Hétérodoxie et spiritualité chez les ermites, les recluses et les sectes illuministes en Castille dans la première moitié du XVIe siècle
Introduction
Face à la crise de la spiritualité(1) à laquelle tente de répondre la réforme des ordres et des institutions entreprise par Cisneros, les laïcs espagnols se tournent vers une foi plus personnelle. Nous ne sommes pas encore aux temps de la première grande vague de mysticisme, mais la « magnifique ouverture » entamée par Cisneros(2) ouvre le pas à une multitude de manuels de piété, de guides spirituels et d'ouvrages qui conseillent le fidèle dans sa relation avec Dieu. Dès lors, on assiste à un véritable foisonnement de groupes spirituels qui souhaitent vivre de manière indépendante leur religiosité, en marge du cadre et des institutions fixées par l'Église catholique. Notre étude s'intéressera ici à une approche empirique du fait religieux, la question de l'érasmisme et du valdésianisme ayant déjà été abordée par les historiens. En effet, l'érasmisme ne s'étend pas sur l'union avec Dieu, la mortification, la pauvreté, la chasteté, et les formes de religiosité transcendantes qui sous-tendent les pratiques hétérodoxes. Au contraire, il encourage davantage un « christianisme intellectuel(3) » et affectif auquel on parvient grâce à la lecture des Évangiles et des Pères de l'Église. Les nouveaux foyers spirituels que nous avons choisis d'étudier : recluses, ermites et sectes illuministes, eux, ne divisent point corps et âme, lettre et esprit, mais les unifient pour chercher, loin du regard de l'institution ecclésiastique, de nouvelles formes de spiritualité qui sont assimilées par le Saint-Office à des pratiques hétérodoxes. Nous nous appuierons sur des sources inquisitoriales et extra-inquisitoriales majoritairement présentes à l'Archivo Histórico Nacional de Madrid comme les procès de l'inquisition, les confessions des laïcs, les enquêtes paroissiales et les libros de visitas.
Ainsi nous tacherons d'analyser la naissance de foyers spirituels et de pratiques religieuses en marge de l'Église catholique espagnole en soulignant les modalités et les enjeux des comportements hétérodoxes dans ces nouveaux mouvements religieux et spirituels.
Nous analyserons tout d'abord le contexte d'effervescence religieuse qui touche l'Espagne au début du XVIe siècle et qui encourage la naissance d'une spiritualité et d'une religiosité plus personnelle chez les laïcs. Nous étudierons ensuite la naissance de nouvelles pratiques religieuses et spirituelles chez les ermites, les recluses et les sectes illuministes ainsi que leurs relations conflictuelles avec l'Inquisition et l'Église espagnoles.
Une effervescence spirituelle, des traductions bibliques au succès des manuels de piété
España no se quedó al margen del movimiento de renovación religiosa que cunde en toda la cristiandad a finales de la Edad Media(4)
En Espagne, au début du XVIe siècle, le fidèle est en quête de nouvelles formes de vie religieuse plus appropriées, à savoir moins formelles et plus intérieures avec le désir d'un salut à chercher au moyen d'une foi plus intense et plus personnelle. Nombreux sont ceux qui aspirent à une religion qui leur permet de bien vivre et de bien mourir, et qui ne se réduit pas à des prières mécaniques. Entre la fin du XVe et le début du XVIe siècle, « la espiritualidad goza en España de una relativa libertad que da lugar a experiencias de varias clases(5) ». L'imprimerie qui se met en place lentement (1473) va permettre à ceux qui savent lire d'avoir accès à des textes désormais en langue vernaculaire et non plus en latin, langue par excellence des clercs et des lettrés. On pourra par exemple citer la Vita Christi fecha por coplas de fray Iñigo de Mendoza, de 1482 ou encore las Epístolas y Evangelios litúrgicos de Antonio de Montesinos de 1485, les Vitae Patrum de saint Jérôme de 1491. De nouveaux ouvrages didactiques sont créés sous forme de manuels de piété pour guider les fidèles et leur permettre d'établir une relation plus intime et plus profonde avec la divinité. Deux ouvrages vont ainsi avoir un fort retentissement : El exercitario de la vida espiritual de García de Cisneros et le Tratado de la Vida espiritual de saint Vincent Ferrier en 1510. Deux autres œuvres connaissent aussi une forte influence : le Contemplum mundi o imitación de Cristo de Thomas A. Kempis et la Vita Christi de Ludolphe de Saxe. On assiste donc à un renouveau de la littérature spirituelle, encouragé par le cardinal Cisneros. La multiplication des manuels de piété, la création d'un nouveau centre spirituel à Alcalá engendrent une plus grande accessibilité des textes et une approche plus personnelle et empirique du religieux qui évincent les aspects purement dogmatiques. Les ouvrages tendent d'ailleurs à redéfinir la relation au divin. Dans un premier cas nous avons par exemple en 1521 El arte de servir a Dios de Alonso de Madrid qui reprend toute la tradition franciscaine de la primauté de la volonté sur l'entendement, puis en 1526, le Tercer abecedario de Francisco de Osuna. Osuna définit toute une pédagogie religieuse pour permettre au fidèle d'avancer vers la contemplation puis l'union avec Dieu. Francisco de Osuna est celui qui incarne le mieux en Espagne la voie du recueillement. Cependant le recueillement(6) ne constitue nullement une rupture avec l'orthodoxie et la tradition catholique, et la majorité des œuvres de spiritualité en ce début de XVIe siècle sont conformes au dogme et ne remettent pas en cause l'institution ecclésiastique.
