Introduction au précis de phonétique et de phonologie
"A l’heure où l’enseignement des langues met en avant la pratique orale des langues vivantes, il est opportun de rappeler que la langue parlée, avec ses codes propres, est porteuse de sens jusque dans les plus petites unités de son. C’est pourquoi il est essentiel de sensibiliser les élèves qui apprennent une langue vivante à toutes les composantes phonologiques qui la caractérisent. En milieu scolaire, il est important de faciliter l’intégration du système sonore par des exercices appropriés reliant son et sens, par des activités facilitant la découverte des régularités et par les correspondances entre graphie et phonie. C’est en redonnant à la forme sonore la place qui lui revient dans les apprentissages que l’on préviendra les obstacles à la compréhension et les inhibitions souvent liées à un sentiment de l’étrange." B.O. spécial n°4 du 29 avril 2010.
La phonologie de l’anglais constitue l’un des trois « savoirs linguistiques » de la langue avec le lexique et la grammaire. Elle concerne trois des cinq compétences : la « compréhension de l’oral », « l’expression orale en continu » et « l’interaction orale ». Dans le B.O. n°7 du 3 octobre 2002, on lit :
La langue orale constitue certainement la principale difficulté de l’anglais pour les francophones, car c’est ici que les différences entre le français et l’anglais sont les plus importantes.
Malgré les efforts fournis par les auteurs de manuels de langue (la plupart sont accompagnés de CD audio), il semble que la connaissance des principes de base de la prononciation de l’anglais reste le plus souvent ignorée. La grammaire (comparativement très simple) et la production écrite occupent l’essentiel du temps d’apprentissage. On compte sur l’exposition à l’anglais oral (films, séjours à l’étranger) pour régler les problèmes liés à la langue orale. La réalité prouve pourtant que cette simple exposition, si elle est nécessaire, n’est pas suffisante.
Les cadres institutionnels
Le B.O. n°7 du 3 octobre 2002, qui définit les objectifs de la classe de seconde générale et technologique, donne une feuille de route assez précise :
[…] les acquis linguistiques des élèves et la richesse croissante des supports oraux et écrits employés en cours permettent d’organiser, à partir des documents utilisés, une approche systématique des régularités de l’anglais autour de deux notions principales :
- l’accentuation ;
- les rapports entre anglais écrit et anglais oral.
Il faut en effet insister sur le rôle de l’accentuation en anglais et souligner la différence fondamentale de l’anglais (stress-timed language) avec le français (syllable-timed language) sur ce point. Les élèves doivent intégrer le fait que l’anglais comporte une opposition entre deux types de syllabes – accentuées / non-accentuées – et tenir compte des implications de cette caractéristique. Cette prise de conscience est indispensable pour la compréhension de l’anglais oral, aussi bien pour les items lexicaux (politics political etc.) que pour les énoncés où on insistera sur l’emploi des formes réduites d’un nombre important de mots grammaticaux (what were you doing at the back of the hall ?)
On ne cherchera pas à exploiter de manière exhaustive le système intonatif de l’anglais mais, à partir de l’organisation accentuelle de la phrase anglaise, on insistera sur la place et la fonction du noyau tonique (« accent de phrase »). On s’attachera également à faire reconnaitre et pratiquer les deux schémas intonatifs principaux avec leurs valeurs fondamentales :
- schéma montant : incomplet / inachevé / encouragement / dubitatif ;
- schéma descendant : complet / achevé / neutre / assertif.
L’utilisation de paires minimales – boat / bought, heat / eat, right / white etc. permet de démontrer aux élèves l’importance des oppositions phonologiques de l’anglais. Pour cet aspect du travail, on aura recours à l’alphabet phonétique international.
En ce qui concerne les rapports entre langue écrite et langue orale, il convient de démontrer aux élèves que, contrairement à une idée largement répandue, l’anglais présente de nombreuses régularités et que, par conséquent, la prononciation d’un mot anglais est prévisible à partir de sa graphie dans un grand nombre de cas. On présentera les quatre prononciations régulières des cinq voyelles anglaises et des digraphes les plus fréquents (-ea, oo etc.) sans oublier de signaler l’irrégularité de quelques mots très utilisés (have, come, gone, etc.).
On peut résumer ces indications en quatre grandes rubriques qui sont :
- La production des sons de l’anglais ou phonèmes et l'apprentissage de l’alphabet phonétique international.
- L’apprentissage des règles d’accentuation.
- L’apprentissage des liens qui unissent orthographe et prononciation.
