « nictitating » (189), ou encore lorsque l'auteur présente certains épisodes sous forme de poèmes (290 ou 312 par exemple). Une autre transgression de la linéarité du texte est bien sûr reflétée par les capacités de lecture à l'envers des jumeaux. A cela s'ajoute encore une utilisation particulière de la ponctuation, ou une déstructuration sémantique de certains mots, comme « A Wake/ A Live/ A Lert » (238), « Ei.Der.Downs » (105), « longago » (97), etc.

Ceci fait écho aux multiples formes de transgression illustrées par le récit : transgression des schémas sociaux traditionnels, transgression des « Love Laws », transgression des interdits de tous ordres. Se greffe aussi, sur cette vision d'une société arc-boutée sur ses archaïsmes, une dénonciation de pratiques misogynes que l'auteur aimerait clairement voir appartenir aux jours anciens. Nombreux sont les critiques à mettre en avant le féminisme du roman (Ray, M.K., George, Jacob C. entre autres) qui s'insurge contre des pratiques d'un autre âge. La violence de la société de castes, dirigée essentiellement par des hommes, s'exerce surtout à l'encontre des femmes, mais aussi des plus faibles socialement - les Intouchables, et Velutha, le Dieu de Petits Riens, en sera une victime expiatoire.

 La subtilité des portraits de personnages, une multiplicité d'ancrages du point de vue et une narration qui fait s'entremêler de nombreux ressorts de la tragédie et de l'humour (de la farce à l'ironie acerbe) donnent aux personnages une dimension humaine réaliste. Le lecteur s'identifie à ces personnages et se laisse toucher par leur destin tragique comme par leurs espoirs les plus fous, comme lorsque les amants veulent croire en un hypothétique lendemain par un : « 'Naaley'/ Tomorrow » qui prolonge leur existence par-delà la mort (340).

 Mais outre les destins brisés d'Ammu, de Velutha et des jumeaux, le lecteur retient aussi de ce roman une écriture moderne, jubilatoire, qui fait fi des règles pré-établies pour créer et inventer son propre langage littéraire, et dont l'excès quasi carnavalesque tente de conjurer la violence de lois inhumaines qui écraseront les personnages. Par ce foisonnement stylistique poétique, le narrateur redonne un avenir à ses personnages trop tôt disparus, à la mémoire de qui l'on se prend à rêver que la narration, par l'excavation de ces Petits Riens de leur histoire, dressera un monument mémorable.

Références bibliographiques

BANETH-NOUAILHETAS, Emilienne. 2002. The God of Small Things. Arundhati Roy. Paris : Armand Colin / CNED.

DURIX, Jean-Pierre. « The Post-Coloniality' of The God of Small Things. », dans DURIX, Carole et Jean-Pierre (Ed). Reading Arundhati Roy's The God of Small Things. 2002, Dijon : Editions Universitaires de Dijon (Coll. U21), 7-22.

DVORAK, Marta. « Translating the Foreign into the Familiar : Arundhati Roy's Postmodern Sleight of Hand », dans DURIX, Carole et Jean-Pierre (Ed). Reading Arundhati Roy's The God of Small Things. 2002, Dijon : Editions Universitaires de Dijon (Coll. U21), 41-61.

GEORGE, C. Jacob. « The God of Small Thing : Humour as a Mode of Feminist Protest », dans Dhawan, R.K (Ed). 1999.  Arundhati Roy The Novelist Extraordinary. London : Sangam Books, 71-76.

RAY, Mohit Kumar. « Locusts Stand I' : Some Feminine Aspects of The God of Small Things », dans Dhawan, R.K (Ed). 1999.  Arundhati Roy The Novelist Extraordinary. London : Sangam Books, 49-64.

RAY, M.K., « The God of Small Things : A Feminist Study », dans PATHAK, R.S. (Ed). 2001. The Fictional World of Arundhati Roy. New Delhi, Creative Books, 95-107.

RENOUARD, Michel. 2008. La littérature indienne anglophone. Neuilly : Atlande. (Coll Clé Concours, Références Anglais Littérature)

RUSHDIE, Salman & WEST, Elizabeth. 1997. The Vintage Book of Indian Writing. 1947-1997. London : Vintage.

ROY, Arundhati. 1997. The God of Small Things. London : Flamingo / HarperCollins.

 

Pour citer cette ressource :

Florence Labaune-demeule, Introduction à The God of Small Things d'Arundhati Roy, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mai 2011. Consulté le 23/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/litterature/litterature-postcoloniale/dossier-the-god-of-small-things/introduction-a-the-god-of-small-things