Vous êtes ici : Accueil / Civilisation et société / Monde arabe / Évolution et réformes potentielles du code de la famille de la Moudawana au Maroc

Évolution et réformes potentielles du code de la famille de la Moudawana au Maroc

Publié par Yucel Hilal le 17/06/2024

Activer le mode zen PDF

Le code de la famille marocain, la Moudawana, a fait l'objet de réformes importantes depuis sa création en 1958. Le code a fait l'objet de critiques, ce qui a conduit à une première réforme majeure en 1993 et à une réforme plus importante en 2004 sous le règne du roi Mohammed VI. Malgré les différents changements, la résistance de la société et une mise en œuvre inadéquate persistent, en particulier dans les zones rurales. Le débat en cours met en évidence la tension entre les modernistes qui recherchent l'égalité et les traditionalistes qui défendent les valeurs religieuses, les droits des femmes devenant souvent un outil politique dans cette lutte.

                   Cet article a été rédigé dans le cadre d'un stage à l'ENS de Lyon

Introduction

Le code de la famille marocain, la Moudawana, qui a été et est toujours un grand sujet de discussion dans le pays mais aussi dans l'espace international, a été décrit par sa nature comme un texte juridique sacré, c'est-à-dire un texte juridique qui vise à organiser et à limiter la vie civile mais dont l'inspiration vient du sacré, ce qui rend ce texte spécial et spécifique en termes de code juridique. Il s'agit en effet d'un texte divin inspiré de la charia, mais qui vise à réglementer la vie civile, le domaine privé de la vie. Il ne s'agit donc pas d'un texte stable, ni statique. Il s'agit plutôt d'un texte en mouvement et en évolution. Dans son article, Murgue (2011) explique les réformes et les débats autour de la Moudawana comme une "modification de l'inaltérable". 

Histoire de la Moudawana

1. Acceptation, débats et première réforme autour de la Moudawana 

La Moudawana, acceptée comme code juridique officiel au Maroc en 1958, a été signée sous le règne de Mohammed V. Cette première version de la Moudawana, qui est souvent considérée comme un symbole de l'identité islamique remplaçant les traditions, est aujourd'hui débattue par les théoriciens pour refléter un modèle patriarcal, rendant l'élite masculine dominante Murgue, B. (2011). La Moudawana : les dessous d’une réforme sans précédent. Les Cahiers de l'Orient, 102, 15-29. Cette nature visiblement inégalitaire de la Moudawana a fait l'objet de diverses critiques, en particulier après les années 1960. Ainsi, les années 1960 pourraient être considérées comme les années où le public a commencé à manifester son mécontentement à l'égard du code juridique nouvellement adopté par le Maroc. Les critiques étaient souvent motivées par le fait que le modèle envisagé par la première version de la Moudawana ne reflétait pas tout à fait la société telle qu'elle est. Les mouvements sociaux et les mobilisations des femmes en faveur de l'égalité sont d'autres raisons qui ont pu influencer les critiques et les débats contre la Moudawana, créant ainsi un espace propice aux demandes de changement ou de réforme. 

Dans ce contexte, la première réforme apportée à la Moudawana a eu lieu en 1993, sous le régime du roi Hassan II. Appelée ici "réforme", elle ne représente pas un changement total de la nature ou de l'inclusivité du texte. Alors que cette réforme visait à apaiser les tensions, elle a tout de même été critiquée pour le maintien de certains aspects traditionnels. Les débats se sont donc poursuivis bien après la reconnaissance de la réforme en 1993. Comme ils se sont poursuivis après la mort du roi Hassan II, un nouveau potentiel de réforme était déjà visible au début des années 2000. En ce sens, la réforme de 2004, qui a apporté divers changements et défis en même temps, n'était pas inattendue. 

2. Deuxième réforme, grands changements et défis

La réforme de 2004 dans la Moudawana a été considérée comme différente de la première réforme, car elle offrait davantage de possibilités d'égalité, mais sa mise en œuvre et son acceptation dans la société n'ont pas été exemptes de défauts. Avec la réforme de 2004, l'âge minimum légal du mariage a été porté à 18 ans, la polygamie a été limitée par le code, certaines responsabilités au sein de la famille ont été réglementées afin d'assurer une plus grande égalité et les femmes peuvent demander le divorce. Toutefois, ces changements ont été considérés comme inutiles, contre nature ou tout simplement mauvais ou inadaptés à l'Islam et/ou aux traditions, et pour ces raisons, une certaine partie de la société s'y est opposée. Il est donc important de reconnaître que, dans la mesure où la deuxième réforme du texte était différente de la première car elle avait apporté des changements majeurs dans les sujets qu'elle réglemente, elle n'a pas été totalement acceptée ou respectée par la totalité de la société, ce qui signifie qu'elle a posé ses propres défis. 

