La correspondance entre Elisabeth I et Jacques VI comme base d’une future unité britannique
Cet article est issu du recueil "La Renaissance anglaise : horizons passés, horizons futurs" publié par Michèle Vignaux. Le recueil est constitué de travaux menés dans le cadre de l'Atelier XVIe-XVIIe siècles, organisé de 2008 à 2010 pour les Congrès de la SAES (Société des Anglicistes de l'Enseignement Supérieur) qui se sont tenus à Orléans, Bordeaux et Lille, respectivement sur les thématiques de « La résurgence », « Essai(s) » et « A l'horizon ».
Convaincre Elisabeth Ire d'Angleterre de le choisir comme héritier du trône. Voilà ce qu'essaya Jacques VI d'Ecosse durant près de trente ans. La tâche fut ardue. Elle lui fit user de diplomatie politique et de relations personnelles pour s'imposer face à la reine comme le fils et l'héritier politique qu'elle recherchait. La correspondance des deux monarques offre une facette des liens que tous deux entretenaient tout en mettant en évidence la stratégie du roi d'Ecosse pour s'assurer de lui succéder. L'étude qui suit propose de décrypter cette correspondance afin d'apporter un éclairage supplémentaire sur les négociations pour la succession d'Angleterre.
1. Quand la bienveillance se mêle à l'intérêt politique
Un héritier du trône devait, autant que possible, être du même sang que le monarque régnant. Si Elisabeth n'eut jamais d'enfant, elle possédait malgré tout une vaste famille composée de proches cousins. Le plus proche était Marie Stuart, reine d'Ecosse, qui venait au premier rang de la succession, suivie de son fils, Jacques. Le père de celui-ci, Henry Stuart, Lord Darnley, était lui aussi un cousin éloigné de la reine Tudor. Toutefois, ces liens n'étaient en aucun cas une garantie ou un critère unique de choix pour Elisabeth. De nombreux autres prétendants avaient tous autant de chances de pouvoir accéder au trône d'Angleterre. Arbella Stuart, une autre cousine, pouvait prétendre au même trône étant elle aussi une petite-fille d'Henri VII d'Angleterre. Elisabeth ne révéla jamais officiellement qui elle choisirait pour lui succéder. L'ambiguïté demeura jusqu'à sa mort. Néanmoins, très tôt, Jacques, prince puis roi d'Ecosse, sembla se dégager des autres prétendants. Sa qualité de protestant lui donna l'avantage dès le départ face aux catholiques Marie et Arbella, certes, mais il eut fut en réalité bien plus: Jacques entretenait avec Elisabeth un lien très étroit qui transparaît dans leur correspondance. Paradoxalement, à sa naissance, Jacques représenta un danger pour Elisabeth. Jacques était le fils de Marie Stuart, souveraine d'Ecosse catholique soutenue par le Pape pour prendre possession du trône d'Angleterre et rétablir l'Eglise catholique sur l'île. La naissance du prince écossais affaiblissait la position déjà précaire de la reine « Vierge ». Marie Stuart n'avait bien sûr pas hésité à le rappeler dans les minutes qui ont précédé son accouchement ((Lorsqu'elle accoucha de Jacques, le 19 juin 1566, la tradition historique veut que les personnes présentes aient entendu la reine dire d'une voix ferme que cet enfant était destiné à unir un jour l'Ecosse et l'Angleterre. Ces propos furent mentionnés lors de l'exposition célébrant l'union des couronnes, The Universal King, James VI and the Union of the Crowns, du 1er octobre au 30 novembre 2003, au château d'Edimbourg, Ecosse.)) puis en jouant de provocation auprès d'Elisabeth en la choisissant comme marraine pour son fils. Contrairement à l'effet qu'avait voulu produire Marie par ce choix stratégico-politique, il fut à l'origine du lien étroit qui se construisit entre la reine d'Angleterre et Jacques dès les premiers mois de sa vie. En effet, Elisabeth se servit de son statut de marraine d'un jeune prince en péril face à une mère noyée au cœur des complots pour prendre l'ascendant sur ce dernier. Elle soutint la révolte presbytérienne en Ecosse (il valait mieux des presbytériens comme voisins que des catholiques) et réussit à s'assurer une surveillance du prince et de sa cour grâce aux moyens d'espionnage traditionnels mais surtout en établissant une correspondance avec Jacques par laquelle elle tissa des liens étroits de confiance. Elle eut ainsi jusqu'à sa mort un ascendant moral sans précédent sur le roi d'Ecosse.
