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La fin de l'humanité comme utopie

Par Amélie Aubert-Noël : Normalienne et agrégée d'italien - ENS de Lyon
Publié par Alison Carton-Kozak le 05/01/2017

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Dans cet article, qui est une synthèse de son mémoire de Master 2, Amélie Aubert-Noël tente d'analyser au sein de quatre romans contemporains (Il pianeta irritabile de Paolo Volponi, Il re del magazzino d'Antonio Porta, Sirene de Laura Pugno et Guerra agli umani de Wu Ming 2) les rapports possibles entre une narration apocalyptique mettant en scène l'élimination concrète (voire désirée) de l'humanité et la persistance d'un élan utopique, d'un espoir en l'avènement d'un monde nouveau et meilleur.

Introduction

Notre travail part d'une interrogation sur les rapports possibles entre deux éléments à première vue contradictoires et inconciliables : l'imaginaire apocalyptique et la persistance récurrente au sein de ce dernier d'une dimension utopique. Nous avons plus précisément relevé, dans les quatre romans dont nous voulons proposer une brève lecture, un paradoxe pour le moins frappant, à savoir la possibilité que cette dimension utopique soit compatible avec l'idée d'une disparition complète de l'humanité, voire coïncide avec cette disparition.

Les œuvres prises en considération, que nous présenterons de façon plus précise au cas par cas, appartiennent à deux périodes de l’histoire et de la littérature contemporaine italienneproches mais bien distinctes : les deux premières, Il pianeta irritabile de Paolo Volponi et Il re del magazzino d’Antonio Porta, ont été publiées en 1978, tandis que Sirene de Laura Pugno et Guerra agli umani de Wu Ming 2 datent respectivement de 2007 et 2003. Cet écart chronologique implique naturellement une mise en perspective des questions abordées, dont la problématisation ne peut se faire qu’au sein d’un contexte historique et culturel ; ce travail est donc aussi l’occasion de s’interroger sur certaines des évolutions connues par le monde occidental, ses peurs et son imaginaire au cours des dernières décennies.

Avant d’entrer dans le vif du sujet en examinant les œuvres une par une, pour ensuite tenter de tirer des conclusions plus générales de leur analyse comparée, il peut être utile de décrire et de problématiser brièvement les deux termes du binôme inattendu qui est au centre de cette réflexion : l’imaginaire apocalyptique d’une part et le concept d’utopie de l’autre.

Les fantasmes "apocalyptiques" qui imprègnent aujourd’hui tous les domaines de la culture, s’ils ont pris une place centrale, sont loin de marquer une rupture mais se placent plutôt dans la continuité d’une longue tradition, d’origine éminemment religieuse. L’adjectif est dérivé par antonomase de l’Apocalypse de Saint Jean, qui termine le Nouveau Testament ; mais ce n’est là que le texte le plus célèbre d’un vaste filon qui s’est développé dans la culture juive post-exilique, que l’on retrouve dans la littérature grecque entre le deuxième siècle av. J.-C. et le deuxième après J.-C., et qui deviendra populaire surtout chez les premiers chrétiens. Le fond narratif est généralement une vision-révélation transmise à un homme qui propose l’annonce imminente d’un monde nouveau. L’apocalypse comme genre et comme thème reste par la suite une composante omniprésente de toute la culture occidentale, témoignant de la prégnance d’une vision eschatologique de l’histoire, c’est-à-dire une vision selon laquelle l’histoire humaine est orientée dans une direction bien précise, à savoir vers une période de violents bouleversements annonçant ou permettant l’avènement d’un état utopique éternel. Ce modèle téléologique, s’il a commencé à vaciller fortement à partir du second XXe siècle, est cependant loin d’avoir été complètement éradiqué.

