«Le mystère Picasso» d'Henri-Georges Clouzot présenté par Jean-Claude Raspiengeas
Jean-Claude Raspiengeas, journaliste et critique littéraire, a dirigé le service culture du journal La Croix de 2002 à 2014. Passionné de cinéma, il a écrit, entre autres, une biographie de référence sur Bertrand Tavernier. Le 19 octobre 2017, il est venu présenter au cinéma Pathé Bellecour à Lyon Le mystère Picasso d'Henri-Georges Clouzot dans le cadre du Festival Lumière.
Ce texte est une retranscription de sa présentation, qui a été par endroits modifiée pour l'adapter au format écrit.
Ce film date de 1956; Picasso a alors 74 ans.
Clouzot avait croisé Picasso dans les années 1920 parce qu’un membre de sa famille était peintre mais ils ne se sont plus vus pendant des années. Et puis, dans les années 50 ils se retrouvent. Ils sont voisins parce que Clouzot passe souvent son temps à La Colombe d’or à Saint-Paul de Vence et que Picasso habite à côté. Les deux hommes sont amis, ils se voient régulièrement et vont aux arènes de Nîmes avec un matador qui s’appelle Dominguín.
Clouzot a envie de faire un film avec Dominguín et Picasso a envie de faire du cinéma ce qu'il dit à plusieurs reprises à Clouzot : « je voudrais faire un scénario, je voudrais faire les décors de l’un de tes films. » Mais Clouzot n’est pas enthousiaste car il considère que chacun a son métier …
Et puis, un jour de 1955, Picasso lui dit : « Je viens de recevoir des États-Unis un cadeau extraordinaire. Ce sont des feutres magiques qui permettent de traverser la toile sur laquelle je peins et l’on peut voir derrière ce que je suis en train de faire. » Alors le projet va prendre corps tout de suite. À l’origine, tous deux pensent qu’ils vont faire un court-métrage qui ne va pas durer plus de 15 mn. Mais dès qu’ils se mettent au travail, c’est l'émerveillement pour l’un comme pour l’autre.
Nous nous retrouvons alors dans un espace un peu hybride : ce n’est pas l’atelier de Picasso mais ce n’est pas non plus un vrai studio de cinéma. En fait, ils vont prendre des studios de La Victorine à Nice et le tournage va durer trois mois et demi ce qui va être assez épuisant puisqu’à la fin du tournage Picasso fait un malaise. Il ne reviendra que quelques jours plus tard pour la dernière image du film : la signature de Picasso sur l’écran.
Il y a trois temps dans ce film. Tout d’abord le jaillissement créatif de Picasso. Nous ne le voyons pas d’ailleurs mais nous voyons le geste créatif dans son ampleur, dans sa continuité, donc c’est un document absolument unique dans l’histoire de la création et puis, sur ce génie du XXème siècle. Ensuite il y a une partie avec une vraie discussion, et puis une dernière partie que Clouzot va filmer à l’horizontal par dessus Picasso. Picasso n’est pas du tout à l’aise et finit par se rebeller ce qui plaît à Clouzot qui a toujours aimé que les gens lui résistent. Et il s’ensuit une partie de bras de fer entre les deux hommes qui contribue à l’intérêt du film.
Comme il ne peut pas s’empêcher de pousser Picasso à bout, Clouzot lance la création d’un tableau avec un chronométrage et plus le temps passe, plus nous nous approchons de la fin du compte à rebours. Mais Picasso est très serein alors que le spectateur ne l’est pas du tout se disant « il ne va pas y arriver ». Et c’est à ce moment que Picasso a la fameuse formule qui depuis a été reprise des millions de fois : « Je ne cherche pas, je trouve. »
Nous sommes dans ce qui est l’atelier du peintre, avec le chevalet, les encres. Maya, la fille de Picasso, lui sert d’assistante, c’est-à-dire que c’est elle qui lui prépare les encres. Autre petit détail, le directeur de la photographie s’appelle Claude Renoir, c’est le petit-fils de Pierre Renoir, le peintre, et quelques années après ce film il va devenir aveugle ce qui est assez vertigineux.
Tout ce qui se passe avant que Picasso ne se mette à l’oeuvre, c’est-à-dire les discussions, les préparations, est en noir et blanc et dès que Picasso se met au travail les couleurs apparaissent ce qui est évidemment magnifique.
Clouzot ne cache pas son dispositif. À plusieurs reprises nous voyons l’équipe technique et les cinq caméras. Les techniciens sont extrèmement respectueux de Picasso et de ce qui se passe avec Clouzot, donc ils marchent pieds nus, ils ne font pas de bruit…
Il y a régulièrement des rushes et tous les samedis il y a des rushes un peu plus prolongés auxquels assistent Jean Cocteau et Jacques Prévert.
Au montage, Clouzot a pris un jeune monteur qui s’appelle Henri Colpi qui va devenir cinéaste. Clouzot s’en rend compte pendant le tournage et lui dit de faire de la mise en scène. Colpi a raconté que Clouzot avait éliminé une vingtaine d’œuvres de Picasso sans jamais s’expliquer. C’était le fait du prince, il avait enlevé des tableaux. Ce qui restera de ce très beau film ce sont des dessins sur papier transparent qui sont au musée Picasso à Paris, la Plage de la Garoupe, une nature morte et un nu couché.
Pour La plage de la Garoupe, il y a eu 3500 prises et le montage a été tellement compliqué, tellement scrupuleux, tellement méticuleux, qu’il a fallu inventer un appareil technique pour faire ce montage au millimètre et cet appareil porte aujourd’hui le nom de monteuse Picasso.
Enfin, dernière chose, ce film a été présenté au festival de Cannes en 1956 où il a obtenu le prix spécial du jury mais cela a été un énorme échec commercial malgré l’affiche.
Pour citer cette ressource :
Jean-Claude Raspiengeas, Le mystère Picasso d'Henri-Georges Clouzot présenté par Jean-Claude Raspiengeas, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), novembre 2017. Consulté le 21/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/arts/cinema/jean-claude-raspiengeas-presente-le-mystere-picasso-henri-georges-clouzot-1956