Leur correspondance alla bien au-delà des simples rapports politiques et polis qu'entretenaient alors les monarques européens. Dans maintes lettres, Elisabeth apparait telle une mère inquiète s'adressant à son fils. Ainsi, par exemple, alors que Jacques était prisonnier du comte de Ruthven, en 1582-83, elle lui écrivit à plusieurs reprises pour l'encourager et le conseiller dans ses choix politiques et les représailles qu'il devait mener contre ses ennemis ((Lettre du 18 octobre 1582, Bruce, Letters of Queen Elizabeth and King James VI of Scotland. Londres, Camden Society, 1849.)). Ce fut de nouveau le cas en 1600, lors du complot de Gowrie.
Les propos tenus par les deux souverains sont souvent sans équivoque. Ils démontrent l'ascendant de la reine sur le jeune roi, mais aussi la volonté de ce dernier de s'affirmer face à elle. Si Elisabeth sous-entendait son attachement au roi d'Ecosse par ses conseils, nombre de lettres de Jacques étaient plus directes. Dans une lettre datée du 27 juin 1585, il remercia la reine du cadeau qu'elle venait de lui faire: des chevaux d'une grande valeur, dignes d'un cadeau d'une mère à son fils : « I can on no wayes requyte bot by ofering unto you my person and all that is myne, to be used and employed by you as a loving mother wold use hir naturall and devoted chylde ». Ces propos furent adressés à « madam and dearest mother » et signés par « your loving and devoted Brother and son » (Bruce,14). Cette lettre est un exemple de dévotion d'un prince envers celle qu'il considérait bien comme sa protectrice, sa mère devant Dieu, voire même, sa mère naturelle. Rappelons que Marie Stuart l'avait abandonné au berceau. Toutefois, ne nous fions pas trop à ces propos mettant un peu trop en avant la reconnaissance du roi d'Ecosse. Ces derniers étaient en partie intéressés. Sa manière de terminer ses lettres est révélatrice de ses intentions. Les variations dans sa manière de signer méritent que l'on s'y intéresse. Habituellement, Jacques signait ses lettres par un « your brother and Cousin ». Or ponctuellement, il signait par la dénomination de « fils » suggérant sa volonté de se placer à un statut des plus intime vis-à-vis de la reine. Il ne faut pas négliger le fait que Jacques était un homme éduqué, d'une grande intelligence et ayant une grande maîtrise de la rhétorique. Il était très certainement sincère en glorifiant les liens qui l'unissaient à la reine d'Angleterre, mais il était aussi très sûrement intéressé. Jacques grandit dans l'idée qu'il serait un jour roi d'Angleterre. Tout son règne écossais fut conditionné par cette perspective. Il fallait essayer par tous les moyens de plaire à Elisabeth afin qu'elle le choisisse. Or comme celle-ci refusait de le déclarer officiellement comme héritier, il restait entouré d'incertitudes. Cela le motiva d'autant plus à bien agir envers sa marraine. A la lecture minutieuse des quelques lettres où Jacques se considére ni plus ni moins que comme le fils naturel d'Elisabeth, nous constatons qu'il cherchait à se faire pardonner quelque chose. Se faire passer pour un fils s'adressant à sa mère était une manière emphatique de glorifier leurs liens pour rassurer la reine de son respect et de sa confiance et accessoirement de faire aussi oublier ses quelques petites erreurs diplomatiques. Par exemple, dans une lettre datée du 19 juillet 1585, Jacques dut répondre d'accusations graves envers l'Angleterre. Une rumeur était arrivée jusqu'à la reine affirmant que l'Ecosse complotait avec l'Espagne contre l'Angleterre. Jacques réfuta ces accusations en assurant la reine de sa fidélité filiale.
