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Regard sur un cliché de Martin Parr, «The Great Indoors», 1996

Par Maxime Roccisano
Publié par Clifford Armion le 21/09/2012

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"Elle nous parle de nous parce que nous avons tous des images déjà faites de plage, vues dans des magazines chez son dentiste, vues à la télé, vues en "vrai". Son côté bizarre, le fond peint et le faux promontoire avec son palmier en plastique (même la lumière fait fausse!), nous interpelle et nous met dans une position d'attente. Que se passe-t-il? Pourquoi est-ce que ces gens regardent tous dans la même direction? Peu importe finalement, ce qui compte, c'est ce que cette image nous fait, individuellement."
 

Japon. Miyazaki. La plage artificielle du Ocean Dome. 1996 © Martin Parr / Magnum Photos

Japon. Miyazaki. La plage artificielle du Ocean Dome. 1996

Que voit-on?

Des personnes, de dos, qui semblent regarder en direction d'une étendue d'eau délimitée par une sorte de mur sur lequel sont peints un horizon, des nuages et un ciel d'un bleu beaucoup plus intense que celui qu'on aperçoit au delà et entre deux parties de ce qui semble être un dôme.

Les personnages sont en habits de plage, ils semblent attendre quelque chose, ou regarder quelque chose. Le surfeur (petite tache rouge au bout d'une longue vague blanche) qui vient de s'élancer du rivage les a-t-il sortis de la langueur du bronzage? En tout cas, pas une seule personne n'est allongée, la position habituelle pour bronzer.

On se rend très vite compte de l'étrangeté de la scène. Le fond peint, la trouée de lumière qui fait des ombres? Une plage artificielle? Si on lit la légende, on se rend compte que la scène a été captée au Japon, et plus précisément à l'Ocean Dome de la ville de Miyazaki.

Un peu de technique

Penchons-nous à présent un peu plus sur la technique. Il s'agit d'un format s'approchant du carré, plus exactement d'un format 4:5 (le format carré étant 1:1), mais cette photographie est plus large que haute. Ce sont les proportions des pellicules grand format (4 pouces par 5). Il s'agit d'une photographie de 1996, et à l'époque Martin Parr ne s'est pas encore mis au numérique (il y est passé en 2006). Pour information, la pellicule grand format est beaucoup plus grande qu'un capteur d'appareil photo, 4 pouces par 5 représentent une image de 12 centimètres par 20. Quand on sait que la majorité des capteurs d'appareils numériques, même professionnels, excède rarement l'équivalent du 24x36, soit 2,4 centimètres par 3,6 centimètres, cela a de quoi laisser rêveur, si tant est que l'on considère que la taille du support photosensible - capteur ou pellicule - soit importante…

Au niveau des couleurs, notons qu'elles sont moins saturées qu'habituellement dans le travail de Martin Parr. Le contraste, aussi, est moins violent. Les taches de couleur les plus marquantes sont les bouées de la petite fille au premier plan, les flotteurs devant nos spectateurs assis et le ballon rouge (est-ce un ballon? un autre type de flotteur?) qui d'ailleurs, rappelle la tache rouge du surfeur.
La différence de couleur entre le fond peint et le vrai ciel est quand même bien marquée et tourne à l'avantage pour le fond peint : il est plus saturé que le "vrai" ciel, il fait plus exotique, plus plage, plus rêvé. L'artificiel plus beau que le réel, montré comme pâlot en comparaison? La profondeur de champ est très importante, l'arrière plan est presque aussi net que le premier plan. Cependant, la mise au point semble plus proche de nous, sur la "plage", sur les personnes assises.

Interprétation

Selon moi, cette photographie nous parle à la fois de nous et de l'autre. Elle a été faite au Japon, que la plupart d'entre nous n'a jamais visité, et dont la culture est à la fois proche et radicalement autre, mais qui a toujours exercé une fascination sur l'Occident.

Elle nous parle de nous parce que nous avons tous des images déjà faites de plage, vues dans des magazines chez son dentiste, vues à la télé, vues en "vrai". Son côté bizarre, le fond peint et le faux promontoire avec son palmier en plastique (même la lumière fait fausse!), nous interpelle et nous met dans une position d'attente. Que se passe-t-il? Pourquoi est-ce que ces gens regardent tous dans la même direction? Peu importe finalement, ce qui compte, c'est ce que cette image nous fait, individuellement. Martin Parr nous dit qu'il cherche à faire des photos divertissantes ("entertaining"), mais qu'il y a toujours ce petit quelque chose de plus derrière, pour nous faire réagir face à nos habitudes grotesques de personne vivant dans un pays riche.

J'espère vous avoir donné quelques clés pour produire votre propre interprétation; je ne pense pas que le sens d'une image de qualité puisse s'épuiser avec un texte, si long soit-il, et parfois même, je suis persuadé qu'il vaut mieux s'abstenir de commenter et se concentrer sur son ressenti.

 

Cette ressource a été publiée dans le cadre de l'exposition Life's a Beach, organisée à la Bibliothèque municipale de Lyon, et du festival "Rencontres 2012 de la photographie Lyon sur la Méditerranée", au cours duquel Martin Parr s'est rendu à l'ENS à l'invitation de David Gauthier, chargé de Mission Images et responsable des Affaires culturelles de l'école.

 

Pour citer cette ressource :

Maxime Roccisano, Regard sur un cliché de Martin Parr, The Great Indoors, 1996, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), septembre 2012. Consulté le 19/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/arts/photographie/regard-sur-un-cliche-de-martin-parr-the-great-indoors-1996