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Autour des mémoires et des écrits professionnels : quelle réflexion sur les méthodes et les contenus pour l’enseignement de l’espagnol en IUFM ?

Par Isabel Vasquez de Castro : Maître de Conférences - IUFM de Créteil - Paris 12
Publié par Christine Bini le 27/03/2010

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Puisque prendre appui sur les expériences de ceux qui nous ont précédés est le propre de l'être humain qui ne saurait plus exister sans histoire, je tiens à souligner une fois de plus les enjeux de la formation des enseignants dans un monde complexe et à plaider la cause des mémoires et des écrits professionnels dans l'avenir proche.

Résumé

Cette communication tente de permettre une meilleure connaissance des pratiques de formation en IUFM et de leurs retombées pédagogiques autour des mémoires ou écrits professionnels. Car ce travail de retour analytique sur la propre démarche pourrait constituer un lien porteur entre la discipline apprise et la pratique professionnelle de l'enseignement en voie d'acquisition.

Comme d'autres collègues formateurs en IUFM, j'ai eu l'occasion de travailler avec des stagiaires, en petits groupes ou individuellement, pour déterminer le sujet et la problématique du mémoire (ou écrit) et pour diriger sa rédaction et forme finale avant d'assister à la soutenance. Ceci me permet de me mettre aujourd'hui à leur place pour tenter de mener à mon tour une réflexion sur cette expérience pédagogique du mémoire qui s'est fortement modifiée depuis sa création (à la naissance des IUFM en 1991, malgré quelques péripéties et oppositions diverses) et dont je ne peux que saluer les bienfaits comme démarche raisonnée des futurs enseignants pour envisager de façon positive et autonome leur métier.

Malgré la polémique autour de leur mise en place tout au long de l'histoire de la formation, les écrits professionnels sont porteurs de sens et d'affirmation des compétences mises en jeu dans l'exercice du métier. Et ils constituent un véritable travail de recherche qui relie utilement la théorie et la pratique.

Puisque prendre appui sur les expériences de ceux qui nous ont précédés est le propre de l'être humain qui ne saurait plus exister sans histoire, je tiens à souligner une fois de plus les enjeux de la formation des enseignants dans un monde complexe et à plaider la cause des mémoires et des écrits professionnels dans l'avenir proche.

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Introduction

Cette communication, sans prétendre révolutionner les idées que les uns et les autres se font sur la formation des professeurs d’espagnol, tente de contribuer à établir quelques ponts nécessaires et de plus en plus incontournables entre la formation disciplinaire et la formation professionnelle. Les enjeux actuels autour des concours et des masters sont trop récents et encore imprécis pour pouvoir les considérer dans un travail de recherche, voire d’histoire très récente de l’enseignement. Mais j’espère que les questions que je me pose dans mon travail et dans la rédaction de ce texte pourront apporter, même très modestement, des informations et des réflexions à des collègues français ou espagnols qui, jusqu’à présent, connaissaient peu ou mal l’IUFM et ses pratiques.

L’ampleur de l’incommunication entre les formateurs IUFM et les professeurs universitaires– qui prend parfois la forme d’une agressivité fort désagréable que je préfère ne pas citer – ne peut que nuire à une formation harmonieuse de l’enseignant, ce qui ne fait que s’aggraver avec les perspectives assez proches de la mastérisation. Dans ce contexte parfois polémique, je voudrais exprimer mon point de vue, assez particulier car je suis dans une situation de double appartenance – Université et IUFM – depuis des années. Il me semble qu’une meilleure connaissance des pratiques de formation en IUFM et de leurs retombées pédagogiques autour des mémoires ou écrits professionnels pourrait constituer un lien porteur entre la discipline apprise et la pratique professionnelle de l’enseignement en voie d’acquisition. Et pour cela, je voudrais faire part de ce que j’ai pu apprendre en IUFM et qui me semble fort utile, depuis 2002 et après trois ans et demi de travail à plein temps à l’Université, dont je ne me suis jamais détachée, car j’ai continué à m’intégrer dans des groupes de recherche.