Bien sûr, pour Elisabeth, entretenir ces liens filiaux était essentiel pour continuer à contrôler de manière indirecte les affaires d'Ecosse et pour entretenir les bonnes relations entre les deux royaumes. Diplomatiquement, ce dernier point était essentiel, voire bien plus important que la question de la succession. Elisabeth devait se garantir un allié sûr face aux menaces perpétuelles d'invasions catholiques. Nous avons constaté plus tôt qu'elle se comportait comme une mère par ses conseils et l'intérêt qu'elle portait à la personne de Jacques, bien plus qu'en se proclamant mère en signant comme telle ; toutefois, elle usa elle aussi une fois de la méthode du roi d'Ecosse le jour où elle se trouva à son tour dans une situation très critique, lorsqu'elle condamna la véritable mère de Jacques à mort. Faire exécuter une souveraine, qui se trouvait en outre être sa cousine, était déjà peu approprié aux yeux des cours européennes, mais vis à vis de son alliée, l'Ecosse, la décision pouvait se révéler dramatique pour les relations entre les deux pays. L'argument filial la sauva aux yeux de Jacques. Elle expliqua son choix comme étant la seule solution pour la protection de sa personne, mais aussi de celle de son filleul. Elle dit avoir agit telle une mère pour la protection de son fils ((Lettre de février 1586, Bruce, op.cit., p. 28, lettre de janvier 1587, Bruce, op. cit., p.41, lettre du 1er février 1587, Bruce, op. cit., p. 43)) :
And therefore as we have had always even from your birth a special care over you ; yea as great as if you had been our child... so mean we to continue the same care as long as we shall find your thankful disposition and kind accepting of our favours ((Lettre d'Elisabeth Ire à Jacques VI, 1586, National Archives of Scotland. Lettre exposée lors de l'exposition The Universal King, James VI and the Union of the crowns, du 1er octobre au 30 novembre 2003, au château d'Edimbourg, Ecosse.)).
Jacques fit une réponse de principe, mais ne s'opposa pas à la reine et ne fit rien pour faire changer la sentence... il aurait eu trop à perdre. Il se contenta d'écrire qu'il soutenait la décision de la reine par attachement à sa confession même si sa condition de fils l'obligeait à plaider pour la vie de sa mère : « My religion ever moved me to hate her course although my honour contrains me to insist for her life. » (ibid)
Les liens de sang n'étaient pas grand chose sans des liens bien plus étroits entre l'Angleterre et l'Ecosse et surtout entre leurs deux souverains. Ces derniers s'employèrent sans relâche à les renforcer, même si leurs intérêts n'étaient pas tout à fait les mêmes.
2. L'Instrument
Les liens de sang n'étaient en aucun cas une garantie de paix entre les deux royaumes. Il fallait consolider les relations anglo-écossaises par des moyens plus fédérateurs. La religion apparut de manière pertinente comme une possibilité de rapprocher les deux pays dans une cause commune et, de façon plus officieuse, de tenter d'harmoniser les Eglises en vue de l'union des couronnes qui aurait lieu si Jacques était choisi pour succéder à Elisabeth. Les Eglises d'Ecosse et d'Angleterre avaient connu une Réforme différente et avaient adopté des confessions nationales spécifiques. L'Ecosse avait adopté une Eglise presbytérienne comme Eglise nationale en 1560. L'Angleterre construisait toujours son Eglise épiscopale, mélange de doctrines calvinistes et luthériennes. Toutefois, chaque royaume était officiellement protestant. Pour Elisabeth, seul importait ce fait. Les Ecossais étaient bien plus radicaux dans leur pratique du calvinisme que les Anglais, mais il valait mieux s'allier à des presbytériens que de risquer de rester faible face à une invasion catholique. Pour Jacques, la possibilité d'une alliance religieuse était à la fois un argument supplémentaire de son bon vouloir de respecter la politique religieuse élisabéthaine et une manière d'essayer de s'attirer les bonnes grâces de sa cousine. Il s'agissait aussi d'une excuse supplémentaire pour aligner l'Eglise d'Ecosse sur celle en place en Angleterre. En effet, depuis sa majorité, le Roi Jacques s'affirmait contre les presbytériens, trop puissants à son goût à la cour. Il était déterminé à réduire leur influence et à s'imposer comme chef de l'Eglise en Ecosse à l'image des souverains anglais. Les lois noires de 1584 furent sa première tentative dans cette direction. Il soutint un système épiscopal dont il serait le chef. Les évêques, sous son autorité, devaient être rétablis en obtenant des terres qui leur permettraient de siéger au parlement et au conseil privé ((Les lois de 1584 furent votées mais rapidement, sous la pression des