Cette acceptation partielle par certains groupes de la société a créé des distinctions entre les groupes, mais a également nourri les oppositions déjà existantes entre les traditionalistes, les groupes qui sont en faveur d'une charia entièrement d'origine divine, les réformateurs, les membres de la société civile qui travaillent pour l'égalité. Malgré tous ses défis, cette réforme a été mise en place en 2004 par le roi Mohammed VI. Cette avancée a été perçue par certains érudits comme un effort pour équilibrer les traditions existantes avec le besoin de progression. Comme cette réforme a déjà apporté de nombreux nouveaux débats, il reste de nombreuses questions non résolues et des sujets qui n'ont toujours pas été réglementés par ce texte juridique sacré, tels que l'héritage et la polygamie. Bien que certains considèrent la réforme de 2004 sur la Moudawana comme une étape importante de la modernisation, certaines questions sont restées inchangées, ce qui a ravivé les débats. Par ailleurs, l'un des espaces où les problèmes concernant le code civil nouvellement réformé se sont le plus manifestés sont les tribunaux de la famille, rapporte Murgue (2011). Comme l'état d'esprit des juges ne pouvait pas changer d'un jour à l'autre avec la mise en œuvre de la réforme sur la Moudawana, les affaires dans les tribunaux restaient souvent non résolues pendant une longue période après la réforme de 2004. En outre, les tribunaux traditionnels ont été considérés comme moins puissants ou mis à l'écart après la réforme, ce qui a provoqué une frustration autour de ces lieux. Cela a causé des problèmes dans le domaine juridique au Maroc, créant de nouvelles questions. 

Un autre obstacle à l'adaptation du code civil nouvellement réformé était sa communication avec la société. Alors que les habitants des villes, qui ont facilement accès à l'information, ont pu se familiariser avec les nouvelles réglementations et les nouveaux droits, les habitants des zones rurales, en particulier les femmes, n'ont pas pu accéder à la reconnaissance nécessaire des droits nouvellement introduits. L'analphabétisme des femmes, l'accès limité à l'éducation, le manque d'efficacité de la communication de la réforme dans les médias sont autant de raisons qui expliquent ce problème. En outre, comme la réforme elle-même ne pouvait pas être considérée comme totalement égalitaire, elle avait pris certaines mesures susceptibles d'ouvrir la voie à une plus grande égalité de traitement entre les hommes et les femmes, remettant en cause le statut privilégié des hommes dans la famille et dans la société. C'est ainsi que certaines craintes et critiques ont commencé à se former autour des hommes. Par ailleurs, alors que les mariages des mineures étaient censés prendre fin avec la réglementation de l'âge du mariage à 18 ans, les mariages des mineures ont continué à exister malgré cette nouvelle réforme, car la réforme elle-même n'est rien d'autre qu'un "code" si elle ne prévoit pas certaines punitions ou sanctions en cas de non-acceptation de la réforme.

Aujourd'hui de la réforme

1. Principales causes des débats en cours sur une autre réforme potentielle à Moudawana

Comme il est clair que la réforme a apporté de nombreux nouveaux défis en plus des débats déjà existants autour du code civil, la réforme de 2004 n'a pas pu atteindre tous ses objectifs. Dans le même temps, de nombreuses questions restent inchangées, telles que l'héritage et la polygamie. En outre, l'avortement et les relations sexuelles extraconjugales sont toujours interdits par la loi, et de nombreux débats tournent autour de ces sujets. Il est également possible de constater qu'il existe de nombreuses frustrations et attentes concernant les relations entre époux, le divorce et la garde des enfants Brouksy, O. (2024, May 27). « Moudawana » au Maroc. Le code de la famille en débat. Orient XXI. 

Dans ce contexte, le roi Mohammed VI a reconnu les limitations dans plusieurs discours et a appelé à une refonte du code existant, ce qui pourrait être considéré comme un effort de réforme. Pour atteindre cet objectif, le roi a nommé une commission chargée de débattre et de rédiger des propositions de réformes potentielles de la Moudawana. Cependant, ce comité a également été critiqué par certaines parties de la société pour être trop conservateur, ce qui signifie qu'il n'apporterait pas de changement significatif. Le manque de présence de la société civile dans le processus de rédaction a également été un autre problème soulevé par le public. 

2. Possibilités de réforme du code civil

Comme de nombreux débats tournent autour du code civil, le projet de réforme est maintenant dans sa phase finale. Mais c'est le Roi qui prendra la décision finale pour l'acceptation ou le rejet du projet de réforme. Par ailleurs, le parlement marocain tiendra une session de vote en juin Aublanc, A. (2024, April 11). Au Maroc, dernière ligne droite pour le projet de réforme du code de la famille. Le Monde.

