Muriel Box, entre théâtre et cinéma
Simon and Laura (1955)
Lorenzo Codelli est directeur adjoint de la Cineteca del Friuli, archiviste et historien du cinéma ; il collabore avec de nombreuses revues, dont Positif, et le Festival de Cannes, et est membre fondateur du Festival Lumière. Il est venu présenter le film Simon and Laura de Muriel Box le 19 octobre 2018 à l’Institut Lumière dans le cadre du Festival Lumière et du cycle Histoire permanente des femmes cinéastes reconduit chaque année afin de reconnaître et mettre en lumière les réalisatrices dans l’Histoire du cinéma.
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Le Festival Lumière est le second festival à organiser une rétrospective de l’œuvre de Muriel Box, après le Festival de San Sebastián, qui a fait découvrir au public vingt-quatre films de sa production : quatorze qu’elle a réalisés, dix dont elle était la scénariste, tous plus exceptionnels les uns que les autres. Le Festival Lumière a programmé sept films de Muriel Box, mais elle a également écrit près de trente scénarios dans sa carrière, en collaboration avec son mari, Sydney Box.
Simon and Laura est une comédie extraordinaire, qui montre à quel point Muriel Box est une grande scénariste. Le scénario est tiré d’une pièce de théâtre d’Alan Melville qu’elle adapte pour le cinéma. C’est en 1956 une satire féroce de la télévision britannique, qui se résumait à l’époque à une seule chaine, la BBC. Mais c’est aussi une satire du théâtre. Les deux protagonistes, interprétés par Peter Finch et Kay Kendall, sont, comme tous les grands acteurs du cinéma britannique, des comédiens qui, le matin, tournent un film, et le soir, jouent au théâtre, et cela tout au long de leur carrière. Simon et Laura forment un couple de comédiens mariés : ils sont engagés pour jouer les aventures domestiques d’un couple heureux en ménage, dans un nouveau concept de feuilleton télévisé, alors qu’ils sont au bord du divorce. Au début du film, les producteurs évoquent le couple d’acteurs de théâtre britannique le plus connu au monde à l’époque : Laurence Olivier et Vivien Leigh, qui tous deux ont fait, ensemble et séparément, des films qui ont marqué l’histoire du cinéma américain et anglais. Le film se moque ainsi de l’aspect « people » de l’industrie du cinéma.
Vingt ans après Simon and Laura, Peter Finch reçoit en 1977 à titre posthume [Finch décède à 60 ans] l’Oscar du meilleur acteur pour son rôle dans Network [Main basse sur la télévision], réalisé par Sidney Lumet et écrit par l’écrivain Paddy Chayefsky. Network est la satire la plus féroce possible de la télévision américaine à cette époque, alors que le phénomène télévision explosait. Peter Finch y interprète un présentateur de journal télévisé très connu, mais en crise, qui menace de se tuer en direct – une aubaine pour la directrice de programmation qui flaire le carton d’audience. Même si ce rôle est différent, on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec Simon and Laura, qui met également en scène quelques grandes scènes de direct à la télévision.
Simon and Laura est un film très élégant et très bien écrit. Comme dans tous les films de Muriel Box, les petits rôles, les seconds rôles et les petits acteurs sont extraordinaires. Ce sont des visages familiers du cinéma britannique des années 1950 qui reviennent.
Muriel Box a toujours travaillé pour des studios plus ou moins indépendants, jamais pour les studios Ealing, qui, entre 1945 et 1955 étaient synonymes en France de satires sociales et de comédies méchantes sur des thèmes d’actualité. Les films de Muriel Box y auraient cependant eu leur place, aux côtés tous ces classiques du cinéma britannique, réalisés notamment par Robert Hamer et Alexander Mackendrick, et beaucoup d’autres réalisateurs importants, plus connus qu’elle. Car elle n’est pas connue, même en Angleterre : le British Film Institute à Londres, institution comparable à la Cinémathèque Française ou à l’Institut Lumière, n’a jamais consacré de rétrospective en hommage à Muriel Box ; c’est en Espagne et à Lyon qu’on l’a fait en premier.