presbytériens, Jacques VI dut les revoir et se contenter de quelques évêques seulement au gouvernement.)). Des pourparlers pour une alliance protestante entre l'Ecosse et l'Angleterre commencèrent dans la même période. Une première mention en fut faite dans une lettre datée du 19 juillet 1585 (Bruce,16). Une mention plus claire fut ensuite faite un mois plus tard, le 19 août 1585 (Bruce, 21) par Jacques qui confirma son soutien dans la création d'une alliance devant officiellement protéger l'île d'une invasion. Il s'agissait alors d'une ligue offensive et défensive des deux pays. Officieusement, les intérêts étaient bien plus nombreux que ceux d'un simple soutien mutuel en cas d'attaque catholique. L'alliance devenait une garantie supplémentaire de l'obéissance du roi d'Ecosse et créait une opportunité de voir un jour naître une unité des Eglises de l'île. Les intérêts du Roi Jacques étaient énormes dans cette alliance; d'ailleurs, il signa cette lettre en usant du titre de fils (« sonne ») et appelant Elisabeth « mère » (« mother »). L'alliance devint la préoccupation centrale de la correspondance entre les deux souverains. Elisabeth ne manqua jamais une occasion de rappeler à son filleul son engagement dès que celui-ci la décevait quelque peu. Ainsi, par exemple, dans les premières semaines de 1586, Jacques fut accusé de ne plus prêter autant d'intérêt aux négociations. Il répondit à ces accusations en réitérant son attachement au projet d'alliance avec la reine :
I doubt not, madam and dearest sister, but ye have this tymes past accused me in your owen mynde of foryetfullness or great sleuth [...] I must most hartly crave your pardon in respect I did it upon goode intention [...] and for the Instrument, quhairunto I desyre youre seale to be affixit, think not, I pray you, that I desire it for any mistrust ... (1 avril 1586, Bruce, 31-32)
Il est vrai qu'il jouait alors sur plusieurs fronts. Il tentait de s'assurer le soutien des Etats d'Europe continentale, tant protestants que catholiques, pour la succession d'Angleterre. Ses négociations avec les Etats catholiques et le Pape furent des plus secrètes ((Voir chapitre I, Sabrina Juillet, « Unis par la couronne, indépendants par l'Eglise. La confessionnalisation en Angleterre et en Ecosse, 1603-1707. » Thèse de Doctorat, Université de Versailles-St Quentin, 2009, pp. 25-40)). Ses promesses d'alliance étaient certes réelles, mais il savait aussi que l'Ecosse n'était pas encore prête à s'allier à l'Angleterre sans raison valable. Il fit donc traîner en longueur les négociations par l'intermédiaire de ses ambassadeurs, ignorant délibérément l'impatience d'Elisabeth alors menacée à la fois par le Pape et par Philippe II d'Espagne. Jacques semblait être alors en position de supériorité face à sa cousine, qui en réalité, ne faisait que le supplier à travers ses réprimandes. Il ne signa sa lettre que d'un « your cousin » révélateur de son état d'esprit du moment, en s'imposant comme son égal et non comme un prince assujetti.
La mort de Marie Stuart vint naturellement renforcer les liens religieux entre les deux royaumes sans que l'alliance ait été officialisée. Elisabeth avait fait assassiner sa cousine dans l'intérêt du protestantisme et Jacques n'était pas intervenu pour l'en empêcher dans le même intérêt. L'alliance était-elle donc toujours pertinente? Dans un certain sens, elle l'était toujours car les deux souverains tenaient à officialiser leurs bonnes relations pour légitimer leurs politiques présentes et les choix futurs liés à la succession d'Angleterre. Elle resta donc au centre des préoccupations décrites dans leur correspondance. Une fois officiellement conclue, en 1686 (21 juillet 1586, Bruce,157), le discours du roi d'Ecosse vis à vis de l'Angleterre changea. Il s'affirma et devint plus pressant. Les années passaient, la reine vieillissait, et malgré les preuves de bonne volonté de Jacques, Elisabeth persistait dans son refus de le déclarer même officieusement comme son héritier. Après avoir usé des liens affectifs qui l'unissaient à la reine, et après lui avoir prouvé qu'il serait son digne héritier en matière de politique ecclésiale, voire même ecclésiastique, Jacques utilisa l'argument patriotique pour mettre en avant les liens évidents qui unissaient naturellement les deux royaumes de l'île. Il s'agissait d'essayer de convaincre la reine que l'Ecosse était non plus une simple alliée, mais un royaume naturellement et intrinsèquement lié à l'Angleterre. La correspondance de Jacques à Elisabeth révèle ce point de vue encore jamais exprimé de la part d'un roi d'Ecosse envers l'Angleterre. Il était décidément prêt à tout pour le trône d'Angleterre.