Cette plus grande accessibilité se traduit aussi par l'entreprise de la Bible polyglotte d'Alcalá qui est pensée et mise en place par Cisneros à partir de l'été 1502. Il demande l'aide de Antonio de Lebrija, Diego López de Zuñiga, Francisco Nuñez, Pablo Coronel, mais aussi de Nebrija et Núñez qui ne collaboreront que tardivement à la Bible vers 1513. En 1514, paraît le premier volume. Il est évident que les masses, en grande majorité analphabètes et pauvres, ne peuvent le consulter mais les lectures publiques dans les paroisses leur permettent d'avoir accès pour la première fois aux Saintes Écritures en langue vernaculaire.
De la même manière, les manuels de spiritualité connaissent un véritable succès. Cisneros fait imprimer en langue vulgaire de nombreux ouvrages comme l'Escalier spirituel de saint Jean Climaque, Le livre de la bienaventureuse de Sainte Angèle de Foligno, le Livre de la Grâce spirituelle de Sainte Mathilde en 1510 et les Épîtres et Prières de sainte Catherine de Sienne. Le mysticisme est à l'état de germe avec, entre autres, le Lucero de la vida cristiana de Pedro Ximénez de Préxano, ou les Ejercicios espirituales d'Ignace de Loyola, mais les ouvrages insistant sur les rapports directs avec le Seigneur se multiplient, et il semble que le renouveau religieux et spirituel qui touche la Castille s'inscrit entièrement dans le mouvement de réformation de l'Église catholique.
Cependant, c'est bien au cours de ces mêmes années que naissent les principaux groupes hétérodoxes en marge de l'Église catholique et de l'orthodoxie en vigueur, et il existe bien un lien intrinsèque de causalité entre ces deux grands mouvements et à l'intérieur de ces derniers : les humanistes favorables à une dévotion plus intériorisée et moins contrôlée par l'Église, et ceux qui seront qualifiés d'illuministes ou d'abandonnés(7). On peut dès lors se demander comment se formèrent les principaux foyers, en évaluant leur nombre, leur rôle, leurs pratiques religieuses, et la réaction de l'Église face à ce premier bourgeonnement « sentant bon l'hérésie(8) ».
L'importance du contexte de Reconquête et de retour au catholicisme permet donc un espace de liberté pour les groupes et les communautés considérés comme catholiques, car l'Inquisition à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle est davantage centrée sur les judéos-convers et les morisques. Cependant la majorité des communautés hétérodoxes naissantes ne renient pas l'Église et se différencient par des croyances et des pratiques qui divergent. Antonio Márquez définit la frontière doctrinale entre les uns et les autres comme imperceptible et se distinguant seulement par : « un acto interno de fidelidad o no a la Iglesia(9) ».
Je chercherai donc à démontrer dans cet article que les premiers foyers qui s'écartent du chemin tracé par l'Église puis l'Inquisition développent des pratiques hétérodoxes qui proviennent non seulement d'une certaine crise du religieux et d'un réel espace de liberté de pratique pour les catholiques, mais surtout d'une progressive dégénérescence de l'orthodoxie originale suite à une perception et une interprétation souvent personnelle des enseignements dogmatiques.
Les ermites : de l'abandon du monde au rejet de l'intercesseur ecclésiastique
À la fin du XVe siècle, la communauté érémitique s'inscrit en effet dans la pure orthodoxie. Le désir d'abandonner le monde selon le modèle des Pères du désert est un signe d'humilité et de foi qui est encouragé par l'Église. Il existe des ermites mythifiés, dont on peut faire « un panthéon » pour reprendre l'expression d'Alain Saint Saëns, en regroupant Moïse, Élie, Jean-Baptiste le précurseur, et Jésus qui ont influencé la représentation du pénitent.
L'aventure érémitique en Espagne commence, d'ailleurs, au sein de l'ordre des franciscains à partir du XIVe siècle. Pour assurer leur pérennité, les ermites construisent des oratorios et des ermitages à la campagne. Ils travaillent dans l'agriculture ou réalisent des travaux manuels pour subvenir à leurs besoins. En 1407, il y avait sept oratoires en Galice dans la périphérie de Saint Jacques de Compostelle. En Castille, au milieu du XVe siècle, le développement du modèle érémitique est impulsé par le frère Pedro de Villacreces. Il fonde deux maisons avec un centre qui enseigne le catéchisme aux enfants et il contrôle un couvent de femmes qui veulent vivre dans la simplicité et l'ascèse la plus respectable.
Cette vocation érémitique est appuyée et financée par de nombreux nobles, et des aristocrates comme les Manrique, les Girón, les Ayala, ou les Mendoza. Les ermites obtiennent aussi le soutien économique de l'Église avec des prélats réformateurs comme l'évêque Tenorio. Le nombre de ces nouveaux centres de spiritualité est estimé au milieu du XVe siècle à une petite vingtaine. L'Église encourage d'ailleurs puis instrumentalise la figure du pénitent en développant surtout les aspects de pénitence et de repentir en incitant les fidèles à la modération et à l'humilité. Réunis en ermitages, les ermites pratiquent un modèle de vie fondé sur le jeûne, la souffrance et la pauvreté, ce qui entraîne le respect de la communauté religieuse et des laïcs. Les mentions dans les sources ecclésiastiques ne manquent pas et permettent d'évaluer le succès et la considération d'une grande partie des clercs envers ceux qui avaient fait ce choix de vie unique mûrement réfléchi, qui engageait leur(10) auteur durablement en raison des contraintes sociales, morales, normatives, religieuses et disciplinaires. On peut par exemple citer, parmi de nombreux testaments qui font référence à des ermites, celui du clerc Pedro de Medina qui n'oublie pas la communauté érémitique en lui transmettant un pécule parfois non négligeable : « Diez maravedis a cada ermita de la vida y el arrabal por su devoción(11) ».