Après son dernier film en 1964, Muriel Box a abandonné pour différentes raisons le cinéma, mais elle a continué à écrire des romans, des poèmes ; l’écriture est restée son activité principale jusqu’à sa mort. Dans son autobiographie, Odd Woman Out (jeu de mot sur « odd man out », qui veut dire « intrus » en anglais – donc une femme hors du contexte, étrange, à part), elle ne consacre qu’un ou deux chapitres, c’est-à-dire moins de trente pages, aux quatorze films qu’elle a réalisés. A propos de Simon and Laura, elle dit seulement que le film était une satire et qu’elle a eu « quelques problèmes avec Kay Kendall », mais sans préciser lesquels.
Il est intéressant de noter que Muriel Box commence à travailler dans le cinéma presque au même moment que sa sœur Betty Box, qui a la chance de se marier très jeune à Ralph Thomas, le réalisateur britannique le plus populaire à l’époque pour différentes comédies et séries. Betty Box est souvent co-scénariste des films de son mari et co-productrice. C’est un couple plus important dans le cinéma anglais, avec une plus longue activité encore, que Muriel Box et son mari.
Je suis sûr que la découverte de Muriel Box va se poursuivre.
Rattle of A Simple Man (1964)
Jean Ollé-Laprune est historien du cinéma international et historien du cinéma français, créateur de plusieurs chaînes de télévision (Ciné Première, Ciné Classiques) ; il a été chroniqueur pour l’émission Le Club sur le câble et il est également présentateur sur Arte. Il est venu présenter le film Rattle of a Simple Mind de Muriel Box le 16 octobre 2018 au Lumière Terreaux dans le cadre du Festival Lumière et du cycle Histoire permanente des femmes cinéastes reconduit chaque année afin de reconnaître et mettre en lumière les réalisatrices dans l’Histoire du cinéma.
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Selon Bertrand Tavernier, il n'y a que très peu de réalisatrices françaises : seulement cinq ou six. C’est malgré tout deux fois plus qu’en Angleterre, où il n’y a que deux réalisatrices : Muriel Box et Wendy Toye.
Rattle of a Simple Man est assez représentatif de l’univers de Muriel Box, marqué d’une part par le théâtre et d’autre part par les rapports entre les sexes et l’affrontement homme/femme. Elle a d’ailleurs débuté au théâtre aux côtés de son mari. En effet, dans les années 1930, alors qu’ils se demandaient ce qu’ils allaient faire, Muriel et Sydney Box ont commencé à écrire des pièces de théâtre, car ils s'étaient rendu compte que toutes les pièces qui étaient créées en Angleterre étaient faites uniquement pour des distributions masculines. Les Box se sont alors lancés dans des petites pièces de théâtre avec des distributions uniquement féminines. Ils ont écrit une cinquantaine de pièces qui n’ont pas du tout été jouées dans les grands théâtres londoniens, mais un peu partout dans le pays, ce qui fait qu’à la fin des années 1930, ils étaient les auteurs les plus joués d’Angleterre, mais de façon extrêmement discrète.
La Seconde Guerre mondiale a vu la mise en place d’un embargo sur les spectacles. Les Box ont eu l’idée de publier une sorte d’album sur les black-outs [une mesure de défense antiaérienne qui consiste à plonger un endroit dans l'obscurité totale] en expliquant comment se comporter en cas d’alerte et de bombardement. Ce fut un triomphe en librairie, qui leur a permis par la suite de fonder leur première société de production, qui produit principalement des films institutionnels.
Muriel Box qui, déjà très jeune, avait la vocation de devenir réalisatrice, a demandé à réaliser des films. Le Ministère y a opposé un veto absolu : à aucun moment une femme ne sera capable de réaliser un film. Muriel Box a rongé son frein.
