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Constructions «vs» règles - L'approche constructiviste dans l'enseignement de la grammaire de l'allemand

Par Günter Schmale : Professeur des Universités en linguistique allemande - Université Jean Moulin Lyon 3
Publié par Cécilia Fernandez le 16/11/2020

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Partant du constat de l’inefficacité de l’explication grammaticale de phénomènes langagiers de l’allemand particulièrement ardus pour l’apprenant sur la base de règles abstraites, la contribution propose de remplacer ces dernières par des « constructions » lexicogrammaticales en tant que cadres syntaxiques plus ou moins lexicalement pourvus. Le recours à ce format d’expression préfabriquée, illustrée à travers l’emploi en contexte naturel des verbes de modalité müssen et sollen, est étayé par l’omniprésence dans les textes de la préformation dans les langues (formules de routine, collocations, idiotismes). Mis à part une synthèse des règles élémentaires fondée sur une étude de corpus, le texte présente une réflexion sur la mise en œuvre en contexte d’apprentissage institutionnel.

Ce texte résume les contenus d’un stage dans le cadre du Plan Académique de Formation (PAF) de l’Académie de Lyon en février 2020.

1. Introduction: Phénomènes syntaxiques difficiles pour l'apprenant de DaF

The grammar/vocabulary dichotomy is invalid; much language consists of multi-word chunks. (Lewis 1997: vi)

Quelques trente années d’enseignement de l’allemand à pratiquement tous les niveaux de la 6ème au Master et au-delà ont fait germer l’impression, voire même la conviction que certains phénomènes structuraux et/ou lexicaux de l’allemand semblent constituer un obstacle de taille pour le locuteur non natif ((Ne taisons pas que de plus en plus de principes (morpho)syntaxiques échappent également à maints germanophones, mais il semble que ces phénomènes ne se situent pas au même niveau, étant en voie de devenir la norme.)). Des phénomènes tels le passif processuel et le passif bilan, les verbes de modalité sollen et müssen, la linéarisation de l’énoncé allemand ou encore les particules modales, p.ex. denn, posent en effet des problèmes de maîtrise considérables, parfois jusqu’à un niveau très avancé, aux locuteurs non natifs.

Étant donné que les phénomènes évoqués font l’objet d’un enseignement intensif pendant de longues années d’un cursus d’allemand institutionnel, on est en droit de se demander si l’approche pratiquée est véritablement adaptée. L’enseignement de phénomènes structuraux est par le fait, en dépit d’une approche actionnelle, toujours en grande partie fondé sur la transmission de règles théoriques et abstraites. Si ces dernières sont en règle générale apprises et donc connues des apprenant.e.s, elles ne sont – malheureusement – pas mises en œuvre lorsqu’ils/elles produisent des énoncés de manière autonome.

Mis à part d’autres causes possibles, que nous évoquerons plus avant, la raison principale de cette inadéquation semble résider dans l’absence d’une co- et contextualisation systématique des phénomènes structuraux en question au sein d’énoncés intégraux englobant des cadres (morpho)syntaxiques déjà pourvus ou à pourvoir de matériel lexical.

Dans cette contribution, nous développerons de ce fait une approche dite constructiviste, traitant les phénomènes (morpho)syntaxiques en tant que modèles, schémas ou constructions lexicogrammaticales à la place de règles théoriques ou abstraites. Cette approche est fondée sur des résultats de recherche qui démontrent qu’un très grand nombre d’énoncés oraux et écrits fait appel à des structures langagières préformées de différente nature, allant de l’expression idiomatique, de la formule de routine par la collocation jusqu’à la construction. À la suite d’un aperçu des travaux traitant de la pertinence des expressions préfabriquées dans la production langagière (point 2 de cet article), nous présenterons une esquisse des différents types de préformation langagière, en mettant l’accent sur la grammaire de construction (pt. 3). La section suivante (pt. 4) sera consacrée à l’application du modèle constructiviste à un phénomène langagier de l’allemand particulièrement difficile à maîtriser pour les apprenant.e.s, c'est-à-dire l’emploi différencié des verbes de modalité sollen et müssen. Le dernier point thématique (pt. 5) de la présente contribution tentera alors de didactiser les constructions élucidées relatives à ces deux verbes, aussi bien dans une perspective langagière que pédagogique plus large.

2. La pertinence des expressions préfabriquées dans la production langagière

L’existence du phénomène de la préformation dans les systèmes langagiers et le fait que les locuteurs recourent dans une plus ou moins large mesure à des éléments préfabriqués dans la production de leurs énoncés est notoire en sciences du langage de très longue date. Dès 1872, Bréal évoque, en effet, les « locutions toutes faites » (Bréal 1872 : 54), et Bally (1909) traite des « groupements usuels » (id. : 70), pour ne nommer que deux éminents représentants parmi les nombreux chercheurs abordant la présence de la reproduction de structures toutes faites ((Cf. Schmale (2014: 41-2) pour d‘autres références relatives à l’historiographie de la préformation.)).

