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« Y » « en » a-t-il ? Fiche contrastive de deux pronoms français sans équivalents espagnols

Par Olivier Brisville-Fertin : Maître de conférences - ENS de Lyon
Publié par Elodie Pietriga le 25/09/2024

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Le français compte deux pronoms compléments que l’espagnol contemporain ne possède plus : « en » et « y ». Ils constituent donc une difficulté de l’apprentissage de l’espagnol pour des francophones et un point de grammaire classique de l’exercice de thème, car comment traduire un pronom quand son strict équivalent n’existe pas ? Pour expliciter le titre de cette fiche contrastive, quelles sont les traductions et expressions en espagnol pour « en » et « y » ?
 

Nuage de mots autour des pronoms ou adverbes pronominaux « en » et « y ». © La Clé des Langues.

Nuage de mots autour des pronoms ou adverbes pronominaux « en » et « y ».
© La Clé des Langues.

I. Présentation

1. Français

« En » et « y » sont des pronoms particuliers en français car, quel que soit le référent qu’ils reprennent (singulier, pluriel, masculin, féminin), ils restent invariables (d’où une appellation ancienne d’adverbes pronominaux).

Ce sont des pronoms indirects qui reprennent des compléments prépositionnels : « en » pronominalise des groupes introduits par la préposition « de » et « y » des groupes généralement introduits par « à », mais également d’autres prépositions locatives, comme « dans », « sur », « en », etc.

Pouvant reprendre différents compléments, « en » et « y » peuvent donc avoir des fonctions grammaticales diverses, ce qui les distinguent également d’autres pronoms compléments ((Historiquement, « en » et « y » sont les évolutions d’adverbes locatifs latins qui renvoient au lieu d’origine, inde, ou au lieu où l’on est, ibi, de là leur association avec les prépositions « de » ou « à ».)).

2. Espagnol

Des pronoms similaires à « en » et « y » sont absents du système de l’espagnol contemporain ((Les lemmes « ende » et « y » sont marqués comme désuets dans la 23e édition du Diccionario de la lengua española de la RAE en ligne : [https://dle.rae.es/]).)). Les adverbes pronominaux locatifs « y » et « en(de) » existaient en castillan médiéval, avant qu’ils ne tombent progressivement en désuétude à la fin du Moyen Âge ((Des traces de ces morphèmes demeurent aujourd’hui dans la langue : pour « y », au présent de l’indicatif, dans la forme impersonnelle présentative de haber (hay) et dans les autres terminaisons à coalescence de la première personne du singulier d’ir, ser, estar et dar ; pour « ende », dans la locution adverbiale de conséquence por ende.)).

Pour autant, l’espagnol n’a pas les mêmes ressources morphologiques et recourt donc à d’autres moyens pour pronominaliser des compléments indirects.

II. Fonctionnement

« En » et « y » reprennent des compléments de la phrase ou compléments circonstanciels, du groupe verbal ou du groupe nominal.

1. Des compléments de lieu

a. Français

« Y » reprend un syntagme introduit par « à » — ou d’autres prépositions locatives comme « dans », « en » « sur », « vers », « chez » — qui serait soit un complément circonstanciel de lieu soit un complément verbal (COI) de site ou de destination ((Quoique la grammaire française traditionnelle ne fasse pas la distinction entre le complément circonstanciel et certains compléments d’objet indirect, cette fiche la reprend — dans le sillage de la Grammaire méthodique du français (Riegel, Pellat & Rioul, 2004, § 1.4.3.) et de la Grande grammaire du français (Abeille & Godard, 2021, § IX-5.3.1) —, car elle est d’intérêt en vue de la comparaison avec le système espagnol, et notamment pour les compléments prépositionnels : « L’identification du c.o.i. est d’autant plus délicate que la plupart des compléments circonstanciels sont aussi introduits par une préposition. On appliquera donc (à l’envers) les différents critères qui permettent de reconnaître ces derniers comme des constituants périphériques de la phrase, et donc extérieurs au groupe verbal (voir Riegel, Pellat & Rioul, 2004, § 4.5.1 et 4.5.4). Le critère décisif reste l’existence d’un double rapport de dépendance avec le verbe : rapport sémantique, puisque le c.o.i. est un véritable actant dont le rôle sémantique, complémentaire de celui du sujet, est appelé par le sens du verbe. De même que le verbe obéir implique un second actant auquel le premier conforme sa conduite, le procès dénoté par le verbe de mouvement parvenir suppose un aboutissement (Il est parvenu au/jusqu’au sommet) ; rapport syntaxique, puisque le verbe contrôle la construction du complément dont il détermine dans la plupart des cas la préposition introductrice (obéir et parvenir se construisent obligatoirement avec à, profiter et se méfier avec de). Les compléments locatifs se signalent par la variabilité de la préposition (aller à / dans / vers / sous / sur / derrière, etc.) qui reste toutefois confinée à l’intérieur d’un paradigme restreint commandé par le sens du verbe (*aller pour / selon) », (Riegel, Pellat & Rioul, 2004, § 1.4.3, p. 223).)) :

CC de lieu : Il dort à Paris. → Il y dort. | Il mange bien chez ses grands-parents. → Il y mange bien.