Je crois aux vertus du témoignage de bonne foi (dans la mesure du possible, certes, car la subjectivité ne peut être que très personnelle…) et, de ce fait, je me propose de présenter mon parcours et ma réflexion autour des mémoires et des écrits professionnels que j’ai dirigés ou lus en vue d’une soutenance. Pour ce faire, je commencerai par un bref rappel de ce qu’est un mémoire ou un écrit professionnel en IUFM, puis je ferai une rapide présentation des divers mémoires utilisés en guise d’exemple, et enfin un bilan des méthodes et des contenus desdits mémoires, dans l’espoir de vous faire partager ma certitude du bien-fondé de ce dispositif dans la formation des professeurs d’espagnol en France, même si l’actualité ne va pas dans mon sens.

Les mémoires et écrits en IUFM : cadrage général

Depuis mon arrivée à l’IUFM de Créteil en 2002, j’ai reçu, entre autres, la charge de cadrer la réflexion sur le mémoire professionnel de l’ensemble des stagiaires Professeurs des Lycées et des Collèges (PLC2). Ce qui est relativement original pour une Académie où l’espagnol est malheureusement peu enseigné dans le Premier Degré, j’ai suivi également des stagiaires professeurs des Écoles (PE2) dont certains ont produit d’excellents travaux qui ont peu à envier à ceux de leurs collègues du Second Degré.

Outre ce travail d’information auprès des stagiaires sur le sens et les attentes de cet écrit professionnel (plus long et articulé dans le cas du mémoire, plus bref et synthétique dans le cas de l’écrit à compter de l’année 2007), j’ai dirigé certains groupes de travail et des mémoires individuels. Le produit fini (d’une trentaine de pages, hors annexes pour le mémoire – reproduction de manuels, exercices donnés, tableaux divers, outils didactiques, productions d’élèves – et bien plus léger pour l’écrit, qui ne doit pas dépasser dix pages) est pris en compte lors de la soutenance et constitue un élément inclus dans le dossier qui valide l’évaluation faite par les formateurs IUFM. L’évaluation des diverses pièces (deux visites minimum, avis du professeur tuteur pour le stage en responsabilité, du chef d’établissement, du professeur tuteur de pratique dans l’autre cycle, résultat d’un QCM de connaissances du système éducatif…) est présentée alors à l’employeur, l’Académie de Créteil, qui, par la voie de l’Inspection, suit l’avis des formateurs ou vérifie l’évaluation par une visite supplémentaire. Cet écrit réflexif sur la pratique de chacun a donc une valeur administrative d’une grande importance, mais il n’est plus comptabilisé en pourcentages par rapport au résultat total (qui suppose la titularisation) ou avec un barème précis : c’est une pièce parmi d’autres qui permet de juger de l’aptitude du stagiaire à s’intégrer dans le métier qu’il a choisi sans heurts majeurs avec l’employeur, en connaissant le système éducatif, sa place et son rôle d’enseignant. De façon simultanée à l’allègement du travail d’écrit, l’évaluation des stagiaires se présente maintenant comme un pointage des différentes compétences nécessaires à l’exercice de ses fonctions.

Les stagiaires réagissent à cette contrainte d’écrit de façon diverse : certains, noyés dans un travail nouveau qui sollicite toute leur attention, la vivent comme une embûche de plus dans une course parsemée d’obstacles, mais d’autres arrivent à mener à bien une véritable réflexion distancée sur leur pratique et revendiquent leur œuvre comme un outil d’entrée dans le métier. Pour le formateur que je suis, je me vois souvent confrontée à l’émergence d’une conscience professionnelle de la part des stagiaires qui passent, entre autres grâce à ce travail, de leur rôle d’élève à leur place d’enseignant. Bien entendu, leur travail peut être pluridisciplinaire ou « transversal » s’il porte sur des sujets d’éducation  autres que la didactique de l’espagnol, mais c’est souvent autour des cours eux-mêmes, leur préparation, conduite et évaluation que les mémoires ou écrits trouvent leur problématique. Et une fois accompli ce « devoir », les retombées pédagogiques sont nombreuses.