Plus récemment, Bolinger (1976) considère que le système langagier prévoit le recours au préexistant :

[…] our language does not expect us to build everything starting with lumber, nails, and blueprint, but provides us with an incredibly large number of prefabs, which have the magical property of persisting even when we knock some of them apart and put them together in unpredictable ways. (Bolinger, 1976: 1)

Un locuteur a par conséquent la possibilité de recourir à des éléments fabriqués afin de poursuivre ses objectifs communicatifs, et n’est aucunement obligé de rassembler chaque énoncé à partir du phonème, du morphème en passant par le syntagme jusqu’à la phrase car les « prefabs » fournissent des éléments pré-rassemblés du groupe syntaxique jusqu’aux activités langagières intégrales et même au-delà. Cette observation est confirmée par les résultats de recherche en psycholinguistique aussi bien qu’en acquisition du langage, p.ex. ceux de Pawley/Syder (1983) ou de Widdowson (1989) :

[…] communicative competence is not a matter of knowing rules for the composition of sentences and being able to employ such rules to assemble expressions from scratch as and when occasion requires. It is much more a matter of knowing a stock of partially pre-assembled patterns, formulaic frameworks, and a kit of rules, so to speak, and being able to apply the rules to make whatever adjustments are necessary according to contextual demands. (Widdowson, 1989: 135)

Des études empiriques sur la fréquence d’utilisation de « formulaic language » démontrent en effet que les textes au sens large revêtent un fort taux de préformation.

Corpus research […] has made a number of estimates of the proportion of formulaic material in normal language, stretching as high as 80 per cent. (Altenberg, 1998: 105).

Wray/Perkins avancent des chiffres moins ambitieux, mais néanmoins très élevés :

If we take formulaicity to encompass, as some do, also the enormous set of ‘simple’ lexical collocations, […], then possibly as much as 70% of our adult native language may be formulaic […]. (2000: 1-2)

Erman/Warren (2000) relèvent 52% d’éléments préformés dans la production écrite d’interlocuteurs vs 58% dans la production écrite. Même si l’on peut reprocher à ces études d’être fondées sur des catégories insuffisamment déterminées et distinctes les unes des autres pour atteindre un chiffrage véritablement fiable, la tendance est évidente : les locuteurs-scripteurs se servent dans une large mesure de matériel langagier préexistant.

Ces résultats relatifs à l’emploi d’expressions préformées par des adultes sont étayés par des recherches en acquisition langagière. Tomasello décrit l’acquisition de sa langue maternelle par un enfant en tant que processus holistique du fait qu’il apprend d’abord des énoncés plutôt que des unités lexicales et encore moins les règles. Il conclut de ce fait que

[i]t turns out that, upon inspection, a major part of human linguistic competence – much more than previously believed – involves the mastery of all kinds of routine formulas, fixed and semi-fixed expressions, idioms, and frozen collocations. (2003: 101-2)

S’il est bien entendu fondamentalement exclu de mettre l’acquisition d’une langue primaire au même plan que l’apprentissage d’une langue secondaire en contexte institutionnel, cette dernière se déroulant dans des situations artificielles, de surcroît de durée très limitée, le fait que la construction d’énoncés langagiers s’appuie très largement sur des constructions langagières préformées ne peut naturellement pas être ignoré par la didactique des langues étrangères. Cependant, une réflexion relative aux types de structures préfabriquées doit être menée en amont de toute didactisation afin de s’assurer de leur adéquation à la compétence communicative active et passive à développer chez l’apprenant.

3. Catégories d'expressions préformées et adéquation à la compétence de l'apprenant

À la suite de la classification phraséologique de Burger (2015), très répandue dans les pays d’Europe non anglophones, on peut distinguer trois catégories fondamentales d’expressions phraséologiques traditionnellement considérées comme fondement de toute préformation :

  • Les phrasèmes référentiels, la catégorie la plus étendue, se réfèrent à des objets, des processus ou des états de choses de la réalité. Burger différencie d’un côté les phrasèmes nominatifs à valeur de syntagmes, ne pouvant constituer un énoncé seuls, sémantiquement opaques ou non compositionnels ((« Je mange une pomme » est compositionnel du fait qu’on obtient le sens global en accumulant les sens de je + mange + une pomme. En revanche, le sens de « Je tombe dans les pommes » = je m’évanouis n’est pas la somme des composants, l’idiotisme n’est par conséquent pas sémantiquement compositionnel.)) (jmdm. einen Floh ins Ohr setzen, mettre la puce à l’oreille, put a flea into sb.’s ear)((Il est important de souligner que la présence d’un lexème identique – Floh, puce, flea – ne signifie nullement que le sens de ces trois idiotismes soit également identique.)), sémantiquement partiellement compositionnels (stolz wie Oskar, fier comme Artaban, proud as punch) ((L’adjectif revêt son sens dictionnairique, en revanche, l’interprétation de l’élément de comparaison nécessite du savoir commun ou encyclopédique.)) ou encore transparents ou compositionnels, les collocations en tant que combinaisons usuelles d’unités lexicales (sich die Zähne putzen, se laver les dents, brush one’s teeth). De ces phrasèmes nominatifs, Burger différencie les phrasèmes propositionnels à valeur d’énoncé, c'est-à-dire les proverbes (Man soll das Eisen schmieden, solange es heiß ist ; Il faut battre le fer tant qu’il est chaud ; Strike while the iron is hot), les lieux communs (Ende gut, alles gut ; Tout es bien qui finit bien ; All’s well that ends well) et les phrases fixes comprenant un élément déictique exophorique (Das schlägt dem Fass den Boden aus ; Ça c’est le comble/la meilleure ; That’s the last straw).
  • Les phrasèmes communicatifs, formules de routine ou pragmatèmes servant à accomplir des actes de langage du type salutations (guten Morgen, bonjour, good morning), excuses (tut mir leid, je suis désolé, I am sorry), remerciements (vielen Dank, merci beaucoup, thank you very much), félicitations (herzlichen Glückwunsch, félicitations, congratulations) et de très nombreux autres.
  • Les phrasèmes structuraux dont le rôle se limite à l’établissement de relations syntaxi­ques entre les différentes parties d’un énoncé, p.ex. in Bezug auf, sowohl … als auch, weder … noch ; à la suite de, et … et, ni … ni ; on behalf of, neither … nor.

