Les réformes récentes du droit de la nationalité : droit du sang et droit du sol en Allemagne
On a souvent, et à juste titre, opposé la France et l'Allemagne quant à leur droit respectif de la nationalité, le droit du sol caractérisant la première, le droit du sang la seconde. Depuis 1999, date d'une réforme allemande importante des règles de naturalisation des étrangers, cette opposition n'est plus actuelle, ou à tout le moins n'est plus si nette. L'Allemagne combine désormais dans sa législation, comme la France, des éléments de ius sanguinis et de ius solis. Nous essaierons dans cet article de faire le point sur l'évolution historique du droit de la nationalité en Allemagne et surtout sur la législation actuelle régissant ce droit.
1. Aperçu historique
De tout temps, des étrangers se sont installés sur le territoire allemand. Si ces migrations restent anecdotiques durant la période pré-moderne, elles se renforcent aux 18ème et 19ème siècles. L'Empire allemand adopte en 1871 le premier texte moderne sur la nationalité allemande dans le but d'unifier un nouveau Reich très hétérogène : est allemand celui qui naît sur le territoire allemand. Mais l'évolution intellectuelle allemande vers les idées « völkisch », les idées de communauté nationale organique, conduisent à l'adoption en 1913 du texte fondateur du droit de la nationalité allemande : la loi sur la nationalité (Staatsangehörigkeitsgesetz). Le débat précédant son adoption est marqué par la volonté de conserver à tout Allemand né à l'étranger, c'est-à-dire principalement en Europe centrale et orientale, la possibilité d'être (re)naturalisé Allemand, tout en excluant de ce droit les Juifs et les autres étrangers. La loi de 1913 est donc marquée par le principe de l'origine (Abstammungsprinzip) : est allemand celui qui a des ascendants allemands. C'est ce que l'on a également appelé droit du sang. Le lieu de naissance ou le lien avec le territoire allemand ne sont pas pris en compte. Les possibilités de naturalisation des étrangers sont donc extrêmement restreintes.
La République fédérale reprendra ce texte et ces principes en 1949. Suit une longue période sans modification législative du droit de la nationalité. Tant que la RFA ne se considérait pas comme pays d'immigration, les gouvernants ne voyaient pas la nécessité de réformer ce droit. Mais l'Allemagne finit par être rattrapée par son immigration, qui n'a cessé d'augmenter notamment depuis les années 1980. On commence à distinguer deux catégories d'étrangers dans l'opinion publique : ceux nés à l'étranger et ceux nés en Allemagne. Pendant sa campagne électorale de 1998, Gerhard Schröder promet de faciliter l'accès des seconds à la nationalité allemande et/ou à la double nationalité. Une fois au pouvoir, c'est la première réforme qu'il propose, objet d'une violente campagne régionale de la CDU en Hesse et cause probable d'une première défaite électorale pour le parti du chancelier. Après moults débats, la réforme du droit de la nationalité (Gesetz zur Reform des Staatsangehörigkeitsrechts) est adoptée le 15 juillet 1999. Il s'agit, malgré les restrictions qui ont été apportées, d'une grande réforme, puisqu'elle introduit le principe de la naissance en Allemagne (Geburtsortsprinzip) autrement dit le droit du sol dans les règles d'obtention de la nationalité allemande par les enfants nés de parents étrangers sur le sol allemand. Ceux-ci devront cependant opter pour une de leurs deux nationalités avant l'âge de 23 ans.
Depuis, de petites corrections ont été apportées. En 2005, avec l'adoption de la loi sur l'immigration, (Zuwanderungsgesetz), les règles de naturalisation des étrangers ont été intégrées à la loi sur la nationalité. L'Allemagne met en place des cours de langue et de civilisation allemande (Integrationskurse), auxquels la participation est fortement recommandée, puis instaure des tests de langue et civilisation à destination des candidats à la naturalisation. En 2007 enfin, la loi de transposition des directives européennes en matière d'asile et de séjour des étrangers apporte quelques assouplissements aux règles de naturalisation, notamment le critère de la durée du séjour (cas des étrangers tolérés, « geduldete Ausländer »).
2. La législation actuelle
La loi sur la nationalité prévoit deux grands cas de figure : l'acquisition de la nationalité allemande par la naissance (« durch Geburt », notons la disparition du mot « Abstammung ») ou, pour les étrangers, par la naturalisation (StAG §3(1)).
Un enfant acquiert la nationalité allemande s'il naît de parents allemands. Cependant, si seul le père possède la nationalité allemande, une reconnaissance de paternité doit être effectuée avant les 23 ans de l'individu. On est ici dans le domaine du droit du sang.
