La participation des Etats-Unis à la première Guerre Mondiale : "The Remaking of America"
Titre emprunté à Keene, Jennifer, Doughboys, the Great War, and the remaking of America, Baltimore : Johns Hopkins University Press, 2001.
Introduction
Les Etats-Unis déclarent la guerre à l'Allemagne et, par là, aux puissances de l'Axe le 6 avril 1917. La guerre avait débuté l'Europe en août 1914, à la suite d'un enchaînement de crises dans les Balkans. Le déclencheur de la guerre fut l'assassinat de l'archiduc d'Autriche-Hongrie, François-Ferdinand, à Sarajevo en juin 1914. Le jeu des alliances entre les pays européens a ensuite embrasé l'Europe et le monde entier (ces pays possédaient également des colonies sur les continents africain et asiatique), opposant les puissances de l'Entente (Grande-Bretagne et France, notamment) aux puissances de l'Axe (Allemagne et Autriche-Hongrie entre autres).
Pourtant, les Etats-Unis étaient restés neutres et, par la voix du Président Thomas Woodrow Wilson, avaient refusé de s'engager dans la guerre. L'opinion publique était, dans sa majorité, farouchement opposée à l'entrée en guerre des Etats-Unis. Pourquoi, en 1917, les Etats-Unis, par l'intermédiaire du Congrès américain ont-ils déclaré la guerre à l'Allemagne ? Qu'a changé cette déclaration de guerre pour les Etats-Unis ? En somme, en quoi la première guerre mondiale a-t-elle constitué un événement fondateur dans l'histoire américaine ?
1. Pourquoi les Etats-Unis entrèrent-ils finalement en guerre ?
Ainsi que nous l'avons souligné en introduction, les Etats-Unis ont maintenu une position de neutralité durant les trois premières années du conflit. Cette attitude de retrait vis-à-vis des affaires européennes était conforme à l'isolationnisme prôné par la Doctrine Monroe, énoncée en 1823, qui stipulait que nul (et les puissances européennes étaient surtout visées) ne devait s'immiscer dans les affaires touchant le continent américain et, réciproquement, le continent américain ne s'occuperait en aucune façon de ce qui concernait l'Europe. L'opinion publique américaine elle-même était résolument opposée à une intervention américaine et Woodrow Wilson avait été élu pour un deuxième mandat en 1916 sur un programme de neutralité. En cela, Wilson cherchait avant tout à préserver l'unité de la nation. En effet, cette nation composite, rassemblant à la fois des individus originaires des pays de l'Entente et des citoyens issus des pays de l'Axe, était divisée quant au camp à rallier en cas d'entrée dans la guerre. Ainsi, Wilson cherchait à jouer le rôle de médiateur entre les belligérants sans se prononcer en faveur des uns ou des autres.
Toutefois, la neutralité des Etats-Unis pouvait sembler relative, dans la mesure où les échanges commerciaux avec la Grande-Bretagne et la France étaient particulièrement dynamiques et s'étaient même accru. En effet, dès 1914, un blocus avait été imposé sur les côtes allemandes, empêchant de ce fait tout échange commercial entre l'Allemagne et les Etats-Unis. Ainsi, les échanges avec les pays de l'Entente avaient connu un essor sans précédent durant la guerre. Les pays européens avaient recours au marché américain pour se fournir en énergie, en produits industriels et agro-alimentaires notamment. Ils avaient également emprunté des sommes considérables aux banques américaines, tant et si bien que, de créanciers, ils étaient devenus les débiteurs des Etats-Unis. Ainsi, l'on peut affirmer que les Américains trouvaient de nombreux avantages à leur neutralité affichée.
Cette communauté d'intérêts avec la France et la Grande-Bretagne se trouva encore renforcée du fait de l'attitude agressive des Allemands en mer. En effet, les sous-marins allemands n'hésitaient pas à couler les navires circulant entre les continents américain et européen. En mai 1915, c'est le Lusitania, navire britannique, qui fut torpillé, entraînant la mort de cent vingt huit Américains. Cette attaque provoqua la stupeur parmi l'opinion publique américaine et suscita une certaine reconsidération de leur neutralité.