Or la recherche sur la préformation langagière ne s’est pas arrêtée à la phraséologie ; dès 1988 Elisabeth Gülich (1997) examine en effet des textes préformés tels les faire-part ou les remerciements au sein des thèses de doctorat. Elle démontre le fort degré de récurrence de formules ainsi que la mise en forme textuelle et le graphisme de certains genres de textes que l’on rencontre également dans maints types de lettres commerciales (renseignements, doléances), des notes de services ou de convocations.

Bien que la phraséologie connût déjà les modèles phraséologiques, c'est-à-dire des cadres lexico-syntaxiques du type ‘x c’est x’ (Bier ist Bier und Schnaps ist Schnaps ; money is money), c’est à la suite des travaux séminaux de Fillmore/Kay/O’Connor (1988) et de Goldberg (1995) sur la grammaire de construction que la recherche sur les « form-meaning-function-pairs » s’est considérablement développée. Si les « substantive idioms » dont « lexical make-up is […] fully specified » correspondent grosso modo aux expressions phraséologiques connues, les « formal idioms » équivalent à des cadres lexico-syntaxiques plus ou moins (voire pas du tout) lexicalement pourvus, qui dépassent très largement ce qui était traité en tant que modèles phraséologiques jusqu’à présent. En effet, la linguistique de corpus, effectuant ses recherches sur la base de grandes collections de manifestations langagières écrites et orales en contexte naturel, révèle qu’il existe énormément de constructions lexicogrammaticales employées de manière récurrente par les utilisateurs d’une langue. On peut par conséquent considérer qu’elles sont enracinées en tant que structures mémorielles cognitives prêtes à être réactivées au besoin, adaptées à l’objectif communicatif poursuivi et à la situation de communication avec tout ce qu’elle implique (relation sociale avec l’interlocuteur, niveau stylistique). Une construction est définie par les caractéristiques suivantes :

  • Elle est polyfactorielle, ce qui signifie qu’elle est déterminée par des facteurs (morpho)syntaxiques, lexicaux, prosodiques, corporels, co- et contextuels, etc. Même si elle est le plus souvent composée de plus de deux unités lexicales, elle peut être mono­lexicale, ce qui pourrait être le cas pour la substantivation de certains infinitifs de l’allemand afin de formuler des injonctions, p.ex. Hinsetzen! Aufessen! Abwaschen!, liant par conséquent une unité lexicale infinitive à une fonction.
  • Elle est employée sous une forme conventionnalisée, reconnaissable sur la base d’un dénominateur constructionnel minimal, sans être figée. Sa forme est déterminée par des études sur grands corpus établissant l’emploi récurrent en contexte naturel. Elle peut être, par ailleurs, sémantiquement non compositionnelle, mais est le plus souvent compositionnelle.
  • Elle possède un double caractère cognitif et conceptuel, c'est-à-dire une forme de base correspondant à une combinaison syntaxe-lexique-fonction qui est inscrite en mémoire, mais qui doit être mise en œuvre au sein de contextes langagiers qui peuvent nécessiter des adaptations, et qui sont de ce fait sujets à des modifications et au changement.
  • En outre, les constructions sont de nature interactive et par là-même émergentes, processuelles et dialogiques, c'est-à-dire qu’elles n’équivalent pas à un « produit prêt à l’emploi » qui serait le fait du seul locuteur qui l’énonce. Les constructions collaboratives d’un seul énoncé par deux interlocuteurs constituent l’exemple par excellence de l’interactivité de la production langagière et, en même temps, de l’existence d’une forte prévisibilité de certaines structures langagières. Il s’agit là d’un cas idéal d’interactivité, toutefois, celle-ci joue systématiquement un rôle en ce que chaque énoncé se trouve dans un environnement séquentiel avec des activités du partenaire d’interaction qui le précèdent et qui le suivent, et en même temps dans un contexte thématique ainsi que dans une situation de communication qui peuvent tous avoir une incidence sur la forme émergente de la construction en surface de la communication.