La littérature dite "apocalyptique" – considérée comme un sous-genre de l’anticipation et donc de la science-fiction – qui connaît un succès toujours croissant depuis les dernières décennies du XXe siècle est la descendante profane de cette longue tradition, dont elle adapte la logique à la réalité contemporaine. Cette floraison s’explique d’abord par un fait bien simple : la prise de conscience par l’humanité de la possibilité de sa propre fin, incarnée de manière dramatiquement concrète dans la menace nucléaire qui a pesé sur les populations durant plusieurs décennies, à partir des deux explosions de Nagasaki et Hiroshima en 1945. L’imminence de cette menace s’est atténuée avec la fin de la guerre froide, sans disparaître pour autant, mais a été en grande partie remplacée par d’autres comme la menace terroriste, ou la menace écologique, qui nous intéresse particulièrement. Il existe en effet tout un pan de la littérature apocalyptique indissociable de la prise de conscience toujours plus vive des responsabilités de l’homme vis-à-vis de la planète et de l’ensemble des altérités avec lesquelles il cohabite, ainsi que des risques majeurs que l’activité humaine fait courir à l’ensemble du monde vivant (et donc à l’humanité elle-même qui en fait partie). Une étape importante de cette pensée attachée à reconnaître nos responsabilités et agir en conséquence a été représentée par la diffusion du concept d’", qui désignerait l’ère géologique (sur le modèle de l’holocène) dans laquelle l’activité des humains est devenue la force majeure de transformation agissant sur la terre et son atmosphère (Crutzen, 2005). La pensée écologique implique en soi une remise en question de l’anthropocentrisme, de matrice essentiellement judéo-chrétienne, autour duquel s’est construite la culture occidentale, et une attention nouvelle portée aux altérités, en particulier animales, avec lesquelles nous cohabitons et interagissons de manière bien plus profonde, voire qui pourraient se révéler essentielles à la construction de notre identité (Marchesini, 2007).

Les narrations apocalyptiques que nous prendrons en considération, tout comme la science-fiction de qualité, loin des blockbusters misant essentiellement sur le pseudo-réalisme scientifique et le spectaculaire, ne doivent pas faire l’objet d’une lecture "prophétique". Elles visent en effet moins à annoncer un futur possible ou probable qu’à proposer, à travers des déplacements de perspective relevant du "cognitive estrangement" que Darko Suvin identifie comme mécanisme fondamental de l’écriture science-fictionnelle, une critique de la société présente, censée se refléter sur elle et contribuer à sa transformation dynamique (Suvin, 1972).

Cela nous amène à évoquer brièvement les rapports entre science-fiction et utopie, étudiés de façon particulièrement approfondie par Fredric Jameson et Tom Moylan. Le premier théorise avant tout la distinction, récurrente parmi les études sur l’utopie qui se sont multipliées depuis quelques décennies, entre l’utopie comme genre littéraire fermé, tendant à imaginer le programme totalisant d’une société radicalement antithétique par rapport à l’existant, et l’utopie comme "élan" (aussi appelée utopisme), comme perturbation présente de façon aussi indistincte qu’omniprésente dans tous les domaines de la vie humaine (Jameson, 2007, 26-29). Il voit en Ernst Bloch, auteur de l’énorme somme de réflexions sur l’utopie intitulée Le principe Espérance, le plus grand spécialiste et défenseur de ce second filon, qui nous intéresse au premier chef pour l’analyse de nos quatre romans. Aucun de ces derniers, en effet, ne peut être considéré comme appartenant au genre de l’utopie littéraire, et il s’agit même dans l’ensemble de textes extrêmement sombres, mais tout l’enjeu de notre travail consiste à chercher en leur sein l’étincelle utopique, l’espoir peut-être informe mais non moins puissant d’une possible renaissance future. Nous ajouterons, avant d’entrer dans le vif du sujet, que deux au moins de ces œuvres peuvent également être éclairées par la prise en compte de ce que Tom Moylan appelle "utopie critique" : selon lui, en effet, l’utopie aurait subi à partir des années soixante-dix un profond infléchissement, qui l’a portée vers une dimension toujours plus auto-réflexive, toujours plus consciente des limites de la tradition utopique. Il va jusqu’à affirmer qu’il a fallu "détruire l’utopie pour la sauver", autrement dit opérer une déconstruction des codes du genre pour l’adapter au relativisme contemporain, et en particulier renoncer à la clôture qui, comme nous l’avons dit, était sa principale caractéristique (Moylan, 2014, 48).

1. Il pianeta irritabile : le renversement anti-humaniste de l’utopie

Le roman paru en 1978, s’il a une place à part au sein de la production littéraire de Paolo Volponi, constitue en un sens l’aboutissement le plus radical de son parcours d’homme et d’intellectuel : en effet, après des débuts optimistes liés à sa participation au projet d’Adriano Olivetti de construire une vie d’entreprise communautaire et participative, sa vision est devenue de plus en plus sombre, et il a exploré dans des œuvres aux qualités expressives indéniables et d’une grande originalité l’aliénation de l’homme par le travail et les conséquences sociologiques et psychologiques de la société industrielle au sens large. On arrive dans Il pianeta irritabile à des conclusions certes non « réalistes », mais d’une violence inouïe : la Terre, dans un futur assez lointain, se trouve ravagée par des guerres nucléaires successives, et l’humanité, tenue pour unique responsable de la destruction de la planète, est pointée du doigt comme l’ennemi numéro un de l’ensemble des êtres vivants.