En effet ce travail écrit est bien plus qu’une obligation administrative, puisque, pour  de nombreux stagiaires qui ont été reçus au CAPES sans avoir soutenu un mémoire de Maîtrise ou de DEA, il s’agit d’un premier travail écrit qui nécessite une problématique annoncée, suivie et approfondie lors de son déroulement. La valeur formative du mémoire ou écrit ne vient pas seulement de cette mise en forme propre à un travail d’écriture à caractère universitaire ou professionnel : il s’agit d’une harmonisation et surtout d’une appropriation des divers savoirs professionnels acquis lors de la formation. Si son caractère d’initiation à la recherche fut contesté dans le Rapport Kaspi de 1993, qui prônait un retour au simple rapport de stage, il est indéniable que pour les stagiaires la conceptualisation et la problématisation, ainsi que les lectures ciblées pour alimenter la réflexion, constituent un véritable préalable à tout savoir structuré. Outre le caractère scientifique du mémoire, qui demeure toujours discutable (mais c’est aussi le cas de nombreux mémoires de Maîtrise, hélas !) il s’agit véritablement de la pratique d’une action réfléchie qui s’apparente fort à l’expérience programmée scientifique. Tâche préférable, car plus formative, à une simple description de l’action que l’on a menée.

En espagnol, avec des stagiaires qui ont souvent une excellente maîtrise de la langue et une très bonne connaissance du monde hispanique, l’autonomie et l’originalité dont ils font preuve au moment de présenter leur travail sont telles que l’autoformation est de mise et je me suis souvent cantonnée à accompagner ce processus qui aboutissait à un écrit d’une grande qualité. Il s’agissait d’un échange porteur avec des nouveaux collègues où il y avait peu ou rien à reprendre. Certes, ce n’était pas toujours le cas et certains stagiaires ne pouvaient pas (encore…) prétendre à être considérés comme des experts. Mais à travers leurs difficultés et leurs actions – parfois de véritables dispositifs, parfois des tâtonnements plus ou moins maladroits – ils ont progressé au moins dans un aspect fondamental : leur propre conscience professionnelle et leur capacité à s’investir dans leur nouveau rôle de professeur. Selon Claude Dubar, il s’agirait d’une socialisation secondaire des stagiaires qui aurait des retombées sur la représentation de soi en tant que membre d’un groupe socioprofessionnel ((Claude DUBAR, La socialisation-construction des identités sociales et professionnelles, Paris : Armand Colin, 1991.)).

Comme d’autres collègues formateurs j’ai eu l’occasion de travailler avec des stagiaires, en petits groupes ou individuellement, pour déterminer le sujet et la problématique du mémoire (ou de l’écrit) et pour diriger sa rédaction ainsi que sa forme finale avant d’assister à la soutenance. Ceci me permet de me mettre aujourd’hui à leur place pour tenter de faire à mon tour un retour sur cette expérience pédagogique du mémoire qui s’est fortement modifiée depuis sa création (à la naissance des IUFM en 1991, malgré quelques péripéties et oppositions diverses) et dont je ne peux que saluer les bienfaits comme démarche raisonnée des futurs enseignants pour envisager de façon positive et autonome leur métier.

Signalons d’abord la caractéristique principale de cet écrit : il prend appui sur l’analyse des pratiques professionnelles, rencontrées en particulier lors du stage en responsabilité dont le stagiaire PLC2 a la charge. Il permet d’évaluer les capacités du stagiaire à identifier un problème ou une question concernant les pratiques, à analyser ce problème et à proposer des pistes de réflexion et d’action. Idéalement, il s’agit d’une véritable recherche orientée vers l’action qui sert d’articulation entre la théorie et la pratique. Il se présente comme un travail personnel (parfois en binôme ou exceptionnellement en groupe de trois) et original. La soutenance ou l’entretien qui prend appui sur l’écrit favorise la reprise dans le temps de ce qui a été dit et formulé préalablement : c’est une mise en perspective des enseignements en devenir, un jeu entre le moment où le texte a été écrit et le moment de la soutenance, avec des évolutions et des suites qui peuvent se prolonger tout au long de la carrière.