Ce revirement fut encore raffermi en 1917 lorsque l'Allemagne déclara « la guerre sous-marine à outrance » contre tous les navires, même les navires neutres, qui commerceraient avec les pays de l'Entente. Par la suite, les Américains découvrirent, grâce aux services secrets britanniques, l'existence du « télégramme Zimmermann », du nom du Ministre des Affaires Etrangères allemand, envoyé à l'ambassadeur allemand au Mexique, auquel il était demandé de rentrer en contact avec les autorités mexicaines, afin d'instaurer une alliance entre les deux pays contre les Etats-Unis. Aux yeux des Américains, c'est l'hostilité de l'Allemagne à leur égard qui se trouva ainsi confirmée.
Wilson n'eut plus alors aucune difficulté à convaincre la grande majorité des Américains de la nécessité de s'engager, aux côtés des pays de l'Entente, contre les puissances de l'Axe. Le 6 avril 1917, le Congrès déclara la guerre à l'Allemagne.
2. L'intervention américaine en Europe
Le service militaire n'existait pas aux Etats-Unis. Ainsi, l'armée américaine comptait seulement deux cent mille soldats volontaires. Face à cette situation, la conscription fut décidée. L'armée recruta, forma et envoya sur le front européen des centaines de milliers d'hommes [Une affiche est restée dans les mémoires, qui incitaient les Américains à s'engager dans l'armée : celle représentant l'oncle Sam pointant son doigt vers les passants et déclarant, « I want you for the US Army. »]. Les corps expéditionnaires américains comptèrent jusqu'à deux millions de soldats. Le gouvernement fédéral impliqua tous les secteurs économiques dans cet effort de guerre sans précédent. L'Etat américain, sous la férule de Woodrow Wilson, intervint ainsi de manière croissante et inédite dans la vie économique du pays, mais également dans la vie privée de ses citoyens. Dans le secteur économique, des priorités furent établies, de la main-d'œuvre mobilisée. Dans le domaine privé, le président Wilson mit sur pied un comité appelé le Committee on Public Information. Transitaient par les multiples bureaux et antennes de ce Comité toutes les informations rapportées du front ou concernant la guerre, lettres de soldats incluses. De même, le Comité émettait des pamphlets et de courtes brochures, et réunissait régulièrement les journalistes nationaux pour leur suggérer les angles à adopter pour leurs articles. Enfin, le Comité avait recours aux affiches publicitaires, afin de toucher le plus grand nombre possible de citoyens américains. Le but avoué de cet organe était de maintenir le moral et l'unité du pays. Wilson craignait toujours l'implosion du pays, du fait de l'engagement des armées américaines aux côtés des puissances de l'Entente, quand de nombreux citoyens américains étaient originaires des pays de l'Axe. En réalité, c'est à une véritable entreprise de propagande que nous avons à faire. Wilson cherchait à convaincre par tous les moyens ses concitoyens du bien-fondé de la mission qu'il avait assigné à son pays : défendre la liberté dans le monde et propager la démocratie. De nombreuses voix s'élevèrent contre cette mainmise du gouvernement sur les informations et, par là, sur les esprits.
En Europe, l'arrivée des contingents américains ne changea pas immédiatement le cours de la guerre. C'est vers la fin 1917 seulement que les premières troupes commencèrent à débarquer. Cependant, l'arrivée de ces nouveaux soldats remonta le moral des combattants de l'Entente qui s'usaient dans la guerre des tranchées et qui avaient été durement affectés par le retrait de l'armée russe. [Après avoir renversé le Tsar, le nouveau gouvernement bolchevique avait signé un traité de paix séparée : le traité de Brest-Litovsk.] Progressivement, leur nombre se multipliant et les ressources mises à disposition par les Etats-Unis augmentant, la contribution américaine sur le front occidental de la guerre permit aux alliés de l'Entente de défaire les armées des puissances de l'Axe. Le corps expéditionnaire américain était dirigé par le général Pershing. Sous son commandement, les troupes (baptisées les Sammies) participèrent aux contre-offensives de Picardie, de Champagne et de Lorraine. Ces contre-offensives débouchèrent finalement sur l'armistice du 11 novembre 1918, parachevé par le traité de Versailles.