COI : Je vais à l’école. → J’y vais.

« En » pronominalise un complément circonstanciel ou complément d’objet indirect d’origine ou de provenance introduit par « de » : On revient de la plage. → On en revient.

« En » peut aussi pronominaliser les compléments d’adverbe : Nous sommes loin de l’arrivée.  Nous en sommes loin.

b. Espagnol

Les compléments de lieu, aussi bien les compléments circonstanciels que les compléments du régime verbal (CRV), peuvent être repris par des adverbes locatifs ou un syntagme prépositionnel avec un pronom objet tonique : « volvía a casa y permanecía allí descansando y leyendo en la terraza del patio » (G. García Márquez, El amor en los tiempos del cólera, sujet d'agrégation interne, session 2023) ; « […] amaba al monte. Esperaba con ansia los domingos para escapar a él » (M. de Unamuno, Paz en la guerra, apud Bedel, 2004, 124).

2. Des compléments verbaux indirects non locatifs

a. Français

« Y » pronominalise des COI non locatifs introduits par « à », en complémentarité ou en alternance avec l’autre pronom personnel indirect, « lui ».

Nota bene : certains verbes pronominalisent leur COI avec « lui » (convenir, sourire, parler, etc. ; par exemple,  Il ne voit pas son frère mais lui parle souvent par téléphone) ((Ces COI se construisent avec un « à » dit « datif », c’est-à-dire qu’ils sont compléments de destinataire, de possesseur, d’expérient ou de bénéficiaire de l’action du verbe.)), alors que d’autres pronominalisent leur COI avec « y » ((Ces COI se construisent avec un « à » dit « non datif ».)) (assister, participer, etc. : J’ai assisté à la conférence J’y ai assisté. | Je pense à mon frère. → J’y pense.)

La distinction entre ces deux constructions est perceptible dans l’exemple suivant : J’envoie la lettre à ma mère à Perpignan Je la lui envoie à Perpignan. OU Je l’y envoie à ma mère. En théorie, « lui » et « y » sont compatibles – « Je la lui y envoie. » –, mais l’usage y répugne par euphonie.

Enfin, plusieurs verbes alternent « y » pour un inanimé et « lui/leur » ou un pronom avec préposition pour un animé : cf. Il y répond (au message) et Il lui répond (au facteur).

« En » pronominalise des COI généralement inanimés et animés indéfinis : Il parle de son projet. → Il en parle. | Richard a trois enfants et en parle souvent. L’emploi s’étend cependant aussi à des animés définis, en concurrence alors avec le pronom précédé de la préposition : De son frère, elle en parle souvent/ elle parle souvent de lui.

Ces compléments peuvent être des noms, des infinitifs ou des subordonnées complétives construites directement en français : Je rêve de vacances / de partir / qu’il vienne J’en rêve. Attention, cependant, « en » ne pronominalise pas les compléments directs infinitifs introduits par « de » : Je crains de partir. → Je le crains. *J’en crains.

b. Espagnol

Les compléments du régime verbal (CRV), peuvent être repris par des syntagmes prépositionnels avec un pronom objet tonique : Me di cuenta de ello. | Sueño con ello.

Oralement et pour certains verbes, on entend souvent l’emploi d’un pronom direct et donc une transgression de la construction verbale, par exemple : Ya lo hablaremos pour Ya hablaremos de ello. Quoique répandue, cette construction transitive est fautive.

À la différence de la grammaire française, l’espagnol distingue strictement le COI, qui est destinataire ou bénéficiaire d’une action et est forcément introduit par « », des autres compléments verbaux introduits par une préposition, y compris « a » lorsqu’elle n’introduit pas de destinataire. Cette possibilité ou impossibilité de pronominaliser le complément verbal par le pronom datif « le » est d’ailleurs un critère pour l’analyse fonctionnel et l’identification du complément indirect par rapport au CRV : Envié la carta a Perpiñán (CRV)  Envié la carta allí. ≠ Envié la carta a mi madre (COI). → Le envié la carta.

