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Paolo Garimberti, Président de la RAI, parle de la citoyenneté européenne

Par Paolo Garimberti
Publié par Damien Prévost le 28/11/2011

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Intervention préliminaire au débat de Paolo Garimberti, Président de la RAI, lors du Forum Libé des 25, 26 et 27 novembre 2011. Le débat "L"européen existe-t-il ?" auquel a participé Paolo Garimberti a eu lieu le 25 novembre 2011. Vous trouverez une interview en italien que Paolo Garimberti a accordé à la Clé des langues à l'issue du débat.

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Écouter l'intervention de Paolo Garimberti :

https://video.ens-lyon.fr/eduscol-cdl/2011/2011-11-25_ITA_Garimberti_02.mp3

Transcription adaptée par Damien Prévost

Aujourd'hui les européens n'existent pas... pas encore. Je vais bien sûr clarifier ma pensée, mais je veux commencer tout d'abord par vous dire que je suis ravi d'être ici et de voir que, dans cette salle, il y a beaucoup de jeunes ce qui veut dire, au moins que les jeunes générations croient en l'Europe. Du moins, je l'espère. C'est un bon signe.

Pour répondre à la question qui m'est posée, je remonte loin : vous savez peut-être que l'on fête en Italie le 150ème anniversaire de l'Unité ; à l'époque, quelques années après sa réalisation, un homme politique, un intellectuel italien -Massimo D'Azeglio - avait dit : « La première nécessité pour l'Italie est de voir se former des italiens dotés d'un caractère grand et fort. Malheureusement, chaque jour qui passe nous conduit vers l'inverse. Malheureusement, on a fait l'Italie mais on ne fait pas les Italiens. » . Par la suite, la phrase s'est transformée en : « l'Italie ayant été faite, il faut faire les italiens ».

On en est aujourd'hui au même point, et cette question s'est posée quand ce que l'on appelle aujourd'hui l'Union européenne est née sous le nom de Communauté Européenne après le traité de Rome de 1957. À l'époque, faire les Européens était beaucoup plus simple car, au final, il s'agissait d'une petite communauté à six : il y avait la France, l'Italie, l'Allemagne et le Benelux. À six, il était relativement facile de créer à la fois un enthousiasme et un esprit européen parmi la population. Il faut se rappeler, qu'à la fin années 50 et au début années 60 régnait une atmosphère très spéciale, celle de la reconstruction de l'Europe après la guerre. En Italie, on parlait du boom économique, il y eut aussi les jeux olympiques de 1960 : il y avait un énorme enthousiasme pour tout ce qui concernait l'Europe. Par ailleurs, il y avait aussi des hommes politiques qui, à l'époque, croyaient beaucoup en l'Europe.

Mais, à partir des années 70 et précisément à partir de 1973, quand l'Angleterre est entrée dans la Communauté Européenne, les choses ont commencé à être un peu plus compliquées. Tout d'abord, car la Grande Bretagne a toujours été très particulière : on disait que, quand il y avait du brouillard sur la Manche, le continent était isolé... et, effectivement les Anglais ont toujours gardé un esprit très particulier et un peu de suspicion vis à vis de l'Europe et encore aujourd'hui puisqu'ils ne font pas partie de l'Euro. À ce moment-là, le citoyen européen a commencé à être un citoyen européen très spécial : il y avait bien sûr des citoyens européens très convaincus de l'être mais, il y avait aussi d'autres citoyens européens qui étaient moins convaincus de l'être. À cette époque, on était déjà à la recherche d'un esprit européen qui devait s'inspirer un peu de ce que pensaient les Pères de l'Europe : Monnet, Schuman, Spaak, De Gasperi, Adenauer. Retrouver cet esprit devenait de plus en plus difficile mais, on arrive à un moment donné à concevoir l'idée d'une monnaie unique et on commence à y travailler : on crée d'abord l'unité économique et après l'unité monétaire.

Je suis un journaliste - je suis président de Rai mais je reste journaliste - et surtout j'ai été journaliste pendant 40 ans et donc, j'étais à Maastricht en 1991 quand a été signé le traité. C'était une nuit assez spéciale où régnait un grand enthousiasme, même dans la salle de presse je me rappelle. On avait l'impression d'assister à un moment historique. Il était presque minuit quand, finalement, on a eu l'annonce que le traité avait  été signé. Mais, au même temps, c'est un symbole important, quelque chose s'est  passé dans ce qu'on appelait encore l'Union Soviétique : Eltsine, qui était le président de la république russe, avait envoyé un téléfax à Gorbatchev qui disait que la république russe sortait de l'URSS. D'un côté, vous aviez donc le traité de Maastricht signé dans un grand esprit communautaire très prégnant, et de l'autre, vous aviez l'Union Soviétique qui commençait à s'écrouler ; et l'on disait : « voilà l'Europe qui gagne et l'Europe qui devient de plus en plus forte » ; et, on disait dans le même temps : « si on fait l'Europe politique et monétaire, l'Europe politique suivra ». Ce n'a pas été le cas parce que, malheureusement, on s'est rendu compte très rapidement que l'Europe politique ne suivait pas.