Voici quelques exemplaires de constructions élucidées et décrites par la recherche dans ce domaine jusqu’à présent en allemand, anglais et français :

  • La construction « réponse dubitative » ((Notre traduction de « incredulity-response-construction » en anglais.)) du type [pronom personnel + (und) + GN/GV/Adj (+ complément)] qu’on trouve dans les trois langues :

+ Ich und zu spät ? Er und ein Freund? Du und verlässlich?

+ Me, lie/a lier? Her, sing arias? Me, crazy?

+ Lui avocat? Moi abandonner? Lui s’excuser ?

  • La construction « exclamation emphase » :

+ [wie + Adj + Vsein + démonstratif exophorique au nominatif + denn + ?] : Wie geil ist das denn ? Wie krass wär das denn? Wie bescheuert ist das denn?

+ [how + adj + is/are + démonstratif exophorique + !]: How strange/weird/stupid is that!

+ Un équivalent direct ne semble pas exister en français, mais la construction [qu’est-ce que c’est + adj + !] – Qu’est-ce que c’est bête/nul/idiot ! – pourrait exprimer la même notion.

  • La construction « expression du désespoir » en allemand et français :

+ [es/das + ist + zum + complément + !]: Es ist zum Haare ausreißen! Es/das ist zum wahnsinnig werden! Es ist zum Verzweifeln!

+ [c’est à + infinitif + complément + !]: C’est à désespérer/se les mordre/se taper la tête contre le mur !

  • La construction « mécontentement/reproche » dans les trois langues :

+ [ was + V + (pronom personnel) + complément + ?] : Was glotzt du mich so an? Was redest du da? Was soll das?

+ [why + V + personal pronoun + present participle + complement + ?]: Why are you staring at me? Why are you saying that?

+ [qu’est-ce qu’il a à + infinitif + ?] : Qu’est-ce qu’il a à me regarder comme ça ? Mais qu’est-ce qu’il a à vouloir tout changer ?

Afin d’élargir le stock de constructions lexicogrammaticales, il est imaginable d’étudier les 34 « Satzbaupläne » (des modèles phrastiques) du Duden 9 (2009 : 922-924) ((P. ex. [sujet + V + complément à l’accusatif] : Wir bauen ein Haus. (Duden 9, 2009 : 922).)) ou encore des schémas valenciels dans de grands corpus en essayant de relever l’éventuelle présence récurrente de certaines unités lexicales à certains endroits spécifiques de  la structure syntaxique en question, appelés « slots » en linguistique.

Mis à part les formules de routine et les collocations, absolument indispensables pour s’exprimer adéquatement dans une langue étrangère, les constructions en tant que combinaisons récurrentes de forme, sens et fonction sont des structures préformées d’une haute pertinence pour l’apprentissage d’une langue étrangère. Quant aux phrasèmes sémantiquement non compositionnels, les idiotismes et proverbes, mais aussi les lieux communs a priori compositionnels, ils n’ont pas vocation à faire partie de la compétence productive de l’apprenant d’une langue étrangère en raison des conditions d’utilisation et des connotations difficilement maîtrisables – et à ce jour insuffisamment décrites et didactisées – pour le non natif. Qui plus est, argument certainement aussi important, l’emploi des expressions imagées semble réservé en tant que « culturêmes » aux locuteurs natifs. Il peut en effet susciter des réactions négatives si un non natif commet des erreurs langagières élémentaires ou parle avec un accent marqué (voir Schmale, 2014: 50-51).

Als Nichtmuttersprachler muss man sozusagen immer ein doppeltes Spiel spielen nach dem Prinzip: Ich fühle mich zwar in dieser Kultur wie zu Hause, bin mir aber ständig darüber im Klaren, dass es sich für mich dabei um eine fremde Kultur handelt. (Dobrovol’skij/Lubimova, 1993: 156)

Il semblerait même que ce serait le locuteur natif qui pourrait prendre la « position haute » de celui qui maîtrise mieux la langue, que cela corresponde à la réalité ou non, pour faire sentir au non natif sa qualité d’étranger.

Il s’avère en outre que le recours aux expressions idiomatiques que l’on trouve dans les dictionnaires spécialisés, souvent considérées comme galvaudées par les (jeunes) utilisateurs, est extrêmement rare dans la communication orale de tous les jours. ((On les rencontre bien entendu dans les articles de journaux ou dans la littérature, mais est-ce le style visé pour l’apprenant d’une langue étrangère ? Les textes officiels donnent priorité à l’oral !)) Siepmann/Bürgel (2019) démontrent sur la base de la très vaste collection de transcriptions de communications orales et écrites du Corpus de Référence du Français Contemporain (CRFC) que les idiotismes sont quasi négligeables d’un point de vue quantitatif. Ce qui est véritablement fréquent, ce sont les bigrammes du type un peu, parce que, par exemple, en plus, etc. Un constat semblable peut être dressé pour l’anglais :

[…], a corpus search of the final total of 103 ‘core idioms’ was carried out in the British National Corpus (BNC). The search revealed that none of the 103 core idioms occurs frequently enough to merit inclusion in the 5,000 most frequent words of English. (Grant, 2005: 429) ((Voir aussi Moon (1998) : “[…] it seems reasonably certain, that most phrasal lexemes are indeed infrequent.” (id. : 100).))

