«Violent Saturday» / «Les inconnus dans la ville» (Richard Fleischer – 1955)
Richard Fleischer ou l'efficacité au service de la mise en scène. L'avis officiel des critiques est que Fleischer est un bon artisan, mais pas un véritable auteur. On peut néanmoins voir dans sa longue carrière nombre de grands films et penser que le temps lui redonnera une place méritée.
Pur produit du système des studios de l'âge d'or hollywoodien, Fleischer tourne la bagatelle de douze films de 1946 à 1953, notamment Armored Car Robbery (1950) et The Narrow Margin (L'Énigme du Chicago Express, 1952). Grâce à ces séries B, il acquiert très vite un savoir-faire impressionnant et développe notamment une maîtrise remarquable du plan-séquence, qui lui permet, avec une grande économie, de tourner plusieurs scènes en une seule.
Époque oblige, la plupart de ses réalisations sont des films noirs nerveux, efficaces, rapides. Il a pourtant débuté par Child of Divorce (1946), un film d'une grande sensibilité, sur un sujet jamais traité à l'époque. Ce qui prouve, s'il en était besoin, qu'il sait filmer l'intime aussi bien que l'action, ou plus exactement, que chez lui l'intime peut tenir lieu d'action.
Repéré par Disney, il dispose d'un budget conséquent pour tourner, en 1954, 20,000 Leagues Under the Sea (20.000 lieues sous les mers), qui devient un des premiers succès du cinémascope, et va donner à sa carrière un tour moins confidentiel.
En 1955 sort Violent Saturday, qui nous intéresse ici. C'est un bijou encore trop sous-estimé.
Trois hommes débarquent dans une petite ville américaine. Ils sont venus pour dévaliser la banque, un samedi, à la fermeture. Le hold-up va impliquer nombre d'habitants et révéler leurs secrets et les zones d'ombre de la ville en question.
Le film, à l'instar du hold-up, est une mécanique de précision. En 90 minutes, savoir-faire oblige, Fleischer dresse un certain portrait de l'Amérique, à travers une galerie de personnages, tous crédibles, servis sur un pied d'égalité, sans moralisme bon marché. Du banquier aux fermiers Amish, de l'épouse délaissée à l'employé transi, l'on devine des vies entières en quelques scènes, ce qui confirme le talent de conteur de Fleischer. Jamais on ne se perd entre les personnages. Les liens entre les différentes histoires sont si subtils qu'ils paraissent évidents, non écrits. Du grand art !
La mise en scène est brillante, discrète et flamboyante. L'oxymore fleischerien dans toute sa splendeur.
On croise au passage Victor Mature, Ernest Borgnine ou Lee Marvin.
On remarque surtout que Fleischer, que l'on savait maître du noir et blanc, des jeux d'ombres, est devenu en deux longs métrages un peintre de la couleur. Un film noir en pleine lumière, voilà qui tient de la gageure !
Violence du hold-up, violence des sentiments et des ressentiments, les couleurs elles aussi éclatent. Le film commence d'ailleurs par une explosion annonciatrice
Fleischer allait réaliser d'autres grands films, voire certains chefs d'œuvre. Pas mal pour un artisan ! On peut citer entre autres The Boston Strangler (L'étrangleur de Boston, 1968) et son pendant britannique 10 Rillington Place (L'étrangleur de la place Rillington, 1970), ainsi que The New Centurions (Les flics ne dorment pas la nuit, 1972) et Soylent Green (Soleil vert, 1973)...
Pour citer cette ressource :
Lionel Gerin, "«Violent Saturday» / «Les inconnus dans la ville» (Richard Fleischer – 1955)", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mars 2017. Consulté le 02/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/arts/cinema/violent-saturday-les-inconnus-dans-la-ville-richard-fleischer-1955-