Cependant, comme l'a démontré Alain Saint Saëns dans La Nostalgie du désert, la vie ascétique et évangélique des ermites se transforme progressivement tout au long de la première moitié du XVIe siècle en une vie parfois dissolue ou suspecte puisque l'isolement permet certes le refus du monde, mais aussi la possibilité de se défaire des normes et des exigences sociales et religieuses de l'Église, c'est-à-dire de s'écarter de l'orthodoxie. Le problème avec l'orthodoxie est double, au début du XVIe siècle : l'Eglise reproche, d'une part, aux ermites une nette indépendance en soulignant l'absence de contrôle du pouvoir ecclésiastique et, d'autre part, elle évoque un problème théologique lié à la fonction même d'ermite sur la notion d'élu et de grâce qui toucherait celui-ci. En effet, les disputes entre les théologiens se multiplient puisque, pour la majorité d'entre eux, tous les hommes n'ont pas le droit ni le loisir de devenir ermite, de s'exiler et de rentrer en communication avec Dieu, car seul un petit nombre d'élus ayant subi une révélation peuvent y prétendre. Face à la multiplication des faux ermites(12), les clercs puis les laïcs stigmatisent la solitude dangereuse de l'ermite et insistent sur sa paresse et ses déviances qui trouvent un écho dans la littérature de l'époque(13). Ainsi on assiste à la multiplication d'écrits et de pamphlets qui critiquent l'absence de médiateurs religieux. Jean Climaque déjà, dans son ouvrage L'escalier spirituel, constate : « pocos sin duda son los que viven como conviene en la soledad(14) », et l'on peut citer parmi une abondante moisson de textes satiriques celui d'Antonio de Solís y Ribadeneyra : Contra la soledad, qui fustige les tentations de l'ermite isolé(15).
Finalement, l'Église décide d'en finir avec ceux qu'elle nomme les « vagabonds » et convoque des synodes entre 1525 et 1545. Il y est décidé la création d'une licence pour être ermite et chaque ermitage doit être contrôlé chaque mois par un prélat. L'ermite doit recevoir une licence émanant de la chancellerie de l'archevêché. Le terme est licencia mais on trouve parfois patente. Les licences sont à durée limitée, six mois environ puis prolongées après une enquête sur le mode de vie et la dévotion de l'ermite. Cela limita de manière drastique le nombre d'ermites qui devaient être attachés pendant une durée de trois à cinq ans au même sanctuaire avant de changer de lieu.
Après le Concile de Trente, on assiste à la disparition progressive de la figure de l'ermite. Sa solitude fait peur et il ne trouve plus de protecteurs ni dans le monde laïc ni dans la sphère ecclésiastique, et comme l'affirme Alain Saint Saëns :
L'ermite dans l'Espagne des Habsbourg incarne la fin d'un monde et personnifie la lente agonie d'un mode de vie qui avait jusque là survécu bon gré mal gré à la tourmente des siècles, même si la réalité tout à la fois religieuse, économique et culturelle des ermitages justifie encore l'emploi de l'homme ou de la femme comme gardien du sanctuaire. L'isolement de l'ermite dans les limites du cercle villageois, son entêtement et sa superbe en font un vaincu d'avance(16).
Il disparaît ainsi de la carte spirituelle entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle.
Les recluses entre pénitence et liturgies profanes
Au début du XVe siècle, la réclusion volontaire est un mode de vie religieux bien organisé. En Espagne, le nombre des reclusas est estimé à plus de deux cents. Il s'agit dans la majorité des cas de femmes qui décident de mener une vie de pénitence dans une petite cellule. Les sources sont plutôt rares sur les recluses qui sont aussi appelées emmurées (emparedadas). On trouve peu de discours ou de confessions de ces femmes, et seuls les archivos municipales des villes fournissent des informations sur l'âge, l'origine sociale et la sélection de ces femmes. L'emparedada s'inscrit au départ, elle aussi, pleinement dans l'orthodoxie. Elle possède un confesseur, qui est l'unique présence humaine avec qui elle entre en contact quelques minutes par jour. Le reste de la journée est occupé à prier. Les documents de l'Archivo Histórico Nacional, et notamment les visites pastorales nous renseignent sur les conditions de vie et la dévotion des emparedadas. Elles souffrent en général un véritable supplice presque christique puisqu'elles vivent dans une cellule de six mètres carrés souvent insalubre où elles pratiquent le jeûne et dorment le moins possible. Elles se nourrissent grâce aux aumônes laissées par les laïcs par un trou fait dans le mur qui constitue l'unique lien avec le monde extérieur. Ces cellules qui se situent souvent dans les murailles de l'entrée des villes et qui sont attenantes aux chapelles et à certaines églises sont particulièrement sombres, et seul le trou utilisé pour les aumônes laisse passer la lumière du jour. La cellule représente, au-delà de son austérité, un supplice en soi. Elle est en général suffisamment basse pour que la recluse ne puisse pas s'y tenir debout et suffisamment étroite pour qu'elle ne puisse pas non plus s'y allonger. L'hétérodoxie de cette forme de souffrance et de pénitence provient de l'origine même de ce mouvement. Les Pères d'Égypte qui fuyaient la ville se cherchèrent un refuge naturel dans les rochers et ils exprimaient par là même leur refus du monde mais aussi leur indépendance par rapport à l'Église et à un quelconque contrôle dogmatique et orthodoxe. Ils cherchaient non seulement une indépendance vis-à-vis de la civilisation et du Monde mais aussi des autres hommes, de l'institution religieuse, et de ses sacrements. Aux XVe et XVIe siècles, c'est la pratique de l'oraison mentale et la difficulté pour contrôler leurs agissements et pratiques religieuses qui attirent l'attention du Saint-Office. La recluse a en effet un lien et un espace intime non contrôlé avec le monde grâce à l'espace profane qui lui est laissé pour communiquer avec l'extérieur et recevoir officiellement les aumônes et de quoi se nourrir.
