«Much Ado About Nothing» (Joss Whedon)
Avec Amy Acker, Alexis Denisof, Nathan Fillion, Fran Kranz, Jillian Morgese, Sean Maher, Reed Diamond, Clark Gregg, Tom Lenk
Sortie en salle le 29 janvier 2014
https://video.ens-lyon.fr/eduscol-cdl/2014/ANG_2014_MuchAdo.mp4
En adaptant cette comédie de Shakespeare, Joss Whedon marche dans les pas de l’illustre Kenneth Branagh qui avait fait de Much Ado un film remarqué en 1993. Le pari pouvait sembler ambitieux, même prétentieux, et pourtant le résultat est une comédie de mœurs toute en finesse qui respecte et met en valeur l’œuvre du dramaturge élisabéthain.
Jane Howell, réalisatrice de plusieurs adaptations filmiques de Shakespeare pour la BBC, écrivait que pour adapter Shakespeare au cinéma il fallait employer tous les artifices du septième art pour donner de la vraisemblance à l’image et éviter ainsi l’écueil du théâtre filmé. Whedon s’éloigne intelligemment de cette volonté d’une illusion crédible pour jouer et se jouer des conventions théâtrales. Comme au théâtre, un contrat de fiction est signé avec le spectateur. Nous devons accepter de voir des hommes et des femmes habillés en businessmen et filles de bonne famille, s’exprimant en anglais de la Renaissance. La demeure seigneuriale italienne devient une maison bourgeoise qui pourrait être n’importe où, peut-être dans une banlieue chic de Los Angeles (il s’agit en réalité de la résidence de Joss Whedon à Santa Monica).
Tout cela est parfaitement cohérent avec le théâtre de Shakespeare qui ne s’effrayait pas de quelques anachronismes. Le seul dessin qui nous soit parvenu d’une représentation contemporaine de Shakespeare illustre la première scène d’une tragédie romaine ou la plupart des acteurs sont habillés à la mode anglaise du 16ème siècle. Le théâtre shakespearien est un théâtre de tréteaux, et la simplicité des décors du film de Whedon nous permet de mieux entendre le texte qui lui fourmille d’images, comme pour habiller les planches du théâtre aux yeux du spectateur. C’est autour d’une simple table de cuisine, par exemple, que se retrouvent les protagonistes du drame, alors même qu’ils nous parlent d’un glorieux retour de guerre et de riches banquets.
Il y a aussi le choix du noir et blanc qui, au-delà de son intérêt esthétique, introduit une distance réflexive entre le spectateur et le temps de l’action. Nous sommes face à une scène du passé, jouée et enregistrée, ce que vient nous rappeler régulièrement un personnage portant un appareil photo/caméra. Cette intrusion du médium, ce hors-champ dans le champ, pourrait nous éloigner des personnages. Bien au contraire, cette mise à distance nous donne le recul nécessaire pour accepter les ressorts parfois grossiers de la comédie : les alliances et les complots se font et se défont avec une facilité parfois déconcertante, les protagonistes ne se reconnaissent pas entre eux dès lors que l’un porte un déguisement, Hero est tour à tour pucelle vertueuse, promise, débauchée, morte, rédemptrice... Là aussi tout vient de la comédie Shakespearienne, laquelle, à l’image de la Commedia dell’arte italienne, nous amuse par les interactions de ses personnages et ne s’encombre pas d’une intrigue vraisemblable.
La fraîcheur des amoureux inconstants transparaît dans chaque scène. Rappelons que le film est tourné en un temps record, en tout juste douze jours, ce qui confère au jeu des acteurs une spontanéité et une candeur qui conviennent parfaitement au sujet. C’est donc avec beaucoup de subtilité et d’humilité que Joss Whedon nous fait redécouvrir cette pièce, 450 ans après la naissance de son auteur. A voir !
Pour citer cette ressource :
Clifford Armion, Much Ado About Nothing (Joss Whedon), La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), janvier 2014. Consulté le 27/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/arts/cinema/much-ado-about-nothing-joss-whedon-