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L’Allemagne du Nord : la "Nouvelle Hanse" face à la marginalisation et au déclin ?

Par Nicolas Escach : Allocataire-moniteur - ENS de Lyon
Publié par mduran02 le 01/09/2010

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Pour les ((Länder)) et les villes du Nord de l'Allemagne (Mecklenburg-Vorpommern, Schleswig-Holstein, Frankfurt an der Oder, Osnabrück, Salzwedel, Bremen, Brême) qui font parfois face à un déclin économique et démographique, l’émergence d’une « Nouvelle Hanse » constitue une chance de trouver un dynamisme nouveau. Nicolas Escach s’interroge sur les perspectives de développement qu’offre le passé glorieux de la Hanse aux villes rétrécissantes d’aujourd’hui : la Hanse est-elle une simple vitrine, la base d'un projet urbain ou un patrimoine qui rassemble les citoyens ?

Introduction

Depuis la chute du rideau de fer, la région de la Baltique est en pleine recomposition géopolitique. Le phénomène majeur de cette nouvelle situation est un processus de régionalisation intense et rapide. Souvent, celle-ci est présentée comme la recréation de liens historiques anciens, comme l'émergence d'une "Nouvelle Hanse". Les villes de la Baltique semblent redécouvrir le patrimoine matériel et immatériel de la Hanse du Moyen-Age et l'ériger en ressource afin de fonder des réseaux économiques, politiques, institutionnels. Les mots "Hanse", "hanséatique" inondent les discours des acteurs privés et publics qui reconstruisent de toutes pièces un passé pourtant complexe. Ces réseaux sont donc une manière de dépasser les frontières étatiques, constituant des espaces de coopération transnationaux fondés sur une identité hanséatique régionale. Ils permettent également de justifier une entrée dans l'Europe et dans la mondialisation des villes de l'Est de l'Europe et pour reprendre l'expression d'Albert D'Haenens, ils offrent la possibilité "d'évoquer en quoi l'entreprise hanséatique est constitutive de l'originaire européen ; [de] re-susciter, en somme, de quoi enraciner le projet occidental" (D'Haenens, 1984 : 419-420). Cette "Nouvelle Hanse" que les réseaux baltiques tentent d'établir forme une macro-région européenne en devenir. En novembre 2006, le Parlement européen a en effet adopté une résolution sur l'élaboration d'une "stratégie de l'Union européenne pour la région de la mer Baltique". Cette stratégie, validée par la Commission le 10 juin 2009, circonscrit une zone désignée comme "macro-région de la mer Baltique". La macro-région, définie comme un espace incluant des territoires appartenant à un certain nombre de pays ou régions associés par un ou plusieurs facteurs et défis communs, pourrait devenir un outil indispensable de la programmation et de l'exécution du financement communautaire et se révéler essentielle dans le débat sur la future politique de cohésion de l'Union européenne après 2013. La Baltique serait alors un laboratoire pour cette nouvelle échelle de gouvernance susceptible d'être transposée dans la région danubienne ou en mer du Nord.

Ce mouvement de redécouverte de la Hanse sur les pourtours de la Baltique a débuté historiquement en Allemagne, pays qui était aussi au centre de la Hanse médiévale. Le 31 octobre 1978, la ville de Zwolle lance un appel à 57 villes hanséatiques dont Bergen et Londres.

La ville précise dans son invitation que la Hanse doit être au centre de l'événement car elle rappelle l'époque d'une coopération économique qui allait au-delà des frontières nationales. Dans les années 1970, parallèlement, les premiers jumelages se constituent entre des villes du pourtour de la Baltique, notamment en 1976 entre les villes de Gdańsk et de Brême. Cette tradition du jumelage entre des villes baltiques est encore vive aujourd'hui. En 1988, Björn Engholm, alors président du Land Schleswig-Holstein propose de faire revivre la Hanse historique (voir carte de la Hanse historique) sous le concept de "Nouvelle Hanse" et crée à Kiel un think thank afin de définir une stratégie pour la politique étrangère de son Land et l'ensemble de la Baltique. Les années qui suivent sont caractérisées par une intense maturation des projets de coopération entre villes baltiques, période qui atteint son apogée en 1991 avec la création de l'Union des villes de la Baltique (UBC) à Gdańsk (Pologne).

La patrimonialisation de l'héritage hanséatique pourrait constituer une ressource profitable pour les villes nord-allemandes. Les villes d'Allemagne du Nord sont marginales dans le réseau urbain allemand tout entier structuré autour de ses solides conurbations (la Ruhr) et de ses grandes métropoles situées au sud, à l'ouest et sur la mer du Nord (voir carte de synthèse à l'échelle de l'Allemagne). Les villes du littoral baltique sont faibles économiquement et parfois démographiquement. Elles peuvent également être marginalisées face à une Europe centrée autour d'axes dynamiques (notamment l'isthme européen entre mer du Nord et mer Adriatique). Dans les villes allemandes, le patrimoine matériel et immatériel de la Hanse peut d'autant mieux être utilisé que la continuité historique est forte. La mémoire de la Hanse n'a jamais, au contraire des villes baltes ou polonaises (comme Gdańsk et Riga), été interrompue.

Comment, dans ces conditions, les Länder et les villes d'Allemagne du Nord, périphériques à tout point de vue, peuvent-ils être tentés de chercher à retrouver un rang à l'échelle nationale et européenne en s'appuyant sur un espace supranational à la fois géographique (espace baltique), institutionnel (macro-région baltique) et historique (Hanse du Moyen-Age) ? Quels moyens ces villes et régions utilisent-elles pour s'insérer dans l'espace macro-régional baltique ? A quelles difficultés sont-elles confrontées dans cette tentative d'insertion ?