Cependant, certains verbes ont un CRV de direction, destination ou terme qui peut se pronominaliser avec un pronom datif : Se acercó a ella Se le acercó. | Se apartó de ellos Se les apartó. | Eché sal a la ensalada Le eché sal (RAE, 2010, § 35.3.2).

3. Des objets directs et des attributs

a. Français

« En » présente deux spécificités par rapport à « y » :

— il pronominalise des objets directs déterminés par un indéfini ou un partitif et peut d’ailleurs être complété par un ajout de quantité ou de qualité : Il mange des noix. → Il en mange. / Il en a mangé cinq. / Il en a mangé des vertes ;

— il peut pronominaliser la reprise d’un attribut du sujet : Le père n’est pas un idiot, mais le fils en est un. | Ils n’ont pas l’air de médecins, mais ils en sont bien.

b. Espagnol

Les compléments d’objet direct peuvent être repris par un pronom direct accordé, un indéfini ou un syntagme prépositionnel en « de » : « […] usted hace chistes. —También usted los hace. » (Arturo Pérez Reverte, El maestro de esgrima) | « […] me daría de ellas. » (Francisco Ayala, El jardín de las delicias) | « Hermosa azucena tienes en los cabellos. Yo no he visto de esas en el jardín. » (Jorge Isaacs, María) ((Les trois exemples sont empruntés à Bedel, 2004, 124.)).

Ils peuvent aussi être repris par un numéral ou indéfini : Llenó vasos de agua y me ofreció uno.

Un attribut sera repris par le pronom direct neutre « lo » : La madre es una idiota y la hija también lo es.

4. Des compléments du nom et de l’adjectif

a. Français

Puisque le complément du nom se construit avec « de », « en » peut aussi le remplacer : Il aime la fin de ce livre. → Il en aime la fin.

Il est alors en concurrence avec le possessif : L’électricité devient chère. La crise en a fait augmenter le prix / … a fait augmenter son prix.

« En » et « y » peuvent pronominaliser des compléments d’adjectifs introduits par « de » ou « à » : par exemple, être content de ce projet  en être content ; être attentif aux désirs de quelqu’un → y être attentif.

Dans certains cas (lorsque la préposition est un « à » datif), « y » peut alterner avec « lui », « y » étant alors restreint à des inanimés : être fidèle à ses principes → y être fidèle / leur être fidèle ; mais : être fidèle à son conjoint/sa conjointe  lui être fidèle.

b. Espagnol

En substitution d’un complément du nom, on pourra utiliser un possessif : El actor de la película hará crecer su éxito. Cette substitution peut aussi apparaître dans des locutions prépositionnelles construites avec un substantif : a pesar de mi madre  A su pesar / a pesar suyo.

De même, un complément du nom pourra parfois être pronominalisé par « le » : Arranqué una rama del árbol.  Le arranqué una rama (al árbol).

Les compléments du régime nominal ou adjectival peuvent être repris par des syntagmes prépositionnels avec un pronom objet tonique : Doy fe de ello. | La poesía solo existe en el poema hecho y está inseparable de él (Juan Ferrate, Dinámica de la poesía, apud Bedel, 2004, 123).

III. Particularités de sens

1. Français

Certains verbes emploient les pronoms « en » et « y » de manière imprécise et peuvent devenir des expressions : souvent, ils n’ont pas d’antécédents mentionnés ou ceux-ci ne sont pas toujours facilement identifiable : ne rien y pouvoir (ne rien pouvoir changer à quelque chose) ; en dire de bien bonnes (des bêtises), en voir des vertes et des pas mûres (des situations problématiques).

Pour autant, la présence attendue du pronom dans certaines formulations est parfois devenue telle qu’ils deviennent redondants quand le complément est aussi présent : par exemple, Tu t’y connais en vins. J’en ai assez de sa mauvaise humeur. Elle lui en veut d’être toujours en retard.

La perte de référence du pronom a pu entraîner des lexicalisations plus ou moins avancées : comparons s’en aller, où le pronom est encore séparé du verbe, et s’enfuir ou s’envoler, où il s’est agglutiné.

Parmi ces expressions figées, le français en compte une particulièrement fréquente. « Il y a » est une expression figée d’existence ou de construction présentative où le complément « y », le plus souvent, n’a pas de référence même s’il peut encore parfois renvoyer à un complément de lieu explicitement mentionné. Pour Grévisse, dans ces cas-là, il y a haplologie ou réduction d’un « y » lexicalisé et d’un « y » référentiel en un seul pronom « y » (2007, § 659, e, 3º) : À Venise, il y a des gondoles.