3. Quelles furent les conséquences de la participation américaine au conflit mondial ?
Les Etats-Unis de Wilson jouèrent un rôle tout à fait prépondérant dans la conclusion du conflit. Le président avait engagé son pays dans le conflit en mettant en avant une mission essentielle que les Américains avaient à accomplir pour le plus grand bonheur du reste du monde : défendre la liberté et propager la démocratie. Ainsi, il entendait voir les Etats-Unis participer au concert des nations, sortir de l'isolationnisme et accéder à la stature d'une grande puissance capable dont la voix guiderait les autres peuples. Au sortir de la guerre, qu'en était-il ?
Wilson est parvenu à sortir son pays de l'isolationnisme. Par leur participation au conflit, les Etats-Unis sont devenus une puissance dont la voix compte dans le monde. Ainsi a-t-il exposé en Quatorze Points son programme de sortie de guerre qu'il entendait bien faire peser dans les négociations de paix – (dans un discours prononcé le 8 janvier 1918). Le maître mot de son projet était la « paix sans victoire » (peace without victory). Il souhaitait, grâce à son programme, régler les vieux différends (territoriaux par exemple) qui n'avaient cessé d'embrasé l'Europe, afin d'établir une paix durable sur le continent européen et dans le monde, notamment par la reconnaissance du droit de chaque peuple à disposer de lui-même et par la création d'une organisation internationale chargée d'assurer indépendance politique et intégralité territoriale à tous les Etats, quels qu'ils soient : la Société des Nations (the League of Nations). Wilson négocia directement avec l'Allemagne sur le principe de ses Quatorze Points. C'est dire le renversement qui s'était opéré au cours de la guerre dans l'équilibre des nations. Les Etats-Unis jouaient ou souhaitaient à présent jouer un rôle de premier ordre et intervenir dans les affaires du monde, tentant de jouer un rôle de conciliateur entre les puissances belligérantes. Malheureusement, lors de la signature du Traité de Versailles en 1919, Wilson dut faire des concessions sur la plupart des points avancés dans son programme. Son projet, empreint d'une certaine dose d'idéalisme, ainsi que d'un pragmatisme économique certain, ne fut finalement adopté ni par les pays impliqués dans le conflit, ni par le Congrès américain lui-même.
De la même manière que le pays était devenu une grande puissance diplomatique et militaire, les Etats-Unis étaient parvenus au statut de première puissance économique et de premier créditeur. Les pays européens durent recourir de manière massive aux industries et aux banques américaines. Ainsi, les exportations en énergie, en matières premières, en produits industriels et agricoles vers les puissances européennes avaient connu un essor sans précédent. Ils avaient également emprunté des sommes considérables. Les pays de l'Entente devaient 2,3 milliards de dollars aux banques américaines, à l'issue de la guerre. Le dollar sortit ainsi renforcé par rapport à la livre sterling et au franc. Avec l'effondrement des pays européens qui avaient perdu leurs marchés, ils prirent même la tête de l'économie mondiale. C'est l'industrie américaine tout entière qui avait été mobilisée durant le conflit. Contrairement à la tradition de libéralisme en matière économique, le gouvernement fédéral était intervenu de manière croissante dans la vie économique du pays, afin de diriger les efforts de guerre du pays. L'ensemble de la population avait été appelé à participer à cet effort de guerre. Le gouvernement américain mobilisa son économie pour une guerre totale. L'équilibre mondial était bouleversé avec le début du déclin européen et l'avènement des Etats-Unis comme première puissance mondiale. L'on peut même affirmer que le XIXème siècle et l'ordre « ancien » qui l'accompagnait disparurent avec ce conflit.