1. L'Allemagne du Nord : un passé glorieux et un avenir incertain?

1.1 Les villes d'Allemagne du Nord : des moteurs de la Hanse historique ?

1.1.1 De la Hanse historique...

L'Allemagne du Nord est le pays riverain de la mer Baltique qui compte le plus de villes hanséatiques. Celles-ci étaient situées le plus souvent le long des grands fleuves du pays débouchant sur la mer du Nord ou la mer Baltique : Rhin, Weser, Aller, Elbe, Oder. La Hanse prend son origine dans le mouvement du Drang nach Osten (poussée vers l'Est) qui caractérise la dynamique d'expansion vers l'est des marchands et mercenaires allemands autour du XIIIe siècle. Les chevaliers teutoniques qui passèrent plusieurs accords avec la Hanse ont été des acteurs essentiels dans ce mouvement. Les Saxons ont été nombreux à partir vers les pays slaves afin d'y établir des comptoirs.

La Hanse résulte de la création de nombreuses villes en Allemagne du Nord au XIIIe siècle suite à la colonisation par les ducs de Saxe du Mecklembourg à partir du Xe siècle puis de la Poméranie au XIe siècle. Henri de Lion, duc de Saxe, fonde Schwerin en 1160. Adolf II de Holstein, l'un de ses vassaux, avait fondé Lübeck en 1158.

La Hanse est une association de marchands (cf. www.clio.fr) : elle a pour origine une première Hanse de commerçants allemands qui s'est formée vers 1161 à Visby sur l'île de Gotland afin de développer le commerce entre les comptoirs baltiques, sur des bases régulières et plus sûres, en luttant notamment contre la piraterie. En 1241, suivant ce modèle et dans le même but, Hambourg et Lübeck signent un accord instaurant le contrôle de la voie terrestre reliant la Baltique à la mer du Nord par l'isthme de l'Holstein auquel s'ajoute ensuite la frappe d'une monnaie commune. Entre 1265 et 1280, Wismar, Stralsund, Lunebourg et Rostock rejoignent l'alliance. Ces cités en pleine expansion doivent lutter contre les convoitises de leurs voisins, princes allemands ou rois danois, et assurer elles-mêmes la sécurité de leurs marchands et de leurs biens. En 1351, au large de Bruges, un navire est pillé par des pirates anglais. Lübeck décide alors de convoquer les villes membres de la Hanse pour trouver une riposte possible. Cette réunion se déroule en 1356 à l'Hôtel de ville de Lübeck et constitue la première assemblée plénière de la Hanse (Hansetag).

Pour Philippe Dollinger, la Hanse des marchands accompagne la Hanse des villes (Dollinger, 1964) : la Hanse est autant un réseau d'échanges qu'un modèle architectural et urbain. Les plans de villes sont très semblables car les villes hanséatiques se calquaient sur des chartes urbaines préétablies. Il en existe quatre en Allemagne du Nord : le "droit de Hambourg" (Salzwedel, Brême, Lunebourg), le "droit de Lübeck" (Wismar, Rostock, Stralsund, Kiel), le "droit de Magdebourg" (Hanovre, Brunswick, Halle, Goslar, Göttingen), le "droit de Cologne" (Münster, Paderborn, Osnabrück, Zwolle). Les villes hanséatiques étaient caractérisées par une certaine indépendance politique et jouissaient de dérogations vis-à-vis des pouvoirs impériaux et ecclésiastiques. Les marchands des villes hanséatiques n'étaient pas toujours soumis au droit en vigueur. Les autorités publiques avaient intérêt à ce qu'ils s'installent dans leur ville, ce qui explique des formes d'exemptions fiscales.

1.1.2 ... à la Hanse reconstruite

La mémoire de la Hanse est restée intacte en Allemagne. Au XIXe siècle, l'histoire de la Hanse apparaît dans la littérature romantique, et dans la peinture avec le mouvement allemand de la peinture historique (Historienmalerei ou Geschichtsmalerei) illustrée notamment par Hans Bohrdt ou Adolf Bock. En 1870, l'historien Karl Koppmann fonde une revue qui rassemble des textes hanséatiques. La Hanse fait parallèlement l'objet d'une instrumentalisation politique afin de donner l'image d'une Allemagne conquérante dans un contexte de guerre (1870), de profonde unification, et de création de la nation allemande. Puis Hitler reprend ce concept pour appuyer l'idée d'espace vital (Lebensraum). Enfin, l'après-guerre est marqué par une époque de prospérité qui rappelle celle des villes hanséatiques au Moyen-Age.

Dans les villes allemandes, au cours du XIXe siècle et du XXe siècle, la Hanse est associée à un imaginaire positif. Si le mot allemand hansisch est un adjectif signifiant hanséatique ou "ce qui est de l'époque hanséatique", apparaissent très vite parallèlement l'adjectif hanseatisch (hanséatique) et le mot Hanseat (hanséate). Hanseatisch définit le caractère des marchands de l'époque de la Hanse et est associé à un ensemble de qualités : l'ouverture aux autres, la fiabilité, le goût du risque, la capacité à gagner de l'argent sans montrer sa richesse, la modestie et la retenue calviniste, l'esprit froid, rationnel et distant. La Hanse n'est donc pas un simple modèle spatial mais est aussi un ensemble de valeurs essentielles a-spatiales.

Les pays de la Baltique, au cours des années 1990, utilisent ces valeurs et cet imaginaire  afin de rétablir des contacts entre les villes de l'Est et de l'Ouest de la Baltique. Le ministre-président du Schleswig-Holstein, Björn Engholm, invente le concept de "Nouvelle Hanse". Celui-ci avance l'idée de bâtir une coopération durable en Baltique en utilisant le champ d'expérience qu'ont les villes de la mise en réseau. Le Land Schleswig-Holstein a tout intérêt à chercher des contacts en mer Baltique afin de construire un axe Allemagne du Nord-Baltique alors même que les grands axes européens le contournent et que le risque de voir la Baltique devenir une périphérie en Europe est fort. Björn Engholm rêve d'un Land qui serait la zone pivot des échanges entre Europe et région baltique. Dans la démarche de Björn Engholm, et dès l'apparition du concept de "Nouvelle Hanse", la peur de la périphérisation et de la marginalisation est bien présente et s'affiche.