Je ne peux dans mon cas précis que citer dans ce sens l’article de Paule Giamarchi, quand elle définit la fonction de « boucle récursive » du mémoire :

Les professeurs stagiaires sont formés par le mémoire professionnel et contribuent aussi, à travers lui, à former non seulement leurs successeurs à l’IUFM mais leurs propres formateurs qui utilisent certains mémoires professionnels dans leurs actions de formation ((Paule GIAMARCHI La formation et l’autoformation par le mémoire professionnel, in Françoise  CROS  (éd.), Paris : L’Harmattan, 1999, p. 116.)).

Quelques mémoires commentés

Les petits groupes de travail ou « séminaires » de cinq ou six stagiaires sont plus ou moins actifs. Parfois ils ont un sujet commun de réflexion (langue et culture en cours, l’utilisation de l’image et les documents iconographiques, gestion du groupe…) ou des sujets complémentaires (au cours d’une séquence, réfléchir davantage sur la préparation, le déroulement, l’évaluation…). Parfois le regroupement répond à des questions pratiques, non négligeables lors d’une année de stage fort difficile à organiser.

J’ai pu constater que le fait de travailler en groupe sur un sujet commun était bien plus dynamisant que les groupes à sujets complémentaires, mais les deux sujets que je considère les mieux traités dans les mémoires étaient sans doute des sujets qui m’intéressaient personnellement : les liens entre l’enseignement de la langue et la culture, et l’utilisation des documents iconographiques en cours de langue. De ce fait, ce sont les mémoires sur ces thèmes que nous allons étudier prioritairement, même si je pourrais en citer d’autres, excellents, qui relèvent d’un travail personnel et individuel sur des sujets plus vastes : motivation et enseignement de l’espagnol, la dimension civique, la prise de parole en cours de langue, et bien d’autres.

Les lectures ciblées et critiques par rapport aux sujets choisis, la connaissance des textes officiels par rapport à ce qui est attendu par l’employeur (très majoritairement l’Éducation Nationale, mais quelques stagiaires sont issus des recrutements de l’Enseignement Privé), l’ensemble de formations communes et les expériences antérieures (comme élèves, comme enseignants dans d’autres filières ou dans un autre cadre, dans d’autres professions ou emplois) enrichissent la réflexion et les échanges des savoirs entre les stagiaires et sont très productifs.

En réalité, le stagiaire ne correspond pas toujours au jeune étudiant qui a suivi sans faille un parcours d’excellence et se retrouve fonctionnaire à vingt-et-un ans. De plus en plus souvent, il s’agit de personnes qui ont fait un long parcours personnel et culturel avant de préparer et réussir les concours. De ce fait, les mémoires peuvent s’enrichir de savoirs préalables (par exemple, comparer les pratiques d’enseignement de la langue en FLE – Français Langue Étrangère – et en cours d’espagnol deuxième langue vivante). Ce fut le cas d’un stagiaire qui avait suivi la formation de guide à l’École du Louvre, d’autres qui avaient travaillé dans les foires d’Art Contemporain ou chez des galeristes de peinture ou sculpture en organisant des expositions. Tout naturellement, un groupe s’appuyant sur ces expertises et savoir-faire s’est constitué autour de l’étude du document à caractère iconographique. Et ceci, pendant quelques années. La richesse et la pertinence de leur analyse d’œuvres picturales s’accompagnaient d’un savoir-faire professionnel qui leur permettait de faire bénéficier de leur compétence très fine les élèves, qui, souvent, n’avaient pas l’habitude de se confronter à des œuvres d’art pour en parler. Et ceci parce que le support pictural, la photo ou le dessin utilisés en cours étaient présentés dans un souci de « faire sens » dans un ensemble, de présenter ou de réutiliser des objectifs linguistiques déterminés, certes, mais aussi pour communiquer : s’exprimer ou dire quelque chose que les autres peuvent comprendre, donner un avis susceptible d’être l’objet d’un débat ou d’une conversation. Le but de ce travail était de se confronter à l’évidence – l’absence de langue dans l’image pure pose des problèmes d’exploitation en cours – ou aux conseils donnés dans les textes officiels, qu’il fallait mettre en œuvre avec plus ou moins de succès. Car, contrairement à ce que certains pourraient croire, souvent ces textes permettent une vaste palette d’activités novatrices, à condition qu’elles répondent à des objectifs primordiaux d’accès au sens et d’apprentissage de la langue.