Le 11 novembre 1918, l'armistice fut déclaré. C'est le 28 juin 1919 seulement que le Traitéde Versailles fut signé. On parle de la « paix des vainqueurs », dans la mesure où les vaincus (Allemagne et Autriche-Hongrie) ne participèrent pas aux négociations. Wilson, fait remarquable et conforme à la sortie de l'attitude isolationniste américaine, comptait parmi les acteurs principaux de ce traité, avec Clémenceau, Lloyd George et Orlando (le premier ministre italien). Son programme était au cœur des négociations et son idée de Société des Nations fut adoptée par les représentants des puissances victorieuses. Le rôle prépondérant des Etats-Unis sur la scène internationale se trouva, de ce fait, confirmé. De ce point de vue, l'on peut affirmer que l'intervention américaine dans la première guerre mondiale constitua véritablement un tournant dans l'histoire américaine. Toutefois, ce tournant ne fut pas immédiatement décisif dans la mesure où des voix dissidentes ne laissèrent de s'élever contre les idées wilsoniennes au sein même du pays. Cabot Lodge, alors président du Congrès, s'opposa à Wilson et le Congrès ne ratifia pas l'entrée des Etats-Unis dans la Société des Nations. Il s'agit là d'un coup d'arrêt fort contre les ambitions internationales du président Wilson. Ses successeurs au pouvoir sont, par la suite, revenus à une position isolationniste de non-intervention dans les affaires européennes. Il a fallu attendre le deuxième conflit mondial pour que ressurgissent les idéaux et les ambitions défendus par Wilson.
Document pour la classe : Discours de Wilson devant le Sénat américain
President Wilson's Address to the Senate, Presenting the Peace Treaty, July 10, 1919
Gentlemen of the Senate:
The treaty of peace with Germany was signed at Versailles on the twenty-eighth of June. (...)
The US entered the war upon a different footing from every other nation except our associates on this side the sea. We entered it, not because our material interests were directly threatened or because any special treaty obligations to which we were parties had been violated, but only because we saw the supremacy, and even the validity, of right everywhere put in jeopardy and free government likely to be everywhere imperiled by the intolerable aggression of a power which respected neither right nor obligation and whose very system of government flouted the right of the citizen as against the autocratic authority of his governors. (...)
The hopes of the nation allied against the Central Powers at a very low ebb when our soldiers began to pour across the sea. There was everywhere amongst them, except in their stoutest spirits, a sombre foreboding of disaster. The war ended in November, eight months ago, but you have only to recall what was feared in midsummer last, four short months before the Armistice, to realize what it was that our timely aid accomplished alike for their morale and their physical safety. That first, never-to-be-forgotten action at Chateau-Thierry had already taken place. Our redoubtable soldiers and marines had already closed the gap the enemy had succeeded in opening for their advance upon Paris,had already turned the tide of battle back towards the frontiers of France and begun the rout that was to save Europe and the world. Thereafter the Germans were to be always forced back, back, were never to thrust successfully forward again. And yet there was no confident hope. Anxious men and women, leading spirits of France, attended the celebration of the Fourth of July last year in Paris out of generous courtesy,with no heart for festivity, like zest for hope. But they came away with something new at their hearts: they have themselves told us so. The mere sight of our men,of their vigor, of the confidence that showed itself in every movement of their stalwart figures and every turn of their swinging march, in their steady comprehending eyes and easy discipline, in the indomitable air that added spirit to everything they did,made everyone who saw them that memorable day realize that something had happened that was much more than a mere incident in the fighting, something very different from the mere arrival of fresh troops. A great moral force had flung itself into the struggle. The fine physical force of those spirited men spoke of something more than bodily vigor. They carried the great ideals of a free people at their hearts and with that vision were unconquerable. Their very presence brought reassurance; their fighting made victory certain.