L’histoire s’attache à suivre les pas de quatre personnages liés par le fait d’avoir longtemps travaillé dans le même cirque : un éléphant féru de littérature et de philosophie, un babouin colérique qui prend la direction du groupe, une oie savante, et enfin le nain Mamerte, représentant difforme de l’espèce humaine presque disparue. Le récit alterne entre des analepses plus ou moins longues décrivant l’univers dystopique qui a précédé l’ultime catastrophe nucléaire et la narration de leur voyage vers un lieu utopique imprécis. Le voyage est scandé par une succession d’affrontements avec les différents êtres vivants qu’ils rencontrent, censés préparer la lutte finale contre l’ennemi ultime, nécessaire à l’avènement du « règne » du singe Epistola.

Le roman se caractérise essentiellement par un mélange constant des genres et des registres. Les descriptions du monde tel qu’il était avant la destruction totale, avant tout, sont faites sur le mode de la parodie, la dystopie se présentant en grande partie comme une pure et simple déformation du présent de l’auteur : la situation géo-politique, dominée par deux camps dépeints de façon aussi grotesque l’un que l’autre, renvoie en effet sans la moindre ambiguïté possible à la guerre froide. Bruno Pischedda décèle aussi de nombreuses références à la situation italienne contemporaine et notamment à la stratégie du compromis historique mis en œuvre par Berlinguer (2004, 280). Un autre élément clef de la satire est le cirque pour lequel travaillaient les personnages : il devient l’allégorie d’un certain nombre d’aspects aliénants du monde contemporain, en particulier de sa bureaucratisation extrême et tendant parfois à l’inutile voire au ridicule. On peut citer à cet égard l’épisode significatif où les chiens du cirque, s’étant insurgés contre leurs conditions de travail, obtiennent une série de mesures vides de sens, qui suffisent cependant à les apaiser :

In margine a tale provvedimento i cani chiesero e ottennero: A, la qualifica di dirigenti; B, all’interno della quale sarebbero stati creati almeno quattro livelli o fasce; C, secondo uno schema organizzativo e un mansionario che avrebbero loro stessi preparato e proposto con l’assistenza tecnica del cassiere e dello spegnitore di candele a colpi di pistola (Volponi, 1978, 75-76).

L’autre plan temporel du roman est le présent de l’histoire, celui de la fin du monde. Il est dominé par un registre très différent, bien que l’humour soit loin d’en être absent : il doit être lu essentiellement comme le récit d’un voyage allégorique sur le modèle dantesque (auquel l’éléphant fait d’ailleurs de nombreuses références explicites), durant lequel les personnages traversent différents "mondes" étranges et oniriques et affrontent des épreuves qui apparaissent comme autant d’étapes d’un parcours orienté vers un objectif ultime. L’ennemi final, le gouverneur surnommé "Moneta", incarne explicitement l’humanité dans ce qu’elle a de plus nocif et de plus vulgaire, et sa défaite est celle du capitalisme et en général de l’histoire humaine marquée par le règne de l’argent, qui a fini par remplacer toute valeur et tout idéal.

Le parcours est donc, concrètement, celui d’un dépassement de cette domination de la planète par les hommes, responsables de sa destruction ; en ce sens, on peut parler d’une véritable utopie anti-anthropocentriste, qui par de nombreux aspects rappelle le Leopardi des Operette morali (Papini, 2007, 173). Ce dépassement, voire cette éradication de l’humanité, a cependant lieu avant tout à l’intérieur même de l’un des personnages, le nain Mamerte. Ce dernier, qui est déjà en quelque sorte hybride dès le début du roman du fait de ses déformations physiques, devra en effet abandonner peu à peu tout ce qui fait de lui un être humain et le différencie de ses compagnons ; en particulier, il devra peu à peu se libérer de son attachement jugé aliénant à la mémoire, et aux objets concrets qui l’incarnent ; cette évolution culmine dans la scène finale, où on le voit sortir de sa poche le poème offert par la "sœur de Canton", l’amante connue à l’hôpital dont il a toujours chéri le souvenir, pour le déchirer et le partager avec ses amies, transformant la relique mémorielle en nourriture tout à fait matérielle.

La dimension utopique du texte reste vague ou du moins sujette à diverses interprétations. Sa formulation la plus claire se trouve dans des discours formulés par l’éléphant Roboamo vers la fin du roman :

Nessun animale ripete : ciascuno invee è sempre nuovo perché sa di andare con ogni gesto e anche insieme con ogni altro verso la sua finalità. La finalità è la vita.