Muriel et Sydney Box, au cours de la deuxième partie de leur carrière, se sont mis à l’écriture de scénarios. Ils ont remporté l’Oscar du meilleur scénario original en 1946 pour Le Septième Voile, faisant de Muriel Box, la première femme récompensée dans cette catégorie. Ils sont contactés par la société de production cinématographique Gainsborough Pictures, et Muriel Box renouvelle son souhait de réaliser des films. Elle se heurte de nouveau à un « non » catégorique de la part des responsables et, pire encore, – ce qu’elle a beaucoup plus mal vécu, – de la part des comédiennes : l’actrice Jean Simmons, notamment, qu’elle devait diriger dans le film So long at the fair (Si Paris l’avait vu), a refusé que ce soit une femme qui soit la réalisatrice de ce projet ; la réalisation du film a donc été confiée à Terence Fisher.
Le dernier essai sera le bon, avec la compagnie qui sera montée avec son mari, et qui produira Rattle of A Simple Man (1964). Il a fallu cependant que Sydney Box explique aux financiers qu’ils co-réaliseraient le film, elle et lui, alors que c’est en réalité Muriel Box qui s’est chargée de la totalité de la réalisation. Elle a réalisé à peu près 14 films entre 1952 et 1964. Ce sont, pour beaucoup, des adaptations de pièces de théâtre. La pièce de théâtre dont a été tiré Rattle of A Simple Man, avait été écrite quelques temps plus tôt ; son auteur joue d’ailleurs dans le film (le rôle d’un des supporters au début, celui qui porte une écharpe blanche). Les films de Muriel Box ont essentiellement été produits sur des petits budgets, et traitent du rôle et de la place des femmes sur un ton riant, ou parfois plus tragique – très jeune, Muriel Box avait en effet été influencée par sa mère qui avait des convictions féministes extrêmement marquées.
Rattle of a Simple Mind commence un peu comme un film de Terence Young, qui a tourné des films de striptease, de boites à Londres dans Soho, un peu glauques. C’est l’histoire de supporters qui viennent voir un match de football de Manchester à Londres, et l’un de ces supporters va tomber amoureux d’une prostituée.
Ce sera le dernier film de Muriel Box, et il a malheureusement souffert de sa distribution. Quand on demandait à Muriel Box, à la fin de sa vie, ce qu’elle préférait quand elle réalisait, elle répondait « Ah ! La distribution ». Elle adorait les acteurs, ce qui explique que sa technique cinématographique se rapproche d’une captation théâtrale : la mise en scène est rapide, les budgets très modestes, mais la distribution est toujours extrêmement choisie.
Rattle of A Simple Man a souffert du refus de Peter Sellers, qui demandait un cachet beaucoup trop élevé pour tenir ce rôle-là. Il a été remplacé par une vedette de télévision qu’on ne connaît absolument pas en France – Harry H. Corbett – qui était très célèbre pour avoir joué le personnage d’un chiffonnier à la télévision. La tête de l’affiche du film était tenue par Diane Cilento, qui jouait le rôle de la prostituée, et qui été très connue à l’époque : elle avait notamment failli recevoir l’Oscar de la meilleure actrice pour le film Tom Jones en 1963, et elle était l’épouse de Sean Connery. Il est d’ailleurs intéressant de souligner que la carrière de Muriel Box est contraire à celle de Diane Cilento, qu’elle a sacrifiée au profit de son célèbre mari.
Le film ne rencontrera malheureusement pas un franc succès. L’esprit Box « au pluriel » – de Muriel et Sydney – avait en effet un peu disparu au moment de l’émergence du Free Cinema anglais entre 1956 et 1963, un mouvement cinématographique beaucoup plus caustique et violent que les pièces de théâtre des années 1960 sur lesquelles se basaient les films des Box.
Muriel Box se reconvertit finalement dans le journalisme et l’édition, et continua à publier un certain nombre d’articles et de livres pro-féministes, jusqu’à sa disparition dans les années 1990.
Pour citer cette ressource :
Jean Ollé-Laprune, Lorenzo Codelli, Nathalie De Biasi, Muriel Box, entre théâtre et cinéma, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), janvier 2019. Consulté le 21/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/arts/cinema/muriel-box-entre-theatre-et-cinema