They were recognized as crusaders and as their thousands swelled to millions their strength was seen to mean salvation. And they were fit men to carry such a hope and make good the assurance it forecast. Finer men never went into battle; and their officers were worthy of them. This is not the occasion upon which to utter a eulogy of the armies America sent to France, but perhaps, since I am speaking of their mission, I may speak also of the pride shared with every American who saw or dealt with them there. They were the sort of men America would wish to be represented by, the sort of men every American would wish to claim as fellow-countrymen and comrades in a great cause. They were terrible in battle, and gentle and helpful out of it, remembering the mothers and the sisters, the wives and the little children at home. They were free men under arms, not forgetting their ideals of duty in the midst of tasks of violence. I am proud to have had the privilege of being associated with them and of calling myself their leader.
But I speak now of what they meant to the men by whose sides they fought and to the people with whom they mingled with such utter simplicity, as friends who asked only to be of service. They were for all the visible embodiment of America. What they did made America and that she stood for a living reality in the thoughts not only of the people of France but also of tens of millions of men and women throughout all the toiling nations of a world standing everywhere in peril of its freedom and of the loss of everything it held dear, in deadly fear that its bonds were never to be loosed, its hopes forever to be mocked and disappointed.
And the compulsion of what they stood for was upon us who represented America at the peace table. (...) It was our duty to do everything that it was within our power to do to make the triumph of freedom and of right a lasting triumph in the assurance of which men might everywhere live without fear. – (...) – ...A cry had gone out from every home in every stricken land from which sons and brothers and fathers had gone forth to the great sacrifice that such a sacrifice should never again be exacted. (...) Restive peoples had been told that fleets and armies, which they toiled to sustain, meant peace; and they now knew that they had been lied to: that fleets and armies had been maintained to promote national ambitions and meant war. – (...) – The role which America was to play in the Conference seemed to be determined, as I have said, before my colleagues and I got to Paris,determined by the universal expectations of the nations whose representatives, drawn from all quarters of the globe, we were to deal with. – (...) – America may be said to have just reached her majority as a world power. (...) They [weak peoples] know that there is no ground for fear in receiving us as their mentors and guides. Our isolation was ended twenty years ago; and now fear of us is ended also, our counsel and association sought after and desired. There can be no question of our ceasing to be a world power. The only question is whether we can refuse the moral leadership that is offered us, whether we shall accept or reject the confidence of the world.
The war and the Conference of Peace now sitting in Paris seem to me to have answered that question. Our participation in the war established our position among the nations and nothing but our own mistaken action can alter it. It was not an accident or a matter of sudden choice that we are no longer isolated and devoted to a policy which has only our own interest and advantage for its object. It was our duty to go in, if we were indeed the champions of liberty and of right. We answered to the call of duty in a way so spirited, so utterly without thought of what we spent of blood or treasure, so effective, so worthy of the admiration of true men everywhere, so wrought out of the stuff of all that was heroic, that the whole world saw at last, in the flesh, in noble action, a great ideal asserted and vindicated, by a nation they had deemed material and now found to be compact of the spiritual forces that must free men of every nation from every unworthy bondage. It is thus that a new role and a new responsibility have come to this great nation that we honor and which we would all wish to lift to yet higher levels of service and achievement.
The stage is set, the destiny disclosed. It has come about by no plan of our conceiving, but by the hand of God who led us into this way. We cannot turn back. We can only go forward, with lifted eyes and freshened spirit, to follow the vision. It was of this that we dreamed at our birth. America shall in truth show the way. The light streams upon the path ahead, and nowhere else.
Commentaire
Dans ce discours prononcé devant le Sénat américain, le 10 juillet 1919, Wilson entend présenter le traité de paix signé à Versailles le 28 juin. En réalité, l'on s'apercevra que le président s'emploie d'abord et avant tout à glorifier le rôle que les Etats-Unis ont joué dans le règlement du conflit et, par là, à définir les responsabilités nouvelles à assumer par le pays sur la scène internationale. De ce point de vue, ce discours fleuve peut être rangé au nombre des discours fondateurs américains.
Il semble important de noter, en préambule, que ce discours n'est pas, dans les premiers paragraphes, prononcé à la première personne du singulier. D'emblée, Wilson, lorsqu'il présente son projet de paix, se pose en représentant de la nation, en interprète et même, par certains aspects, en prophète.