Nos propres recherches portant sur l’allemand révèlent que l’emploi des expressions idiomatiques germaniques rassemblées dans des listes du type Phraseologisches Optimum ou Minimum est en effet extrêmement peu fréquent. Pourquoi les enseigner à un.e apprenant.e d’une langue étrangère si les natifs eux-mêmes n’y font pas appel ? Cela n’exclut bien entendu aucunement l’explication des tournures idiomatiques si elles apparaissent naturellement dans les textes étudiés, peut-être même l’enseignement d’un stock d’idiotismes repérés dans les textes écrits pour l’apprenant d’un niveau avancé afin de faciliter la compréhension de l’écrit, tout en déconseillant leur utilisation pour les raisons évoquées.

Étant donné qu’un grand nombre de travaux existe sur les phrasèmes communicatifs et les collocations, nous nous concentrons dans le présent article sur les constructions, à ce jour relativement peu étudiées pour ce qui est de leur importance pour l’apprentissage d’une langue étrangère. Il va de soi que la preuve de la récurrence d’une telle construction, témoignant de son enracinement cognitif, ne peut être apportée qu’à travers l’étude de grands corpus. De telles études sont en outre les seules à même d’élucider les formes majoritairement employées ainsi que leur environnement séquentiel d’utilisation et de permettre ainsi de tirer des conclusions quant aux fonctions conversationnelles, notamment à travers les réactions de l’interlocuteur qui manifeste ainsi son interprétation.

4. Les contructions avec les verbes de modalité sollen et müssen

Partant des difficultés constatées chez l’apprenant.e de l’allemand langue étrangère, nous avons opté pour une approche à l’interface de l’inductivité et de la déductivité afin d’analyser des phénomènes structuraux particulièrement difficiles à acquérir. Nous partons en effet d’un phénomène structural de l’allemand pour le décrire en tant que construction lexico-syntaxique au sein de manifestations « naturally occurring ». Dans cet article, nous nous penchons sur les verbes de modalité müssen et sollen, de toute évidence très difficiles à maîtriser pour l’apprenant français qui dispose dans sa langue maternelle d’un seul verbe, i.e. devoir, pour exprimer le même contenu sémantique.

Voici pour preuve quelques erreurs typiques produites par des étudiant.e.s en 3ème année de licence d’allemand lors d’un test regroupant des énoncés tirés des deux corpus évoqués plus loin :

  • Du, ich *soll dir unbedingt was sagen: ich habe einen neuen Computer.
  • *Sollst du eigentlich immer so laut schreien?
  • Hausarbeiten *muss man nicht ins Uferlose ausdehnen.
  • *Muss ich dir irgendwas aus der Stadt mitbringen?
  • Du *sollst wirklich erst überlegen, bevor du so einen Quatsch erzählst.
  • Wann *sollst du normalerweise morgens aufstehen? Meistens schon um 6.
  • Wo *muss ich das jetzt so schnell herbekommen?

Ces étudiant.e.s avaient, le plus souvent, bénéficié de 9 ans d’enseignement de la grammaire allemande, donc disposaient très certainement aussi de moyens pour signifier l’obligation, l’une des notions langagières clé. Le test avait par conséquent lieu en amont d’une ré-explication des règles élémentaires établies sur la base d’une étude des constructions récurrentes dans deux corpus de l’allemand.

En règle générale, les explications des fonctions de müssen et sollen des grammaires de niveau scolaire et universitaire se résument aux éléments suivants :

  • Pour müssen : « obligation/nécessité de la part du sujet grammatical […] ; les conditions de réalisation du procès exprimé par l’infinitif sont contraignantes/non contraignantes : […] » (Schanen/Confais, 1989 : 254) ;
  • Pour sollen : « invitation à (ne pas) faire. Il s’agit d’une obligation relative en ce sens qu’elle suppose une demande ou un souhait de la part d’une personne, de la société, d’une religion, etc., envers laquelle on se sent obligé : les conditions de réalisation du procès exprimé par le G INF sont quasi contraignantes parce que la réalisation est souhaitée ou prévue par une tierce instance : […]. » (id. : 255)

Vu les difficultés qu'éprouvent les apprenant.e.s à les appliquer correctement, ces règles, souvent beaucoup moins transparentes dans d’autres grammaires, comprenant parfois même des erreurs dans les précis grammaticaux de certains manuels, semblent être insuffisamment distinctives voire trop abstraites. Les conditions de réalisation du procès désigné par le G INF étant présentes aussi bien pour müssen que pour sollen, l’apprenant.e francophone, a fortiori lorsqu’on l’a habitué.e à passer par la traduction, semble être devant un obstacle quasi insurmontable.