1.2 Une gloire éphémère : une progressive périphérisation ?

Démographiquement et économiquement, les Länder d'Allemagne du Nord connaissent des situations contrastées. Chaque année, un double-classement des Bundesländer (www.bundeslaenderranking.de) selon plusieurs variables est publié par l'INSM (Neue Soziale Marktwirtschaft (INSM) et WiWo (Wirtschaftswoche)) : un classement de l'état de l'économie, de la prospérité et du développement des Länder et un classement insistant sur leurs dynamiques. En termes de situation économique, en 2008, le Mecklembourg-Poméranie Occidentale se situe à la 14e place après le Brandebourg (13e), Brême (10e), la Basse-Saxe (7e), le Schleswig-Holstein (6e) et Hambourg (3e). En termes de dynamique économique, pour la période 2005-2008, Hambourg et le Schleswig-Holstein se classent mal (14e et 13e rang), Brême et la Basse-Saxe se situent à une position médiane (9e et 10e rang) alors que le Mecklembourg-Poméranie occidentale (3e rang) et le Brandebourg (2e rang) se hissent en haut du classement. Le détail de certains indicateurs peut être instructif. Economiquement, le PIB par habitant crée une distinction entre les Länder de Hambourg (50 640 euros par habitant en 2008 et 1ère place) et de Brême (41 918 euros par habitant et 2e place) d'une part, et les Länder du Schleswig-Holstein (10e rang avec 25 945 euros par habitant), du Brandebourg (15e rang) et du Mecklembourg-Poméranie occidentale (16e rang avec 21 439 euros par habitant) d'autre part. Le taux de chômage confirme la mauvaise position du Land Mecklembourg-Poméranie occidentale (16e rang avec 14,1% en 2008). Démographiquement, le contraste est également présent : de 2005 à 2008, les Länder du Mecklembourg-Poméranie occidentale (14e rang avec -2,3%), du Brandebourg (11e rang avec -1,3%) et de Brême (6e rang avec -0,2%) ont perdu une forte proportion de population alors que le Schleswig-Holstein (5e rang et +0,2%) et le Land de Hambourg (1er rang avec +1,7%) ont gagné des habitants.

Les Länder du Nord souffrent surtout de leur éloignement des grandes régions dynamiques d'Allemagne et des centres de décision (Grésillon, 2009) auxquels ils sont peu reliés par le train ou par la route. Ces cœurs économiques allemands sont l'Allemagne Rhénane, région la plus urbanisée et la plus industrielle d'Allemagne (Cologne, Duisbourg et les métropoles de la région Rhin-Ruhr), cœur financier (Francfort et Düsseldorf) du pays et partie de la dorsale européenne, et les deux Länder de Bavière (Munich) et du Bade-Wurtemberg (Stuttgart) qui constituent une véritable Sun Belt. Le Land du Mecklembourg-Poméranie occidentale (voir carte sur l'évolution de la population), par exemple, qui a connu - après 1990 - les difficultés des Nouveaux Länder (solde migratoire négatif, difficultés économiques) a été en situation de marge occidentale du bloc soviétique pendant 40 ans puis en situation de marge orientale de l'Europe Schengen jusqu'en 2004. Il apparaît dans l'imaginaire collectif comme un territoire de la marge. En Allemagne, les qualificatifs pour désigner la région sont souvent peu élogieux : "Land en marge" (Land am Rand) (Friedrich-Ebert-Stiftung, Akademie Schwerin, 1995), "périphérie de la périphérie" (Peripherie der Peripherie) (Braun, 1997 : 143), "maison pauvre de l'Allemagne" (Armenhaus) comme dans le livre d'histoire de Rolf Schneider (Schneider, 1993 : 139). Ce dernier présente un Land dont se dégage une atmosphère de stagnation et de léthargie. Sorti de la guerre de Trente ans en maison pauvre de l'Allemagne, il serait destiné à le rester (Schneider, 1993). Le Land est souvent apparu théoriquement comme une "périphérie interne" (interne Peripherie), véritable réservoir ou réceptacle pour des centres dynamiques : réservoir de force de travail, de population, de cerveaux prêts à émigrer et aussi réceptacle de touristes et de déchets (Friedrich-Ebert-Stiftung, Akademie Schwerin, 1995) ! Le Land a une image extrêmement négative dans les médias : alcool, jeunesse extrémiste ou néonazie, racisme envers les étrangers (Werz, Schmidt, 1998).

Les villes du Nord de l'Allemagne sont en situation de marge par rapport à la hiérarchie urbaine allemande. Mis à part Hambourg, Brême et Hanovre, les premières villes d'Allemagne du Nord à apparaître dans le classement des 100 plus grandes villes en nombre d'habitants sont Kiel (30e place) et Lübeck (36e place), villes du Land Schleswig-Holstein et Rostock (38e), ville du Land Mecklembourg-Poméranie occidentale. Les villes hanséatiques connaissent notamment une grande dépopulation. Certaines, comme Francfort-sur-l'Oder, situé dans l'ex-RDA cumulent les difficultés économiques, la présence d'un fort chômage et un manque de dynamisme. Les chiffres de la population de Brême, Francfort-sur-l'Oder, Lübeck, Osnabrück et Rostock montrent une nette diminution de 1990 à 2008 prévue jusqu'en 2020. L'évolution de 1990 à 2020 pourrait ainsi être de -49% à Francfort-sur-l'Oder et de -20% à Rostock, ce qui est considérable.