En complément, on peut ajouter que le locatif « il y a » s’emploie aussi pour des données temporelles : Il y avait quatre mois qu’il était parti en mer. | Il y a 5 minutes entre ici et la gare. « Il y a » est d’ailleurs devenue une préposition temporelle : Il est parti il y a quatre mois.

2. Espagnol

L’espagnol aussi a des expressions plus ou moins figées où le pronom a perdu sa référence : par exemple l’expression familière pasarlas canutas qu’on pourrait traduire par « en baver ».

La tournure impersonnelle d’existence hay du verbe haber conserve la trace d’un ancien locatif y qui a fusionné avec ha. Cette tournure existentielle peut être renforcée par un adverbe de lieu : « Había guirnaldas de flores… »  Allí había guirnaldas

Le sens temporel que pouvait avoir haber en langue médiévale et classique (Ha tres días…) est exprimé maintenant par hacer : Hacía cuatro meses que él se había hecho al mar.

Si l’espagnol dispose d’autres moyens, en partie communs au français, que les inexistants « en » et « y » pour reprendre un complément indirect, il peut surtout faire l’économie de telles reprises. En effet, en absence d’ambiguïté, l’ellipse peut être possible, voire est souvent préférable en espagnol : ¿Vas a Madrid? Sí, voy (allí). | Le hablaba de eso al abuelo, pero no se acordaba (de ello). | No tengo café. —Yo tengo.

Dans de tels cas, la reprise des compléments sert donc à désambiguïser ou marque une emphase énonciative : cf. « ¿Se anima a ir? » (A. Roa Bastos, Hijo de hombre, apud Bedel, 2004, 125) et ¿Se anima a ir allí? | Allí había flores (…mientras que aquí, no).

Notes

Exercice de thème grammatical

  1. – Y a-t-il de l’eau au réfrigérateur ? — Non, il n’y en a pas.
  2. J’ai des films très intéressants à la maison. Je t’en prêterai, si tu veux.
  3. – Êtes-vous déjà allé à Paris ? — Non, je n’y suis jamais allé.
  4. Après cet échec, je ne veux plus jamais y penser ni en parler.
  5. – Tu as des frères et sœurs ? — Oui, j’en ai trois.
  6. – Voulez-vous venir à la plage avec nous ? — Non, on en vient.
  7. Les fruits sont chers cette année. Les intempéries en ont fait monté le prix.
  8. La représentation d’hier ? Non, je n’ai pas pu y assister, mais j’en ai entendu beaucoup de bien. Y étiez-vous ?
  9. J’ai trop mangé de sucreries. J’en suis écœuré.
  10. On dit qu’il y a beaucoup de champignons dans cette forêt ; je n’en ai jamais vu.
  11. On n’a jamais vu de loups dans la forêt, mais il pourrait bien encore y en avoir.
  12. Un tableau pendait au mur. On y voyait des animaux et des arbres.

Références consultées

ABEILLE, Anne & GODARD, Danièle (dir.). 2021. La Grande Grammaire du français, § IX-4 et IX-5, fiches « En » et « Y ». Arles : Actes Sud–Imprimerie nationale Éditions.

BEDEL, Jean-Marc. 2004 [1997]. Grammaire de l’espagnol moderne, 4e édition, § 126-130. Paris : PUF.

BOUZET, Jean. 1946. Grammaire espagnole, § 442-449. Paris : Belin.

BRISVILLE-FERTIN, Olivier. 2023. « Sous-épreuve d’explication de choix de traduction » in Rapport de l’agrégation externe d’espagnol, session 2023, p. 39-48. En ligne : https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/fichiers/2023-rapport-jury-agregation-interne.pdf

GREVISSE, Maurice & GOOSE, André. 2007. Le Bon Usage, 14e édition, § 675-681, p. 868-881. Bruxelles : De Boeck.

Real Academia Española & Asociaciones de las Academias de la Lengua Española. 2010. Nueva gramática de la lengua española. Manual, chap. 16, 29-30, 35-36. Madrid : Espasa.

RIEGEL, Martin, PELLAT, Jean-Christophe & RIOUL, René. 2004. Grammaire méthodique du français, § VI.5.2.2, p. 200-201 ; § VII.1.4.3, p. 223-225. Paris : PUF.

Pour citer cette ressource :

Olivier Brisville-Fertin, "« Y » « en » a-t-il ? Fiche contrastive de deux pronoms français sans équivalents espagnols", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), septembre 2024. Consulté le 05/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/langue/linguistique/fiches-de-grammaire-conjugaison/y-en-a-t-il-fiche-contrastive-de-deux-pronoms-francais-sans-equivalents-espagnols