Les quelques procès qui ont lieu entre 1520 et 1545 démontrent un usage de pratiques hétérodoxes chez nombre d'entre elles. La volonté de s'unir à Dieu et de rompre avec le monde est parfois si forte qu'elle entraîne des pratiques et des rites condamnés par l'Église et qui sont associés à une liturgie profane. En effet, les emparedadas choisissent parfois de se faire emmurer et enfermer définitivement lorsqu'elles se sentent suffisamment proches du Seigneur et touchées par la grâce et l'esprit divin. Ainsi, au cours d'une cérémonie, la cellule est définitivement murée : la recluse perd son unique lien avec le monde terrestre et demeure dans l'obscurité la plus totale. La « mort au monde » est ainsi à prendre au sens propre, et la cellule devient la tombe de la emparedada dans cette liturgie proprement hétérodoxe.
Comme le démontrent les conclusions du procès contre María Fernández, « existe un aspecto litúrgico transgredido y peligroso(17) » et ces rites et pratiques commencent à être condamnés de plus en plus souvent par l'Inquisition dans le premier tiers du XVe siècle. L'affaire remonte même au Saint-Siège, et Rome répudie à donner sa caution à ces rituels qu'elle juge profondément hétérodoxes, car seul Dieu décide de l'heure de la mort du fidèle et ce choix délibéré de la emparedada s'apparente à un suicide.
Rejet du dogme et pratiques hétérodoxes dans les foyers illuministes
Un autre foyer de spiritualité en marge de l'Église catholique se développe au tournant du XVe siècle, c'est celui des illuminés ou alumbrados qui a souvent été amalgamé à trois autres mouvements religieux évangélistes : ceux des recogidos, des dejados et des perfectos. L'adjectif castillan alumbrado remplace au début du XVIe siècle celui d'iluminado ; c'est un franciscain, le frère Antonio de Pastrana, qui l'emploie pour avertir Cisneros des dangereuses déviations d'un frère du couvent d'Ocaña. En 1498, le Dr Francisco de Villalobos dans son Sommaire de la médecine et traité sur les bons pestueux utilise déjà le terme d'iluminado pour dénoncer cet héritage italien.
Le terme d'alumbrado peut être à la fois un nom, un participe ou un adjectif. Aux XVe et XVIe siècles, il est surtout utilisé comme participe et adjectif, y compris après 1524. Son premier usage connu est, selon le professeur Melquiades Andrés Martín, dans un emploi grammatical de substantif, dans le décret du Chapitre général des Franciscains de Tolède en 1524, qui condamne une voie spirituelle récemment inventée, qu'il nomme « via illuminatorum seu dimittentium se ». Le décret inquisitorial de Tolède l'année suivante définit les nouveaux substantifs :
- Alumbrados : se creen iluminados por el Espíritu Santo. Como San Pablos, Moises y la Virgen María.
- Dejados : por su procedimiento espiritual más característico se dejan o – abandonan a Dios
- Perfectos : se creen cristianos perfectos, hombres espirituales.
L'illuminisme est un mouvement spirituel qui commence à exister à partir de 1510 d'après les sources, autour d'Isabel de la Cruz, et est en lien avec les maisons franciscaines de la Alcarria. Le groupe composé de quelques personnes attire l'attention de l'Inquisition quelques années plus tard, lorsque le 23 septembre 1525 l'inquisiteur Alonso de Manrique publie l'édit qui inaugure officiellement la chasse à ceux qui se disent « alumbrados, dejados y perfectos ». Les membres de cette communauté se disent illuminés par l'esprit de Dieu et recommandent de s'abandonner à la libre inspiration, d'où le nom de dejados. L'édit s'attaque principalement à la impecabilidad, c'est-à-dire « cuando uno tiene la certeza de estar en el amor de Dios ya no puede cometer ningún error dogmático ni pecar », mais aussi au renoncement au culte extérieur, renoncement à ce que les alumbrados appellent « ataduras, es decir al formalismo religioso, el culto divino, las ceremonias, los sacramentos(18) ». En 1529, un autodafé célébré à Tolède met fin à ce premier bourgeonnement d'illuminisme mais il est intéressant de voir qu'aucune peine lourde n'est prononcée à l'encontre des illuminés, à savoir aucune peine de mort.
Cependant les frontières entre les différents groupes ne sont pas très claires. Osuna, qui est accusé d'avoir appartenu à la secta de los recogidos, développe toute une pédagogie religieuse pour permettre aux fidèles d'avancer vers la contemplation puis l'union avec Dieu. Pour autant, son recueillement ne constitue nullement une rupture avec l'orthodoxie et la tradition catholique. Il précise d'ailleurs dans la préface de 1526 du Tercer Abecedario, le danger d'une mauvaise interprétation du recueillement qui peut entraîner le fidèle vers l'erreur et l'hétérodoxie :
Suelen ser los no avisados errar con más peligro, y de hecho han errado mucho no por seguir el recogimiento sino porque pensando que lo seguían se apartaron de las sendillas algo deleitosas, no mirando los documentos que acerca desto escribieron los santos(19).