La vita è fatta come a ogni specie piace di farsi la vita. La vita è comunque dentro e fuori ciascuno di noi e la viviamo parte o tutta sempre con lo stesso rispetto.

Abbiamo deciso da tempo di smettere di ragionare sulla nostra sensibilità agli stimoli al fine di evitare alla stessa sensibilità di distinguersi da noi e di culminare in vita interiore. Seguitiamo a non distinguere e a non catalogare proprio per non dividere e per non confondere la vita. (Volponi, 1978, 160)

Le "royaume" recherché par les voyageurs ne désigne donc pas une utopie au sens traditionnel, mais plutôt un point de non-retour, une zone de frontière où s’épuise leur capacité à donner un sens à leur vie ; cette absence de sens est liée à la priorité accordée à la vie pure, absolue. L’élimination de l’humanité qui est présentée comme désirable n’est donc peut-être pas à prendre à la lettre, quoique la violence écologique du roman soit indéniable : l’utopie aussi vague que largement régressive pourrait aussi être celle d’une humanité capable de renverser radicalement son mode de vie actuel pour atteindre une existence nouvelle, essentielle et dépouillée des vices de la société détruite. 

Enfin, on peut citer une figure particulièrement originale, qui incarne une dimension utopique différente, plus spécifiquement poétique : celle d’Idelcditu, "l’Imitateur du Chant de Tous les Oiseaux". Ce dernier se fait le porteur d’une dimension d’espoir, restituant pour les habitants de ce monde désormais privé de nature les chants des oiseaux, depuis longtemps disparus et tombés dans l’oubli. Il apparaît donc comme l’allégorie de la foi en une poésie capable de rétablir un rapport avec la nature, indispensable non tant pour des raisons écologiques que pour des raisons philosophiques et existentielles, nécessaires au salut d’une humanité autrement destinée à mourir avec son univers. En ce sens, il est possible de lire Il pianeta irritabile, plus que comme une utopie communiste ou anti-humaniste, comme une "utopie de l’utopie", une affirmation pure de la possibilité et de la nécessité même de l’utopie comme refus de l’homogénéisation au système et promotrice de la différence radicale, passant à travers la célébration de la poésie comme lieu de résistance privilégié.

2. Il re del magazzino : une utopie poétique et sacrificielle

Il re del magazzino, même s'il est présenté comme un "roman", est un produit typique du processus d'hybridation qui se trouve au cœur de la création portienne. Il prend avant tout la forme d'un journal, celui d'un intellectuel qui se retrouve absolument isolé à la suite d'une série de catastrophes qui ont conduit à l'effondrement de la société humaine, en Italie et vraisemblablement sur l'ensemble de la planète. Le cadre est donc littéralement post-apocalyptique, et les pages du journal alternent narration des efforts du narrateur pour survivre en autarcie et souvenirs des événements collectifs de l'année écoulée qui ont conduit à la situation désastreuse actuelle. L'entrepôt – le "magazzino" du titre – synthétise par un jeu de polysémie subtil, quoique assez typique du genre, ces deux lignes narratives, l’une relevant du survival, l’autre plus proche des genres de l’anticipation et de la dystopie : il s'agit, d'une part, du lieu bien concret qui fournit pendant un certain temps les provisions et les instruments nécessaires à la subsistance du narrateur, inapte comme la plupart de ses contemporains à la survie en pleine nature ; et, d'autre part, du symbole de la mémoire  (collective et individuelle) qui est peut-être l'objet central du livre, si l'on en juge par la quantité et la longueur des analepses qui l'émaillent.

Ce point nous renvoie à un autre élément qui ressort particulièrement à la lecture : le narrateur et personnage principal, en dépit de son isolement (brisé uniquement par de rares et brèves rencontres), apparaît comme une incarnation de la figure du poète, et affiche dans de nombreux passages méta-poétiques une conception de l’écriture construite autour de l’idée centrale de communication. Il est celui qui a pour tâche, dans un monde dévasté où la culture sous toutes ses formes n’a plus sa place, où les rares humains survivants tendent à régresser vers une condition primitive voire animale, de témoigner des événements qui ont conduit à cet état de fait, mais aussi de montrer que ces derniers ont découlé logiquement des violences et des corruptions souvent cachées, mais pas moins inhérentes à la précédente société capitaliste. L’écriture, qu’elle soit poésie inspirée par les pires faits divers ou fiction apocalyptique, est donc l’instrument privilégié de la critique, de la dénonciation, et avant même cela de l’analyse et de la compréhension ; la dimension d’espoir du roman réside donc avant tout dans l’existence même d’une figure encore capable de consigner par écrit expérience, témoignage et pensées pour les êtres humains qui viendront après lui. C’est ce que suggère la lettre d’"information" placée au début, attribuée à un homme qui aurait trouvé le cahier du narrateur après sa mort et en aurait tiré un enseignement utile ; il relève en particulier et fait sienne la phrase "farò tutto nuovo" qui se trouve dans l’une des dernières pages.