Les stagiaires se sont ainsi intéressés à l’exploitation de documents très attractifs et motivants mais difficiles à exploiter en cours sans l’aide d’un appareil critique adapté : les grilles d’observation, les procédés pour organiser les remarques spontanées et la prise de parole autour de documents qui n’en comportent pas et qui œuvrent cependant comme des déclencheurs de la communication, les outils d’exploitation linguistique pour reprendre ce qui a été dit dans un travail efficace de pratique de la langue orale. L’organisation du temps pendant la séance et la diversification des tâches ont également été traités : quel temps accorder à l’échange en binômes, au travail en petit groupe, à la reprise individuelle, au travail à faire à la maison et comment le réutiliser en cours… Autant de savoirs professionnels qui s’organisent de façon réfléchie, prévue et pensée pour se moduler ensuite lors de leur réalisation en cours. Car pour susciter une véritable communication tout n’est pas prévu d’avance, et, par leur parole, les élèves vont mettre en avant des aspects que parfois l’enseignant n’avait pas « vus » de la sorte. Les stagiaires ont remarqué les compétences remarquables des élèves par rapport au décodage ou à l’observation des images, qui ne comportent pas de barrière linguistique et font appel à leur imaginaire. Souvent, il faut cependant canaliser cette lecture parfois erronée des productions culturelles qui nécessitent des prérequis et des informations sur le monde hispanique pour pouvoir être comprises correctement. Et si les grilles peuvent être utiles dans un premier temps pour privilégier certains objectifs de sens bien ciblés, elles peuvent aussi s’avérer trop dirigistes par la suite et ne pas permettre de profiter pleinement de l’aspect « ouvert » de l’image. Mais rien n’interdit de les dépasser ou de les compléter par des lectures d’image complémentaires, et le véritable enjeu, outre le plaisir esthétique et l’apport culturel, est de communiquer grâce à ces messages dans un autre langage qu’il faut mettre en paroles. C’est souvent lors de ce moment de décryptage, de mise en parole et de lien avec la culture que la tâche active et pertinente du professeur est de rigueur : « pour aboutir à cette dernière étape d’expression, une étape de compréhension est nécessaire : on entraîne nos élèves non pas au développement de la compétence linguistique, mais de « compréhension iconographique », celle des codes particuliers de l’image » ((Ricardo Santiago TORRE, La fonction et l’exploitation du document iconographique en cours d’espagnol, Créteil, 2004.)).

Certains stagiaires ont réfléchi à la diversité de supports basés sur l’image et à leur emploi en cours : « plus les leviers actionnés seront nombreux, plus les chances de susciter l’envie seront grandes. Voici donc toute la mission qui nous incombe : susciter l’intérêt, l’envie de faire l’effort d’aller vers la langue espagnole ((Virginie Demay, Le document iconographique : la panacée pour déclencher la parole des élèves ?, Créteil, 2007.)) ». Si le souci de revenir sans cesse à la pratique et à l’expérience concrète est de mise, certains stagiaires ne renoncent pas à des objectifs ambitieux qu’ils expriment avec brio :

Face à l’image, la personne peut se trouver comme face à des signes inconnus, plongée dans un monde inconnu, voire insensé. Ma démarche est celle d’un explorateur, d’un découvreur ou d’un créateur ou plus modestement, d’un lampiste. Mon objectif est d’éclairer l’environnement pour les élèves afin que des zones d’ombre s’illuminent et permettent à certains d’accéder à cette délicieuse expansion qui est l’acquisition du savoir. Au lieu d’être environnés d’un monde terne, stérile et opaque, j’aimerais faire apparaître du lien, du sens, de la couleur. Parsemer l’existence de petites étincelles d’entendement dans le but ultime de rendre l’individu plus libre ((Ibid.)).

Outre les films, les clips ou annonces publicitaires, de plus en plus utilisés et décodés en cours de langue, ils ont privilégié la bande dessinée ou les dessins qui montrent des situations et des actions de personnages où l’humour est souvent présent. Certains auteurs vont accompagner avec leur graphisme personnel les élèves d’espagnol tout au long de leurs apprentissages (rappelons l’usage massif de dessins de Quino dans les manuels français d’espagnol ou les collaborations entre enseignants français et dessinateurs espagnols pour travailler autour de dessins déclencheurs de parole comme dans l’ouvrage Vaya Ballesta, du CRDP de Lille, où le dessinateur espagnol Ballesta « sert » des sujets d’échange langagier).