Il n'en est pas de même des mouvements illuministes et abandonnés. Comme l'affirme M. Andrés Martín : « Los recogidos y alumbrados no entienderon bien la doctrina del amor de Dios y sacaron conclusiones inadmisibles(20) ». Les deux groupes semblent se distinguer, au-delà de leur interprétation divergente de la doctrine de l'amour de Dieu, dans leur formation et leurs conceptions doctrinales, à travers « un acto interno de fidelidad o no a la Iglesia(21) ». L'autre différence qui distingue généralement les recogidos des alumbrados est leur connaissance et leur savoir. Les illuminés contrairement aux recogidos n'ont aucune formation universitaire. Les procès témoignent ainsi de la liberté et des écarts face au dogme et à l'orthodoxie catholique, et de pratiques religieuses hétérodoxes qui tranchent avec la ferveur et le recueillement des dejados et recogidos qui suivent les enseignements de l'Église à la lettre.
L'illuminisme représente donc un mouvement de contestation par rapport à l'Église, et pour reprendre une formule de Jean Baruzi, l'illuminisme est « la claire expression d'une tendance générale de rejet et de méfiance envers le formalisme religieux(22) ». Ce mouvement, né au début du XVIe siècle, témoigne ainsi d'une crise de la spiritualité au sein des fidèles, et notamment des élites comme nous allons le voir. Il constitue un mouvement dont la portée et les enjeux sont prépondérants. Antonio Marquez a ainsi attiré notre attention sur l'importance de l'illuminisme dans l'histoire de la spiritualité en Espagne au XVIe siècle :
Es todavía prematuro dar como tesis que el iluminismo sea la clave del siglo de oro. Pero como hipótesis, a lo menos, explica más fenómenos espirituales que ningún otro presupuesto doctrinal o histórico (...) Sin el iluminismo, no se explica ningún problema fundamental de la espiritualidad de la España del siglo XVI(23).
Pour comprendre les fondements de ce nouveau mouvement spirituel et ses pratiques hétérodoxes, nous nous fondons sur les accusations des procès et des principaux faits religieux reprochés à leurs protagonistes.
Les premières dénonciations partent de Mari Nuñez, une femme de chambre travaillant chez une famille de la haute noblesse, les Mendoza. Le 13 mai 1519, elle dénonce, devant l'inquisiteur tolédan Sancho Vélez, la beata Isabel de la Cruz. Dans les nombreuses accusations présentes dans le dossier du procès, apparaissent aussi les noms de Maria de Cazalla et de Pedro Ruiz de Alcaraz. Il faut attendre cinq années pour que les inquisiteurs se décident enfin à agir, et c'est le 26 février 1524 que débute le procès car les inquisiteurs craignent un nouveau bourgeonnement spirituel. Le premier accusé est donc Pedro Ruiz de Alcaraz. Considéré comme inculte, il sait cependant lire et connaît la Bible. Il affirme « haber leído el Kempis y Sol de Contemplativos(24) ». Fils de judéo-convers, il visite en 1519 la fameuse communauté de Pastrana, après avoir été séduit par le dejamiento d'Isabel de la Cruz. En 1519, il parle avec la beata Francisca Hernández à Valladolid. Ces faits qui sont enregistrés dans le cahier des charges, et notamment son origine judéo-converse fait déjà de lui un accusé. Mais ce qui inquiète le Saint-Office lors du procès, c'est surtout sa grande liberté de penser face à la vie monacale, aux indulgences, aux excommunications, à l'abstinence et aux sacrements. Ses théories personnelles sur la messe et l'eucharistie rentrent en contradiction avec les pratiques religieuses et le dogme catholique. L'Inquisition l'attaque donc surtout sur le plan doctrinal et sur ses propos tenus aux autres fidèles dans la ville qui contredisent les Saintes Écritures. Son hétérodoxie provient donc chez lui non point de pratiques hétérodoxes mais au contraire de contrevérités purement dogmatiques. On pourra ainsi citer le principal chef d'accusation retenu contre lui en 1525 :
Enseñaba sin dar ningún otro entendimiento, que el corazón del hombre era Dios , y de aquí infería que nuestro corazón era mayor que Dios, teniendo su corazón por Dios y Dios por su corazón y quel sentimiento interior que tenía de Dios o en su natural, o en lo que en sí hallase, todo era Dios(25).
Lors du procès, Pedro Ruiz de Alcaraz est accusé dans plus de vingt-trois articles répartis en cent trente-six propositions. Les principaux chefs d'accusation retenus sont la création et l'élaboration de théories fantasques et illuminées dans son rapport à la divinité. Ces interprétations personnelles sur l'existence et l'union divine ne sont pas sans rappeler celles du meunier italien Menocchio mises en évidence par Carlo Ginsburg(26). Finalement, il est fouetté en 1529 sur l'échafaud d'Escalona en même temps qu'on annonce sa peine de prison à vie.
L'affaire concernant María de Cazalla, autre accusée d'illuminisme, est assez similaire. Le Saint-Office tarde une nouvelle fois avant d'ouvrir le procès en 1524. María de Cazalla sait également lire, et dans le procès on affirme qu'elle connaît très bien la Bible. Les témoignages retenus contre elle en 1525 nous apprennent qu'elle commente les Évangiles(27). Elle affirme dans son procès qu'elle n'est point satisfaite du christianisme tel qu'il est pratiqué. Les cérémonies n'ont pour elle aucune importance, la confession et la communion lui paraissent insatisfaisantes. Elle critique les vendeurs de Bulle, elle voit dans l'érasmisme une manière de combattre la corruption générale de l'Église. On remarque donc que ce sont une nouvelle fois des accusations et des reproches dogmatiques qui sont à l'origine du procès, et non point une remise en cause des pratiques religieuses. Ce nouveau procès illuministe démontre bien, lui aussi, la naissance d'une spiritualité populaire, et la volonté personnelle de concevoir et d'interpréter les enseignements et les métaphores bibliques. Dans l'accusation officielle, on compte ainsi plus de trente-deux propositions. María de Cazalla est finalement condamnée à vivre dans un couvent toute sa vie après avoir été fouettée sur la place publique. Lors de la sentence du 19 décembre 1534, la peine est réduite à une amende de cent ducats d'or et une abjuration « de levi » dans la salle du Saint-Office.