L’utopie, dans ce texte pourtant très sombre, est présente à plusieurs niveaux différents. On en trouve d’abord une thématisation explicite, qui débouche sur le constat de son impossibilité concrète, lorsque le narrateur découvre la disparition d’une petite communauté autonome qui avait tenté de relever le défi d’échapper au système. En général, le premier niveau de lecture indique la volonté de la part de Porta de montrer les espoirs utopiques comme à la fois récurrents (voire inévitables, ils pourraient être une caractéristique intrinsèque de la vie humaine) et systématiquement voués à l’échec.

Il nous semble cependant voir également une possible utopie, plus diffuse et plus indéfinissable, dans les derniers jours mêmes du narrateur, notamment dans l’espoir qu’il nourrit un moment de réussir enfin à "vivre" réellement et non plus à "se regarder vivre". Cet espoir de parvenir à une modalité d’existence plus pure, plus simple, fait long feu, puisqu’il se rend vite compte de son incapacité totale à abandonner cette dimension réflexive qui est le propre de la vie humaine. 

Outre cet aspect régressif qui apparaît comme la forme privilégiée et incontournable de l’utopie, la possibilité d’une sorte de régénération est aussi et surtout associée à la figure inquiétante du "garçon-loup" qui apparaît vers la fin du roman. Le fait que cet être hybride survive au narrateur, produit typique de la société passée, pourrait indiquer symboliquement que la régression ou l’évolution vers une condition animale ou presque animale serait la seule alternative souhaitable à la mort. Plus généralement, la mort du narrateur-poète semble être la condition nécessaire qui pourrait permettre un renouvellement de l’humanité : la tâche de construire le futur doit être confiée à une génération nouvelle et radicalement différente, tandis que les représentants de la génération précédente, donc de l’ancienne société qui s’est effondrée du fait de sa propre corruption, s’auto-éliminent en une sorte de purification (sinon de punition).

La régénération souhaitée est aussi présentée comme devant advenir à l’intérieur même du personnage : on trouve plusieurs évocations d’une "transformation" imprécise, nécessaire et synonyme de renaissance. Cette dernière est cependant renvoyée "in un’altra vita"(Porta, 1978, 110) : autre vie qui est certes l’équivalent d’une pure impossibilité, mais on peut également lire avec les critiques John Picchione et Luciana Marchionne Picchione le roman comme une revisitation littéraire de la transsubstantiation, consistant à changer et sauver les lecteurs futurs grâce à l’ingestion du poète sacrifié (1980, 80-81).

Par ailleurs, l’élan utopique et l’espoir en une renaissance au milieu des ruines sont indissociables de la littérature en tant que telle ; et cette hypothèse de lecture ferait coïncider Il re del magazzino avec le parcours poétique de Porta, qui finit par dépasser la vision extrêmement sombre et violente du monde émanant de ses œuvres précédentes pour parvenir à la "construction d’une conception-jardin", selon les termes du critique Giuliano Ladolfi, dans la section "Airone" du recueil Il giardiniere contro il becchino (2002, 25). L’oiseau-poésie y apparaît comme à la fois menaçant voire porteur de mort, et chargé d’une force extraordinaire d’espérance et de régénération :

e ormai morte sei solo
che nasce dalla mia morte
e un vagito violento resiste
e nessuno ci credeva più
ma un riso subito risuona
e rimbalza su di noi
acqua scroscia dalla collina…

(Porta, 1988, 87).

3. Sirene : l’hybridisme, cauchemar ou utopie ?

Nous avons déjà observé dans les deux premiers romans un renversement anti-anthropocentrisme de l’utopie, imputable à un déplacement de perspective plus global sur la place des hommes dans le monde et leurs responsabilités. Cela se fera sentir de manière plus explicite encore dans les deux autres œuvres, écrites dans les années 2000, c’est-à-dire à une époque où la thématique écologique, mais aussi les problèmes éthiques auxquels renvoient nos interactions avec l’autre animal, ont connu un essor remarquable et peuvent se trouver placés en tant que tels au centre d’écrits aussi bien narratifs que philosophiques ou politiques. Dans cette lignée, Sirene de Laura Pugno constitue un approfondissement intéressant et particulièrement actuel de telles thématiques, et surtout de la problématique de l’hybridisme, déjà présenté chez Porta comme la seule solution possible au déclin de l’humanité. 