2. La Hanse, une ressource face à la marginalisation et au déclin?

2.1 Une politique hanséatique des Länder : les exemples du Mecklembourg-Poméranie occidentale et du Schleswig-Holstein

Face au déclin et à la marginalisation, les autorités des Länder veulent redonner vie à la mémoire hanséatique. Les Länder du Schleswig-Holstein et du Mecklembourg-Poméranie occidentale ont été les plus actifs dans ce domaine. Le Mecklembourg-Poméranie occidentale, par exemple, rêve de devenir un espace stratégique de la région baltique. Schwerin a pris la succession de Kiel, plus engagé dans la région baltique dans les années 1990. L'article 11 de la nouvelle constitution du Land (23 mai 1993) précise que celui-ci doit contribuer à favoriser les formes de coopérations supranationales notamment en Baltique. Le Land utilise pour cela pleinement le mythe hanséatique suivant quatre axes programmatiques. Le Mecklembourg-Poméranie occidentale (voir carte du Mecklembourg-Poméranie occidentale dans la régionalisation baltique) pourrait, en raison de sa position géographique au cœur des échanges Nord-Sud et Ouest-Est, devenir une plaque tournante du commerce baltique. Les pays riverains de la Baltique seraient aussi un marché intéressant pour les produits et les services du Mecklembourg-Poméranie occidentale qui cherche actuellement à se positionner dans le domaine des nouvelles technologies. Le Mecklembourg-Poméranie occidentale recherche également l'aide des investisseurs et des partenaires baltiques afin d'assurer un développement à long terme. Le tourisme, enfin, est un élément essentiel et les touristes susceptibles de s'intéresser au patrimoine hanséatique viennent avant tout d'autres pays baltiques. Des objectifs clairs ont été fixés en ce sens par la région : le renforcement de la capacité des ports (Rostock, Sassnitz sur l'île de Rügen), l'amélioration des connexions entre les villes de la côte et avec Berlin notamment par l'achèvement de l'autoroute A 20, l'amélioration des connexions entre les ports et les villes de l'intérieur par voie ferrée. Le Land a par exemple développé un projet nommé "East-West Corridor" (www.eastwesttc.org) qui assure une continuité rail/route/route maritime en passant par le port de Sassnitz (Rügen) vers la Russie. Les villes du Land, afin de s'intégrer dans le mouvement de régionalisation baltique, s'engagent dans de nombreux réseaux de villes (voir carte des réseaux de villes) : Rostock, Wismar et Greifswald font partie de l'Union des villes de la Baltique (UBC) (www.ubc.net), Wismar, Rostock, et Stralsund font partie de l'Organisation des ports de la Baltique (BPO), (www.bpoports.com), Rostock et Wismar de la Commission du tourisme baltique (BTC), Greifswald, Wismar, Anklam, Stralsund, Rostock, Demmin de la "Nouvelle Hanse" ou "Hanse des temps nouveaux", (www.hanse.org), Bad Doberan, Rostock, Anklam, Ribnitz, Wismar de "l'EuRoB" (Route européenne du gothique en brique, voir carte de l'EuRoB sur le site www.eurob.org). Les jumelages sont aussi nombreux : Rostock est jumelé avec Riga, Brême, Aarhus, Szczecin et entretient des relations avec Kaliningrad, Gdańsk ; Greifswald est jumelé avec Osnabrück ou Kotka (Finlande) (voir carte des jumelages des villes du Mecklembourg-Poméranie occidentale en Europe, en Baltique, et liste des villes jumelées). Pour autant, en termes de pratiques, on peut se demander si les villes du Mecklembourg-Poméranie occidentale ont vraiment les moyens de leur ambition, à savoir être les ports de transit entre l'Ouest et la Baltique. Certes la Baltique représente une grande part voire la majorité de leurs échanges, mais le trafic allemand vers et depuis la Baltique ne passe que peu vers ces ports ou ceux du Schleswig-Holstein. Les échanges en mer Baltique transitent principalement par le port de Hambourg ou ceux de la mer du Nord (Brême, Bremerhaven). La construction du Fehmarnsundbrücke (voir carte du Fehmarnsundbrücke) ne fait que confirmer cette prégnance de la métropole d'autant que les axes routiers traversant les Länder du Mecklembourg et du Schleswig-Holstein peuvent avoir un "effet tunnel".

Contrairement à l'Allemagne dans son ensemble qui dépend moins de la région baltique que la région baltique ne dépend d'elle, les Länder du Nord de l'Allemagne dépendent plus de la région baltique que celle-ci ne dépend d'eux. Cette divergence d'intérêt entre Bonn/Berlin et les Länder du Schleswig-Holstein et Mecklembourg-Poméranie occidentale a pu faire naître notamment dans les premières années de la régionalisation, un conflit entre les Länder et l'État fédéral allemand. Le Land du Schleswig-Holstein (voir carte du Schleswig-Holstein dans la régionalisation baltique) a été le plus virulent dans cette opposition. L'Allemagne, responsable de la politique extérieure selon l'article 23 de la Loi fondamentale, est en effet longtemps restée en retrait de la géopolitique baltique après le départ du ministre des affaires étrangères Hans Dietrich Genscher. Quatre raisons peuvent expliquer cette relative position de retrait de l'Allemagne dans la région baltique (Werz, 2005). Tout d'abord, l'Allemagne a longtemps refusé de prendre position dans la démarche entreprise par les États baltes afin d'intégrer l'OTAN et l'UE ainsi que sur le contentieux de Kaliningrad pour ménager ses relations avec la Russie. Une deuxième raison au retrait allemand est à trouver dans la perception allemande du partage des partenariats européens. La République fédérale aurait reçu la responsabilité d'un parrainage des pays de l'Europe médiane et orientale (Ostmitteleuropa) comme la République Tchèque ou la Hongrie alors que les relations avec les pays baltiques incomberaient aux pays nordiques (Norvège, Suède, Finlande) à travers les outils de coopération nordique ou nordico-baltique. Une troisième raison à cette indifférence est lisible dans la géographie de la Baltique elle-même. D'un côté, la Baltique est longtemps restée un marché étroit de seulement 50 à 60 millions d'habitants et d'un autre côté, l'Allemagne comme la Russie ou la Pologne ne possède qu'une petite partie de son territoire en Baltique (Hambourg, le Schleswig-Holstein et le Mecklembourg-Poméranie occidentale ne représentent en 2005 que 11,1% de la superficie allemande et 7,6% des habitants) et est partagée entre mer Baltique et mer du Nord (où se situent la plupart des grands ports allemands). Enfin, un dernier handicap de l'espace baltique notamment depuis 2004 est que celui-ci recoupe peu ou prou l'espace européen. L'Allemagne a ainsi longtemps cru qu'il suffisait de s'investir dans les institutions européennes pour finalement s'investir dans la zone baltique elle-même. Même le problème de la Russie pourrait être réglé par la politique de voisinage de l'UE. Il faut attendre la présidence allemande du Conseil des États de la Baltique (2000/2001) pour que le pays s'engage à nouveau. Pendant ces années, les Länder du Nord de l'Allemagne, et en particulier le Schleswig-Holstein, doivent défendre leurs intérêts qui se situent en mer Baltique en détournant le protocole officiel. Ainsi, régulièrement, Björn Engholm, président du Land Schleswig-Holstein de 1988 à 1993, se comporte en chef d'État, multipliant les visites en Pologne, au Danemark et en Russie. Encore aujourd'hui, les Länder du Nord de l'Allemagne possèdent des représentations à l'étranger qui constituent de véritables ambassades (Hanse-Büro du Schleswig-Holstein et de Hambourg à Gdańsk, Saint-Pétersbourg et Hanse-Büro du Schleswig-Holstein à Kaliningrad, Hanse-office du Schleswig-Holstein et de Hambourg à Bruxelles). Ils sont également représentés indépendamment de l'État fédéral au sein d'organisations comme la Coopération Subrégionale des États de la mer Baltique (BSSSC) ou la Conférence Parlementaire de la mer baltique, ou à Bruxelles par des lobbies tel que le groupe informel sur la Baltique (iBSG).