3. Le fils naturel et le compatriote de l'Angleterre
L'attaque de la Grande Armada légitima l'alliance anglo-écossaise pour les sujets anglais et écossais. Le changement de perspective sur les relations entre les deux royaumes qu'elle impliquait permit à Jacques d'entreprendre une nouvelle stratégie pour enfin obtenir la promesse de sa cousine de le choisir comme successeur. La fin des années 1580 fut le témoin d'une pression sans précédent sur la reine d'Angleterre. Elle dura jusqu'en 1600. Elle coïncida aussi avec une période durant laquelle la reine était de plus en plus souvent malade. Jacques devenait sceptique quant à une issue favorable de la succession. Parallèlement à des négociations secrètes avec William Cecil, à la cour d'Angleterre, et avec le Pape et la chrétienté catholique et évangélique, pour obtenir leur soutien à la mort d'Elisabeth, il entreprit une nouvelle stratégie directement auprès d'elle: il ne fut dès lors plus seulement son fils et héritier politique et moral, il se présenta comme le meilleur allié de l'Angleterre, un compatriote de ce pays qu'il disait admirer. Les courriers faisant état de son sentiment presque patriotique se multiplièrent à partir de 1587. Ainsi, dans une lettre datée du 1er août 1588, il réitéra sa volonté de lutter aux côtés de l'Angleterre tel un compatriote, un voisin, un parent, un ami proche de ce royaume, tel un fils naturel, ce fils naturel adopté ou devant être reconnu par la souveraine:
Kinsman and neighbour I find myself to you and your country », « wherein I promess to behave myself, not as a stranger and foreyne prince, but as your natural sonne and compatriot of your country in all respectis. (Bruce, 51)
Il se présentait comme un peu anglais, en aucun cas comme un Ecossais déterminé à rester le plus éloigné possible de l'Angleterre et hermétique à toute idée de lien entre les deux royaumes. N'était-il pas habitant de l'île britannique qu'il dira quelques années plus tard, dans une déclaration à son Parlement, avoir été divisée par l'homme et en aucun cas par Dieu:
Hath not God first united these two Kingdomes both in language, Religion, and similitude of manners?,Yea, hath hee not made us all in one Island, compassed with one Sea, and of it selfe by nature so indivisible, as almost those that were borderers themselves on the late Borders, cannot distinguish, nor know, or discerne their own limits ((Speech to the Parliament, 19 mars 1604, dans J. Sommerville, King James VI and I Political Writings. Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 135.))?
En tant qu'Ecossais, il était naturellement de son devoir de protéger toute l'île britannique (« the whole Ile of Britayne ((Lettre du 1 août 1588, Bruce, op.cit. p. 51. Notons qu'il ne s'agissait pas là encore de la « Grande-Bretagne », union des couronnes d'Ecosse et d'Angleterre, mais seulement de la référence à l'île que les Romains avaient appelée « Magna Britanie » et souvent réduite au nom de « Britania » ou « Britaine » par les contemporains.)) »). Quelques mois plus tard, il insistait toujours auprès de la reine pour la convaincre de son attachement au royaume d'Angleterre. Cette fois, il se montrait déterminé à créer des liens solides à la fois culturels et politiques entre les deux pays. Il demandait conseil à Elisabeth par lettres interposées et par l'intermédiaire de son ambassadeur Wemyss pour renforcer l'amitié des deux royaumes, sous-entendant que cette amitié serait favorable à tous lors de la succession:
to crave your advice for my particulare behavioure in preparing myself and countrie as the necessitie of the time shall require; how to settle my state and person in suche respectis as may be required of one of my age and calling. (18 mars 1589, Bruce, 66)
Cette nécessité pouvait être interprétée comme on le voulait... l'ambiguïté restait de mise pour ne pas trop froisser la reine. Mais la prudence laissa vite place à l'impatience et le roi devint moins diplomate en affichant ses prétentions publiquement. Il reprit ce discours dans Basilikon Doron. Ce manuel destiné officiellement à son fils se révéla être une tentative pour changer les mentalités des Ecossais envers son statut de roi d'Ecosse et prochainement, espérait-il, d'Angleterre. Il y avait évoqué, par exemple, son intention de se rapprocher de l'Angleterre non seulement politiquement mais aussi par une meilleure connaissance de ses us et coutumes:
And as for England, [...] I hope in that God, who ever favoureth the right, before I die, to be as well acquainted with their fashions (Basilikon Doron, Cambridge, 25)
Tant d'insistance déplut à la reine trop soucieuse de maintenir le roi d'Ecosse sous son contrôle. Cette situation devint pour lui insupportable avec les années. Dans sa frustration et pour parer à toute éventualité, il entra aussi dans des négociations secrètes avec le Pape. Il fit croire à ce dernier qu'il pourrait se convertir. Ces promesses furent véhiculées par l'intermédiaire d'une correspondance entre la reine Anne et le Pape ou son nonce ((Warner, « James VI and Rome », The English Historical Review, vol. 20, Londres, 1905, p. 123-124.)). Il reçut le soutien d'Henri IV de France laissant à l'occasion croire à l'Europe catholique qu'il serait prêt à faire les mêmes concessions religieuses que ce dernier. Bien sûr, Jacques n'eut jamais l'intention de concrétiser ces promesses. Il n'accepta jamais non plus qu'Henri, son fils et successeur, se convertisse contrairement à ce qu'Anne laissa entendre dans une de ses lettres au Pape ((Voir « Summa mandatorum quae Edoardo Drummond », in A.O Meyer, Clemens VIII und Jakob I von England, Rome, 1904, p. 36 ; Sabrina Juillet, op. cit., pp. 87-94)). Or, malgré le secret qui entourait ces manœuvres, les espions d'Elisabeth eurent bientôt vent de ce qui se tramait et en informèrent la reine qui vit là un acte de traîtrise de son protégé. L'insistance de Jacques à essayer de convaincre Elisabeth qu'il était l'héritier idéal pour la couronne d'Angleterre se retourna alors contre lui. On le soupçonna même de préparer en secret les funérailles de la reine. Il dut répondre de ces accusations et les nia (Septembre 1600, Bruce, 132); mais comme le dit le dicton populaire, il n'y a jamais fumée sans feu...
La reine ne lui tint finalement pas rigueur de ces faux pas et le choisit comme héritier, même si ce choix ne fut jamais clairement exprimé. En maintenant le secret, elle a testé les liens qui existaient réellement entre elle et son filleul et a permis de renforcer ceux entre les deux royaumes. Cela a participé à préparer à une transition dynastique des plus pacifique et à révéler les talents diplomatiques de Jacques VI. La correspondance qui vient d'être abordée ne reste cependant qu'une petite facette visible des stratégies politiques des deux souverains. Les lettres et rapports d'ambassadeurs, les correspondances secrètes que Jacques entretenait avec William Cecil et les représentants des Etats tant catholiques qu'évangéliques, sa détermination à se faire des alliés de tous pour construire une paix solide européenne, voire mondiale, sont autant d'aspects dont l'étude participe à la bonne compréhension de ce que ces deux grands monarques ont essayé de faire pour leurs royaumes et leur île. Mais par-delà les discours politiques et les actions diplomatiques, cette correspondance est l'expression directe de liens qui malgré les apparences et les intérêts en jeu, furent toujours bienveillants et permirent de donner une analyse à caractère humain de la construction des bases solides de la Grande-Bretagne.
Références bibliographiques
BRUCE John, Letters of Queen Elizabeth and King James VI of Scotland. Londres, Camden Society, 1849.
JUILLET Sabrina, « Unis par la couronne, indépendants par l'Eglise. La confessionnalisation en Angleterre et en Ecosse, 1603-1707. » Thèse de Doctorat, Université de Versailles-St Quentin, 2009.
MEYER A. O., Clemens VIII und Jakob I von England, Rome, 1904.
SOMMERVILLE J., King James VI and I Political Writings. Cambridge, Cambridge University Press, 1994.
WARNER G.F., « James VI and Rome », The English Historical Review, vol. 20, Londres, 1905.
Pour aller plus loin
MAYER, J.-C., ed., Breaking the Silence On the Succession : A Sourcebook of Manuscripts & Rare Elizabethan Texts (c. 1587-1603), Presses de l'Université Paul-Valéry Montpellier 3, Asraea Texts n° 1, 2003
MAYER, J.-C., ed., The Struggle for the Succession in Late Elizabethan England : Politics, Polemic and Cultural Representations, Presses de l'Université Paul-Valéry Montpellier 3, Asraea Collection n° 11, 2004
Pour citer cette ressource :
Sabrina Juillet Garzon, La correspondance entre Elisabeth I et Jacques VI comme base d’une future unité britannique, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), septembre 2011. Consulté le 21/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/civilisation/domaine-britannique/la-correspondance-entre-elisabeth-i-et-jacques-vi-comme-base-d-une-future-unite-britannique