L’histoire se déroule dans un monde futur dystopique ; on peut d’ailleurs estimer que, comme souvent en science-fiction, l’objet principal du livre est moins le déroulement de l’intrigue et le destin des personnages principaux que l’univers imaginé par l’auteure, décrit progressivement, à travers de nombreuses incises et analepses. Dans ce futur d'une grande noirceur, la pollution atmosphérique a fini par avoir un tel impact que les rayons du soleil sont devenus mortels pour l’humanité, provoquant une épidémie mondiale de cancers mortels (le "cancro nero"). Les plus démunis, ne pouvant se protéger, ne peuvent qu’attendre la maladie et la mort, tandis que les plus riches, notamment les membres de la yakuza, mafia japonaise qui a su profiter du désastre pour asseoir son emprise, se réfugient dans une ville sous-marine appelée Underwater. La yakuza est également maîtresse de l’élevage et du trafic illégal des sirènes, créatures marines dont on a découvert l’existence de manière très tardive. Les sirènes sont vues comme des animaux à part entière, aux mœurs féroces, incapables de comprendre ou de parler le langage humain, mais dont la description est marquée par la plus grande ambiguïté. Elles sont doublement exploitées, la plupart étant destinées à l’abattage, en vue de produire la "viande de mer", aliment considéré comme très raffiné, auquel on prête également des vertus aphrodisiaques ; les plus "chanceuses" (c’est-à-dire celles qui sont stériles) survivent à l’abattage, mais seulement pour être envoyées dans des "bordels" où elles font les délices des dirigeants yakuzas. Le moment où leur bestialité s’exprime librement est celui de la fécondation : les sirènes femelles, aussitôt après l’accouplement, massacrent et dévorent en partie les mâles, dont l’apparence est proche de celle du dugong.

Leurs traits vaguement anthropomorphes rendent difficile leur identification comme une espèce totalement différente, et inspirent à de nombreux hommes une fascination ambiguë. Cette oscillation dérangeante entre une nature purement animale et des caractéristiques humaines est renforcée par des parallèles constants entre les sirènes et la bien-aimée du personnage principal, la jeune Sadako, morte un an auparavant du cancer noir ; parallèles d’ailleurs explicitement thématisés à travers l’amour de celle-ci pour les sirènes et la description de ses dernières semaines de vie, qu’elle passe plongée dans la baignoire, entièrement couverte par un costume de sirène. L’originalité et le caractère dérangeant de Sirene résident donc dans la réutilisation de la figure éponyme et de la force de suggestion du mythe pour opérer une sorte de fusion ambiguë entre deux altérités : altérité féminine et altérité animale, montrées toutes deux comme les victimes d’une infinité d’injustices et de violences inacceptables. Cette dénonciation se fait cependant tout en finesse : elle passe non par des assertions dogmatiques, mais par la construction d’une nébuleuse de thèmes et d’images échappant à toute interprétation univoque, capable de provoquer chez le lecteur des questionnements fondamentaux.

Le personnage principal, Samuel, est lui-même marqué par une profonde ambivalence : il travaille dans un élevage de sirènes, et se montre indifférent au sort atroce qui leur est réservé, et auquel il participe activement. Un jour, poussé par le désespoir mais aussi par une fascination qu’il ressent depuis longtemps, il parvient à se substituer à l’un des mâles au moment de la fécondation et à copuler avec une sirène "semi-albinos", c’est-à-dire d’apparence encore plus humaine que les autres. Contre toute prévision, car la reproduction inter-espèces est censée être impossible, cette union donne quelques semaines plus tard naissance à une sirène hybride, Mia, que Samuel tentera, suivant des motivations aussi troubles pour lui-même que pour le lecteur, de soustraire à la loi impitoyable de la yakuza. Mia devient l’incarnation de la tension entre les deux pôles de l’animalité et de la féminité, et tout l’enjeu de l’intrigue réside dans la possibilité ou non pour Samuel de la sauver de la yakuza d’une part, et d’autre part de réussir à entrer en communication avec elle. Ce second aspect, qui semble un temps être porteur de la dimension utopique du roman, aboutit à une déception presque totale. Par ailleurs, on trouve aussi l’idée explicite que la disparition pure et simple de l’humanité serait le seul espoir de salut, mais elle est discréditée car placée dans la bouche de personnes présentées comme des fanatiques. L’autre éventualité est celle de l’hybridation, qui permettrait à l’humanité de vaincre le cancer noir, puisque les sirènes sont immunisées ; mais il est évident que la mafia récupérerait une telle logique pour la transformer en un trafic lucratif et aucunement éthique.