La grande protagoniste de l'illuminisme est Isabel de la Cruz. Sœur du tiers-ordre franciscain, elle vit à Guadalajara, sa ville natale dans la paroisse de Santo Tomás. C'est la mère spirituelle des alumbrados de 1525, et c'est pour cela que tous les accusés la citent durant leur procès. Son procès est peu connu mais on en retrouve certains détails biographiques dans le procès d'Alcaraz. Sa renommée se déplace entre La Alcarria et Escalona. Elle est convoquée en 1524, á la suite du chapitre provincial de Tolède présidé par Francisco de Quiñones, qui fait paraître la décision suivante :
si en esta provincia es hallado algún fraile que pertenezca a esa escandalosa vía, recién inventada de los alumbrados o dejados (...) sea encarcelado(28).
Les chefs d'accusation retenus contre Isabel de la Cruz sont réunis dans dix chapitres, ce qui fait un total de cent quarante-six propositions accusatrices. Lors de son procès, elle persiste dans sa conception de Dieu et de l'amour ; selon elle, la perfection se trouve dans l'abandon à Dieu et les œuvres de la miséricorde comme choisir, demander, jeûner, ne sont rien sans l'amour. Elle affirme que les religieux ne doivent pas s'inquiéter de la chair, de la discipline, du jeûne et des prières car les œuvres et agissements extérieurs sont bas et inutiles. Pour elle, Dieu ne se complaît point avec la prière orale mais il préfère l'oraison mentale qui est l'unique qui puisse servir Dieu. L'abnégation d'Isabel, qui remet en cause non seulement le dogme mais aussi les pratiques religieuses de l'Église en refusant la prière orale ou certains sacrements, lui valent un rapprochement avec la pensée luthérienne encore en germe. Cependant, et c'est ce qui lui vaudra une certaine clémence de l'Inquisition, Isabel est plus mesurée sur l'obéissance aux autorités ecclésiastiques qu'elle dit respecter. Après avoir déclaré qu'elle doit davantage obéir à Dieu qu'aux prélats qui lui ont interdit de faire venir des hommes chez elle, et que Dieu est davantage dans l'âme que dans le sacrement, elle revient finalement sur ces affirmations. Les juges retiennent finalement sa conception erronée de l'amour, son rejet de l'enfer, de la bulle d'excommunication et des actes et manifestations extérieures. Le procès se clôt par un jugement en août 1529, et Isabel défile sur un âne, coiffée d'un sanbenito et les mains liées. A. Hamilton(29) affirme ensuite qu'elle est condamnée à une peine d'enfermement à perpétuité dans le couvent de Guadalajara.
Ces trois procès qui ont un fort retentissement en Castille démontrent bien l'importance de l'existence de foyers hétérodoxes et l'existence d'une spiritualité populaire se fondant sur une relation plus intime avec la divinité et refusant une approche mécanique et impersonnelle de la religion. L'Église, ne souhaitant pas intervenir dans un premier temps face à des mouvements religieux qu'elle ne perçoit pas comme hétérodoxes, est finalement consciente du danger de ces nouvelles formes de vie spirituelle à une époque où Luther est entendu à la diète de Worms et refuse de renier ses thèses. A. Marquez note à ce sujet que les alumbrados sont clairement perçus comme hérétiques à la fin du procès :
Para ellos, no hay jerarquías ni eclesiásticas ni celestiales, sólo Dios y el hombre (...). Los alumbrados son primaria y formalmente, una herejía : 38 de las 48 las proposiciones del edicto son calificadas de heréticas(30).
Ces foyers spirituels, dont l'influence tend à se répandre en Nouvelle- Castille, ne sont pas isolés ou le fruit de quelques esprits fous et ignares(31), comme tendent à le souligner certains clercs de l'époque qui n'ont pas saisi la portée de ces communautés à l'aube du mouvement de réforme qui touche l'Empire. L'illuminisme, loin d'être une aberration spirituelle ou une doctrine ésotérique est bien un mouvement hétérodoxe complexe et dense, comparable aux mouvements de rénovation spirituelle qui parcourent l'Europe, et notamment l'Allemagne. La doctrine des alumbrados n'a d'ailleurs rien d'original : l'Inquisition qualifie ainsi de luthériennes les propositions 7, 26, 28, où il est reproché le rejet de la pénitence, la valeur des indulgences, et l'exclusivité de la lettre des Saintes Écritures comme école et source de vie spirituelle. Les propositions 14, 18, 24 et 27 se rapprochent fortement des thèses de Luther, elles démontrent un rejet en matière de cérémonies, jeûne et culte des images.