Dans un tel contexte, où les groupes religieux et traditionnels s'opposent aux réformes potentielles et où les modernistes demandent des changements plus substantiels en fonction des besoins d'une société en voie de modernisation, ainsi qu'une meilleure diffusion des réformes nouvellement introduites auprès du public, le Roi semble chercher à équilibrer les oppositions avec les besoins d'égalité, puisque la décision finale d'accepter ou de rejeter les décisions et de mesurer l'étendue des réformes potentielles reste de son ressort. Dans ce contexte, les droits des femmes, leur présence légale et leur existence dans la vie civile restent un sujet de débat, ou un outil pour équilibrer le pouvoir des élites masculines dans la société. L'Association marocaine des droits humains (AMDH) a préparé un rapport sur les débats autour du Code civil en 2022, et résume la situation comme suit : "La question des droits des femmes et de l'égalité au Maroc continue à relever de la compétence de l'institution royale, et est toujours sous le poids du référentiel religieux et des constantes du pays. Ce qui constitue un vrai obstacle à tout progrès vers le respect par l'État de ses obligations internationales, et affecte négativement le statut de la femme et leurs droits humains au niveau de la législation locale."

Conclusion

Alors que la réforme de la Moudawana marocaine constitue une étape importante vers l'égalité des sexes dans le droit de la famille, reflétant les tendances mondiales plus larges de changement des structures familiales dans les pays musulmans, le débat sur l'interprétation des textes islamiques à des fins juridiques met en évidence la tension entre les modernistes, qui prônent l'interprétation individuelle, et les traditionalistes, qui estiment que seuls les érudits religieux détiennent ce droit. Cette tension souligne le rôle central de l'Islam dans les discussions autour du droit de la famille au Maroc. Si la réforme représente un progrès pour les droits des femmes, d'importantes limitations persistent. Le système juridique peine à s'adapter aux nouveaux changements et la sensibilisation du public reste faible, en particulier dans les zones rurales. La réforme s'inscrit dans le cadre d'un changement social et politique plus large dans le monde musulman, mais la religion continue d'influencer ces changements de manière significative. Le roi Mohammed VI doit relever le défi de trouver un équilibre entre sa légitimité religieuse et les appels à la promotion des droits de la femme, ce qui crée une tension lorsque les droits de la femme sont souvent utilisés comme outils politiques.

Les partis islamistes, tels que le Parti de la justice et du développement (PJD), considèrent les réformes comme une menace pour leur pouvoir et se présentent comme les défenseurs des valeurs islamiques face aux influences européennes. Des groupes radicaux comme Al Adl wal-Ihsan rejettent toutes les réformes qui contredisent les écritures islamiques, ce qui complique encore la voie vers l'égalité des sexes. L'Association marocaine des droits de l'homme critique le contrôle exercé par la monarchie sur le processus de réforme, soulignant que les références et les traditions religieuses continuent d'entraver les progrès.

En même temps, pour que les réformes soient pleinement réalisées, il faut un effort concerté pour surmonter la résistance culturelle, sensibiliser et fournir des ressources adéquates pour la mise en œuvre. L'État, la société civile et le secteur privé jouent tous un rôle crucial dans la promotion de l'égalité des sexes et la mise en œuvre des réformes. Le gouvernement doit lancer des campagnes de sensibilisation, fournir une aide juridique, former les juges et réformer le système éducatif pour promouvoir le respect des droits des femmes. Le chemin vers l'égalité des sexes au Maroc est en cours et nécessite une révolution des normes et des valeurs sociales. Cette transformation implique de remettre en question les attitudes patriarcales, d'éduquer le public sur ses droits et de veiller à ce que les cadres juridiques et institutionnels soutiennent ces changements. 

Bibliographie

Aublanc, A. (2024, April 11). Au Maroc, dernière ligne droite pour le projet de réforme du code de la famille. Le Monde. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/04/11/au-maroc-derniere-ligne-droite-pour-le-projet-de-reforme-du-code-de-la-famille_6227243_3212.html

Brouksy, O. (2024, May 27). « Moudawana » au Maroc. Le code de la famille en débat. Orient XXI. https://orientxxi.info/magazine/moudawana-au-maroc-le-code-de-la-famille-en-debat,7356

Murgue, B. (2011). La Moudawana : les dessous d’une réforme sans précédent. Les Cahiers de l'Orient, 102, 15-29. https://doi.org/10.3917/lcdlo.102.0015

Notes

Pour citer cette ressource :

Évolution et réformes potentielles du code de la famille de la Moudawana au Maroc, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), juin 2024. Consulté le 07/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/arabe/civilisation/monde-arabe/evolution-et-reformes-potentielles-du-code-de-la-famille-de-la-moudawana-au-maroc