Certains stagiaires ont découvert de nombreux sites consacrés à la pédagogie de l’espagnol qui présentent des expériences variées menées par des enseignants. Non seulement ils s’en servent, mais ils souhaitent contribuer par la suite à l’enrichissement de ces sites, ce qui constitue une véritable entrée dans la profession.

Ainsi la culture professionnelle acquise s’accompagne-t-elle d’un authentique engouement pour la transmission. Soulignons, d’autre part, que l’approche culturelle est considérée dans les textes officiels comme l’une des caractéristiques de l’enseignement de l’espagnol en France. Parfois les stagiaires se sont intéressés à des liens entre les denrées alimentaires présentes dans nos sociétés et le monde hispanique, proposant des parcours de « découverte » de l’Amérique par l’évocation des acquisitions des produits importés de longue date : chocolat, maïs, tomate, tabac…

Pour clore la séquence, je proposai un texte qui reprenait les connaissances et les acquis du Viaje al pasado puisqu’il s’agissait de El origen del chocolate. Le cacao, boisson des empereurs aztèques était alors inconnu en Europe. Á l’occasion d’une visite au Salon du Chocolat à Paris, j’avais demandé à un exposant des fèves de cacao, extraites de la cabosse (« mazorca »), afin d’illustrer très concrètement ma séance sur l’origine du cacao. J’ai remis aux élèves des fèves de cacao. Cela leur permettait de mieux visualiser et de matérialiser ce que l’on avait mis par écrit ainsi que de valoriser leurs acquis et leurs découvertes. Les élèves étaient ravis de découvrir les fèves de cacao car cela était nouveau. Certains ont voulu conserver les fèves pour les montrer à leurs parents. Et deux élèves les ont même broyées car j’avais expliqué les étapes de la fabrication du chocolat, de la cabosse à la tablette qu’ils connaissent très bien […] ((Marie TORREGROSA, Projet interculturel comme déclencheur de communication et des acquisitions linguistiques, Créteil, 2005.)).

Ils sont même parvenus à utiliser les arguments publicitaires de certains de ces produits, comme la farine de maïs Milpa Real, à caractère culturel et identitaire, pour s’en servir en cours : culture du maïs actuelle et traditionnelle, partage des terres, organisation de la production agricole…

Enfin, d’autres se sont intéressés aux liens entre la langue et la culture en cours d’espagnol. Leur travail affirme leur ambition d’une véritable approche culturelle de l’enseignement de la langue et leur désir de faire connaître ce qui est différent ou caractéristique du monde hispanique.

Les manuels, les programmes vont souvent dans ce sens, car la langue véhicule une culture : ce n’est pas seulement un moyen « technique » de communication, mais le lien d’un groupe à identité propre qui déchiffre le monde grâce à cet outil commun. En étudiant la langue, les élèves se confrontent aussi à des différences qui vont permettre une réflexion sur eux-mêmes et leur propre culture.

Des sujets d’actualité (par exemple « la rivalité entre l’équipe de foot de Madrid et celle de Barcelone », « l’image du Roi d’Espagne : avec la question ¿Qué es un rey para ti? posée aux jeunes Espagnols », « violence de genre ou familiale », « mémoire historique» ou « exil ») peuvent susciter l’envie de dire et de parler, car tout en prenant des formes différentes, ces sujets ont trait à des phénomènes semblables en France.

Contrairement aux idées reçues, ce sont souvent les élèves des milieux les plus défavorisés qui sont les plus en demande de ce surplus d’ouverture et de différence, car cette démarche les aide à comprendre et à relativiser leur propre univers. D’ailleurs, certains projets d’échange ambitieux et très formateurs (Ethnokids, notamment) développent ces compétences, à savoir se présenter et observer avec pertinence ce qui les entoure pour décrire de façon significative leur mode de vie à un autre groupe d’enfants : l’action réciproque de  ces deux groupes permet de mieux cerner les différences et les points communs et constitue une véritable éducation à la tolérance. Mais le simple travail fait en cours de langue vivante, quand la langue et la culture sont présentées ensemble, par le biais de documents authentiques et par le choix de supports caractéristiques, constitue déjà un dépaysement salutaire. Il aide à prendre conscience du fait que chaque enfant est un citoyen du monde.