L’unique espérance, pour le moins légère au sein d’un tableau aussi sombre, réside dans le dénouement : Samuel parvient à libérer Mia dans l’océan au prix de sa propre vie, et finit par servir de nourriture à sa fille… et amante non consentante, qu’il a entre-temps mise enceinte à son tour et qui accouchera d’une sirène aux trois quarts humaine. L’espoir perceptible est donc essentiellement anti-anthropocentrique : ce qui est naturel et sauvage doit le rester. En outre, si l’on pense avec Stefania Scateni l’asservissement des sirènes symbolise la volonté de contrôler "tout ce qu’il reste de sauvage, de sensuel, d’imaginaire, de réellement libre" (Scateni, 2007), l’évasion finale réaffirmerait la persistance de cet espace de liberté qui, ajoutons-le, est l’essence même de la littérature.

4. Guerra agli umani : le sacre de l’auto-dérision

Wu Ming 2, de son vrai nom Giovanni Cattabriga, est membre du collectif bolonais Wu Ming (anciennement Luther Blisset), auteur entre autres du roman historique à succès Q, et d’une réflexion théorique sur certaines tendances de la littérature contemporaine, qu’il rassemble sous le concept de New Italian Epic. Ces tendances permettent d’éclairer en partie les choix narratifs observables dans le roman Guerra agli umani, à commencer par un hybridisme des formes des contenus, motivé par la volonté affichée de puiser dans tous les matériaux utiles pour la construction de l’histoire. On retrouve également un travail sur les points de vue, se manifestant dans leur variété – on passe d’un narrateur homo-diégétique, Marco, à différents personnages suivis par une narration à la troisième personne – et dans leur caractère souvent marginal voire non humain, puisque l’on suit même à un moment le point de vue d’un sanglier blessé poursuivi par des chasseurs. Mais ce quatrième roman se distingue essentiellement des précédents (surtout des deux premiers, bien plus expérimentaux et difficiles d’accès) par sa dimension délibérément mainstream : il se présente comme un récit susceptible d’être lu avec facilité et plaisir par un public très large, affichant notamment un ton souvent humoristique, une intrigue complexe et haletante ainsi qu’une palette de personnages attachants, avec lesquels le lecteur peut s’identifier à son aise.

L’histoire est divisée en plusieurs trames parallèles qui finissent par converger. L’une d’elles met en scène un trafic de chiens et d’immigrés clandestins destiné à proposer des combats sanglants pour des spectateurs avides de violence. Le traitement similaire réservé aux canidés et aux Nigériens obligés à combattre dans l’espoir d’obtenir des papiers en règle constitue un mécanisme assez semblable à celui que l’on a relevé dans Sirene, établissant un parallèle entre l’exploitation humaine et l’exploitation animale, qui vise moins à mettre les deux types d’injustice sur le même plan qu’à les intégrer dans la dénonciation globale des atrocités commises au sein de la société contemporaine.

D’autre part, le roman développe une vaste critique écologiste et anti-capitaliste à travers le personnage principal, Marco, qui décide d’aller vivre seul dans une grotte, avec l’espoir de fonder à terme une véritable communauté "troglodyte". Si les allusions à l’utopie sont constantes, le caractère irréalisable de cette dernière transparaît toujours plus au fil du texte, notamment dans l’auto-dérision constante avec laquelle le narrateur commente ses propres difficultés à survivre de façon autarcique dans la nature et à se libérer de toute dépendance à la technologie. Il se montre aussi et surtout incapable de convaincre qui que ce soit de le rejoindre dans son entreprise, jugée presque unanimement folle et inutile. Son histoire aboutit donc au constat que la seule utopie possible aujourd’hui est fondamentalement personnelle : il s’agit d’un engagement réel, mais dont la radicalité consiste plus dans le refus pour soi de l’aliénation à la société capitaliste que dans une volonté de faire changer les choses à une vaste échelle.

L’autre versant de la réflexion sur l’utopie est incarné par les figures pour le moins radicales des trois jeunes "écoterroristes", qui de la lutte contre la chasse abusive des sangliers en arrivent à formuler l’idée que la seule solution aux maux de ce monde réside dans l’élimination de l’humanité, par exemple au moyen d’une épidémie. Cette utopie renversée, inspirée par un obscur roman de science-fiction lu par l’un d’entre eux, est une fois de plus attribuée à des personnages fanatiques, donc disqualifiée d’office ; mais on peut y voir une sonnette d’alarme, un indicateur du seuil de gravité depuis longtemps atteint par la problématique environnementale, tout autant qu’une manifestation de la tendance à l’auto-flagellation et à l’attente du châtiment qui prime souvent sur la recherche de solutions concrètes aux problèmes causés par l’action humaine.