Conformément à notre conviction que l’apprentissage fondé sur des constructions pourrait être plus productif que celui par les règles évoquées plus haut, de toute évidence peu efficaces, nous avons entrepris de rechercher l’emploi de ces deux verbes de modalité et, dans un moindre degré, de modalisation, dans deux corpus : les Sprechstundengespräche (Boettcher et al., 2005) et notre corpus personnel de conversations téléphoniques allemandes (non publié). Sans pouvoir présenter l’intégralité du processus du travail sur corpus, nous démontrons ci-après les constructions élémentaires pour müssen et sollen que nous avons pu décrire à la suite de notre recherche dans l’ordre de leur fréquence d’utilisation et en nous concentrant sur ce qui nous semble véritablement indispensable pour l’apprenant.e. Les exemples ont également été adaptés aux besoins assumés d’un.e apprenant.e.

1 –  müssen pour l’expression d’une obligation qui découle de la situation et/ou que l’on s’impose à soi-même ; la trace d’une tierce instance étant totalement absente: [pronom personnel + muss-/müss- + infinitif ou groupe prépositionnel] : Ich muss einkaufen/arbeiten/lernen ou: Ich muss in die Stadt/in die Uni/ins Bett/ zur Arbeit. ((L’expression de l’absence d’une obligation par une négation fait plutôt recours à [nicht brauchen (zu) + complément], p.ex. : Ich brauche nicht mehr einzukaufen heute.))

       En revanche, l’interrogation portant sur une obligation ressentie par l’interlocuteur – [muss/müss- + pronom personnel + infinitif ou G Prép. ?] : Wann musst du abends ins Bett ? – est possible.

2 –  sollen à l’indicatif afin d’exprimer l’obligation émanant d’une tierce instance (personne, légale, morale, religieuse) imposée au destinataire désigné par le pronom personnel, la trace du tiers étant présente en cotexte ou contexte immédiat : [(appellatif ou verbe introductoire) + pronom personnel + soll- + (adverbes) + (G Prép) + infinitif] : Peter, (deine Mutter hat gesagt), du sollst sofort nach Hause kommen ; Der Vater sagt zu den Kindern : Ihr sollt jetzt endlich ins Bett gehen. ((La forme négative de l’obligation imposée par un tiers semble réservée à certaines formules du type Das sollst du doch nicht!, ressemblant aux commandements bibliques, p.ex. au cinquième Du sollst nicht töten! (le sixième en français : Tu ne tueras point !).))

       D’un autre côté, la forme interrogative [soll- + pron. pers. + G Prép./adv. + infinitif + ?], Soll ich dir was aus der Stadt mitbringen?, est utile afin de s‘enquérir de la volonté d’un tiers.

3 –  sollt- au subjonctif (Konjunktiv II) pour donner ou demander des conseils à la forme affirmative ou négative : [pron. pers. + sollt- + (nicht) + (GN/G Prép./adv. etc.) + infinitif + !], Du solltest abends früher ins Bett gehen ! Ihr solltet nicht so viel trinken! Was denkst du, sollte ich einen Regenschirm mitnehmen? Sollten wir umziehen?

4 –  soll- de modalisation au subjonctif I (Konjunktiv I), dit « de commérage », signalant que le locuteur rapporte un fait appris d’autrui : [(formule introductrice) + pron. per./GN + soll- + G Prép./adj./adv. etc. + infinitif], Er soll krank sein. Sie soll jetzt in München wohnen. soll- modalisateur est substituable par un adverbe modalisateur du type angeblich, anscheinend, offenbar dont l’applicabilité peut servir de test de modalisation : Er ist angeblich krank ou Sie wohnt jetzt anscheinend in München, exprimant également les distances que le locuteur prend par rapport à la véracité du fait rapporté.

5 –  müss- de modalisation au subjonctif I (Konjunktiv I), exprimant un degré fort de supposition ou même de certitude envers le fait relaté : [pron. pers./GN + muss-/müss- + (GN/G Prép./adv./adj. etc.) + infinitif], Er muss krank sein (deshalb ist er nicht hier). A nouveau, la modalisation peut être signifiée par un adverbe modalisateur comme wahrscheinlich: Er ist wahrscheinlich krank.

6 –  sollt- au subjonctif II en démontrant l’hypothèse ou l’irréalité du fait énoncé équivalent à une construction conditionnelle avec wenn/falls : [sollt- + GN/pron. pers. + (compléments divers) + infinitif + conditionné], Solltest du Zeit haben, könntest du mir einen Gefallen tun. Le conditionnel avec wenn/falls semble toutefois plus fréquent en langue parlée et plus accessible à un apprenant : Wenn du Zeit hast, könntest du mir einen Gefallen tun (affirmation ou interrogation).

7 –  constructions diverses avec soll-/müss- en tant que formules – plus ou moins – figées. Bien que ces constructions conservent probablement quelques traits du sémantisme de sollen et müssen, déclinés en 1 et 2 ci-dessus, elles n’expriment en aucun cas une obligation ou nécessité :

       +   [was soll + GN + (denn) + ?] : Was soll der Quatsch/der Unsinn? Was soll das denn? dans l’expression du mécontentement ou de la réprobation ;

       +   [muss das sein + (dass + VP)] + ?]: Muss das sein…, dass du ständig zu spät kommst? ou aussi : Musst du ständig zu spät kommen? pour signaler désaccord ou mécontentement par rapport à une action précédente de l’interlocuteur/trice.