2.2 Une politique hanséatique des villes : les réseaux de villes comme ressource ?

2.2.1 Des villes utilisant le mythe hanséatique de manière variable

On peut retenir quatre catégories de villes dans leur rapport à la Hanse :

1) Des villes doivent être exclues de l'analyse car leur place dans la Hanse historique était trop grande : c'est le cas de Lübeck. La ville présente un patrimoine matériel hanséatique d'une richesse incomparable et son centre est classé au patrimoine mondial de l'UNESCO. La place de la ville dans la géographie actuelle de l'Allemagne n'a rien à voir avec celle qu'elle occupait au Moyen-Age. La municipalité de Lübeck utilise la Hanse dans l'élaboration de son marketing. Celle-ci offre principalement une ressource touristique. Elle permet également l'exportation d'une "marque Lübeck" en Allemagne et à l'étranger sur les pièces de deux euros ou sur les paquets de Lübecker Marzipan (chocolat à base de pâte d'amande) sur lesquels se trouve la porte de Holstein.

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Une pièce de deux euros représentant la porte d'Holstein
(Source : site internet du Club Français de la Monnaie)

2) Un certain nombre de villes de grande taille ou de métropoles, caractérisées par une situation économique prospère et une situation démographique maintenue utilisent peu la Hanse dans leur stratégie. Elles sont davantage tournées vers la mer du Nord ou n'ont pas réellement besoin du mythe hanséatique. Les contacts de ces villes sont mondiaux et la plupart sont situées sur la Northern Range. Hambourg, ville pivot du commerce en Baltique caractérisée par le modèle du hub and spoke (réseau en étoile), ou Brême, ville de 200 000 habitants cherchant à se tourner actuellement vers les nouvelles technologies, font partie de cette deuxième catégorie. Dans ces villes, la Hanse subsiste dans la mémoire des habitants mais les politiques menées par les acteurs publics y font très peu référence y compris dans une visée marketing. La Hanse irait même contre une certaine image de la modernité que ces villes veulent transmettre. Elle les ramènerait à une échelle régionale qu'elles veulent utiliser mais aussi dépasser dans le cadre de la compétitivité mondiale. Seuls les acteurs privés (entreprises, boutiques) utilisent le nom Hanse pour instrumentaliser une mémoire présente chez les habitants. Le fait que Hambourg, le premier port baltique, ne figure pas dans la liste des membres de l'Organisation des Ports de la Baltique (BPO) est un exemple frappant de la distance prise par ces métropoles vis-à-vis de ces organisations. 

3) Des villes de petites tailles, en déclin ou en difficulté, utilisent la Hanse et la mythologie hanséatique de manière forte. Les acteurs publics sont très actifs dans la production de discours dans ce domaine. Leurs villes apparaîtraient au cœur des échanges hanséatiques médiévaux et pourraient donc mobiliser cette ressource afin de se positionner dans les échanges baltiques actuels. En réalité, dans ces villes, le discours est disproportionné par rapport à la réalité. Les pratiques ne se centrent que sur l'aspect touristique. Cette niche touristique est presque indépassable. Stralsund, Wismar, classés au patrimoine mondial de l'UNESCO, ainsi que Rostock, Salzwedel ou Osnabrück suivent ce schéma.

4) Enfin, un certain nombre de villes ne peuvent utiliser la Hanse car la mémoire de celle-ci a disparu parmi les habitants ou parce que les Allemands n'ont pas intégré le caractère hanséatique de celles-ci dans leur propre imaginaire. Cologne, Magdebourg et Brunswick sont situées trop loin du littoral baltique et ne peuvent utiliser l'argument d'une régionalisation autour d'un espace maritime.

Des paradoxes apparaissent dans cette catégorisation : les villes les plus importantes en taille qui occupaient une grande place dans la Hanse historique utilisent peu la Hanse car elles n'en ont pas besoin, cela nuirait même à leur image. En revanche, les petites villes s'appuient sur la Hanse pour établir un parallèle entre une présupposée situation de centre à l'époque hanséatique et un dynamisme retrouvé qu'elles atteindraient aujourd'hui. Ce discours est fondé sur un mythe. La plupart du temps, ces villes n'avaient pas une grande place dans la Hanse historique ou entretenaient même avec elle un rapport ambigu. En quelque sorte, elles surinvestissent une position hanséatique qu'elles n'avaient pas alors que les grandes villes sous-investissent un potentiel historique qu'elles ont.