- Quelques notions d’intonation.
Le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues ((Un Cadre commun de référence pour les langues. Apprendre, enseigner, évaluer. http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/source/framework_FR.pdf)), qui entend uniformiser les exigences en matière d’apprentissage des langues étrangères, définit des niveaux communs de référence dans quatre tableaux reprenant les différents niveaux A, B et C, eux-mêmes divisés en deux niveaux.
A Utilisateur élémentaire
- A1 Introductif ou découverte
- A2 Intermédiaire ou de survie
B Utilisateur indépendant
- B1 Niveau seuil
- B2 Avancé ou indépendant
C Utilisateur expérimenté
- C1 Autonome
- C2 Maîtrise
Dans le tableau intitulé « Niveaux communs de compétence – Aspects qualitatifs de l’utilisation de la langue parlée » rien n’est dit sur les objectifs phonétiques précis si ce n’est que :
[…] le but de l’enseignement des langues se trouve profondément modifié. Il ne s’agit plus simplement d’acquérir la « maîtrise » d’une, deux, voire même trois langues, chacune de son côté, avec le « locuteur natif idéal » comme ultime modèle. Le but est de développer un répertoire langagier dans lequel toutes les capacités linguistiques trouvent leur place. (p.11)
Le niveau du « locuteur natif » ne saurait en effet être la ligne d’horizon pédagogique à atteindre dans le secondaire. Mais quelles compétences phonétiques sont alors visées ?
Les enseignants
Depuis toujours, des spécialistes de la prononciation de l’anglais se sont intéressés à ce pan essentiel de l’apprentissage. Dans son Manuel pratique d’anglais parlé, Georges Faure (1948, 1-2) écrivait déjà :
Nul ne saurait plus douter aujourd’hui que la prononciation et l’intonation d’une langue comme l’anglais puissent et doivent s’enseigner, au même titre que le vocabulaire ou la syntaxe et d’une façon toute aussi précise. […] Quel professeur ayant quelque expérience de l’enseignement oserait nier le bien-fondé d’une telle assertion. Et comment, d’autre part, peut-on enseigner à prononcer et à « intoner » correctement, si l’on ne dispose pas d’un instrument convenable, comparable, si l’on veut, au manuel de grammaire, mais encore plus nécessaire que lui puisque les règles relatives à la prononciation, à l’accentuation et à l’intonation ne sauraient être tirées, comme celles de la morphologie et de la syntaxe, de l’étude des textes écrits.
Ce manuel présente en quelque 200 pages l’essentiel de la phonétique / phonologie de l’anglais, de manière progressive et didactique, destiné aux élèves des Lycées et des universités. Certes, l’ouvrage a vieilli mais l’essentiel y était. Il offrait une présentation systématique et raisonnée des structures de l’anglais oral accompagnée d’exercices permettant l’acquisition de ces fonctionnements.
Plus récemment, Ruth Huart (2010, 6), dans son introduction à la Nouvelle grammaire de l’anglais oral, écrit :
Ce qu’on appelle désormais la « compétence phonologique » entre en jeu dans toutes les activités langagières. Les instructions officielles le disent bien, mais beaucoup d’enseignants ont du mal à intégrer cette dimension dans leur pratique. Ce qui compte est de retenir l’attention des élèves, de les faire participer, de les motiver. Il n’y a pas de place pour la phonétique dans un tel cadre. Et c’est vrai. Il ne peut être question d’enseigner la phonétique en et pour elle-même.
Cet ouvrage, fondé sur des années d’enseignement de la prononciation de l’anglais, est destiné aux futurs enseignants qui devront mettre en œuvre des trésors de pédagogie pour enseigner l’anglais oral presque à l’insu de leurs élèves. L’auteur s’inscrit dans le courant de la linguistique énonciative et son ouvrage offre un tour d’horizon très complet des particularités de l’anglais, des difficultés propres aux francophones ainsi qu’un certain nombre de fiches récapitulatives.
Dans Didactique de la phonétique anglaise, Nadine Herry-Bénit (2011, 55), qui s’intéresse à l’enseignement de l’anglais dans les universités, propose un constat encore plus net :
L’enseignement de la phonétique anglaise, la prononciation, la transcription, l’accent de mots, l’accent de phrases, l’intonation etc., ont un impact peu significatif, les étudiants se fiant bien davantage à leur intuition qu’aux règles vues en cours. La méthode la plus couramment utilisée pour présenter les règles phonétiques et phonologiques est la suivante : premièrement l’exposition de la règle, deuxièmement son application à quelques exemples puis troisièmement la réalisation de quelques exercices par les étudiants en laboratoire de langues selon les universités et enfin quatrièmement quelques exercices à faire seul, à la suite de quoi on passe à la règle suivante.