Le travail des mémoires

Nous avons déjà évoqué l’intérêt du travail écrit comme outil pour faire émerger une conscience professionnelle. Il s’agit en effet d’une sorte de « chef d’œuvre » qui ouvre l’entrée dans le métier avec une identité et une démarche personnelle pour chaque enseignant, car il s’agit d’une véritable écriture du « je ». La réflexion, le recul face à la propre pratique prend toute sa place et s’oppose à l’application de « recettes » ou à l’imitation de collègues qui « savent faire ». Car c’est chacun, avec les moyens qui lui sont propres, qui doit construire son identité professionnelle en autonomie et ceci permettra d’éviter de subir le mirage du « clonage » des bons enseignants par des voies imitatives non adaptées. Cependant l’observation de classes et la pratique en tenant compte des remarques des formateurs sont bénéfiques et incontournables. C’est souvent au moment de la rédaction de l’écrit que toutes ces informations éparses sont intégrées à la pratique propre d’une façon cohérente.

Par ce travail, le stagiaire affirme ses compétences d’enseignant et confirme son accès au nouveau statut de professeur. C’est souvent dans les remerciements que nous trouvons la reconnaissance de ces jeunes collègues envers les formateurs, parfois envers les co-stagiaires, qui ont accompagné leurs parcours :

Je tiens à remercier ici les personnes qui, d’une façon ou d’une autre, directement ou indirectement, m’ont aidé à mener à bien cette activité périlleuse et non exempte de satisfactions et de surprises qu’est la réflexion sur sa propre pratique d’enseignement ((R. S. TORRE, op. cit.)).

Outre le contact avec les pratiques ou les démarches des autres enseignants que le stagiaire a pu observer en même temps qu’il « donne à voir » ce qu’il fait, la lecture attentive et la mise en pratique des textes officiels et des programmes contribuent efficacement à faire avancer sa réflexion personnelle sur la mission de l’enseignant. Comment traiter les contenus à la fois précis et vastes, tels que « rapport au monde », « conflits », « identités », « interdépendances », « contacts des cultures » (qui correspondent à la classe de Terminale), sans un avis personnel bien déterminé ? L’appui sur ces textes pour construire sa pratique s’avère nécessaire et formateur car il correspond à la prise en compte des attentes institutionnelles dans le rôle du fonctionnaire qui mène à bien la mission qui lui a été confiée. Les citations de ces textes de référence dans les mémoires étaient nombreuses, et c’était une façon de se les approprier ; elles sont absentes des écrits désormais et ceci ne favorise pas une connaissance réfléchie des attentes institutionnelles.

Ainsi, nous pouvons signaler une stagiaire qui s’est interrogée sur la manière de satisfaire la curiosité des élèves de 4ème sur des faits culturels sans faire des cours en français. Ceci était la suite donnée à une situation complexe qui s’était produite en cours lors de l’étude d’un texte de García Lorca et d’une explication qui se voulait brève sur sa mort. La réflexion de cette stagiaire est passée par un questionnement radical de la langue du cours et des liens entre langue et culture en cours. C’est alors qu’elle s’est intéressée à la lecture de textes de chercheurs ayant abordé ce problème (Jean-Rémi Lapaire, Marilyne Baumard, Mickael Byram ou Geneviève Zarate) pour en conclure :

L’intérêt des élèves pour la culture est évident, maintenant il s’agit de transmettre cette culture de façon équilibrée et continue. Les limites du culturel se situent justement là où il n’y a plus de limites. Le terme « approche culturelle » est plus intéressant que « objectif culturel » car il signifie que les faits de civilisation ne donnent pas lieu à un enseignement spécifique, ce n’est pas un but en soi mais une mise en évidence de faits de culture significatifs des pays hispanophones ((Imen NAJAR, La dimension culturelle de l’enseignement de l’espagnol au collège, Créteil, 2005.)).