La loi prévoit également qu'un enfant acquiert la nationalité allemande à la naissance s'il naît de parents tous deux étrangers répondant aux conditions suivantes : l'un d'entre eux doit séjourner légalement en Allemagne depuis au moins 8 ans et être en possession d'un titre de séjour illimité (« Niederlassungserlaubnis » ou titre équivalent émis par un Etat de l'Union Européenne). Cet élément de droit du sol a cependant été limité aux 23 premières années de vie de l'individu, d'après la règle dite de l'option, (Optionsregelung/Optionspflicht). Rien n'empêche en effet l'enfant d'avoir également la ou les nationalités de ses parents. Mais le §29 prévoit qu'entre sa majorité et la fin de sa 23ème année, le jeune adulte choisisse entre la nationalité allemande et la nationalité étrangère. Il doit effectuer des démarches auprès des services des étrangers (Ausländerbehörden), équivalents de nos (sous-)préfectures, et de l'ambassade du pays de ses parents afin de clarifier sa situation. S'il déclare vouloir garder la nationalité allemande, il doit prouver qu'il a renoncé à la nationalité étrangère. S'il ne le fait pas, ou s'abstient de déclaration, la nationalité allemande est automatiquement retirée au profit de la nationalité étrangère ((Erklärt der nach Absatz 1 Erklärungspflichtige, dass er die deutsche Staatsangehörigkeit behalten will, so ist er verpflichtet, die Aufgabe oder den Verlust der ausländischen Staatsangehörigkeit nachzuweisen. Wird dieser Nachweis nicht bis zur Vollendung des 23. Lebensjahres geführt, so geht die deutsche Staatsangehörigkeit verloren, es sei denn, dass der Deutsche vorher auf Antrag die schriftliche Genehmigung der zuständigen Behörde zur Beibehaltung der deutschen Staatsangehörigkeit (Beibehaltungsgenehmigung) erhalten hat. [...], StAG §29(3).)). Les enfants de moins de 10 ans nés avant le 1er janvier 2000 sont pris en compte et bénéficieront de cette règle. On voit bien ici que l'octroi de la double nationalité n'est pas souhaité par les législateurs allemands. Des exceptions existent cependant, sur la base d'accords bilatéraux, ou avec les Etats membres de l'Union Européenne, la France par exemple.
Les étrangers nés hors du territoire fédéral peuvent, sur leur demande, acquérir la nationalité allemande s'ils remplissent un certain nombre de conditions. L'étranger doit séjourner sur le territoire fédéral allemand légalement depuis plus de huit ans et être en possession d'un droit de séjour illimité. Il doit être en capacité d'exercer ses droits, n'avoir jamais été condamné à une peine de plus de 3 mois avec sursis, disposer d'un logement et être en capacité de nourrir les siens sans recours à l'aide sociale. Il doit renoncer à sa nationalité d'origine. Enfin, il doit reconnaître adhérer aux valeurs démocratiques et fondamentales de la RFA et disposer de connaissances suffisantes de la langue allemande ainsi que de la société, du mode de vie, des valeurs allemandes. Ces connaissances seront validées par un test, que l'étranger peut préparer dans un cours d'intégration. Les étrangers qui auront suivi un tel cours pourront être naturalisés au bout de 7 ans, voire 6 s'ils manifestent une forte volonté d'intégration. Les conjoints et enfants peuvent être naturalisés en même temps, même s'ils ne séjournent pas en Allemagne depuis 8 ans ; ils doivent en revanche répondre aux autres critères. L'administration garde le droit de naturaliser des étrangers qui ne répondraient pas à tous les critères, mais dont elle estime, notamment en raison de la durée de leur séjour et de leur niveau d'intégration, qu'ils peuvent l'être (Ermessenseinbürgerung).
D'autres cas sont également prévus par la loi (adoption, « Spätaussiedler »), mais représentent des cas minoritaires. Enfin, la perte de la nationalité allemande est également prévue. Il s'agit principalement de l'acquisition d'une autre nationalité, sauf dans les cas exceptionnels mentionnés plus haut.