Cependant, certaines propositions apparaissent comme purement alumbradas : celle qui affirme que l'amour de Dieu dans l'âme est Dieu en personne (proposition 9) et celle qui suppose que Dieu communique davantage quand l'homme se laisse aller (estado de dexamiento) que lors de l'eucharistie (proposition 4). Ces principes constituent une nouvelle ontologie de la vie spirituelle, et la doctrine des illuminés est ici clairement hétérodoxe mais ne doit pas être restreinte à un groupe de personnes marginales et fantasques. Les multiples relations de ce groupe avec le patriciat urbain et l'aristocratie témoignent de l'intérêt suscité par ces communautés chez une élite en quête de nouvelles formes de spiritualité. En effet, les élites urbaines sont directement touchées par ce phénomène spirituel : Pedro Ruiz de Alcaraz est embauché comme prédicateur laïc par le marquis de Villena, duc d'Escalona, et touche une rente annuelle de trente-cinq mille maravedis. Le marquis se fait d'ailleurs dédicacer le Tercer abecedario de Francisco de Osuna et est véritablement séduit par la piété intérieure des alumbrados. Pedro Ruiz de Alcaraz est plus tard mis en relation avec la noblesse castillane, en travaillant par exemple comme trésorier du marquis de Priego avec lequel il entretient des relations fortes. La situation est la même pour Maria de Cazalla qui a été reçue par la petite noblesse des villes de Valladolid et Salamanque. Dans les sentences des procès, comme nous l'avons vu, ce sont davantage des critiques dogmatiques qui situent les illuministes du côté de l'hétérodoxie. Pour autant, on ne peut pas affirmer que les alumbrados cherchèrent à provoquer une véritable révolution comme l'entend A. Marquez, mais seulement une réforme répondant aux attentes existentielles et personnelles de la classe moyenne et aisée :
Los alumbrados constituyen una reforma, o movimiento de reforma, encarnado en una vía nueva de espiritualidad, no de corte intelectual como el erasmismo sino existencial, experimental : la base ideológica la tomaron de la vía mística del recogimiento, mal entendida y aplicada(32).
Lorsqu'on analyse les discours des accusés et notamment celui d'Alcarraz, on remarque que la majorité des pratiques religieuses n'entrent pas en opposition directe avec l'Église et qu'elles dérivent du désir de mettre en place une communication directe avec Dieu. Ainsi les alumbrados refusaient-ils les mementos lors des messes (proposition 23) qui s'apparentaient à un exercice mécanique, car ils préféraient se réfugier dans l'oraison mentale, beaucoup plus efficace, selon eux, pour se rapprocher du Seigneur. La légèreté des peines témoigne d'une certaine forme de laxisme de la part du Saint-Office(33), qui perçut le mouvement comme condamnable mais devant être modérément sanctionné, à la suite non seulement de l'implication de hautes personnalités - qui ne furent finalement pas inquiétées - mais aussi de l'amalgame avec le recueillement et les manuels de spiritualité encouragés par l'Église. Ainsi, le 22 juillet 1529 a lieu l'autodafé de Tolède avec Isabel et Pedro Ruiz de Alcazar accompagnés du clerc Gaspar de Bedoya, qui sont fouettés et condamnés à l'enfermement. Cette même année sont emprisonnés la beata de Vallladolid Francisca Hernández, Francisco Ortiz, Bernardino Tovar et Juan de Vergara. En 1530, Juan Lopez de Celaín fut le seul à être condamné à mort pour illuminisme et surtout luthéranisme. Ce grand nombre de procès tout comme leur longueur dans le temps tranche avec l'absence de fermeté des peines, exceptée pour Celaín qui paya de sa vie son hérésie. Pedro Ruiz de Alcaraz fut condamné à cinquante coups de fouet et à la prison à vie, mais il fut gracié de même qu'Isabel de la Cruz ; Maria de Cazalla fut libérée en 1534 faute de preuves. Cela permet aussi de conclure sur la difficulté de définir clairement pour le pouvoir ecclésiastique le caractère hérétique et hétérodoxe de la doctrine illuministe, sachant qu'elle est souvent croisée avec des théories messianistes, érasmistes et rarement luthériennes.Ainsi, les alumbrados développèrent certaines pratiques hétérodoxes mais l'Église leur reprocha davantage, au vu des accusations, un rejet d'une partie du dogme et des rites sacrés à travers des interprétations personnelles des Saintes écritures et surtout un refus de l'intercesseur et de la hiérarchie ecclésiastiques. L'existence de groupes et de communautés spirituelles, comme ceux que nous avons étudiés dans cet article, touchent à la fois les milieux modestes et la petite noblesse dans les années 1510-1525, et démontrent une nette crise de la spiritualité dans l'ensemble de la société espagnole. Malgré la Réforme entreprise par Cisneros qui tend à refonder une orthodoxie forte pour guider le fidèle, ce dernier est heurté par la corruption et les déviances de l'Église et par la réification du sacré. Pour l'ermite, la recluse, où de nombreux alumbrados dont la vie est rythmée par les rites et les sacrements de l'Église catholique, la religion passe moins par les œuvres que par la conformité de la volonté de l'homme à celle du Christ dans la pratique de l'Évangile et à travers un rapport direct et intime avec la divinité. Cependant, l'isolement, l'autonomie et l'interprétation directe des Saintes Écritures chez les membres de ces nouveaux foyers de spiritualité inquiètent l'Église et l'Inquisition qui répriment dans un premier temps- certes modérément - ce mouvement, à l'heure où la Réforme entreprise par Luther commence à gronder dans l'Empire. Trente années plus tard, alors que l'Espagne lutte pour maintenir l'unité catholique dans l'Empire, les hétérodoxes qui refusent le dogme ou la doctrine de l'Église, sont associés au luthéranisme et périssent dans les flammes.
Notes
(1) Michel de Certeau dans La faiblesse de croire, Éditions du Seuil, Paris, 1987, p. 47 définit cette crise qui touche le fidèle et la société dans notre période : «Ainsi la spiritualité des XVIe et XVIIe siècles est indissociable de la « crise » qui modifie alors toute la civilisation occidentale, renouvelant ses horizons mentaux, ses critères intellectuels et son ordre social. Un univers s'effondre : les guerres de religion relativisent les convictions : le pluralisme des églises lézarde l'homogénéité des sécurités religieuses et mentales ».
