«Barullo» de Rodrigo García
Rodrigo García, Barullo, un livre dodécaphonique traduit de l’espagnol par C. Vasserot, éd. Les Solitaires Intempestifs, collection « Du désavantage du vent », 144 pages, (2015)
Rodrigo García est né en 1964 en Argentine. Il quitte son pays en 1986 et s’installe en Espagne. En 1989, il fonde la compagnie La Carnicería Teatro à Madrid. Le théâtre de R. García constitue une satire virulente, poétique de la société contemporaine, celle de l’argent, de la nourriture, des marques internationales, entre autres et propose une nouvelle écriture scénique proche de la performance. Il suscite depuis longtemps des réactions des « censeurs » de tout poil, et des polémiques animées dont la dernière en date, la « polémique du homard » sur la question de la représentation et de la mise en action de la violence sur un plateau. (la mise à mort en direct du crustacé).
Rodrigo García dirige depuis début 2014, le CND de Montpellier.
Barullo comme le dit lui-même R. García, dans sa présentation du volume, est « un cocktail de textes théâtraux, radiophoniques, théoriques conçus à diverses époques » (p 14). Son titre espagnol met en exergue l’idée d’une confusion sonore, comme un vacarme mais aussi sans doute comme un surgissement créatif semblable au tohu-bohu de la Genèse. Le sous-titre et surtout le mot « dodécaphonique » nourrissent le rapport à une musique, en rupture avec le système tonal, à partir des œuvres de compositeurs comme Schönberg., manière de métaphore des propositions radicales de plateau que met en œuvre García. Ainsi le recueil regroupe-t-il six textes classés chronologiquement de 1997 à 2013, marqués par une variété des formes mais aussi irrigués par des lignes de force : la verve satirique, l’écriture-poème, l’interrogation sur l’œuvre et la parole théâtrale.
Le premier texte, Protégez-moi de ce que je désire est un texte « retrouvé » de quelques pages que l’auteur place sous l’influence de Thomas Bernhard. Quelqu’un parle à la première personne de la lassitude de sa vie et de ce qui alimente cette existence. Suivent quarante « maximes » comme autant de recherches à l’édification des vies (mot omniprésent). Le deuxième texte s’intitule sans autre forme de titre, Texte pour France Culture, lu par Nicolas Bouchaud. Le texte a en effet été l’objet d’une lecture publique en Avignon, en 2005. Il se présente sous la forme d’une vraie fausse émission de radio avec sa proposition de jeu concours pour auditoire cultivé et son prix (une Ferrari) et son gagnant, en fin de programme, un dénommé : Marcial Di Fonzo Bo ! Les pauses musicales ponctuent la programmation, ainsi le retour de cantates de Bach, ou le cha-cha-cha final. Cependant il n’est pas seulement question de parodier mais d’affirmer son engagement au sens politique du terme, sa vision de l’entreprise théâtrale :
Un gars qui fait de l’art parce qu’il n’a pas le cran de tuer. Et qui a choisi de vivre aux antipodes de l’Europe du faux bien-être. (p 40)
Le texte suivant, Le Messager des Asturies est une brève prise de position sur la question de la censure, des opposants au théâtre de García, qui depuis des années ferraillent contre lui au nom d’un prétendu ordre moral. Avec La forêt est jeune et pleine de vie, une fois encore, il travaille sur le lien étroit du texte et de la musique qui parcourt son œuvre. Le point de départ de ce texte est double : une pièce musicale de Luigi Nono pour soprano, acteurs, clarinette, plaques métalliques et bande sonore, et un texte du même auteur, Marino Formenti assurant la direction musicale. Mais García a écrit à son tour, à partir de cette matrice. Il s’agit d’un long poème (dramatique), fonctionnant en blocs numérotés plus ou moins amples qui surgissent comme autant de visions, de flashs poétiques (la photo de Jeff Wall par exemple) et où des personnages improbables apparaissent, disparaissent ou réapparaissent tels « le fou à la casquette imitation Adidas » ou « la baby corned beef ». L’avant-dernier texte est le seul à rappeler, par sa mise en page, la tradition du langage dramatique : personnage/réplique et didascalies en italiques. Pourtant il n’y est question que de voix, de polyphonies cinématographiques, musicales à nouveau, littéraires. La pièce radiophonique est une forme de tombeau, à l’adresse du contrebassiste Stefano Scodanibbio. Enfin le volume se referme sur les quatre pages du Livre des cinq poèmes, dont deux très jolis, écrit sous la forme de 6 textes plus ou moins courts, intercalés au milieu d’images vidéo, enregistrées avec un smartphone. Poésie qui se récuse et s’affiche.
Barullo en vérité dévoile les trajectoires d’une œuvre, ses recherches, ses repentirs, son essence.
Pour aller plus loin
Il est possible d’approfondir une approche de cette œuvre à travers quelques autres références :
Mise en scène livre DVD, Bleue, saignante, à point, carbonisée.
Ouvrage collectif, Mises en scène du monde 200, actes du colloque international de Rennes.
Pour citer cette ressource :
Marie Du Crest, "«Barullo» de Rodrigo García", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), avril 2015. Consulté le 05/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/arts/theatre/theatre-contemporain/barullo-de-rodrigo-garcia-