2.2.2 L'attraction des réseaux de villes baltiques

Une partie des villes allemandes s'implique dans des réseaux baltiques et de jumelage (voir aussi carte des jumelages des villes du Schleswig-Holstein en Europe, en Baltique et liste des villes jumelées). Cependant le poids de la Hanse dans la stratégie des différentes organisations est variable. Les organisations s'attachant à faire revivre l'héritage hanséatique sont la "Hanse des temps nouveaux" ou "Nouvelle Hanse" (la "Nouvelle Hanse" désignant à la fois l'ensemble des organisations régionales faisant référence à la Hanse et l'une d'entres-elles nommée "Hanse des temps nouveaux"), l'Union des villes de la Baltique (UBC), l'Organisation des ports de la Baltique (BPO) ainsi que la Route européenne du gothique en brique (EuRoB).

Comparer les cartes de ces organisations n'est pas dénué d'intérêt. Les grandes villes comme Hambourg ou Brême sont peu présentes. Ce sont souvent les petites villes ou les villes moyennes qui se mettent en réseau. Pour le reste, la présence des villes allemandes dessine une géographie à géométrie variable. Certains réseaux sont massivement rejoints par des villes du Mecklembourg-Poméranie occidentale et du Schleswig-Holstein (EuRoB et UBC) alors que la "Hanse des temps nouveaux" semble plutôt rassembler des villes du Rhin, de la Weser, de l'Aller et de l'Elbe (Allemagne du nord-ouest). Cette partie de l'Allemagne du Nord non littorale comptait déjà au Moyen Âge la majorité des villes hanséatiques (Paderborn, Minden, Bielefeld, Goslar, Münster, Göttingen, Halle). De manière générale, le Mecklembourg-Poméranie occidentale semble plus investi dans des organisations comme l'Organisation des ports de la Baltique ou l'Union des Cités de la Baltique alors même que les ports ou les villes du Land ont une place minoritaire dans la Baltique et en Allemagne. Tout semble indiquer que le ralliement à ces organisations est finalement le résultat d'une marginalisation plus grande du Land par rapport à la situation du Schleswig-Holstein ou d'autres Länder allemands : celui-ci a besoin des transferts d'informations, de technologies et de services que proposent ces réseaux pour amorcer une reconversion dans des domaines comme l'économie de la santé (réseau ScanBalt-Initiative rassemblant la BioRegio de Rostock-Greifswald avec la Medicon Valley Academy de l'Öresund) ou les hautes technologies et l'économie de la connaissance.  

Au sein d'un certain nombre d'organisations, les villes allemandes, elles-mêmes, sont minoritaires par rapport aux autres villes adhérentes (comme pour l'Organisation des ports de la Baltique où les ports suédois sont très présents ou l'Union des Cités de la Baltique). Elles sont finalement marginalisées ce qui montre la relative désaffection des villes allemandes pour les organisations baltiques ou hanséatiques.

2.2.3 La "Hanse des temps nouveaux" : les exemples de Francfort-sur-l'Oder, Osnabrück et Salzwedel

Parmi les nombreux réseaux de ville utilisant le mythe hanséatique, la "Hanse des temps nouveaux" ou "Nouvelle Hanse" propose aux villes hanséatiques faisant partie de l'organisation d'échanger compétences, savoir-faire, projets communs (voir carte du réseau "Nouvelle Hanse"). Chaque année, l'une des villes membres accueille les autres afin d'associer conférences et forums à une fête populaire (voir carte des Hansetage). Il est intéressant d'utiliser ces événements culturels comme une source de discours sur la Hanse et sur son utilité dans le développement des villes d'Allemagne du Nord.

En 2003, les Hansetage avaient lieu à Francfort-sur-l'Oder, une ville qui connaît depuis les années 1990 de grands problèmes de chômage et des difficultés économiques. C'est pourquoi, les acteurs publics et élus de la ville ont très tôt exploité le mythe de la Hanse pour refonder un marketing sur de possibles liens entre la ville allemande et la ville voisine polonaise de Słubice. La situation de ville-frontière et la présence de l'université européenne Viadrina sont aussi mobilisées. Voici le discours que l'on peut lire sur un bulletin de la ville datant de 2003 :

La présence des traditions hanséatiques se reflète dans les relations que tisse la ville au-delà des frontières étatiques [...]. Francfort est la ville-frontière la plus importante d'Allemagne et de la communauté européenne, à la porte de la République de Pologne. La ville est une porte entre l'Ouest et l'Est, un lieu prédestiné pour les contacts. [...] Francfort deviendra le seul centre de commerce entre l'Est et l'Ouest et, comme ville universitaire et ville de foire, elle mettra en avant sa tradition hanséatique glorieuse.

La ville de Francfort avance un argument souvent utilisé par les villes hanséatiques : celui de la centralité. Mobiliser le réseau hanséatique est facile puisque le principe d'un réseau est la connexité. Chaque ville se situe finalement au centre des échanges. La position de carrefour qu'elles occupaient au Moyen Age serait celle qu'elles occupent dans le présent. Mais ce texte laisse volontairement de côté la hiérarchisation du réseau : il aplanit celui-ci en laissant croire que toutes les villes hanséatiques avaient la même importance, ce qui n'était pas le cas.

La ville d'Osnabrück, accueillant les journées de la Hanse en 2006, a également fait de l'événement un moteur-marketing comme le montre la page web consacrée à l'événement (www.osnabrueck.de/hansetag) :

Dans le cadre des journées internationales de la Hanse, la ville a le plaisir de présenter sa tradition, son histoire et son importance économique et culturelle à un large public. Sous le titre "L'Europe à Osnabrück", la ville s'est donnée les objectifs suivants : se présenter comme une ville historique à l'attractivité culturelle certaine, présenter Osnabrück et sa région comme une ville attractive et attrayante au sens large, et être pour une semaine, le lieu d'un événement populaire et international.

Aucun objectif concret n'a été affiché : accueillir les Hansetage de la "Hanse des temps nouveaux" ne permet pas d'ouvrir sur un réel plan de développement. La présentation et la représentation de la ville est le seul objectif affiché.

En 2008, les Hansetage ont eu lieu à Salzwedel. La mairie a posé à cette occasion une plaque mettant en avant son caractère hanséatique à l'entrée de la ville.