Or, à trop vouloir enseigner la langue orale de manière indirecte, on finit par ne plus l’enseigner du tout. L’anglais oral est un domaine relativement complexe et si l’on veut commencer à le maîtriser, un minimum d’effort est nécessaire.
La plupart des manuels scolaires, notamment du Collège, proposent quelques exercices de phonétique à la fin de chaque chapitre. Dans la majorité des cas toutefois, ceux-ci ne permettent pas un apprentissage raisonné des principes fondamentaux et ne sont là que pour répondre, formellement, aux exigences institutionnelles. Les enseignants n’ont en outre pas toujours le temps de faire travailler leurs élèves sur ces exercices en classe.
Notre expérience de l’enseignement de la prononciation de l’anglais nous a appris que cet apprentissage demande un temps considérable. La seule acquisition des symboles phonétiques prend souvent plusieurs mois et l’acquisition réelle des règles d’accentuation les plus simples (non seulement leur apprentissage intellectuel mais leur mise en pratique) varie beaucoup d’un élève / étudiant à l’autre. Les correspondances entre orthographe et prononciation restent un point d’achoppement majeur. Si les directives officielles citées plus haut restent un objectif idéal duquel il faut tenter de se rapprocher, la réalité incite à adopter une approche plus modeste. C’est la raison pour laquelle ce Précis n’est pas un manuel progressif mais un aide-mémoire qui réunit les éléments de la phonétique anglaise les plus simples qui peuvent, au gré des différents cours, faire l’objet de rappels et d’activités ponctuelles.
Inutile donc de chercher les lacunes : elles sont légion. La théorie, quant à elle, est simplifiée à l’extrême afin de donner l’essentiel à moindre coût théorique. Ce Précis s’inscrit toutefois dans une démarche phonologique cohérente compatible avec les ouvrages plus spécialisés destinés aux étudiants de nos universités (voir Duchet ou Fournier en bibliographie par exemple). En effet, rien ne serait plus déroutant que de proposer un système pour découvrir ensuite que celui-ci n’est qu’une compilation de « règles » ad hoc réunies pour l’occasion.
Ce Précis est organisé en quatre chapitres qui reprennent les grands domaines de l’anglais oral visés par les instructions officielles :
- Eléments de phonétique et de transcription
- Règles d’accentuation
- Règles de correspondances entre orthographe et prononciation
- Eléments d’intonation
Chaque fois que cela est possible, un petit exercice d’application est proposé pour chacune d’elles afin de fournir un exemple d’utilisation en classe. Chaque enseignant pourra ensuite adapter et améliorer ces activités en fonction de ses besoins, de son expérience et de son public.
Quel type de correction phonétique est véritablement visé ?
Le programme officiel français couvre tout le terrain de la langue orale et seule l’intonation est laissée quelque peu de côté car il s’agit d’un domaine extrêmement complexe. Le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues parle de « compétences », ce qui laisse l’enseignant face à lui-même et chacun décidera de ce qui est important et de ce qui ne l’est pas. En d’autres termes, personne ne se prononce sur ce que doit être l’accent cible de la L2.
Alan Cruttenden (2008) dans, Gimson’s Pronunciation of English, distingue plusieurs types d’accents cibles possibles pour l’anglais :
- Le niveau du locuteur natif 1 utilisant le Received Pronunciation pour le modèle britannique et le General American ((Ce précis ne traite que de l’anglais britannique. On trouvera une description plus complète de l’accent américain dans Duchet (1994), dans Jobert & Mandon-Hunter (2009) et dans Jobert (2009).)) pour le modèle américain.
- Le niveau du locuteur natif 2 mais dont l’accent peut contenir des traces d’accent régional (Londres, New York etc.)
- L’Amalgam English qui est un hybride entre l’anglais britannique et l’anglais américain. Cet accent porte généralement les traces de transferts phonétiques de la L1 et est utilisé comme une lingua franca en interaction avec des non-anlophones.
- L’International English qui ne demande qu’une intelligibilité minimale de l’anglais.