Wilson ouvre son discours sur un rappel des années de guerre, en insistant sur la distinction américaine, c'est-à-dire ce en quoi la participation des Etats-Unis se distingue de celle des autres pays. Ainsi, il réaffirme que les Américains sont partis au combat pour défendre le droit et la démocratie. Dans cette perspective, les soldats américains semblent avoir embarqué pour une mission, identique à la mission que le président lui-même a assignée à son pays. Leur contribution à la victoire des puissances de l'Entente semble même, selon les dires présidentiels, avoir été providentielle. Wilson se départit rarement d'un ton tout messianique et missionnaire dans ses propos. Ainsi, l'on peut observer que tout son texte est empreint d'images et de références religieuses. Les soldats américains ne comptent pas seulement au nombre des vainqueurs de la guerre. Ils sont décrits comme des sauveurs. En ce sens, ils deviennent des figures symboliques et perdent quelque peu de leur dimension simplement humaine. Ils sont présentés comme des sauveurs, en ce sens qu'ils incarnaient les idéaux américains. A travers eux, c'est donc bel et bien la nation que Wilson est en train de célébrer et de glorifier. Cette célébration l'amène tout naturellement à se tourner vers l'avenir et à proclamer l'avènement d'une nouvelle ère pour le monde, inspirée des valeurs attribuées aux Etats-Unis. De ce fait, le pays devient une source d'inspiration propre à renouveler l'ordre mondial, notamment par la signature du traité de paix dans lequel Wilson entend infuser les différentes idées présentées dans son programme en quatorze points. Wilson poursuit ainsi son éloge des combattants américains qui, les premiers, sont partis « prêcher » en Europe, en tant qu'incarnations des idéaux devenus réalité aux Etats-Unis selon le président : la liberté et la démocratie. La liberté et la démocratie forment même le socle d'une religion civile qui exigeait le « grand sacrifice » des soldats-rédempteurs.
Ce rôle inédit sur la scène internationale semble en fait avoir été prédéterminé, si l'on suit en cela les propos de Wilson. En effet, les Etats-Unis étaient voués à endosser ce rôle, car ils étaient le « peuple élu », rassemblant en son sein l'ensemble de l'humanité. En insistant sur ces points, Wilson présente l'image renouvelée du rôle des Etats-Unis dans le concert des nations. Cette nouvelle responsabilité est décrite comme celle du guide « moral » chargé de montrer le chemin au reste des peuples. Wilson défend ainsi une lecture providentielle de l'intervention américaine à la première guerre mondiale : les Etats-Unis se sont engagés, car cela devait être de tout temps. Dieu en avait décidé ainsi.
Grâce à cette intervention, l'Amérique et ses valeurs ont été véritablement « révélées » au monde. Tout en présentant son programme pour la paix et la défense du droit et de la liberté, Wilson persiste à représenter aux yeux de ses auditeurs l'entrée en guerre des Etats-Unis comme un don de Dieu au reste du monde. Cette omniprésence divine atteint son paroxysme dans la conclusion du discours. En effet, Wilson explique de manière claire que la main de Dieu guide les Etats-Unis qui, eux-mêmes, guident un monde perdu dans les ténèbres du conflit. Les Américains apportent la lumière à ce monde plongé dans l'obscurité.
Dans ce texte aux accents proprement messianiques, Wilson pose les jalons du rôle qu'il envisage de faire jouer à son pays dans le monde, en insistant sur les valeurs chères au cœur des Américains. Cette rhétorique, fondée sur certains mythes américains (tel celui du « peuple élu » par Dieu), a influencé de manière durable et persistante nombre d'orateurs américains, jusqu'au président George W. Bush. En ce sens, il s'agit véritablement d'un discours fondateur dans l'histoire des discours américains.
Pour citer cette ressource :
Marie Beauchamp, "La participation des Etats-Unis à la première Guerre Mondiale : "The Remaking of America"", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), avril 2007. Consulté le 12/10/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/civilisation/domaine-americain/la-place-des-etats-unis-dans-le-monde/la-participation-des-etats-unis-a-la-premiere-guerre-mondiale