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Comprendre et enseigner "be+ing"

Par Jean-Pierre Gabilan : Maître de conférences - Université de Savoie Mont-Blanc
Publié par Clifford Armion le 04/09/2008

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Notre travail présente d'abord dans les grandes lignes ce qu'il faut savoir à propos de be+ing avant d'envisager la moindre perspective d'enseignement - on ne peut en effet enseigner que ce que l'on a au préalable compris. Puis, dans un second temps, nous proposons des pistes pour introduire cette conjugaison dont l'utilisation, face au Présent simple, reste un mystère pour les élèves parce qu'imparfaitement présentée.
Dans "Le temps ne fait rien à l'affaire", publié en 2007 dans Les Langues modernes, Jean-Pierre Gabilan proposait une perspective théorique originale sur la valeur et l'emploi du "Présent simple" en anglais et invitait à reconsidérer la façon dont on introduit ce temps dans les manuels d'anglais. L'article se terminait par une invitation à entreprendre un travail similaire sur la conjugaison be+ing. Nous l'avons pris au mot et lui avons demandé d'écrire un article de même facture (approche théorique + perspectives pédagogiques) sur be+ing pour La Clé des langues. Le voici.

Résumé

Malgré les avancées de la recherche linguistique dans le domaine anglais, notamment en France, la façon dont on présente la grammaire anglaise dans l'enseignement n'a absolument pas évolué. On a changé quelques étiquettes ici et là, on prétend avoir adopté la grammaire "énonciative", mais il suffit d'évaluer des lycéens au sortir du baccalauréat pour être fixé : la répartition des tâches entre les deux "formes" que possède l'anglais - simple et be+ing - repose encore et toujours sur les actions : routines et habitudes s'exprimeraient avec le Présent[1] simple, et les actions en cours au moment de parole avec be+ing . On ne peut hélas comprendre - et donc apprendre - l'anglais en s'appuyant sur de tels principes.

Notre travail présente d'abord dans les grandes lignes ce qu'il faut savoir à propos de be+ing avant d'envisager la moindre perspective d'enseignement - on ne peut en effet enseigner que ce que l'on a au préalable compris. Puis, dans un second temps, nous proposons des pistes pour introduire cette conjugaison dont l'utilisation, face au Présent simple, reste un mystère pour les élèves parce qu'imparfaitement présentée.

[1] Nous adoptons les majuscules pour parler de la conjugaison (tense) afin de ne pas confondre conjugaison et temps qui passe (time).

Introduction

L'apprentissage d'une langue est conditionné par la langue maternelle, et on sous-estime toujours à quel point. Le francophone abordant l'anglais a dans son trousseau langagier une grille phonologique - le système organisé des sons de sa langue - qui ne lui facilite pas la tâche[1], et une grammaire - qu'il maîtrise de façon inconsciente - qui va être confrontée à celle de l'anglais. Je donne au mot grammaire ici un sens assez large, c'est à dire l'ensemble des lois qui gouvernent la production des énoncés, que ce soit l'ordre des mots, le choix de tel ou tel "opérateur"[2] - article, auxiliaire, quantifieur, conjugaison etc. Tout ou presque peut poser problème, et le professeur le plus expérimenté est toujours surpris de la difficulté que rencontre tel ou tel élève francophone devant un "fait de langue" assez banal au premier abord. Ce qui pose problème est bien entendu ce qui diverge par rapport à la langue maternelle, et s'agissant de la confrontation français-anglais, la liste est longue ; dès les premiers pas les écueils sont à fleur de langue, tout professeur d'anglais avisé sait cela. En l'absence d'une conscience claire du fonctionnement de la langue maternelle, l'élève est amené à découvrir le phénomène langage par le biais de la langue qu'il apprend à l'école. Le type de grammaire qui lui a été présenté en liaison avec sa langue maternelle[3] est bien éloigné de ce dont il a besoin pour apprendre l'anglais, ou toute autre langue d'ailleurs. L'instituteur - ou le professeur de lettres[4] - n'a pas à enseigner à ses élèves francophones comment employer par exemple les articles français un(e) ou le/la; ils le savent - sans pouvoir l'expliquer clairement certes, mais ils savent faire. L'instituteur n'a pas à enseigner à ses élèves quand il faut dire "j'ai fait mes devoirs" ou "je faisais mes devoirs" car ils maîtrisent ces deux conjugaisons[5] dans leur communication du quotidien. L'instituteur doit avant tout aider les élèves à mettre "un peu d'ordre" dans leurs connaissances, et c'est là qu'interviennent les tableaux de conjugaison[6] et l'orthographe. Mais les principes de base, la grammaire au sens fort est acquise. Il n' en est pas de même pour la langue 2, pour laquelle tout est à construire. Le professeur de lettres n'est pas un professeur de langue. Le professeur d'anglais "langue étrangère", lui, l'est ou devrait l'être avec une formation appropriée. Il ne s'appuie pas sur une langue déjà en place pour affiner le tir, il doit tout construire, tout apporter : prononciation, grammaire, rapports graphie/phonie, et également, nouveaux repères culturels[7]. C'est là que l'illusion selon laquelle le professeur natif serait le mieux placé fait place à la réalité tout crue : parler une langue depuis le berceau ne fait pas d'un individu un professeur de ladite langue.