       +   [das + hätt- + pron. pers./GN + nicht + infinitif +sollen + !]: Das hättest du nicht tun/sagen sollen, exprimant la désapprobation d’un acte de l’interlocuteur/trice.

       +   [was/wie/wo + soll- +ich + pronom exophorique + G Adv etc. +infinitif + ?]: Was soll ich (jetzt) dazu sagen? Wie soll ist das so schnell finden? Wo soll ich das (jetzt) herbekommen ? comme question rhétorique signalant que le locuteur ne peut fournir de réponse ou exécuter l’activité à laquelle le pronom exophorique fait allusion.

       +  Cette classe, très certainement incomplète, nécessiterait des recherches sur corpus beaucoup plus étendues avant de conclure à leur pertinence dans la communication entre natifs et par conséquent pour l’apprenant de l’allemand.

5. Considérations didactiques: Comment enseigner les constructions avec sollen et müssen?

Mis à part le principe suprême exigeant la détermination des constructions en fonction de leur récurrence dans les grands corpus de conversations en contexte naturel et par conséquent leur pertinence pour l’apprenant de l’allemand langue étrangère, les principes didactiques et pédagogiques suivants doivent être respectés dans la poursuite de la création d’une compétence communicative opérationnelle chez le locuteur non natif :

  • Toute construction en tant que structure lexico-syntaxique est présentée sans exception en co- et contextes inspirés d’événements conversationnels « naturels » faisant apparaître clairement que la contrainte émane d’une obligation « absolue » dans le cas de müssen, alors qu’elle est imposée par une tierce instance dont une trace est présente en co- ou contexte dans le cas de sollen.
  • Si ce premier principe est respecté, la structure lexicogrammaticale peut être découverte par l’apprenant sans que l’enseignant.e soit obligé de fournir des règles abstraites quant au rôle de sollen et müssen.
  • Il est par conséquent superflu d’introduire la notion de subjonctif I (en 4 et 5) ou du subjonctif II (en 3 et 6) – à condition que le niveau des apprenant.e.s permette le traitement des constructions 3 à 6 ! –, l’introduction des constructions en co(n)texte et l’explication de leurs fonctions communicatives, si indispensable, suffisent.
  • Le recours au niveau métalinguistique est prévu dans une approche cognitiviste, mais il convient de faire la part des choses entre explications abstraites portant sur un élément isolé du système langagier et l’indication de fonctions en co(n)texte portant sur une construction entière.
  • Les constructions mises à disposition de l’apprenant.e sont choisies en fonction du niveau de maîtrise de la langue étrangère, d’une part, et de leurs besoins communicatifs, de l’autre. On pourrait par exemple se demander si l’expression du « commérage » ou de la supposition à l’aide de müssen/sollen de modalisation ou encore la formulation de conseils correspondent aux besoins communicatifs du jeune apprenant – d’un niveau non avancé.
  • Il est primordial de ne pas enseigner les deux constructions avec müssen et sollen simultanément afin d’éviter toute confusion entre les deux notions. Seulement lorsqu’une première construction est pleinement apprise et acquise, c'est-à-dire mémorisée durablement, peut-on envisager l’introduction de la seconde.
  • Pour terminer, le principe sans doute le plus important : il faut éviter tout recours à la traduction à partir du ou vers le français qui ne dispose que d’un seul et unique verbe, devoir, pour transporter les deux notions. Le recours à la langue maternelle constituant en soi un frein au développement d’automatismes, il est particulièrement néfaste lorsqu’il peut empêcher la création de systèmes distincts pour deux notions bien distinctes, dont la confusion pourrait entraîner des problèmes d’intercompréhension.

L’approche constructiviste est fondée sur des recherches en neurosciences, qui ont montré que le cerveau est un système mémoriel qui fonctionne de manière holistique, non pas atomistique, stockant les informations reçues sous la forme de « grands morceaux ».

The search for meaning occurs through ‘patterning’. […] The brain is designed to perceive and generate patterns, and it resists having meaningless patterns imposed on it. ’Meaningless’ patterns are isolated pieces of information unrelated to what makes sense to a student. (Caine/Caine, 1991: 81)

Ces recherches ont révélé en outre un grand nombre de faits sur l’intégration de nouvelles données dans l’appareil cognitif, très précieux pour la didactique en général et celle des langues étrangères en particulier. Voici quelques éléments clés à partir des dix principes élémentaires du « constructivist teaching » d’après Caine/Caine (80-87) :