J'ai un autre souvenir personnel d'un moment très important : il y avait un sommet européen à Lisbonne et à la sortie du sommet, un journaliste demande au président Mitterrand ce que l'on peut faire pour la Bosnie. C'était l'époque où la guerre faisait rage en Bosnie, il y avait des bombardements sur Sarajevo. Le journaliste lui demande également ce que fait  l'Europe pour la Bosnie.  Mitterrand répond qu'on ne peut rien faire car quand les moyens militaires manquent pour assurer une politique communautaire, on ne peut rien faire. Ce fut un très bon prophète. Immédiatement après cette question posée par ce jeune journaliste, Monsieur Mitterrand est parti pour Sarajevo : il y a accompli une mission solitaire pour Sarajevo, il a fait quelque chose de très courageux, de symbolique. Par là, il disait : « je suis là pour vous aider mais pour vous aider sur le plan moral et je ne suis pas là en tant qu'Européen mais, je suis là comme Français » et c'est bien là tout l'importance de ce symbole. En effet, ce n'est pas l'Europe qui a résolu le problème de la guerre en Ex-Yougoslavie mais, ce sont plutôt les États-Unis de Clinton qui, à un moment donné, ont convoqué à Dayton les trois leaders Milosevic, Izetbegovic, Tudjman, et leur dit « bien, vous ne ressortez pas de là tant que n'avez pas trouvé pas un accord ». C'était bien la défaite de l'Europe car c'était une guerre européenne au cœur de l'Europe, avec des symboles forts : Sarajevo et la Première Guerre Mondiale... L'Europe n'était pas capable de résoudre cette guerre car elle n'en avait ni les moyens politiques, ni les moyens militaires. On a donc vite compris que l'Union Européenne existait mais  qu'il s'agissait d'une Europe à deux voire trois vitesse peut-être : il y avait un noyau dur et ensuite, il y avait les autres qui étaient arrivés mais qui n'étaient pas complètement convaincus d'être une partie de l'Europe et d'être européens.

Aujourd'hui, nous en sommes à l'Europe des 27 et, à mon avis, tout cela est allé trop vite : j'étais bien seul quand je le disais quand je l'écrivais dans La Repubblica, le journal où j'écrivais à l'époque ; et je me souviens d'une rencontre  avec Romano Prodi - à l'époque président de la commission européenne - où je lui ai dit que je pensais qu'il commettait une erreur considérable. Celui-ci m'avait répondu qu'il était impossible de leur dire non car certains de ces pays venaient de sortir du communisme, qu'il s'agissait de pays satellites de l'Union Soviétique qui avaient besoin de retrouver le chemin de la démocratie et qu'il fallait prendre en charge. Cependant, les prendre en charge ne voulait pas dire qu'ils devenaient européens. Selon moi, que ce que l'on appelle la zone euro a quand même un certain esprit européen, même si je trouve qu'à 17 c'est déjà trop. J'y inclus même les Anglais qui demeurent en dehors de cette zone mais qui voudraient quand même y rentrer. Ils restent dehors pour des raisons que tout le monde connait et qui sont trop longues à expliquer (Blair voulait y renter, mais la bourse et les grands industriels anglais ont dit non).

Ceci dit, je crois que  la crise que l'on vit aujourd'hui en Europe, cette terrible crise qui n'est pas seulement celle de l'Europe,  cette crise mondiale, c'est un peu le moment de vérité pour comprendre si il n'y aura pas seulement une Europe, mais bien aussi un citoyen européen. Tout d'abord, car hier à Strasbourg, on a assisté à une rencontre à trois avec M. Sarkozy, Mme Merkel  et M. Monti, le nouveau  Président du Conseil italien qui a été commissaire européen pendant 5 ans, un commissaire très important car en charge de la concurrence : un rôle très important et un homme très respecté. M. Monti, étant un ancien commissaire avec un très fort esprit européen, a dit qu'il fallait revenir aux méthodes communautaires, c'est-à-dire laisser travailler la commission d'abord, mais aussi le parlement, même si ce n'était pas le moment parce qu'on avait besoin de se parler. Il est vrai que c'est compliqué une commission à 27 : moi, j'ai des souvenir de commission à 6 puis à 10 où c'était assez facile. Par ailleurs, il y a la question de langue car chacun veut parler sa langue dans la commission ce qui n'est  pas  possible car le travail de la commission doit être très rapide. Mario Monti, un jour, quand il était encore commissaire, me disait qu'au début, on parlait français et tout le monde parlait français ; ensuite, on a commencé à parler anglais ; et après, on a commencé à parler un peu allemand.  Et, de plus en plus, on parle allemand et, de moins en moins, on parle français et anglais : c'est vraiment un signe de la puissance de l'Allemagne et de l'impuissance des autres. Mais, travailler à 27, c'est très compliqué : si l'Europe réussit à s'en sortir, à sortir de cette situation de crise, si on rend plus flexible l'Allemagne et protège une peu plus l'euro, si on parvient à faire tout cela, si on arrive à retrouver un minimum de méthode communautaire,  je  crois que l'on peut faire les Européens aussi. Dans le cas contraire, on n'aura fait qu'une association, un grand club où chacun pratique son sport.

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Crédits photographiques : Maxime Roccisano, tous droits réservés.

 

Pour citer cette ressource :

Paolo Garimberti, Paolo Garimberti, Président de la RAI, parle de la citoyenneté européenne, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), novembre 2011. Consulté le 22/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/italien/civilisation/xxe-xxie/politique-italienne/paolo-garimberti-president-de-la-rai-parle-de-la-citoyennete-europeenne