Le droit de la nationalité actuel est ainsi le fruit de l'histoire et d'évolutions plus récentes, sous l'effet de l'augmentation des flux migratoires et de la présence d'étrangers sur le territoire ouest-allemand. Le nombre de naturalisations annuelles, traditionnellement bas en Allemagne en comparaison de ses voisins européens, n'a pas véritablement augmenté. Dans l'élan donné par l'adoption de la réforme de 1999, les années 2000/2001 ont vu ce nombre croître (186 000 naturalisations en 2000, 178 000 en 2001), mais il ne cesse de diminuer depuis (127 000 en 2004, 124 000 en 2006). En 2006, 67% des naturalisés répondaient à tous les critères exposés plus haut, 13% étaient leurs conjoints et enfants mineurs, les autres cas étaient des naturalisations sur la base d'une décision discrétionnaire de l'administration. 27% étaient d'origine turque, les autres grands pays d'origine étaient la Serbie-Monténégro, la Pologne, la Fédération de Russie, l'Ukraine, Israël, l'Iraq, l'Iran et le Maroc. La renonciation à la nationalité d'origine demandée aux étrangers semble être le premier obstacle à la naturalisation, puisque sans parler des conséquences symboliques et psychologiques, cette renonciation entraîne des difficultés matérielles pour les immigrés (retraites, successions, séjours, etc). A l'heure actuelle, la question de la double nationalité n'est pourtant pas à l'ordre du jour.
Note
Bibliographie
PRAT-ERKERT Cécile, Les demandeurs d'asile politique en Allemagne 1945-2005 - Aspects démographiques, politiques, juridiques et sociologiques, Paris, L'Harmattan, 2006, 493 p.
HERBERT Ulrich, Geschichte der Ausländerpolitik in Deutschland, C.H. Beck, München, 2003, 442 p.
Texte de loi: Staatsangehörigkeitsgesetz
Ouvrage Les demandeurs d'asile politique en Allemagne 1945-2005
Thèse de Cécile Prat-Erkert, préfacée par Alfred Grosser. L'étude s'appuie entre autres sur des entretiens de demandeurs d'asile.
Cécile Prat-Erkert, Les demandeurs d'asile politique en Allemagne 1945-2005 - Aspects démographiques, politiques, juridiques et sociologiques, Paris, L'Harmattan, 2006, 493 p. Préface d'A. Grosser. ISBN 2-296-01893-9
L'arrivée de nombreux demandeurs d'asile politique a été l'un des faits démographiques, politiques, juridiques et sociologiques majeurs dans l'Allemagne (de l'Ouest principalement) d'après-guerre. Cet ouvrage, issu d'une thèse soutenue en décembre 2005, est une étude des principales évolutions des différents aspects de la question et tente de les replacer dans le contexte mondial et européen de ces soixante dernières années, tout en dégageant les spécificités allemandes en la matière.
L'approche adoptée est pluridisciplinaire. Une première partie, historique et comparatiste, retrace les évolutions démographiques, puis politiques de la question. L'analyse des flux de demandeurs d'asile politique vers l'Allemagne entre 1945 et 2005 montre la précocité et l'ampleur du phénomène démographique, tout en soulignant son déclin récent ainsi que les limites épistémologiques des comparaisons statistiques. Les réactions politiques, sur l'arrière-plan de la politique internationale des réfugiés et de la politique de l'Allemagne vis-à-vis des étrangers, s'incarnent dans des mesures législatives, et répondent à ces extrêmes démographiques: après avoir fortement restreint le droit d'asile sur son sol à partir des années 1980 (avec pour point d'orgue la modification constitutionnelle de 1993), l'Allemagne joue un rôle moteur dans l'harmonisation restrictive du droit d'asile européen depuis plus d'une décennie.
Une seconde partie, actuelle et centrée sur l'Allemagne, en étudie les aspects juridiques et sociologiques. Une étude approfondie du droit d'asile allemand actuel, dans ses institutions, ses principes et à l'aide de cas concrets originaux, illustre le fonctionnement de la procédure d'asile administrative et judiciaire, lieu de compromis et d'incertitude. Puis une enquête empirique et des entretiens avec des demandeurs d'asile permettent de mieux cerner leurs expériences en Allemagne, avant de les confronter aux différents discours (médiatiques, politiques, administratifs, scientifiques et caritatifs) dont ils sont l'objet ; leur analyse révèle une polarisation grandissante autour de deux figures stéréotypées, le bon et le mauvais demandeur d'asile politique, incarnées par différentes nationalités. Une réflexion sur les enjeux sociaux représentés par leur accueil dans nos sociétés, en Allemagne en particulier, conclut cette étude.
Lire la préface d'Alfred Grosser
Pour citer cette ressource :
Cécile Prat-Erkert, "Les réformes récentes du droit de la nationalité : droit du sang et droit du sol en Allemagne", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), avril 2008. Consulté le 06/10/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/allemand/civilisation/civilisation/immigration-et-integration/les-reformes-recentes-du-droit-de-la-nationalite-droit-du-sang-et-droit-du-sol-en-allemagne