  • Une nouvelle connaissance n’est acquise, c'est-à-dire mémorisée de manière durable, donc pas uniquement apprise jusqu’au prochain contrôle pour être oubliée après, seulement si elle peut être rattachée à ou intégrée dans un système mémoriel existant. Une information en « atome libre » n’est pas retenue durablement faute de port d’attache, i.e. de possibilité de « patterning ».
  • Si un apprentissage efficace peut être planifié par l’enseignant.e, l’acquisition (durable) n’est pas un processus rationnel qui peut être planifié, dirigé, contrôlé du fait qu’il s’agit d’une opération individuelle qui dépend des expériences, préférences, croyances, convictions ainsi que de l’état d’esprit ou physique du moment, des émotions et d’un grand nombre d’autres facteurs personnels et situationnels. Il importe de ce fait de préparer le terrain d’apprentissage au mieux pour favoriser l’acquisition subséquente qui n’est aucunement automatique.
  • Le cerveau étant par conséquent un « processeur parallèle », qui traite toutes sortes d’informations simultanément, il convient d’organiser les processus d’apprentissage de telle sorte qu’ils tiennent comptent de tous les sens de l’apprenant.e. Sans savoir s’il existe véritablement des types d’apprenant.e.s plutôt visuel, tactile, auditif, intuitif ou analytique, il est essentiel de proposer des bouquets d’apprentissage qui tiennent compte, dans la mesure du possible, d’une majorité des sens : visionner, écouter, parler, lire, écrire, découper, rassembler, travailler seul (sur PC) ou avec un/des partenaire.s, jouer, chanter, mimer ne sont que quelques-unes des activités imaginables faisant appel à un grand nombre de sens différents.
  • On apprend et on acquiert en effet mieux et de façon durable lorsque le fait en question a été appris en impliquant tous les sens. Tout un chacun connait certainement des moments où l’on se souvient d’un événement ou d’un fait, d’une situation à la suite de la perception d’un son, d’une odeur, peut-être même d’un goût. Des activités faisant appel à tous les sens favorisent donc l’apprentissage et l’acquisition à long terme.
  • A fortiori du fait que le plaisir favorise apprentissage et acquisition, tout comme le défi, la confiance, l’auto-initiative, alors que la sanction, la pression les menacent et constituent un frein. Il est par conséquent primordial de valoriser toute réussite, d’encourager l’apprenant.e à prendre des risques (communicatifs), tout en acceptant que l’erreur constitue une étape – « interlanguage » – intermédiaire obligatoire et productive, plutôt que de sanctionner chaque faute phonétique, lexicale ou syntaxique. C’est l’atteinte de l’objectif communicatif qui prime, donc la correction pragmatique et non pas la correction grammaticale, car nous communiquons tou.te.s, même en langue maternelle, en faisant des erreurs tout en nous faisant comprendre.

6. Au revoir aux règles morpho-syntaxiques?

À la suite des développements des points précédents, il faut se poser la question de savoir si l’apprentissage d’une langue étrangère doit alors se passer totalement de règles (morpho)syntaxiques sous forme théorique et non constructionnelle. Il serait certainement prématuré de tirer une telle conclusion, a fortiori dans un paradigme cognitiviste, et de retourner aux temps de l’inductivité totale de la méthodologie directe ou des méthodes audio-linguales.

Ce que nous proposons ici est, dans un premier temps, de remplacer l’explication de phénomènes ardus pour l’apprenant d’une langue étrangère à travers des règles abstraites et décontextualisées par des constructions lexicogrammaticales en tant que combinaisons de forme-sens-fonction comme démontré avec l’exemple des structures accueillant les verbes de modalité müssen et sollen.

Nous avons également décrit ailleurs le passif processuel et bilan de l’allemand comme construction (cf. Schmale 2016) ainsi que tout dernièrement la particule modale denn (cf. Schmale/à par.). Nous aimerions en effet formuler l’hypothèse que tout phénomène langagier, qu’il soit purement (morpho)syntaxique ou à l’interface entre syntaxe et lexique à l’instar de müssen/sollen, est a priori employé par les utilisateurs langagiers au sein de structures récurrentes qui peuvent être extraites de grands corpus et modélisées en tant que constructions. De telles structures lexicogrammaticales peuvent alors être apprises telles quelles par les apprenant.e.s sans recourir à des explications de règles abstraites.

En attendant d’apporter la preuve de cette hypothèse audacieuse, nous devons toutefois nous en remettre à Wray/Perkins (2000) qui plaident pour un équilibre entre processus « atomistique », allant du plus petit élément langagier à l’énoncé, que les auteurs considèrent comme créatif, et un processus holistique qui aurait recours à des structures préformées :

Our view is that the best deal in communicative language processing is achieved by the establishment of a suitable balance between creative and holistic processes. The advantage of the creative system is the freedom to produce or decode the unexpected. The advantage of the holistic system is economy of effort when dealing with the expected. (Wray/Perkins, 2000: 11)

Wray/Perkins stipulent en effet le besoin de recourir aux deux systèmes évoqués pour qu’un locuteur soit considéré comme compétent au lieu d’être suspecté soit d’être limité, sans imagination et peu créatif, soit comme peu idiomatique, terre à terre ou pédant. La linguistique de corpus devra démontrer jusqu’où va l’étendue de la préformation langagière. En attendant nous prétendons qu’elle va plus loin que suspectée.

Notes

Références

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Pour citer cette ressource :

Günter Schmale, "Constructions «vs» règles - L'approche constructiviste dans l'enseignement de la grammaire de l'allemand", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), novembre 2020. Consulté le 29/03/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/allemand/langue/linguistique-et-didactique/constructions-vs-regles-lapproche-constructiviste-dans-lenseignement-de-la-grammaire-de-lallemand