(2) Voir Pedro Sainz Rodríguez, La siembra mística del cardenal Cisneros y las reformas en la Iglesia, Madrid, F.U.E, 1979.
(3) Voir Marcel Bataillon, Érasme et l'Espagne, Paris, Droz, 1937.
(4) Ricardo García Carcel, Herejía y sociedad en el siglo XVI, Inquisición en Valencia,1530-1609, 1980, p.124.
(5) Ibid., p. 124.
(6) Voir Guillermo Serés, La literatura espiritual en los siglos de oro, Barcelone, 2003, en particulier, p. 86-88.
(7) Sur les liens entre les intellectuels et le mouvement illuministe on s'appuiera sur le précieux article de Luis Fernández, « Iñigo de Loyola y los alumbrados », Hispania Sacra, 35 (1983), p. 585-680.
(8) Alain Saint Saëns, L'idéal érémitique en Castille au siècle d'or, San Francisco, Melen Press, 1993 p. 84.
(9) Antonio Márquez, Los alumbrados, origen y filosofía, 1525-1569, Madrid, Taurus, 1980, p. 176.
(10) José García Oro, « La reforma de las órdenes religiosas en los siglos XV y XVI », Historia de la Iglesia en España, Ricardo Garcia Villoslada (dir.), Madrid, Yarza, 1979, p. 245.
(11) Testamento del obispo Pedro de Medina (AHN, Clero, leg. 3423, año 1479).
(12) Alain Saint Saëns, Valets de dieu, suppôts du diable, ermites et réforme catholique dans l'Espagne des Habsbourg, San Francisco, Melen Press, 1996.
(13) Ibid., p. 135.
(14) Juan Clímaco, Escalera espiritual, Madrid, B.A.C, 1994, p. 307.
(15) Antonio de Solís y Ribadeneyra, Contra la soledad, Madrid, B.A.C, 1986, p. 444.
(16) Alain Saint Saëns, Valets de Dieu, suppôts du diable, ermites et réforme catholique dans l'Espagne des Habsbourg, San Francisco, Melen Press, 1996, p. 119.
(17) AHN, Clero, C. 3. 129.
(18) Joseph Pérez, Crónica de la Inquisición en España, Barcelone, 2002, Cáp. 4, p. 126.
(19) Francisco de Osuna, El tercer Abecedario, Madrid, B.A.C, p. 123.
(20) Melquiades Andrés Martín, « La consolidación del Santo Officio », Historia critica de la Inquisición en España, Juan Antonio Llorente (dir.), Madrid, Hiperión, 1980, Cap. 2, p. 492.
(21) Ibid., p. 492.
(22) Jean Baruzi, Saint Jean de la Croix et le problème de l'expérience mystique, Paris, Salvator, 1999.
(23) Antonio Márquez, Los alumbrados, origen y filosofía, 1525-1569, op. cit., p. 176.
(24) Angela Selke, « Algunos datos nuevas sobre los primeros alumbrados. El edicto de 1525 y su relación con el proceso de Alcaraz », Bulletin hispanique, IV (1952), p. 140.
(25) Antonio Márquez, Los alumbrados, origen y filosofía, 1525-1569, op. cit., p. 184.
(26) Carlo Ginzburg évoque ainsi l'existence d'une culture populaire qui déforme les métaphores bibliques et les associe à la trivialité des angoisses et pensées quotidiennes. Le meunier Menocchio, qui savait lui aussi lire et écrire avouera : « j'ai le cerveau subtil et j'ai voulu réfléchir sur les choses élevées que je ne connaissais pas...». Le fromage et les vers, Paris, Flammarion, 1980, p. 175.
(27) Milagros Ortega Costa, Proceso de la inquisición contra María de Cazalla, Madrid, F.U.E, 1978, f. XXXVI : « Catalina Alonso, veçina de Pastrana, muger de Francisco de Buencuchillo, aviendo jurado en forma, dixo que avrá cuatro años se fue a casa de la Çerezeda, vecinda de la dicha ciudad, a oyr doctrina de María de Cazalla e que leya un libro de San Pablo y dezía cosas de serviçio de Dios y que amasemos a Dios ».
(28) Wadding, Annales Minorum, XVI, (rééd.), Florence, Quaracchi, 1931, p. 216.
(29) Alastair Hamilton, Proceso de Rodrigo Bivar, Madrid, F.U.E, 1979, tomada de AHN, lib. 573, fol. 148r.
(30) A. Marquez, Los alumbrados, origen y filosofía, 1525-1569, op. cit., p.178.
(31) Ramón Menéndez y Pelayo, Historia de los heterodoxos españoles, Valence, Aldus, 1965, p. 210-214.
(32) M. Andrés Martín, « Los alumbrados de 1525 como reforma intermedia », Salmenticensis 24 (1977), p. 307-334.
(33) Sur la modération des peines contre les alumbrados voir Jean-Pierre Dedieu, L'Administration de la foi, L'Inquisition de Tolède XVI-XVIIe siècles, Madrid, B.C.V., 2000, p. 49.
Pour citer cette ressource :
Laurey Braguier, Hétérodoxie et spiritualité chez les ermites, les recluses et les sectes illuministes en Castille dans la première moitié du XVIe siècle, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), juillet 2008. Consulté le 23/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/civilisation/histoire-espagnole/histoire-medievale/ermites-recluses-et-sectes-illuministes