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La pose d'une plaque à Salzwedel
(Source : site internet de la mairie de Salzwedel)

Voici les quelques mots que l'on peut lire sur la page internet consacrée à l'événement (www.kultour-saw.de) :

Le fait que Salzwedel accueille les journées de la Hanse doit engendrer un effet de synergie du point de vue culturel, touristique et économique. Le caractère de ces événements est politique tout comme touristique et culturel. Ces journées sont l'occasion d'un plan de financement complet au sein de la commune. La ville de Salzwedel s'efforce de chercher des partenaires de coopération et de sponsoring en Baltique pour mener à bien ses projets. Tous les citoyens sont partie prenante de ce projet de ville.

La ville cherche donc à s'afficher comme ville hanséatique, ville touristique alors même que les Allemands la connaissent peu. Elle cherche à profiter du réseau de ville afin d'obtenir de celui-ci un financement des partenaires baltiques pour ses propres projets. Elle cherche donc clairement, par les réseaux hanséatiques, à attirer des investisseurs potentiels. En préparation de l'événement, les monuments hanséatiques de la ville ont été restaurés, ce qui peut permettre à la ville de développer une activité touristique.

Les stratégies utilisant le mythe hanséatique sont différentes selon les villes, les situations géographiques. La promotion de la Hanse peut se faire lors d'événements ponctuels ou constituer une vraie politique de long terme. Les discours sur la Hanse sont cependant nettement supérieurs aux pratiques. Il s'agit d'affirmer une visibilité plus que de développer un ensemble de pratiques spatiales. Cette visibilité s'inscrit dans une stratégie touristique ou sert à attirer les investisseurs. Ces discours se fondent sur une vision faussée de la Hanse : absence de hiérarchie, potentielle unité politique et religieuse. Cette absence de pratique est révélatrice d'une position ambiguë de l'Allemagne en Baltique. Initiatrice de la "Nouvelle Hanse", l'Allemagne est en situation de retrait. Bien qu'elle soit pour beaucoup de pays riverains le premier ou le deuxième partenaire commercial, les intérêts de l'Allemagne se situent en dehors de la Baltique. Or la mer Baltique ne peut exister comme une entité économique cohérente si son principal acteur n'est pas pleinement intégré à la région. Le manque de pratique spatiale à l'échelle de la Baltique tout entière ne serait-il pas compensé par l'urbanité et le "vivre ensemble" que créerait le mythe hanséatique dans les villes allemandes ?

3.La Hanse comme créatrice d'une nouvelle urbanité ?

3.1 La Hanse : modèle ou contre-modèle d’urbanité ?

Les villes d’Allemagne du Nord ont une identité forte. Cette identité peut se lire sur les panneaux d’entrées de ville comme à Hambourg, sur les plaques d’immatriculation des voitures, dans le nom des rues ou des quartiers (Hansaviertel à Hambourg ou Berlin) ou se vendre sur les cartes postales. La culture de la brique se lit même à travers des proverbes allemands comme « je suis fait de terre, et toi l’homme, tu en viens aussi » (« Ich bin aus Erd’ und Thon und du, Mensch, bist auch davon »). Historiquement, la Hanse n'est pas forcément un modèle de lien social. Dans les villes de l'Est de l'Europe, les marchands allemands avaient tendance à se couper radicalement des locaux et à monopoliser les pouvoirs et privilèges politiques et économiques à leur profit. Dans les villes allemandes, les quartiers distinguaient les niveaux de richesse et les métiers. C'est plutôt à l'intérieur des guildes de marchands et des corporations que se pratiquait une forme d'échange entre citadins.

Pourtant au XIXe siècle, les reconstructions romantiques de la Hanse ont fait de cette époque une longue maturation citoyenne, dans le contexte de la révolution de 1848/1849. Les citoyens auraient à l’époque de la Hanse médiévale participé pleinement à l’émergence du pouvoir politique et citadin. La Hanse historique aurait constitué une période d'autonomie municipale, d'existence de villes semi-indépendantes et autonomes.

Cette vision, même si elle est partielle, se fonde sur une certaine réalité historique. Les membres du conseil de ville étaient souvent dans les villes hanséatiques des marchands. Peu à peu, il fut décidé quelles professions siégeraient au conseil de ville, et pour combien de temps. Les villes par leurs institutions comme le conseil de ville ou le maire (Bürgermeister) ont pu progressivement s'émanciper d'un pouvoir religieux ou seigneurial traditionnel. Cette phase d’émancipation s’est étendue de la moitié du XIIIe siècle au XVe siècle environ. A Magdebourg, des combats opposèrent l'archevêque de la ville aux citoyens jusqu'à son assassinat en 1325 dans la cave de l'Hôtel de ville par les citoyens-bourgeois de la ville. Souvent, les autorités temporelles et spirituelles traditionnelles finirent par quitter les villes hanséatiques.

3.2 L’ « hanséatisme » comme ciment : l’exemple de Brême

La ville de Brême est un exemple pertinent de ce que peut représenter une urbanité renforcée par le mythe hanséatique. Le marketing de la ville se construit peu autour de la Hanse même si le Kogge « der Roland von Bremen » a été utilisé comme medium pour attirer l'attention des journalistes lors de communications sur la candidature de Brême comme capitale européenne de la culture 2010. La ville possède un patrimoine hanséatique riche : l'Hôtel de ville (voir image ci-dessous) situé près de la cathédrale comme un défi porté aux autorités spirituelles, la statue de Roland (voir image) sur la place du marché. Le Schütting abritait la guilde des marchands de Brême « Der Kaufmann zu Bremen » et abrite encore aujourd'hui la chambre de commerce (voir image). La Staatwaage est l'ancienne maison de pesage des denrées. Les Schlachte étaient les anciens quais où les marchandises du commerce de long cours étaient déballées. La place centrale (Marktplatz) de Brême a été classée patrimoine mondial de l'Unesco. Les raisons du classement sont nombreuses : la concentration des pouvoirs politiques sur un même lieu, une architecture qui fait référence à une liberté politique et à la relative autogestion d'une république-état indépendante, une statue de Roland et une architecture qui - tout en étant spécifique - est représentative des architectures de l'Europe médiane (les statues de Roland sont souvent le signe des droits de marché et de commerce), et d'une histoire européenne (l'émancipation communale). Les richesses architecturales de la ville sont toujours porteuses d'un message contemporain. Elles alimentent la volonté d'indépendance que la ville a retrouvée après la Seconde Guerre mondiale, et qu'elle affirme toujours face aux tendances centralistes (Brême est avec Hambourg et Berlin une petite cité-Etat). De 1990 à 2006, des panneaux d'interprétation des monuments ont été posés dans la ville qui a connu une phase intense de restauration architecturale. Le logo Unesco figure également en bonne place.