Jennifer Jenkins (2000), dans The Phonology of English as an International Language, s’intéresse particulièrement à l’anglais comme lingua franca (ELF). Elle repère certains traits qui font partie des traits essentiels qui doivent être maîtrisés (Lingua Franca Core). Elle considère par exemple que les oppositions consonantiques sont fondamentales (à l’exception de l’opposition /θ/ /ð/). De même, l’opposition entre les voyelles brèves et longues, /ɪ/ /i:/ par exemple, sont à préserver, ainsi que le placement de la syllabe nucléaire dans les groupes de mots. Elle considère en revanche que les phénomènes d’élision, d’assimilation et l’utilisation des formes faibles constituent des obstacles à la communication aisée.
Il existe bien sûr d’autres classifications possibles mais il est intéressant de constater que pour chacun des accents cibles visés, les exigences phonétiques varient. Si l’objectif est d’atteindre la compétence proche de celle d’un locuteur natif – avec ou sans marques de régionalismes – un entraînement systématique et long doit être mis en place. Pour les autres accents cibles, les objectifs phonétiques et les tolérances varient. A titre d’exemple, pour l’International English, Cruttenden explique que la distinction entre /θ/ et /t/ et /ð/ et /d/ doit être encouragée, mais que la réalisation /t/ et /d/ n’est toutefois pas à stigmatiser. La confusion /θ/ /ð/ et /s/ /z/ n’est, quant à elle, pas un problème car elle ne nuit pas à l’intelligibilité. Le chapitre « Language Teaching and learning » de Cruttenden (2008) est entièrement consacré à ces questions.
L’intérêt de ces remarques n’est pas de trancher entre une vue extrême qui consisterait à dire que tout ce qui s’éloigne du modèle du locuteur natif est à proscrire ou, a contrario, de plaider pour une approche, toute aussi extrême, qui viserait à adopter le plus petit commun dénominateur afin d’enseigner un « anglais » entièrement aseptisé. La question qui se pose est la suivante : où nous situons-nous entre ces deux extrêmes ? Entre un objectif inaccessible dans le secondaire et un renoncement, chacun tente de faire au mieux. L’objectif phonétique doit être défini et un protocole doit être mis en place pour l’atteindre. Une évaluation doit permettre d’évaluer le protocole et de l’infléchir en fonction des résultats. Tout cela est bien connu et correspond à ce que les enseignants font au quotidien pour la grammaire et le lexique mais rarement pour l’anglais oral, faute de critères clairs et de temps.
L’ambition de ce Précis est de donner des points de repères afin que chacun puisse décider, en connaissance de cause, de ce qui est essentiel. Nous espérons qu’il se révélera utile aux utilisateurs, enseignants et lycéens, soit pour des vérifications ponctuelles, soit pour un travail plus systématique.
Bibliographie
Cadre commun de référence pour les langues. Apprendre, enseigner, évaluer. http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/source/framework_FR.pdf.
Collins, Beverley & Mees, Inger. M. 2009. Practical Phonetics and Phonology. London, Routledge. 2nd edition.
Cruttenden, Alan. 2008. Gimson’s Pronunciation of English. London, Hodder Education. 7th edition.
Deschamps, A., Duchet, J-L., Fournier, J-M et O’Neil, Michael. 2004. English Phonology and Graphophonemics. Paris, Ophrys.
Duchet, Jean-Louis. 1994. Code de l’anglais oral. Paris, Ophrys.
Faure, Georges. 1948. Manuel Pratique d’anglais parlé. Paris, Hachette.
Fournier, Jean-Michel. 2010. Manuel d’anglais oral. Paris, Ophrys.
Herry-Bénit, Nadine. 2011. Didactique de la phonétique anglaise. Rennes, Presses Universitaires de Rennes. Collection Didact anglais.
Huart, Ruth. 2010. Nouvelle grammaire de l’anglais oral. Paris, Ophrys. 2ème édition.
Jenkins, Jennifer. 2000. The Phonology of English as an International Language. Oxford, Oxford University Press.
Jobert, Manuel & Mandon-Hunter, Natalie. 2009. Transcrire l’anglais britannique et américain, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail.
Jobert, Manuel. 2009. « Le General American à l’épreuve de phonologie de l’agrégation » in Cercles (95-116).
http://www.cercles.com/occasional/ops2009/jobert.pdf
Pour citer cette ressource :
Manuel Jobert, Natalie Mandon, Introduction au précis de phonétique et de phonologie, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), septembre 2012. Consulté le 26/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/langue/lessentiel-de-langlais-oral/introduction-au-precis-de-phonetique-et-de-phonologie