Dans la longue liste des difficultés que rencontrent les francophones - et les natifs d'autres langues d'ailleurs - face à l'anglais, l'opposition simple/be+ing est un client de choix[8]. Je m'efforcerai dans les pages qui vont suivre de montrer pourquoi il en est ainsi et donnerai des pistes pour tenter de tout mettre en œuvre pour sortir du carcan hérité d'une longue tradition scolaire. Certes, on pourra objecter que ces "histoires" de temps simples et de forme progressive[9] sont devenues la tarte à la crème dans la formation des anglicistes et qu'il y a d'autres points plus importants à régler. Bien entendu. J'aurais pu parler des modaux, des articles, des nominalisations, de some et de any, mais je pense que ce qui arrive très tôt dans l'enseignement est fort mal présenté. Certes, en sabir international, dire I go to school ou I am going to school voire I going to school ou I'm go to school permettra de se faire comprendre sommairement. Peut-être. Mais le but de l'enseignement est quand même de présenter les choses correctement ou alors il faut cesser séance tenante de proposer des cours d'anglais. Si l'on a pour ambition de réellement enseigner l'anglais tel que les anglophones l'utilisent, une réflexion préalable est incontournable. Cette réflexion, nous allons le voir, ne peut s'appuyer sur les actions du monde, sur les habitudes ou les choses "en train de", autant d'expédients qui rendent l'anglais, il faut le dire, encore plus excentrique que ne sont censés l'être les britanniques dans les clichés les plus répandus.

La prétendue domination de ce qu'on appelle maintenant la grammaire énonciative dans l'approche grammaticale qui règnerait aujourd'hui dans les manuels de classe[10] n'a pas changé grand chose par rapport à une époque plus ancienne, et j'insiste sur ce point. Les auteurs qui aujourd'hui, dans les présentations de manuels, se retranchent derrière la grammaire énonciative, restent en fait très vagues - et très conservateurs - dans leur conception de la grammaire. Même si les mots ont changé - on ne dit plus "forme progressive" (en public) - on présente encore et toujours le Présent simple avec les actions habituelles (les daily routines, les choses immuables etc.) et le Présent be+ing en liaison avec "les actions en déroulement sous mes yeux". Il suffit d'ouvrir n'importe lequel des manuels de collège[11] publiés depuis plus de quarante ans en France pour le constater. En bout de parcours, et c'est là que l'on peut faire un bilan de ce qui a été appris, retenu, les lycéens ont en tête une grammaire fondée sur les actions[12]. Ce qui explique quand même une bonne partie des difficultés rencontrées et non résolues.

Notes

[1] La place manquera pour développer ce point crucial, responsable à mon sens d'une grande partie de l'échec des francophones en anglais.

[2] Le mot a souvent fait peur dans l'enseignement au point que depuis la mort de la PRL dans les textes officiels, c'est auxiliaire qui est revenu en force.

[3] Le couple grammaire-orthographe domine pour le français et les règles qu'on en tire sont inopérantes pour l'anglais - on ne peut dire qu'elles soient plus efficaces pour la compréhension du système grammatical du français.

[4] Professeur de lettres est l'appellation officielle; il ne s'agit donc pas de "langue" française en priorité.

[5] Je ne parle pas ici d'orthographe.

[6] Avec des réussites mitigées d'ailleurs dans ce domaine !

[7] Ceci rappelle, pour les professeurs les plus anciens, les RCC - repères culturels coordonnés -  des programmes de lycée.

[8] Je propose dans le numéro de juin 2007  des Langues Modernes une approche renouvelée du Présent simple.

[9] Je reprends à dessein les mots - maux - de la tradition.

[10] A de très rares exceptions près.

[11] Seule la collection de collège  Enjoy (Didier) - et avant elle, New Live 4ème et 3ème (Didier)  - a adopté sur ce point précis des outils différents.

[12] Mes étudiants de 1ère année d'anglais à l'université  - et ce depuis 1988 - ont toujours la même conception de la grammaire anglaise quand il s 'agit des "temps". Ni PRL, ni grammaire de l'énonciation - ou censée l'être - n'ont changé quoi que ce soit aux pratiques de classe.

L'article complet est disponible en téléchargement.

 

Pour citer cette ressource :

Jean-Pierre Gabilan, "Comprendre et enseigner "be+ing"", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), septembre 2008. Consulté le 11/10/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/langue/linguistique/comprendre-et-enseigner-be-ing-