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Hôtel de ville de Brême
(Source : Escach, 2008)

Les habitants se sont réapproprié cette volonté d’indépendance politique de la ville. Ceux-ci se sentent volontiers Hanseaten dans cette zone proche de la Frise du Nord où les dialectes sont courants. Roland von Bremen est souvent présent dans la ville comme dans le tramway, où les habitants peuvent côtoyer la statue installée sur un siège (voir image ci-dessous). Le Kogge (voir glossaire) hanséatique Der Roland von Bremen a aussi souvent sa place sur les Schlachte de Brême et il est utilisé comme emblème de la ville. La tradition hanséatique de la ville de Brême a également fait naître un esprit de don et de mécénat. Le musée d'art de la ville a par exemple été financé par des citoyens qui ont préféré rester anonymes. Ce geste reflète bien l'esprit hanseatisch du don désintéressé. De nombreuses boutiques arborent dans la ville le nom Hanse ou hanséatique (voir image ci-dessous). La Hanse était synonyme de sérieux, de solidité, de force entrepreneuriale et créatrice. Pour Peter Oliver Loew, chercheur de l’institut germano-polonais de Darmstadt, le mot Hanse est connoté positivement mais est suffisamment vague pour que le consommateur/client puisse y glisser ses propres représentations, ses propres fantasmes. Beaucoup de boutiques portant le mot Hanse n'ont pas de rapport dans les produits vendus avec la Hanse historique (voir pharmacie hanséatique). Ces éléments sont d'autant plus le résultat d'une reconstruction que Brême avait une position ambiguë dans la Hanse historique : la ville est sortie trois fois de l'organisation et son commerce était plutôt Nord/Sud là où le commerce hanséatique suivait une voie Ouest/Est.

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Roland de Brême prend le tram...
(Source : Escach, 2008)

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Une boutique destinée aux numismates
(Source : Escach, 2008)

Conclusion

La « Nouvelle Hanse » a en Allemagne un fonctionnement paradoxal : le pays est traversé par une réelle identité et mémoire de la Hanse mais n’a pas besoin massivement de réactiver le mythe de manière politique ou économique (ce sont plutôt les petites villes ou villes moyennes qui font appel à la mythologie hanséatique, alors qu’elles ont occupé une place très réduite dans l’histoire de la Hanse). En revanche, à l’Est de l’Europe, la Hanse a disparu de la mémoire collective, du fait de déplacements nombreux de populations, mais n’en reste pas moins instrumentalisée ou affichée par les élus et les acteurs publics et privés.

La « Nouvelle Hanse » crée donc de véritables décalages.

Le premier s’établit entre le « mot-outil» (mot qu’on utilise) et le « mot-problème » (mot sur lequel on réfléchit) Hanse : la définition de la Hanse ne semble pas nécessaire pour les acteurs alors même qu’elle est un « espace-valise » ou « espace-nomade », qui n’a pas fait l’objet d’une cartographie à l’époque médiévale, et qui aujourd’hui ne recoupe pas la même réalité pour toutes les organisations : où commence, où s’arrête la Hanse ? Regroupe-t-elle des villes françaises, hollandaises, anglaises, portugaises ? L’espace-nomade ou espace-valise apparaît donc comme un espace que l’on peut tirer à soi et que l’on peut déformer à sa guise car ce dernier n’a jamais été précisément délimité et ne pourra probablement pas l’être. L’espace est fantasmé, imaginé, recréé, recadré par les acteurs dans la perspective de leurs propres stratégies.

Le deuxième décalage est celui qui sépare le mot de la chose : lorsque les acteurs prononcent le mot Hanse, ils font plus référence à la Hanse reconstruite qu’à la Hanse historique. Le passé glorieux, l’urbanité, l’émancipation citoyenne et communale : ces éléments sont typiques d’une mythification de la Hanse au XIXe siècle.

Enfin, un troisième décalage existe entre discours et pratique. Or, pour Peter Oliver Loew, dans certaines villes hanséatiques, le discours est omniprésent et empêche l’action. Les villes hanséatiques accordent une place trop importante au mythe. Le rappel d’un passé glorieux serait en quelque sorte une manière de se dédouaner des problèmes contemporains. Comme dans le cas d’Osnabrück, la représentation l’emporterait sur la présentation, l’histoire sur l’objectif, le mythe sur la réalité. Ainsi, la Hanse, loin d’endiguer le déclin, serait une manière d’éviter de s’y confronter. Elle bercerait les citoyens et les décideurs au son d’un passé glorieux, dont on peut se demander finalement s’il appartient au mythe ou à la réalité historique et sur lequel on ne pourra pas forcément construire un véritable avenir. Le vrai bénéfice de la Hanse ou plutôt de sa mémoire reste donc une forme d’urbanité commune aux villes d’Allemagne du nord.

Références bibliographiques

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http://www.bundeslaenderranking.de/

 

Pour citer cette ressource :

Nicolas Escach, "L’Allemagne du Nord : la "Nouvelle Hanse" face à la marginalisation et au déclin ?", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), septembre 2010. Consulté le 19/04/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/allemand/civilisation/civilisation/la-ville/l-allemagne-du-nord-la-nouvelle-hanse-face-a-la-marginalisation-et-au-declin-