Les lectures, toujours profitables, mais nécessairement ciblées lors de l’année de stage, sont également une source d’autoformation et d’accès à une conceptualisation des tâches que l’on exerce en tant qu’enseignant.

Le travail en petit groupe permet l’échange entre stagiaires des informations obtenues et des expériences d’enseignement. Il rend possible de contraster leurs avis respectifs sur certaines questions, de façon plus productive que les mots lâchés entre deux portes.

Les écrits et le dialogue autour des écrits, lors des phases intermédiaires ou lors de la soutenance, constituent un véritable retour sur la propre pratique et un puissant outil du développement de l’autonomie et du sens critique. Même dans sa forme allégée, le travail écrit est un pivot de la formation quelle que soit la valeur administrative que l’on donne à cette tâche. Et il y a de fortes raisons pour que cela demeure ainsi.

Conclusions

Même si les bouleversements que traverse la formation des enseignants sont de nature à questionner la poursuite des formes d’enseignement en IUFM que je viens de décrire, je tiens à souligner le bien-fondé de l’utilisation des écrits professionnels personnels et exigeants lors de la formation des enseignants. Car ces travaux ne compliquent pas véritablement la tâche des stagiaires s’ils sont accompagnés d’un cadrage adapté en début d’année. La formulation écrite des expériences par le biais de ce travail réfléchi est formatrice. Malgré la polémique autour de leur mise en place tout au long de l’histoire de la formation, les écrits professionnels sont porteurs de sens et d’affirmation des compétences mises en jeu dans l’exercice du métier. Ils constituent un véritable travail de recherche qui relie utilement la théorie et la pratique.

Puisque prendre appui sur les expériences de ceux qui nous ont précédés est propre à l’être humain, qui ne saurait plus exister sans histoire, je tiens à souligner une fois de plus les enjeux de la formation des enseignants dans un monde complexe et à plaider la cause des mémoires et des écrits professionnels dans l’avenir proche.

Notes

Bibliographie générale

Marc BAILLEUL (coordinateur), Enseignants, formateurs et recherche(s) en IUFM. Pluralité d’approches, Tome I, École et formation, Paris : L’Harmattan, 2004.

Idem, Tome II, Formation et recherche(s), Paris : L’Harmattan, 2005.

Raymond BOURDONCLE (directeur) Bibliographie signalétique (1970-1988), Les travaux sur la formation des enseignants et des formateurs, Paris : INRP, 1991.

Jacques CRINON, Le mémoire professionnel des enseignants, observatoire des pratiques et outil de formation, Paris : L’Harmattan, 2003.

Françoise CROS (éd.), Le mémoire professionnel en formation des enseignants : un processus de construction identitaire, Paris : L’Harmattan, 1998.

Bernard JOLIBERT, Réussir le mémoire professionnel en IUFM. Conception, rédaction, direction et soutenance, Paris : Seli Arslan, 2006.

Geneviève MATHIS, Le mémoire professionnel en IUFM, Paris : Bordas, 2001.

Mémoires soutenus à l’Académie de Créteil cités :

Virginie DEMAY, Le document iconographique : la panacée pour déclencher la parole des élèves ?, Créteil, 2007.

Imen NAJAR, Dimension culturelle de l’enseignement de l’espagnol au Collège, Créteil, 2005.

Ricardo Santiago TORRE, La fonction et l’exploitation du document iconographique en cours d’espagnol, Créteil, 2004.

Marie TORREGROSA, Projet interculturel comme déclencheur de communication et des acquisitions linguistiques, Créteil, 2005.

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Communication issue de la deuxième rencontre hispano-française de chercheurs (SHF-APFUE) qui s'est déroulée du 26 au 29 novembre 2008 à l'École Normale Supérieure de Lyon.

 

Pour citer cette ressource :

Isabel Vasquez de Castro, "Autour des mémoires et des écrits professionnels : quelle réflexion sur les méthodes et les contenus pour l’enseignement de l’espagnol en IUFM ?", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mars 2010. Consulté le 05/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/langue/didactique/enseignement-de-lespagnol/autour-des-memoires-et-des-ecrits-professionnels-quelle-reflexion-sur-les-methodes-et-les-contenus-pour-l-enseignement-de-l-espa