On trouve donc bien dans Guerra agli umani une forme diffuse de ce que l’on a appelé utopie critique : le récit tout entier pointe du doigt la difficulté voire l’impossibilité de mettre en place un système idéal et infaillible, affirmant en revanche la nécessité de maintenir vivace la volonté de lutter pour un monde meilleur, à notre niveau, en restant lucides quant à nos limites et imperfections.

Conclusion

L’hétérogénéité de notre corpus ne nous a pas empêchés d’y déceler un certain nombre de points de convergence, qui nous semblent indicateurs de certaines tendances de la littérature contemporaine. Avant tout, les quatre romans se caractérise par un hybridisme des formes et des contenus qui répond à une mise en question de la question du genre, à une affirmation de la liberté fondamentale de l’auteur, qui peut et doit puiser à toutes les techniques et tous les matériaux utiles à son projet, sans rester enfermé dans le carcan des normes préétablies. Ce corpus nous amène en outre à revoir la notion même de "paralittérature" : les genres, y compris la science-fiction et l’anticipation, possèdent des atouts propres qui ont beaucoup à apporter à la littérature, et ne méritent pas d’être exclus en bloc du canon littéraire.

Concernant le binôme conceptuel qui était à la base de notre travail, son caractère de complémentarité paraît désormais évident : l’apocalypse (à la différence de la catastrophe), loin d’exclure la possibilité d’une renaissance, en est la condition même, puisqu’elle n’est rien d’autre que l’effondrement du monde existant censé laisser la place à un nouvel ordre des choses. Les fins du monde imaginées dans nos œuvres, en outre, doivent être prises à la fois au sens littéral, comme des situations narratives concrètes préfigurant le possible aboutissement du cours actuel de l’histoire, et dans un sens plus métaphorique, comme l’image transfigurée des crises historiques observées dans le présent par les auteurs. En dépit de choix très différents à tous les niveaux (registres, temporalité, forme même de la narration), chacune des œuvres ne parle en fin de compte que de la réalité contemporaine de l’auteur dont elle cherche à dénoncer les vices et les dangers ; on y retrouve d’ailleurs des positionnements politiques et éthiques en grande partie similaires.

Notre question de départ était celle du rapport entre la critique et la radicalité des solutions proposées : les récits oscillent entre une réflexion réelle sur l’utopie, sur la possibilité de changer concrètement les choses, et une certaine forme de nihilisme franchement anti-humaniste (plus qu’anti-anthropocentriste). L’idée de représenter la fin de l’humanité et surtout de la souhaiter est d’une violence sans égale, et ne peut apparaître comme une solution envisageable, tout en étant l’aboutissement logique d’une certaine pensée écologique et d’une certaine analyse de l’histoire humaine. D’autre part, l’alternative représentée par une pure régression vers un mode de vie primitif ne s’avère pas plus prometteuse pour l’avenir. Tout cela concourt à dessiner une conception de l’utopie se définissant surtout par la négative, par la dénonciation et la suppression des éléments considérés comme à la source de tous les maux, plus que par des propositions réalistes d’amélioration du sort commun. On en revient donc à la nature de l’utopie telle qu’elle est contenue dans le terme même, autrement dit à l’association indispensable en elle des idées de perfection et d’impossibilité.

À cet égard, nous avons pu observer dans tout le corpus un cheminement complexe, concentrant des caractéristiques de l’utopie réflexive contemporaine. La possibilité même de l’utopie est niée, montrée comme dépassée et emplie de contradictions ; et pourtant, elle fait partie de la nature humaine et le rêve d’un futur meilleur reste nécessaire, même si – et parce que – sa réalisation semble aujourd’hui impossible. En effet, la persistance même de l’élan utopique constitue en soi une résistance infiniment subversive à la vision du système actuel comme inévitable ; et, pour vain qu’il soit à un niveau immédiat, cet élan possède plus que jamais une fonction essentielle : celle de préserver un terreau fertile pour préparer les conditions du changement futur.

Références bibliographiques

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Pour citer cette ressource :

Amélie Aubert-Noël, "La fin de l'humanité comme utopie", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), janvier 2017. Consulté le 19/04/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/italien/litterature/periode-contemporaine/la-fin-de-l-humanite-comme-utopie